Vassílis Chatzipanagís, le plus grand « et si » de l’histoire

« Chaque fois que je voyais des défenseurs devant moi, j’avais envie de les dribbler. »

Vassílis Chatzipanagís

Quand en 2003, l’UEFA demande aux 52 fédérations membres de nommer le meilleur joueur des cinquante dernières années, l’EPO, la fédération hellénique de football, ne choisit pas une légende de l’un des grands clubs du pays ni un joueur finaliste de la Coupe des clubs champions avec le Panathinaïkós 1971. Cette dernière fait le choix d’un obscur ailier n’ayant qu’une seule cape officielle pour la sélection nationale et dont le palmarès se limite à une Coupe de Grèce remportée avec le modeste club de l’Iraklis Thessalonique. Ce joueur, c’est Vassílis Chatzipanagís, le Noureev du ballon.

L’histoire de celui qu’on surnomme le Maradona grec se lie à celle de son pays. En effet, le Royaume de Grèce est envahi en 1941 par l’Allemagne nazie, ces derniers mettant en place un état fantoche qui tiendra jusqu’en 1944. A partir de 1946, le pays rentre dans une sanglante guerre civile opposant monarchistes et communistes. Après trois années meurtrières, l’armée communiste rends les armes. Nombreux sont ceux qui fuient le pays pour trouver un nouveau chez-soi dans le bloc de l’Est voisin, et parmi eux, Kyriakos et Chryssa Chatzipanagís, qui arrivent à Tachkent, capitale de la République socialiste soviétique d’Ouzbékistan.

C’est donc en Union soviétique que Vassílis Chatzipanagís voit le jour le 26 octobre 1954. Parmi les 20.000 grecs qui peuplent l’Ouzbékistan, Vassílis possède un talent balle au pied absolument unique. A 17 ans, un éclaireur du Dinamo Tachkent vient le recruter mais moins d’un an après, c’est le mastodonte du Pakhtakor qui vient toquer à sa porte.

Devant l’académie de jeunes du club, Vassílis fait le choix des « producteurs de coton ». Alors qu’il est encore mineur, il fait ses débuts en championnat face au Shakhtar Donetsk le 7 juillet 1972. La saison de ses débuts est déjà celle d’un premier titre. Porté par les 34 buts en 33 rencontres de Berador Abduraimov, le Pakhtakor remonte, un an après sa relégation. Mais le jeune Chatzipanagís attire également l’attention grâce à ses performances impressionnantes pour son jeune âge. A l’époque, parmi les jeunes ailiers gauche jouant en URSS, Vassílis est considéré comme le meilleur, si ce n’est pour le déjà international Blokhine.

Au moment de la montée du Pakhtakor en Ligue Supérieure, Chatzipanagís ne possède que la nationalité grecque et n’est donc pas éligible à jouer en championnat. Cela l’oblige à prendre la nationalité soviétique, permettant à la Sbornaia de récupérer le joyau grec.

Vladimir Fedorov, Mikhail An et Vassílis Chatzipanagís, un trio dont seul Chatzipanagís est encore en vie.

Le Pakhtakor se maintient en 1973 et termine même en milieu de tableau l’année suivante, ne finissant qu’à trois petits points de l’Europe. Cette même année, il est nommé comme second meilleur ailier gauche du championnat, toujours derrière l’astre Blokhine. Le coup d’éclat de la saison est néanmoins l’œuvre du gréco-soviétique.

Opposé au leader kiévien, vainqueur de la Coupe des Coupes quelques mois plus tôt et tout juste auréolé de sa double victoire face au Bayern en Supercoupe de l’UEFA, le modeste club ouzbek étrille la machine ukrainienne 5-0. Chatzipanagís ouvre le score en première période avant d’être le passeur décisif pour le second but du match. Vassílis fait le show et fait du pauvre Oleksandr Damin un pantin inanimé durant l’entièreté du match. Ce match ne change rien au championnat, le Dynamo reste en tête et finira finalement champion alors que le Pakhtakor conserve son avant-dernière place, synonyme de relégation, où elle terminera.

