A l’occasion de cette troisième saison, la rédaction a décidé de se lancer dans un défi ô combien périlleux, classer les plus prestigieux défenseurs de chaque décennie. Des années 1920 à celles de 2010 ! Toutes les deux semaines, vous retrouverez donc les portraits des plus fameux assassins silencieux, des ténors du tacle glissé ou de la poussette dans le dos… Une façon de mettre en lumière cette confrérie trop souvent oubliée. Des choix cornéliens émanant d’une intense réflexion collective qui demeurera aussi imparfaite que notre tendresse pour l’histoire de ce sport est grande… Bonne lecture !
Numéro 10 : « Monsieur Livre »
“La distinction réelle se fait
Entre adaptés et inadaptés :
Le reste est littérature.”
Fernando Pessoa. Le livre de l’intranquillité.
Voici un joueur qui n’apparut qu’une seule fois parmi les votes du Ballon d’Or, et assez loin encore bien, en 1961 : l’année même où un journal britannique le consacrerait « troisième meilleur défenseur d’Europe », et où son pays le tiendrait pour « joueur le plus complet que le Portugal ait jamais connu » – et encore ne l’avait-on vu pallier, pendant une mi-temps et avec efficacité, la blessure de son gardien durant la finale de la Coupe des Champions 1965…
Quand, en cette occasion, il eut à défendre les perches de Benfica face à l’Inter, cela faisait cinq ans déjà que Germano avait rejoint le grand club lisboète, sur le tard à ses 27 ans. Et c’est donc là, dans cette équipe jusqu’alors redoutée surtout pour son attaque de feu, que Germano apporta sa science du placement, signature d’un jeu défensif qui, s’il pouvait parfois le porter à traquer un homme jusqu’à la ligne médiane, tenait plus du frein que du marquage sec, infiniment plus de la ligne que de la jambe coupée, et plus du positionnement que de la charge ou du combat héroïque.
Doué de remontées et de relances très sûres, quoique ces dernières pussent pécher dans la profondeur dès que le geste se faisait moins appuyé, ce joueur qu’on pût croire neurasthénique annonçait, dans un style très cérébral et sans pleinement encore y émarger, ces grands défenseurs centraux qu’à compter du début des années 1960 la dynamique du jeu encouragerait à s’affranchir de leur zone, et d’une fonction qui jusqu’alors n’avait été rien plus que destructrice.
Mais ce n’est pas que les prémisses de la modernité, que ce grand lecteur et introverti à moustache contribuait ainsi à trimballer : orphelin de père à onze ans, puis de sa mère à quatorze, Germano ne sembla jamais se démarquer d’une vieille mélancolie, lui dont les 23 ans avaient été affligés par une pleurésie liquide, entre autres problèmes pulmonaires qui l’avaient alors contraint à stopper le football, et à se réfugier à l’hôpital do Caramulo. Si bien que, durant la saison 1956-1957, il n’y avait pas eu de football pour Germano. Qui à sa sortie d’hôpital retrouverait son club formateur de l’Atlético descendu en Division 2. Et qu’en 1966 l’on ne verrait plus guère sur les pelouses après sa blessure face aux Bulgares – unique rencontre qu’en tournoi mondial le sort lui laissât de disputer, et clou superflu du cercueil d’un Portugal qui, s’il disposait peut-être au complet des armes pour l’emporter, ne pouvait davantage qu’Argentins ou Français concourir avec les combines des cousins anglo-saxons.
Comme les jalons d’un destin qui se dût toujours d’être contrarié. Et que cependant Germano parviendrait à sublimer, en irréprochable philosophe et gentleman. Lui gagnant en ces pages une dixième place forgée au rouge de l’intelligence, de la résilience et de la correction.
Numéro 9 : « Mandjombo »
« Si on me coupe les ailes, j’irai à pied
Si on m’ampute les jambes,
Je marcherai sur les mains
Pourvu que je puisse être utile. »
Istvan Széchényi
Un Portugais encore, mais d’un tout autre registre. Et au classement duquel l’auteur de ces lignes se réjouit d’autant plus d’avoir finalement contribué, qu’il ignorait d’abord à peu près tout de ses états de service : « Ah bon, tu ne mets pas Vicente Lucas? » Eh bien non : je ne votais pas Lucas, ou Vicente, enfin, Machin-Chose-Bidule-Truc… Peu importe : je n’allais quand même pas voter pour un type que je ne connaissais pas, dites?
Et c’est qu’il y a matière, dans le trombinoscope infini du ballon rond, à méconnaître ledit Vicente da Fonseca Lucas, qui de tout son parcours en Europe ne connut que Belenenses, et n’avait connu avant cela que le sable chaud d’une Lourenço-Marques, qui dans les années 1950 ne s’appelait pas encore Maputo.
Prodigieux Mozambique, qui non-content d’avoir déjà donné Eusebio et Hilario à la Métropole, donnerait aussi à Germano son parfait contraire et complément, en la personne de cet attaquant peu à peu mué en une sangsue alerte, hyper-réactive et cependant toujours fairplay, qui en Europe deviendrait plus que le simple frère du grand Matateu, ou que l’ancien voisin de Mario Coluna.
Repéré dès ses 16 ans comme ailier droit par le Lusitano de Evora, puis encore lors d’une tournée africaine du Sporting du Portugal, Vicente finirait par obtenir de sa mère protectrice de pouvoir rejoindre enfin l’aîné en Europe, où Matateu répétait sans cesse que son frère était « meilleur que lui ». Le 5 septembre 1954, Vicente fêtait ainsi ses débuts sous le maillot du Belenenses, par une victoire 4-0 contre l’Atlético, club alors d’un certain « Monsieur Livre », qu’il compléterait un jour en équipe nationale.
