Vole, petit canari !

Júnior célèbre ses 70 ans aujourd’hui. Nous l’avons tant aimé que nous nous devions de lui souhaiter un feliz aniversário, canarinho !

A l’approche de Noël 1974, les championnats des Etats brésiliens, compétitions filandreuses étirant plus que de raison les saisons, s’achèvent enfin. A Rio, après trois mini-championnats et 25 matchs, Flamengo, América, Vasco da Gama sont invités à se départager dans un ultime tournoi triangulaire ayant pour cadre monumental le Maracanã. En ouverture de ce drame d’intérêt local, le Mengão affronte América et son buteur, Luisinho Lemos[1]. Fla mène déjà 1-0 grâce à Jayme de Almeida quand survient l’action du match : récupérant un ballon à 40 mètres du but adverse, le latéral droit des Rubronegros décoche une frappe lobée qui vient se loger dans les filets de Rogério, le gardien d’América.

Le buteur s’appelle Leovegildo Lins da Gama, dit Júnior. Agé de 20 ans, il fréquente l’équipe première depuis trois semaines seulement, vient d’inscrire le second but de sa carrière[2] et appartient à ceux que l’on désigne affectueusement Os Meninos da Gávea, les Garçons de Gávea[3]. Le départ durant l’été de joueurs d’expérience tels Afonsinho, Dadá Maravilha ou Paulo César Caju a créé un déficit de titulaires qu’il a fallu combler avec de la chair fraîche.

C’est à Joubert, un ancien défenseur latéral du club et jusqu’alors fidèle auxiliaire de Zagallo, qu’est confiée la tâche de piocher dans la pouponnière de Gávea. Une aubaine pour les Meninos Rondinelli, Jayme de Almeida, Geraldo et Júnior à côté desquels Zico fait figure de vétéran alors qu’il n’a que 21 ans. Lors du match décisif pour le titre carioca, devant une foule considérable, cette équipe de gamins s’arc-boute en défense au mépris de la tradition offensive du Mengão et résiste à Vasco, champion du Brésil en titre avec l’artilheiro Roberto Dinamite.

Joubert, lui-même ancien latéral de Flamengo et à l’origine des premiers matchs professionnels de Júnior.

O torcedor do Fluminense

Pour décrire l’enfance de Júnior, nul besoin de se perdre dans une représentation larmoyante du footballeur extrait d’une favela par un don providentiel. Il n’est encore qu’un enfant du Nordeste quand la gestion hasardeuse de son géniteur trouble le cours de la prospérité familiale consciencieusement tracée par le grand-père. En quête de réhabilitation, le clan se projette dans un monde nouveau, à Rio, où la réussite professionnelle est immédiatement au rendez-vous. L’opulence familiale l’oriente naturellement vers Fluminense, le club des nantis. En décembre 1963, à neuf ans, il est parmi les 194 000 spectateurs – un record – qui assistent à l’ineffable Clássico dos Multidões durant lequel le Flu de Castilho, Carlos Alberto, Aldair laisse filer le titre carioca face à son éternel rival.

Exceller en futsal, jongler sur les plages et revendiquer un statut de torcedor de Fluminense ne garantissent rien et les portes de Laranjeiras ne s’ouvrent pas. Un temps, il pense percer avec les jeunes pousses de Botafogo. Un espoir déçu qui le ramène sur le sable de Copacabana. Il faut la perspicacité de l’ancienne gloire paraguayenne de Flamengo, Modesto Brio, pour déceler en 1974 le potentiel de ce joueur de 20 ans déjà.

Avec Sérgio Ramirez (international uruguayen), Mozer et Tita.

À gauche toute !

A la réflexion, l’union de Júnior et de Fla relève de l’évidence. Club éminemment populaire, O Mais Querido compte parmi ses torcidas un groupe baptisé « Poder Jovem » – que l’on peut traduire par « La Jeunesse au pouvoir » – dont les idéaux s’inspirent du mouvement Black Power importé des Etats-Unis.

Fils de bonne famille et supporter de Fluminense, Júnior balaye les repères sociaux et s’adjuge le championnat carioca 1974 avec Flamengo en assumant une liberté capillaire afro (lui valant le surnom de Capacete, le Casque), l’un des plus évidents symboles de la contestation noire, quelques années avant que la création du Movimento Negro Unificado n’officialise la reprise d’un activisme antiraciste longtemps étouffé par la dictature. Est-ce pour que la parabole soit parfaite qu’il délaisse le flanc droit pour le gauche ?

La conversion s’avère bien plus prosaïque et contrairement à ce qu’affirment certains sites, elle n’est pas l’œuvre de Coutinho mais celle de son prédécesseur sur le banc de Flamengo, Carlos Froner. La venue de Toninho Baiano sous les couleurs du Mengão à l’occasion d’une opération de troc entre les présidents de Fla et de Flu précipite le repositionnement à gauche de l’ambidextre Júnior.