Malgré la relégation du club ouzbek en fin de saison 1975, il est sélectionné pour les qualifications aux Jeux Olympiques de Montréal qui doivent se dérouler l’année suivante. Il joue quatre petits matchs avec l’équipe B de la Sbornaia, marquant un but face à la Yougoslavie.

Mais, comme 25 ans plus tôt, la politique grecque change le destin du prodige de 20 ans. En effet, le 24 juillet 1974, la Dictature des colonels, qui avait suivie une période de démocratisation du pays après la guerre civile, tombe. La politique de Metapolítefsi mise en place par Konstantínos Karamanlís et la légalisation du Parti communiste de Grèce permettent aux anciens exilés de revenir au pays, et parmi eux, la famille Chatzipanagís. Konstantin Beskov, alors sélectionneur de la Sbornaia, a beau informer l’ailier du Pakhtakor qu’il gâcherait son talent en allant jouer dans un pays comme la Grèce, son choix est fait. Il retournera dans son pays d’origine.

Le premier club a s’intéresser à lui est le mastodonte de L’Olympiakós qui propose dix millions de drachmes, une somme colossale pour un club grec à l’époque mais les transferts, tel qu’envisagés en dehors du Bloc de l’Est, étant rares en Union Soviétique, la bureaucratie brejnevienne fait trainer le tout et le modeste club de l’Iraklis rentre dans la danse, avec une stratégie bien différente.

Son président, Nikos Atmatsidis, possède un cousin, Giorgos Polonidis, habitant justement à Tachkent et l’ayant informé d’un joueur au nom grec. En effet, la présence de Chatzipanagís dans la liste des 33 meilleurs joueurs d’Union Soviétique en 1974 l’intrigua et le fit découvrir le talent brut que possédait le Pakhtakor. Atmatsidis préparait le terrain et savait depuis le printemps 1975 que Vassílis serait un joueur de l’Iraklis. L’Olympiakós pensait être les premiers mais ils avaient en réalité déjà un an de retard. La présence d’une grand-mère et de ses tantes à Thessalonique confirma le transfert, Vassílis Chatzipanagís serait un joueur de l’Iraklis Thessalonique pour 1976.

Le 22 novembre 1975, 13 jours après son ultime match avec le Pakhtakor, Vassílis Chatzipanagís arrive en train à Thessalonique. Environ 3000 fans de l’Iraklis sont à la gare, attendant le train arrivant aux alentours de minuit, pour voir le génie dont tout le monde du football grec parle. Alors âgé de 21 ans seulement, Vassílis rencontre sa grand-mère pour la première fois, une rencontre émouvante, symbole d’un pays à l’unité retrouvée. Pour son premier match, le Stade Kaftanzoglio est plein, 47.000 tickets se sont vendus !

Pas de saison d’apprentissage pour le néo-thessalonicien, qui remporte la Coupe de Grèce 1976 face à l’Olympiakós, dans un match où la légende de Chatzipanagís commença à s’écrire. Vassílis marque deux buts et, comme face au Dynamo huit mois plus tôt, humilie la défense des rouges et noirs. Un partout après 90 minutes, quatre partout au bout de 120 minutes. La star de l’Iraklis est le seul à manquer son tir au but pour son équipe mais deux piréens ne marquent pas également, c’est le premier titre majeur de l’histoire du club et il porte la marque du prodige revenu au pays.

Mais en 1977, Chatzipanagís porte plainte contre son club. En effet, le contrat qui devait durer deux ans s’avère, par un tour de passe-passe juridique, durer 12 ans… Vassílis remporte le procès mais l’Iraklis fait appel et l’emporte. Quasiment 20 ans avant Jean-Marc Bosman, un autre joueur se retrouve coincé par son club, mais cette fois-ci, pas de Grèce dans l’UE ni d’accords Schengen pour changer le cours de l’histoire, Chatzipanagís ne quittera jamais son club.