Mais d’ici-là il serait d’abord ballotté avec un égal succès de l’arrière- à l’intérieur-droit, puis même appelé à exercer ses talents de buteur comme ailier gauche, jusqu’à ce que l’entraîneur Fernando Riera avançât pour lui de tout autres projets : « Tu as déjà joué milieu de terrain à Lourenço Marques, me dis-tu? Eh bien tant mieux, car ce sera ta place face à Guimarães. Et je te conseille d’être bon. »
Quelques victoires plus tard, la presse semblait déjà avoir épuisé pour lui le catalogue de ses éloges : « De dimanche en dimanche, de match en match, ses qualités s’affirment, confortant sa figure de joueur subtil et fin, doté de vastes ressources et de magnifiques qualités. Sobre, discret et étranger à l’idée de jouer pour la galerie, car résolument porté bien plutôt à vouloir se rendre utile, Vicente Lucas est certainement la plus grande révélation du football portugais de cette saison. C’est le type même du joueur malléable, parfaitement adapté à ses missions (…). Et ce qu’importe qu’il s’agisse de défendre, ce qu’il fait toujours dans un timing absolument parfait, ou d’attaquer et de lancer ses avants, ce dont il s’acquitte grâce à la clairvoyance de ses passes et à ses pieds magnifiques. »
Salué par France-Football, dès 1955, comme « l’un des meilleurs milieux de terrain européens », et tenu par d’autres pour meilleur médian portugais ; vainqueur de la Coupe du Portugal 1960, puis ne cédant face à Barcelone qu’en match d’appui et après possible intercession de l’arbitre, en Coupe des Villes de Foire 1963, Lucas parviendrait même à éclipser totalement le Roi Pelé lors d’un match dans le match qu’A Bola commenterait comme suit : « Soixante mille personnes ont vu, de leurs yeux, comment Vicente Lucas est parvenu à transformer un roi en roturier (…). Car aussi incroyable et stupéfiant que cela puisse paraître, voici pourtant bel et bien ce qui s’est exactement passé : Pelé n’a pas remporté le moindre duel contre lui. A quel philtre magique tient le secret de sa réussite ? Lui seul pourrait nous le dire. Pour notre part, nous ne soulèverons qu’un point : Vicente ne s’intéressait au ballon qu’à condition qu’il fût à la portée de Pelé, et de sorte alors de l’en priver. Mais que le ballon s’éloignât de Pelé, et Vicente s’en désintéressait aussitôt, qui préférait coller toujours aux basques du Brésilien. D’autres ont procédé autrement, et ont fini écrasés. Lui a procédé de la sorte, et ce fut lui qui écrasa Pelé. » Dans la foulée, le journal Diário Popular sacrerait Vicente Joueur de l’année 1963. Avant que Pelé, fidèle peut-être à ses flagorneries chroniques, ne le qualifiât de meilleur défenseur qu’il eût jamais rencontré.
Au faîte de son art, Vicente serait toutefois blessé trois ans plus tard lors du tournoi mondial anglais, après des prestations remarquées face aux Hongrois, aux Bulgares et aux Brésiliens : « C’est plus tard que je me suis fracturé la main droite, ce dont d’ailleurs j’ai conservé les stigmates aujourd’hui. Un Coréen que je venais de neutraliser, puis qui me marcha dessus. » Et qui, s’il le le priva des deux derniers matchs à livrer contre l’Angleterre et l’Union soviétique, ne pourrait lui aliéner la reconnaissance du Daily Mail, pour qui Vicente était « le meilleur défenseur du football mondial depuis 1954, du temps où Andrade jouait pour l’Uruguay (sic) ».
Mais ce serait l’ultime éloge : le 7 octobre 1966, Vicente était victime d’un violent accident de la route, qui mettrait brutalement fin à sa brillante carrière de footballeur, à 31 ans… « C’est un bris de verre issu du pare-brise qui m’a arraché la vue… Mais il y avait aussi ces ferronneries sur mon front… J’étais couvert de sang, comme si l’on avait ouvert un robinet… (…) J’ai été recousu au front, avec vingt-deux points de suture. Mais c’est l’état de mes yeux qui était le pire… »
Le 22 janvier 1967, éborgné comme l’avait été avant lui l’Uruguayen Andrade, Vicente serait honoré lors d’un jubilé rassemblant, au stade Restelo de ses exploits, des sportifs accourus de tout le pays, pour lui et rien que pour lui. Et cependant serait-ce jusqu’à ce jour de fête, qu’à lui seul le pays entendait consacrer, que Vicente resterait incapable de ne tirer la couverture qu’à soi : indécrottable, il demanderait en effet que les recettes soient pour moitié reversées à la veuve du Benfiquiste Luciano, électrocuté sept semaines plus tôt dans un jacuzzi de son club, où avaient d’ailleurs manqué de peu de mourir aussi Eusebio et cinq autres de ses équipiers. Car si la reconnaissance pouvait attendre, le devoir n’attendait pas, lui.
Numéro 8 : « Bimbo »
« Quelle attraction!
Dumbo, la neuvième merveille du monde!
Le seul et l’unique éléphant qui vole! »
Dumbo, Ben Sharpsteen, 1941.
Comme un adorable éléphant, qu’on eût lâché dans un magasin de porcelaine… Voilà à quoi le Joueur slovaque du siècle avait dû son surnom : à la légendaire gentillesse dont jamais ne se départirait son 1m82, non moins qu’à la maladresse touchante de ses débuts, du temps où le doux géant de Bernolakovo, à une dizaine de kilomètres à peine pourtant de Bratislava, renâcla trois fois à rompre avec ses mœurs provinciales pour embrasser la cause du Slovan – d’abord en renonçant bien vite à trouver la porte du centre de formation, ensuite en y rebroussant chemin sitôt vu le nombre d’adeptes présents à l’entraînement, et enfin quand il essaya de se dérober à la voiture que, de guerre lasse, les dirigeants du club s’étaient résignés à mener à lui, de telle sorte de le conduire de force vers son destin footballistique.
Sa timidité maladive, toutefois, réprimerait encore sa carrière, qui manqua de bien peu de prendre fin dès sa première saison de prêt à Brno. Puis, à 22 ans, il y eut le déclic : le passage d’abord de l’équipe réserve au statut de titulaire comme stoppeur, les premières quoique très tardives sélections en équipe nationale Juniors, et même sa titularisation lors de la Coupe du Monde en Suède, qui le verrait prendre part au nul 2-2 contre le tenant du titre ouest-allemand, puis au triomphe 6-1 face à l’Argentine en ruine des Corbatta et Carrizo.