Toninho Baiano est debout, troisième en partant de la gauche alors que Júnior est à droite et qu’un intrus s’est invité.

De la fin des années 1970 au début des années 1980, avec le Flamengo de Coutinho puis de Carpeggiani, Júnior conquiert les plus illustres trophées en illuminant le flanc gauche : championnat carioca, Brasileirão, Copa Libertadores et Coupe Intercontinentale. Le visionnage du sacre mondial contre Liverpool en 1981, un match entré dans la mythologie de Fla, atteste de la complétude de la palette du latéral, sachant se projeter vers l’avant tout en respectant les fondamentaux défensifs. Quand le score est acquis, il adopte une posture de sobriété, laissant libre cours aux instincts coureurs du jeune Leandro sur le côté droit.

Le Canarinho

Sélectionné en équipe nationale à partir de 1979, la désignation de Telê Santana à la tête de la Seleção en 1980 ressemble à une bénédiction. Dans ce football de possession, où les latéraux défendent en attaquant, les flamenguistas Leandro et Júnior planent. Au même titre que Paulo Isidoro (quand il joue) et Éder, ils sont les ailes de ce Brésil dont le talent irradie jusqu’aux rémiges de ces oiseaux luminescents, Júnior portant mieux que personne la tunique jaune d’or. Ses courses légères, ses feintes de corps et ses dribbles élastiques s’apparentent à des pas de danse. A l’approche de la Coupe du monde 1982, comme une évidence, deux fameux compositeurs lui offrent Povo Feliz, un air de samba sur lequel il chante « Vole, petit canari, vole, Montre-leur que tu es un roi, Vole, petit canari, vole, Montre en Espagne ce que je sais déjà. »

Durant les quatre premières rencontres du Mundial, le Canarinho vole, il transperce les défenses, l’Argentine et Fillol en sont témoins[4]. Puis survient la 74e minute de Brésil -Italie : corner transalpin, le ballon est repoussé aux 16 mètres, la défense brésilienne monte et Tardelli tente une reprise que Rossi dévie dans les filets de Valdir Peres. Figé dans les six mètres, le petit canari lève une aile pour signaler un pseudo hors-jeu, dérisoire artifice qui ne piège pas l’arbitre. Júnior ne vole plus et sa passivité défensive, son péché mignon, condamne l’exubérant Brésil de Telê Santana[5].

Le temps s’écoule inexorablement, sa vitesse s’émousse et ses années italiennes, au Torino et à Pescara, entérinent son repositionnement au milieu de terrain. De retour à Flamengo, les cheveux ras et grisonnants du vétéran ayant labouré tous les champs de bataille, il change de rôle et mue en grand frère. Júnior Baiano, Fabinho, Djalminha incarnent les nouveaux Meninos da Gávea, vainqueurs du Brasileirão 1992. Ces gamins suivent leur guide et il ne vient à l’idée d’aucun d’entre eux de l’appeler Capacete ou Canarinho car aux yeux de tous, Júnior est désormais O Maestro.

Le but contre América, au tout début de sa carrière.

[1] Meilleur buteur du championnat carioca devant Zico (Fla), Nílson Dias (Botafogo), Roberto Dinamite (Vasco), Gil (Fluminense) et Doval (Flamengo).

[2] Il inscrit le premier une semaine auparavant, déjà contre América, d’une frappe lointaine fusante à ras de terre.

[3] Gávea est le stade historique de Flamengo où évolue l’équipe réserve.

[4] Décalé par Zico, il fusille Fillol d’une frappe croisée du droit en ayant suppléé Eder, l’ailier gauche.

[5] Il est encore sélectionné pour la Coupe du monde 1986 et il obtient sa dernière cape en 1992.

13 réflexions sur « Vole, petit canari ! »

  1. Intrigué par la référence fait à ses années au Torino, je découvre qu’il fut meilleur joueur au Brésil..à ses 37-38 ans??

    Encore réussi à placer Maravilha, lol.

    Ce Geraldo que tu évoques, c’était un sacré client aussi, non?

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  2. Merci Verano.
    Encore une madeleine de Proust pour moi. C’est marrant, je connaissais évidemment le joueur (j’étais fan du Fla du début des années 80) ainsi que la chanson « Voa canarinho, voa », qu’il m’arrive de fredonner de temps en temps (je suppose que je l’ai entendue à la radio à l’époque du Mundial 82), mais je ne savais pas qu’il s’agissait d’un hommage à Júnior.

    De cette époque du Fla, Zico était mon favori (un peu facile, je sais), mais moi aussi j’avais un faible pour Tita, ainsi que pour Leandro et Júnior, et Adílio.

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