La suite ne sera pas aussi brillante que sa première saison, l’Iraklis reste loin des colosses historiques et le club alterne entre luttes pour le maintien et ventre mou. Même si, comme lui avait dit Beskov, Chatzipanagís gâche en partie son talent en jouant dans un championnat si faible et un club si modeste, son génie illumine l’Alpha Ethniki comme durant la saison 1982-1983 où il marque sept buts sur des corners directs, tous de son pied gauche venu d’ailleurs.

Il dispute également un match resté légendaire dans son pays. Le 30 décembre 1979, l’Iraklis reçoit le Panathinaïkós. Les trèfles jouent le titre alors que leurs opposants sont englués en milieu de tableau et pourtant, le match est à sens unique, Chatzipanagís ouvrant le score au bout de 20 secondes. Les buts s’enchainent, le soviétique de naissance fait vivre un véritable camouflet aux défenseurs athéniens et le match se termine sur le score absurde de 6-0. 45 ans après, cela reste la plus lourde défaite de l’histoire du Pana sur le sol grec.

Il faut également noter deux finales de coupe perdues, en 1980 et 1987, et une historique troisième place en championnat en 1983-1984, le petit club de Thessalonique ne terminant qu’à un point de l’Olympiakós et quatre du Panathinaïkós.

En dehors des frontières grecques, les reconnaissances sont rares. Le journaliste grec lui donne la troisième place au Ballon d’or 1983, offrant trois points au joueur de l’Iraklis. C’est néanmoins l’année suivante qu’arrive la plus grande récognition de la carrière de Vassílis, quand il est invité à rejoindre un onze mondial composé de joueurs tels que Dominique Rocheteau, Ruud Krol, Franz Beckenbauer ou autres Hugo Sánchez pour s’opposer au New York Cosmos de Dragan Vujović et Johan Neeskens. Rentrant à la 64ème minute, il s’illustre par quelques dribbles. 40.000 personnes sont présentes dans le stade des Giants dont 15.000 Grecs, pour qui Chatzipanagís est le héros de cette rencontre.

Les années s’égrènent et celui qui fut un ailier prometteur en Ouzbékistan est devenu un vétéran ratant des matchs à cause de blessures. Son ultime rencontre avec l’Iraklis s’avère être le seul match européen de sa carrière, le 19 septembre 1990, alors proche des 36 ans, contre Valence. Absent au retour, il termine sa carrière ici. A une exception près.

En effet, si la carrière en club de Vassílis Chatzipanagís fut partagée entre deux clubs, sa carrière internationale fut également l’affaire de deux nations. Les rencontres jouées par celui qui était alors encore un citoyen soviétique avec la sélection olympique de son pays de naissance jouèrent un rôle important dans la vie de Chatzipanagís.

Appelé pour jouer avec les U21 en 1976, il fait ses débuts internationaux avec son nouveau pays face à la Bulgarie le 3 mars et, en une grosse demi-heure, touche le montant, dribble trois défenseurs et offre un caviar à un coéquipier pour le but de la victoire 3-2. Deux mois plus tard, c’est avec la sélection A qu’il joue contre la Pologne. Après le match, la fédération grecque est néanmoins informée qu’en raison des matchs joués avec la Sbornaia l’année précédente, Vassílis ne peut jouer avec la sélection grecque.

C’est donc après cet unique match que sa carrière internationale se termine. Il joue néanmoins un ultime match avec les Bleus et Blancs en 1999, titulaire dans un amical contre le Ghana, il sort à la 22ème minute sous les applaudissements du public du Stade Kaftanzoglio et ses 10.000 spectateurs, signalant officiellement la fin de la carrière d’un joueur à la carrière unique, passé à côté d’offres entre autres de Stuttgart, Porto ou de la Lazio et dont les deux matchs internationaux ne disent rien du talent qu’il possédait.