De l’été 1957 de son éclosion, à l’hiver de sa carrière comme joueur-entraîneur en 1979, le grand Jan ne raterait en tout et pour tout que trois rencontres – et toutes sur blessure encore bien, dans la mesure où, fait exceptionnel pour un défenseur, Popluhar ne fut jamais suspendu en plus de vingt ans passés sur les pelouses tchécoslovaques : « Au cours de mes 19 années de carrière de footballeur de haut niveau, les arbitres ne m’ont jamais expulsé, et je n’ai pas même reçu le moindre carton jaune! Car j’ai toujours joué en pensant à l’adversaire. »
Comme lors de cette première manche face au Brésil, lors de la Coupe du Monde 1962. Au terme de laquelle Pelé tiendrait à saluer l’extraordinaire correction de ses adversaires tchécoslovaques – et de « Bimbo » en particulier -, qui à compter de sa blessure s’étaient fait fort de le ménager, de sorte qu’il pût terminer la rencontre à défaut de pouvoir être remplacé. Et pour quoi le finaliste éconduit Popluhar recevrait le Prix mondial du Fairplay, en 1967 : « J’ai toujours veillé à rester correct. Mes parents m’ont élevé de cette façon, et ce devoir dont je me sentais investi ne fit que grandir au contact du football. Aussi pris-je toujours soin de respecter le moindre adversaire, et à ne jamais jouer de manière agressive. De toute façon, à quoi bon défendre comme le faisait Kladno Linhart, qui n’avait de cesse de pincer ni de donner des coups de pied? De combien de fautes aurais-je été coupable? Sans compter que plus de septante pourcents de mes duels survenaient dans notre grand rectangle, où il convient d’intervenir avec précision, comme un horloger. Aussi ma technique consistait-elle plutôt à ralentir l’adversaire, à l’éloigner du but. Et à me montrer plus rapide et plus intelligent. »
« Popluhár », confirmerait des années plus tard le Ballon d’Or 1962 Josef Masopust, « ne pouvait être contourné, il était comme un pilier. Mais un pilier très mobile, qui anticipait. Alors, quand je me retrouvais devant lui, je préférais encore passer la balle à autrui. » Et cependant, Popluhar ne serait pas qu’une force de la nature infranchissable, lui qui au cours de sa carrière inscrirait une trentaine de buts, et prendrait sa part dans l’évolution du libéro.
« Je me rappelle comme si c’était hier du seul but que j’aie inscrit en équipe nationale. C’était quatre ans après le Chili, après que nous eûmes répondu à une invitation des Brésiliens. Il y avait 140 000 personnes dans le Maracana (…). Tandis qu’ils formaient une haie pour nous laisser passer, leurs supporters s’inclinaient devant nous, le football tchécoslovaque était respecté à l’époque. Et donc ce but est tombé sur coup-franc. J’en ai tiré fort peu dans ma carrière, mais celui-là j’y tenais : « Laissez-moi faire, les gars, celui-ci il est pour moi. » A vingt mètres du but. Je me rappelle l’avoir frappé du pied gauche, avec l’intérieur du cou-de-pied. Le ballon contourna brusquement le mur, comme on me l’avait appris et sans que leur gardien pût esquisser le moindre geste. J’étais droitier pourtant, mais j’avais trop de force dans ma jambe droite. Aussi, quand j’entendais privilégier la technicité, c’est du pied gauche que je frappais. Il m’est arrivé de tirer des penaltys du pied gauche, par exemple. Ca peut paraître paradoxal, mais j’étais plus en confiance comme cela. »
Le plus paradoxal, pourtant, serait que Popluhar ne marquât jamais de la tête sur phase arrêtée. Lui qui avait pour réputation d’être imbattable dans les airs, mais aux basques duquel collaient en permanence deux défenseurs, qui redoublaient alors de ficelles illicites pour le sortir de la rencontre : « Accroché par le maillot, tiré, pincé… A la fin, notre entraîneur Leopold Stastny jugea plus prudent que je ne monte plus du tout. » Du moins plus sur phases arrêtées, car davantage peut-être qu’un Germano, quoique loin encore de ce que faisaient en Belgique le libéro et meneur de jeu Verbiest, ou en Yougoslavie puis à Ajax un Vasovic qui aimait à se poster jusqu’aux derniers vingt mètres en possession du cuir, Popluhar resterait en effet de ces pionniers qui abolissaient alors de leurs chaînes les libéros, mais qu’au tardif et défensivement moins assuré Beckenbauer la narrative entendrait pourtant que soit prêté, à lui seul et fallacieusement, d’avoir révolutionné leur fonction.
Une incartade à l’esprit du jeu et de l’Histoire, dont ne se formalisa pourtant jamais le grand Jan. Car ainsi que firent dire, non point Walt Disney, mais bien ses collaborateurs Joe Grant et Dick Huemer, d’un héros éponyme comme lui timide et engoncé : « Désormais et à jamais, ça ne sera plus jamais un éléphant. » Et le doux « Bimbo » de s’en retourner en géant, à l’ombre du château de Bernolakovo, là même où tout avait commencé.
Numéro 7 : Ivan le Terrible
« Elle vous surnomme Ivan-le-pas-terrible
Parce qu’il paraît que vous êtes
Un très mauvais coup.
Plus rapide qu’un lapin,
Plus mou qu’un chewing-gum. »
Promotion Canapé, 1990.
N’avait été l’ombre écrasante de l’officiel plus grand gardien de l’Histoire, c’est sans doute à lui qu’aujourd’hui encore l’on penserait, à chaque fois qu’est évoquée la plus grande période traversée par le football soviétique : celle des années 1960, des trois Quarts et de la Demi qu’en coupes du Monde l’URSS y glanerait, de ces trois premières finales d’Euro mâtinées d’une demi perdue sur tirage au sort ; de Yashin, de Szabo, de Metreveli, de Voronin et d’Ivanov…et donc de celui qui, dix ans durant, serait son incontestable leader défensif : l’extraordinaire Albert Shesternev.
Héritier, quoique en plus athlétique, du grand défenseur des équipes du CSKA et d’URSS Anatoly Bachachkine, Shesternev serait tout au long des Sixties l’un des meilleurs défenseurs centraux au monde, et même recordman quinze ans durant du nombre de matchs disputés pour l’équipe nationale de son pays. Intraitable au duel, courant le 100 mètres en moins de 11 secondes, et même capable de relances voire remontées spectaculaires jusque dans le camp adverse, il gagnerait à l’Ouest le surnom d’« Ivan le Terrible » avant d’intégrer, en 1967, le 11 idéal du premier et ultime demi-siècle d’existence de l’Union Soviétique, puis d’être régulièrement cité parmi les trois meilleurs défenseurs d’Europe – parmi Bobby Moore, Facchetti et Franz Beckenbauer.
De cette époque dont il ne rata pas la moindre phase finale de Coupe du Monde ou d’Euro, conclues au pire en Quart-de-finale, et qui le vit dix ans durant être systématiquement repris dans l’équipe-type du championnat, c’est en définitive au crépuscule de sa carrière, en 1970, que Shesternev vivrait sa saison la plus aboutie, qui le verrait être sacré meilleur sportif et champion d’URSS avec le CSKA, tout en décrochant une dixième place d’autant plus remarquable, au classement du Ballon d’Or, qu’il était défenseur et issu du plus militariste des clubs d’outre-Rideau de Fer.
Au cours de cette décennie marquée par de profonds bouleversements, qui verraient les défenseurs latéraux puis le libéro s’affranchir progressivement de leurs tâches habituelles, à mesure de l’adoption puis des développements du 4-2-4, la chance de Shesternev fut sans doute d’en avoir fait l’expérience alors même qu’il était encore vierge de tout, et partant libre du moindre modèle dont il dût au préalable se débarrasser, comme un serpent ferait d’une vieille peau. Et c’est donc tout naturellement que lui serait indiquée la voie à suivre, par l’entraîneur de ses débuts Konstantin Beskov, et que le sprinter Shesternev apprendrait à anticiper et à construire le jeu depuis la page blanche de ses vingt ans, et de ce nouveau football qui à ses pieds se dessinait.
La chance, pour autant, finirait par se dérober sous ses pieds et à ses mains, tel qu’à la déliquescence de ses rendez-vous avec l’Italie laquelle, si elle l’avait révélé aux yeux du monde en 1963 quand il éteignit totalement l’immédiat vice-Ballon d’Or Gianni Rivera, l’emporterait cinq ans plus tard dans le vestiaire d’un arbitre et sous les traits du plus heureux Facchetti, victorieux du tirage au sort décisif de la demi-finale de l’Euro 1968.
Certes Shesternev traînerait-il encore sa grande carcasse un an ou deux, le temps que les blessures ne le rattrapent, puis que ne le ringardise pour de bon la figure mythifiée du Wessie Beckenbauer. Mais le pain blanc était mangé, et « Ivan le Terrible » ne retrouva plus jamais d’aliment de fortune à son parcours d’entraîneur, ni à son fatal penchant pour la dive bouteille, qui tous deux le dégraderaient, lessivé, jusqu’à sa mort précoce en 1994.
Numéro 6 : L’Arraigado
« L’immigrant a trouvé dans ces terres
Non pas une prolongation de son pays,
Mais une opportunité
D’être quelque chose de nouveau. »
Arturo Jauretche
Au moment d’aborder ce joueur singulièrement classieux, et d’allure si lisse qu’il pût paraître immaculé, une question s’imposait : que dire de lui qui n’avait déjà été dit, voire qui valût au moins d’être dit?
S’attarder sur l’iconique et très interviewé bellâtre, que beaucoup entendirent comparer à Paul Newman? L’acteur et le modèle publicitaire?
L’intrigante suspension de deux ans essuyée jusqu’en 1959, et que d’aucuns rapportent à sa participation à un tournoi non reconnu par l’AFA, ou d’autres au coup de sang d’un débutant qui voulût davantage jouer?
L’homme de culture apprécié, qui combina ses expériences d’entraîneur avec celle de consultant pour le Ministère des Sports? L’entraîneur qui, à Boca, accompagna l’explosion puis la chute d’un certain Diego Maradona?
L’irréprochable qui, du chaos du 17 juillet 1966, parviendrait à sauver le maillot de Bobby Charlton, à gagner son estime (« Il n’était pas très rapide, mais son sens de la position était tellement développé qu’il n’en avait pas besoin »), et même à intégrer comme arrière gauche le onze idéal de la fort peu latinophile Coupe du Monde anglo-saxonne?
La tournée triomphale du 14 décembre 1969 qu’il mena sur la pelouse du rival honni, en dépit de l’ouverture des bouches d’incendie par les dirigeants d’un River Plate bien déterminé à refroidir la joie de ces Bosteros, fraîchement sacrés en l’antre ennemie du Monumental?
Si ce portrait débute avec perplexité, celle-ci ne saurait pourtant être le fait de ce fils d’immigrés italiens, qui dans sa carrière et dans sa vie ne manqua jamais de poser des choix forts et assumés – à commencer par celui du football : «Je gagnais pas mal d’argent comme commercial. Aussi, au sein de mon entreprise où mon avenir semblait tout tracé, ils ne comprenaient pas que je veuille laisser tomber cette place pour jouer au ballon rond, sans aucune garantie. »
C’est pourtant et précisément sous le maillot de cet employeur, dès ses 15 ans et à l’occasion d’un tournoi opposant entre eux des immigrés italiens, que Marzolini se ferait remarquer par la Juventus laquelle, si elle parviendrait certes par son intérêt à le persuader de persévérer dans cette voie, échouerait toutefois à le convaincre de la rejoindre dans la Botte : attaché à son pays, c’est-à-dire à l’Argentine et non pas à l’Italie des Oriundi ou de ses parents, c’est en effet d’abord au Deportivo Italiano puis au Ferro Carril Oeste que le jeune homme entreprendrait de devenir footballeur professionnel, avant de se gagner l’appétit des Xeneizes de Boca Juniors lors d’une rencontre qui le vit ridiculiser son adversaire direct, l’international Osvaldo Nardiello.