Mais surtout, Vassílis Chatzipanagís est un homme dont la vie entière peut être écrite au subjonctif, tant les scénarios alternatifs sont envisageables. Et si il était parti en Angleterre en 1963 ? C’était la volonté de son père mais sa mère refusa, souhaitant rester au pays. Et si Arsenal avait réussi à le faire signer en 1977 ? Il était à Londres pour soigner un genou et s’entrainait avec les Gunners, impressionnant tout le monde là-bas, l’Iraklis refusa pertinemment la moindre négociation. Et si l’offre indécente du Panathinaïkós, proposant, en 1982, l’équivalent de deux millions d’euros pour acheter la star du championnat. L’Iraklis déclina l’offre qui aurait alors fait de Vassílis l’un des trois hommes les plus cher de l’histoire du football derrière Maradona et Rossi.

Voilà la carrière du « Maradona grec », peut-être le meilleur joueur de l’histoire du football, si l’on en croit certains grecs, et certainement la plus grande interrogation de l’histoire du sport.

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11 réflexions sur « Vassílis Chatzipanagís, le plus grand « et si » de l’histoire »

  1. Poli Orea Alpha ! Un vrai article P2F, oserai-je ajouter un sensible, facilement inflammable mais profondément enfantin « trop le feu »! Papier enfin futur nominé selon moi pour les César de fin de saison dans la catégorie révélation. Félicitations.

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    1. Merci !!

      Ça a été le fruit de plusieurs semaines de recherches, Chatzipanagis n’est pas le joueur dont l’histoire s’est le plus intéressé, rendant le tout plus compliqué que je ne le pensais.

      Vive la République et vive P2F ! 😂

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  2. D’ailleurs, si un connaisseur du foot grec peut m’expliquer quelle est la base des fans d’Iraklis… En comparaison de ceux de l’Aris et du PAOK. Pour le PAOK, on connait l’influence des Grecs venus de Turquie.

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  3. On peut surtout dire que cette histoire de rapatriement lui a sauvé la vie, sinon il aurait fini dans le même avion que Vladimir Fedorov et Mikhail An…
    Une vie contre des titres, c’est peut-être ça son pacte avec le diable 😀

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  4. Super article! Les « et si » et le foot de l’époque c’est une histoire d’amour. Combien de joueurs auraient pu être « les meilleurs », un peu comme Victor Batista au Portugal.
    La Pakhtator a eu une belle génération, ce An était il très fort? Était-il le seul « coréen » à avoir joué en sélection?
    Je maîtrise mal le foot soviétique et certains ici comme Alpha ou Dip nous permettent de bien nous rattraper!

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    1. An fait parti, comme les ancêtres des boxeurs Golovkin ou Bivol, de Coréens déportés par les Soviétiques dans les républiques d’Asie Centrale. Ouzbékistan pour An, Kazakhstan pour Golovkin ou Kirghizstan pour Bivol. Ce dernier a aussi des racines moldaves.

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      1. Oui je connais vite fait l’histoire des Kyoro saram, mais je me demandais combien avait representé la Russie époque URSS. l’Ouzbékistan et le Kazakhstan aujourd’hui doivent en avoir plus je suppose. Puis ce sont les 3 ou 4eme génération. Je ne connais An qu’en lisant des discussions ici et je me demandais s’il avait été le seul à jouer à haut niveau. D’ailleurs comme le protagoniste de l’article il aurait sûrement été la star de l’équipe coréenne.

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  5. Un joueur que je « connaissais » (grand mot que voilà), un ancien voisin de travées m’en ayant jadis affirmé la main sur le coeur, il y a bon 25 ans et quoique supporter du PAOK, que c’était le plus grand joueur grec de l’Histoire..et cependant je ne lui soupçonnais pas telles réussites dans l’exercice du corner direct, autant dire que, « connaître »..!

    Le reste, j’apprécie chez lui qu’il casse l’image d’Epinal prêtée aux joueurs grecs, tout en n’ayant pas grand-chose de ce qu’on prête aux joueurs soviétiques, bref, l’animal semble assez insaisissable, et donc : par quels biais est-il devenu ce type de joueur-là?

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