Un an encore et, dans la foulée de son équipier Antonio « Tarzan » Roma, Marzolini devenait lui aussi un joueur du Boca puis même de l’Albiceleste, à l’occasion de l’édition 1960 du fugace championnat panaméricain, remporté sur un Brésil qui, cependant, n’était rien plus qu’une sélection du Rio Grande do Sul. Sortie de son été austral, et l’espérait-on du désastre subi en Suède, l’Argentine entrait dans une nouvelle décennie, dont Marzolini serait l’une des plus sûres promesses, non moins que l’un des précurseurs de ces arrières latéraux modernes, que l’évolution globale du jeu voire de la médecine encourageait toujours à aller plus avant.
En l’espèce et le concernant, c’est en 1962 et assez spontanément que Marzolini muerait en arrière offensif : à compter de l’arrivée devant lui du demi-gauche Alberto Gonzalez, et à mesure que celui-ci jouerait moins comme ailier que comme un intérieur gauche en retrait, laissant à Silvio de meubler sur le flanc tout l’espace libéré : « J’ai réalisé que, de mon côté, il y avait ce couloir où attaquer, et c’est donc ainsi que j’ai commencé à jouer de manière plus offensive. » Dans une réinterprétation de son rôle qui, pour audacieuse qu’elle fût, verrait toutefois le droitier Marzolini se distinguer des plus purs pistons par sa disposition naturelle à rentrer lui aussi dans le jeu, ce qui faisait probablement de lui un arrière-gauche plus abouti que ses contemporains Facchetti ou Nilton Santos.
De surcroît doué sur le plan technique, doté d’une remarquable frappe sur coups de pied arrêtés, et excellant même dans le jeu aérien, Marzolini serait au final tenu pour synthèse parfaite entre l’élégance des latéraux brésiliens et la hargne de leurs pairs uruguayens, d’entre facilité et garra. Et cependant, à l’examen de ce parcours auquel il s’empressa de mettre un terme plutôt que de devenir un boulet pour les siens : c’est de le considérer pour premier des Argentins qui nous paraîtrait le plus opportun – lui qui, au contraire de tant d’Oriundi avant lui, rejeta toujours les cours répétées des Real, Juventus et Milan, comme en un choix affirmé de racines qu’il eût là-bas arrachées pour mieux les implanter ici, dans ce « pays d’immigrants devenus criollos » où, selon l’essayiste Juan José Sebreli, l’identité argentine se forgea « dans le creuset de la rupture avec la nostalgie européenne ».
Certes, d’aucuns opposeront-ils que, si Marzolini refusa toujours de se donner à l’Italie, c’était par crainte d’y vivre à l’ombre de Facchetti. Mais c’est oublier bien vite que celui-ci n’avait que 13 ans quand l’Argentin suscitait déjà l’intérêt de la Juve, ou que ses débuts internationaux avaient précédé de deux ans ceux de l’Italien…
Pour autant, la meilleure preuve de l’attachement de Marzolini, non plus à son sang mais à sa terre, attendrait-elle sa campagne ratée contre le Président du Boca Alberto Jose Armando, dans la foulée de laquelle il serait mis au placard jusqu’au terme de son contrat, en 1972, et refuserait toutefois de céder aux secourables avances faites à lui par l’un ou l’autre clubs français. Bouclant la trame de ces Italiens qui, selon l’écrivain Ernesto Sabato, étaient certes « venus avec leur langue et leurs rêves, mais dont les enfants avaient tant et si bien grandi en parlant lunfardo et en dansant le tango, qu’à la fin leur déracinement était devenu destin. »
(à suivre…)
C’est pas ce que j’ai mis dans mes dix !
Eh, le peuple a parlé pardi.
Shesterniov a été évoqué dans ces colonnes pour sa très solide demi-finale de CM 1966 (P2F du 24/8/23), même s’il est indirectement à l’origine du deuxième but ouest-allemand. Signalons pour les puristes que son nom, Шестернёв, se prononce et s’écrit donc Shesterniov en français. Ma taupe au Kremlin me fait savoir que le tréma sur le E transforme celui-ci en O.
C’est fort possible, m’en suis posé la question! Mais vu la pluralité des graphies : opté pour la plus récurrente.
Ah ah, j’ai cru que tu t’étais lancé comme défi de faire le portrait de Popluhar sans jamais citer son nom.
À son propos, sur la fin au Slovan, son association avec Horvath ressemble à un duo idéal de complémentarité.
Modrobily est trop jeune pour nous parler de son passage à l’OL. Et ce n’est pas un Tchèque eh eh… Les supporters lyonnais avaient ils conscience d’avoir un crack dans leur effectif ?
Tout-à-fait le genre de conneries dont je suis capable et friand, j’aurais trouvé ca rigolo mais, non : meme pas fait exprès.
Deux Portugais, Rui devrait passer par là… je ne connais rien de cet Atlético Clube de Portugal né dans les années 40. Une lubie du pouvoir ? Je lis qu’il s’agit d’un club omnisports avant tout : un club élitiste ?
Je ne connaissais pas non plus cet Atletico??
J’ai evidemment farfouillé un peu, voir a minima où je mettais les pieds, mais..??
RuiCosta sera plus indiqué..et je risque alors de le solliciter sur un point, eheh
Désolé les gars , ce top est arrivé un jour où je n’ai pas eu le temps de passer commenter.
Pourtant Vicente (quel joueur exceptionnel) est sûrement un des plus talentueux défenseurs portugais de l’histoire (et de sa génération).
Mais il a joué toute sa carrière dans un Belenenses déclinant. Lui et Hilario était deux top joueurs, plus que Germano d’ailleurs.
Atletico CP c’est un club important après guerre, c’est le nom de la fusion entre Carcavelinhos (Un grand club d’avant guerre) et de l’uniao.
Carcavelinhos n’a pas su suivre le train Benfica/Sporting/Belenenses (avant que ce dernier ne chute aussi).
J’essaie de repasser ce midi!
Germano est tout sauf spectaculaire : physique à la Jean-Claude Duss, jeu de l’ombre, un cerebral delicat.. C’est compliqué d’en juger, parfois le plus parlant (typiquement pour ce genre de profils, dirais-je) est de juger des joueurs quand ils sont absents.
Je lui trouve tout de meme un truc, il annonce quelque chose..mais pour autant il y a une bonne dizaine de joueurs que j’aurais cités avant lui.
Bon, la vraie question est : qui sont ces dames donnant l’impression de courir vers nous, lecteurs – voyeurs ?
Petites Anglaises, en happening pour la wc66.
Aussi loin que je remonte en photos, videos..pour le XXeme siecle, y a toujours des femmes quelque part : elles jouent, regardent, supportent..
Mais de telles mises en scene les sexualisant (ce sera plus parlant en seconde partie) : avant les 60’s je vois pas vraiment??
J’evoquerai d’ailleurs la 1ere wag du foot anglais, bref : je trouvais cette photo dans le ton de l’epoque.
Question qui restera sans réponse encore quelques mois : Marzolini est-il dans le Top 5 Boca que nous prépare Ajde ?
Alors, pour les besoins de ceci : je me suis enfilé des heures et des heures de matchs! ==> Appréciations personnelles, donc..
Germano : très bon, tout en jeu positionnel, à l’intelligence, au placement.. Je crois bien ne pas l’avoir vu une seule fois (!!) aller au duel, au contact.. Le jeu de relance est très propre aussi, la volonté de construire est là..mais ne va pas beaucoup plus loin que la ligne médiane. Et j’ai été marqué par une relative faiblesse dans le jeu long, les transmissions ne sont pas toujours suffisamment appuyées. Il m’inspire beaucoup de respect, mais je ne regrette pas de n’avoir voté pour lui.
Vicente Lucas, lui c’est tout le contraire : content d’avoir posé ma voix dessus! On en trouve toutefois autant voire plus d’archives comme demi que comme défenseur. Et il excelle dans ces deux strates du jeu, de manière dépouillée, sans grigris..mais toujours très efficace, un tout bon. Et je reste sur mon impression première concernant le défenseur : d’un registre Des Walker pour tout qui en aurait le souvenir!, c’est sec mais propre, hyper-réactif, au taquet, faiblesse aucune au duel………. ==> Une horreur à se coltiner, je crois volontiers que Pelé ne gagnât aucun duel contre lui.
(le reste plus tard, je file aux fourneaux)
Les carottes cuisent! Popluhar et Shesternev : beaucoup de points communs, deux joueurs très solides. Je donnerais l’avantage au Soviet : de fait plus rapide, plus entreprenant aussi. Vraiment très fort et, par rapport à Popluhar, il semble davantage rentré dans une nouvelle ère (celle du 4-2-4, des latéraux voire d’un def central qui montent..certaine athlétisation aussi, il y a un je ne sais quoi de moins bio et plus robotique dans son jeu).. Je trouve Shesternev plus pleinement moderne.
Marzolini : c’est la classe…….. Très propre, trop peut-être..mais talent et modernité sont là, rien à redire..et il ne manquait pas de caractère non plus.
Est ce que Marzolini ne bénéficie pas de l’aura du spécimen unique ? Dans le foot argentin de muerte des années 60, je ne vois pas de latéraux ayant son style. Peut-être Facundo qui avait la réputation rare d’être offensif ?
Marzolini ? meilleur latéral argentin de l’histoire.
Question suivante.
Dans le foot argentin qui se repense totalement aux années 1960, il fait la synthèse parfaite rioplatense/Europe.
Je le trouve vraiment très, très, très très bon. Plus accompli même qu’un Facchetti, qui certes n’est pas que ça, que j’aime plutôt bien (y a de l’éducation, un savoir-vivre palpable)..mais dont la présence physique (et évidemment, dans la mémoire collective, les perfs de ses Inter et Italie) fait beaucoup ; joueur moins fin que le Silvio d’outre-Atlantique.
Marzolini y a vraiment tout, il aurait pu être meneur de jeu à la rigueur. Après, du personnage cette fois, ce qui m’a marqué en lisant un max sur lui, c’est ce côté an-Oriundi.. Il est +/- contemporain de pas mal d’Oriundi, en tout cas quand Sivori reçoit son BO en 61, lui a 20 ou 21 ans et est dans le collimateur de grands clubs européens………..mais décide une fois de plus qu’il restera en Argentine.. ==> Ca m’a marqué et c’est donc l’angle que j’ai privilégié.
J’ignore si ce surnom que je lui donne, « Arraigado », lui fut donné en Argentine, mais je trouve que ça lui va super bien.
Le foot portugais des 60es dépend beaucoup des cracks venus des colonies, au moment où Salazar est confronté à des mouvements de libération. Coïncidence ? Et est ce qu’il y avait déjà de nombreux joueurs venus d’Afrique auparavant, dans les années 40 ou 50 ?
Pour le Portugal, je sais pas..mais pour les Pays-Bas, c’est fin des fins pour garder tant que possible le (..turbulent..) Surinam dans l’orbite impérialiste (NB : ne JAMAIS oublier, nonobstant image d’Epinal des tulipes coffee-shops ou que sais-je, que le fond de l’affaire hollandais est mercantiliste et impérialiste), si la fédé (et en amont la diplomatie NL) se mêlèrent de ce football-là, pour mieux le fondre et le garder dans le foot NL, l’y diluer..et le contrôler.
Probablement aucun rapport (quoique?)..mais te lire me fait penser à cela.
Je n’ai pas le temps mais oui même si ces 60’s sont l’apogée du foot colonial
C’est curieux cette extraordinaire génération russe des années 60 qui ne connait ni prémices, ni lendemains. Parce que les bonnes années soviétiques suivantes se basent plus sur les ukrainiens si je me souviens bien.
En tous cas, Shesternev et ses copains sont probablement la seconde meilleure sélection derrière les Brésiliens sur la période 1958-1972.
Ah, ça.. Le Rideau de Fer n’aide probablement pas à cerner le cas soviet, de surcroît voilà un coin du monde dont la culture-foot se construisit largement (car délibérément – rejet des cadres bourgeois) de manière autonome, en tout cas c’est ce que j’ai cru comprendre??
Le fait certain est qu’il y eut un vrai savoir-faire, pour bonne part toutefois invisibilisé en Coupes d’Europe (où les clubs soviets ne furent pas toujours gâtés par l’UEFA).
Mais quelle régularité, oui. C’est particulièrement impressionnant.
De ce que j’ai vu (loin d’être exhaustif!), ça décline en 70. A l’Euro 72 c’est pas foufou non plus. 74, le retrait est politique, bref??
Il faudrait un Dip pour éclairer tout cela.
70, fin de cycle, l’URSS rate son match contre une Celeste clairement moins bonne et finalement faut attendre 86 pour revoir une Sbornaia très compétitive, même si 82 montrait déjà des signes d’améliorations par rapport à 74 (ou le fascisme aura privé la Sbornaia de Coupe du Monde) et 78 (élimination en qualification par le satellite hongrois).
Merci, Alpha.
J’aime bien l’URSS en 82. Y a du ballon.
A noter, leur entraîneur, Beskov : je l’évoque ici, c’est lui qui lança Albert Shesternev..voire le façonna? Il joua sa part en tout cas.
Fin 60’s/début 70’s, les ukrainiens commencent à prendre de plus en plus de place et deviennent majoritaires à partir du début de la decennie (Y’a autant de russes que d’ukrainiens dans la Sbornaia 70).
La domination kievienne avec Maslov puis Loba aura fait de Kiev le point névralgique du football dans l’union, reléguant Moscou au rôle de ville presque secondaire.
J’aime vraiment bien Vicente Lucas, joueur dont le jeu défensif n’a rien d’académique : il tackle très peu (quoique bien ; le timing est bon), défend presque toujours debout, en faisant opposition.. Et puis surtout voilà un joueur qui sort plupart du temps vainqueur des duels les plus confus, quand le cuir va d’un tibia à l’autre…….. ==> La signature du foot de rue me paraît manifeste.
Au gré de mes recherches sur le lascar, j’ai été frappé par une histoire impliquant ce malheureux Benfiquiste, l’électrocuté Luciano à la veuve de qui il voulut donner la moitié des recettes lui-destinées.. Je crois que c’est peu après ce match de gala : dans mes souvenirs, un autre joueur du..Benfica finit peu après victime d’un AVC, une attaque dont il ne se remit vraiment jamais?? Ca ne rigolait pas!
Luciano c’est le fameux incident du jacuzzi! 7 joueurs du Benfica dont Eusebio sont dans le bain à remous tout neuf offert par le sponsor du club Whirlpool, un modèle qui n’est pas même pas commercialisé!
Au bout de 20 minutes gros court circuit, les joueurs sont electrocutés, Jaime Graça (un des meilleurs de ce Benfica) est électricien de formation, il s’extirpe du bain malgré les convulsions et réussit à éteindre le jacuzzi.
Eusebio et Santana sont gravement brûlé, Cavem, Carmo Pais, Malta sont évanouis et Luciano, seul qui avait la tête sous l’eau au moment du court circuit est décédé.
C’est un évènement qui avait fait beaucoup de bruits, le jubilé de Vicente intervient un mois après et c’est pour cela qu’il aura ce noble geste. Unanimement c’est un super gars ce Vicente donc c’est assez logique!
Je complète mon précédent commentaire et j’écrirais surement sur ces deux joueurs tant ils ont des profils intéressants.
Germano surnommé l’esteio (qu’on pourrait traduire de pilier, roc, celui qui soutient) avec son profil atypique pour le foot portugais de l’époque, avec une enfance tragique (classique cette partie) mais avec une sacrée aura sur les terrains et en dehors, un homme très introverti mais très respecté par tous. Appelé le philosophe pour son habitude de trimballer partout ses livres (mais tout cela a déjà été dit par l’excellent Alex).
J’avais lu une anecdote sur lui que je vous partage : Alors qu’il terminait sa carrière à Salgueiros en 1967/68,son entraîneur était Frederico Barrigana, ancien gardien de but du FC Porto et international des années 40/50. Dans les vestiaires, Barrigana, tout excité, lui dit : « Hé Germano, tu te souviens quand on était en équipe nationale… ? »
Germano, très calme, lui répond: « Monsieur Barrigana, pas Germano, Monsieur Germano ! Nous n’avons jamais été ensemble dans l’équipe nationale. M. Barrigana est plus âgé que moi… »
Vicente est toujours en vie d’ailleurs! 89 ans cette année!
Comme Eusebio je suis sur que si il avait été brésilien il serait numéro un de ce classement, et lui encore plus en ayant fait carrière au Belenenses.
Il arrive dans ce club (qui aura droit à un onze du siècle) où son frère est une légende vivante, un des plus grands joueurs de la décennie (lui aussi trop sous-estimé) mais très rapidement il se fait un nom. Son frère dira sans cesse « c’est lui le meilleur ».
Typiquement le genre de joueur qui aura brillé dans le foot actuel, un mec avec une énorme activité, capable de casser les lignes, d’harceler les attaquants adverses.
Son absence a été déterminante pour la demi de 66 même si je reste persuadé que le Portugal n’avait pas le droit de gagner. Ce que je sais c’est que ce 11 portugais avait plus de talents que les anglais ou allemands mais une préparation digne des plus petits pays.
Comme Belenenses il y a un travail en préparation (très lente certes) sur le foot portugais et les colonies. Cet incroyable réservoir qui aura donné une grande partie des plus grands joueurs de l’époque, Eusebio, Coluna, Peyroteo, Vicente, Matateu, Germano, Aguas, Jordao, Costa Pereira, Hilario…
Si le Portugal avait bénéficié des « préparations physiques » brésiliennes, allemandes ou hollandaises ils aurait été les seuls rivaux du Brésil des années 60. Même comme ça le Benfica est le plus grand club européen de la décennie et cela sans que la dictature portugaise n’ait aucun influence sur le FIFA (pas comme les Anglais et Allemands en 66 par exemple).
Ce qu’on lit à travers les divers témoignages des joueurs de 66 c’est que la fédé n’y croyait pas, qu’il n’y avait presque aucun staff, aucun moyen…
Plus de talent que les Anglais de 66 : peut-être bien..mais que les Allemands, je crois rejoindre Khiadia en disant cela : pas sûr du tout, la RFA joue vraiment bien en 66, aurait fait un très beau vainqueur.
Vicente toujours vivant, c’est formidable..mais qu’est-il devenu après avoir été éborgné, et fini pour le football?
Je ne dis pas que les portugais étaient meilleurs mais plus talentueux je n’en doute pas. L’Allemagne avait une préparation et des moyens tellement supérieurs, à une époque où les différences physiques pouvaient être grandes selon les moyens mis en oeuvre. Et même comme ça il y aurait eu un beau match en finale. En tout cas les Allemands n’avaient aucun joueur qui pouvaient jouer au niveau d’Eusebio (mais en 66 personne ne le pouvait).
Mais cette demi est vraiment étrange, les portugais ont tellement joué petit bras, aucun engagement (leur force jusqu’à là), des absences qui font mal certes mais je sens surtout des ordres qui viennent de plus haut.
Peut-être me fourvoyé-je et ils sont juste passés à côté de leur match mais j’ai vraiment du mal à y croire.
Un article sur Belenenses m’intéresserait, démêler tant que possible le vrai du faux, « club salazariste », ce genre de choses qu’il m’est déjà arrivé de lire, mais?? C’est le genre de choses qui, à force, a fini par me laisser un peu voire beaucoup circonspect. En tout cas prudent.
En l’espèce, ce que j’ai lu jadis de plus « fouillé » tenait aux aides diverses et variées dont ce club avait pu bénéficier pour son nouveau stade, le ci-évoqué Restelo. Mais à part ça, ben??
Tu retrouves ça pour tous les clubs de l’époque, en gros Salazar aidait les plus forts. Le Sporting et le Benfica en ont pas mal profité, Belenenses et Porto aussi mais pour moi il n’y a pas de clubs affiliés au régime comme le fut le Real en Espagne.
Belenenses c’est le stade, le logo qui est une croix du Christ, le stade (mais ils ne sont pas les seuls).
Le seul club qui avait une ligne un peu politique c’était l’Academica, le club de la ville universitaire Coimbra, les seuls à avoir manifesté en 69 (fin du régime) qui amènera le régime a convoquer Artur Jorge, la star du club, à son service militaire la veille de la finale.
Je doute vraiment que le Real le fût en Espagne 😉
Artur Jorge, on m’avait raconté cette histoire de convocation la veille..et c’est donc vrai, comme histoire? Et rien ne la justifiait?
Pour le Real il y a plus d’indices et d’évènements qui vont dans ce sens. Pour moi le mythe c’est que la Barça était dans « l’opposition » ça pour le coup c’est de la mythologie!
Artur Jorge c’est clairement la raison, Coimbra manifestait clairement contre le régime et celui-ci savait qu’une victoire en finale de coupe pourrait être l’étincelle.
Je veux un article!
En tout cas pour moi y a trois fois rien d’entre Real, Bernabeu et Franco – je vise donc l’époque franquiste. Club pour le coup plus indépendant que le Barca (quitte à l’évoquer) : les menaces de je ne sais plus quel taré de dirigeant phalangiste à l’encontre de Bernabeu, ce Real qui gagne trois fois rien sous la junte, qui gère en bon père de famille la construction de son nouveau stade (Barca ne put en dire autant de la construction de son Camp Nou)..et alors la vraie-fausse histoire impliquant Di Stefano.. ==> L’un dans l’autre, ben??
Les arbitres, j’ai l’impression qu’il y eut à boire et à manger des deux côtés sur la scène intérieure..mais qu’en Europe ce fut bien plus marqué pro-Barca.
Je laisse le cas Marzolini de côté..et au soin des latinos du site d’en parler, pour ma part je me borne à avoir savouré son jeu, quel talent.. Maldini, Maldini, Madini…….. ==> Allez-y voir Marzolini, une grosse génération plus tôt..
Mais ce que j’ai le plus aimé, à devoir me coltiner cette première volée : c’est que l’évolution est sensible à l’examen des archives, depuis Germano à Shesternev en passant par Popluhar (je laisse Vicente Lucas de côté, car il est d’un autre registre)..et plus encore à juger du football des 50’s……….
Ce 4-2-4 qui fait son trou un peu partout durant cette décennie, puis le 4-3-3 qui en procède.. ==> voilà qui a changé énormément de dynamiques dans le jeu, ouvrant des espaces, aspirant les arrières (pas tous, bon..) vers l’avant. C’est beaucoup plus parlant que ces ficelles mercantiles selon quoi xy ou Machin-Bazar a inventé une nouvelle façon de jouer.. Ca ne marche pas comme ça le football : les deus ex machina y sont rares, et les plus connus d’entre eux ne sont guère que des constructions médiatiques, procédant par appropriations culturelles!
Ce que j’observe de plus en plus : c’est que c’est bien plutôt le jeu qui crée cela, au gré des conditions +/- favorables avec lesquelles il invite les joueurs à composer. Des dynamiques collectives aussi. J’avais notamment trouvé intéressant l’explication donnée par Marzolini, pour justifier qu’il entreprît d’arpenter tout son flanc gauche : le transfert d’un ailier gauche, devant lui..qui tendait naturellement à rentrer dans le jeu ==> L’espace devant Marzolini se libéra ==> Marzolini s’y engouffra..
Un dernier mot sur Germano : j’ai mis la vidéo où il se retrouve à défendre (« victorieusement »! – il n’encaissera aucun but, à 10 contre 11) le but du Benfica face à l’Inter…………pendant de tête une bonne grosse demi-heure?? (j’ai regardé le match, mais??)
Il a moins de travail que son vis-à-vis Sarti, certes, et à dire vrai il a trois fois rien à faire..mais il y a presque matière à regretter qu’il n’ait disputé la première mi-temps au goal, car le but victorieux de l’Inter : c’est sur une erreur grossière du gardien du Benfica qu’il tombe, avant que celui-ci ne se blessât et que Germano ne dût le remplacer..
Entre parenthèses : une victoire de l’Inter vraiment peu glorieuse.