En ce jour de Noël, le football est à l’arrêt dans une grande partie des championnats du monde. Si demain sera synonyme d’une pléthore de matchs à regarder en famille (le célèbre Boxing Day en Angleterre et en Ecosse), le jour de la Nativité (ou du Père Noël, selon les croyances), lui, se déroule en famille pour tout le monde, footballeurs compris.
Mais au début du siècle dernier, à une époque où l’humanité traverse une page sombre de son histoire et que le foot n’est pas encore roi, un match se serait déroulé le 25 décembre, porteur d’un immense espoir. Lors du réveillon de décembre 1914, alors que toute l’Europe se déchire depuis la fin de l’été, une accalmie se produit en plusieurs endroit sur le front de l’Ouest, entre soldats anglais et allemands.
Réchauffer les cœurs à défaut des corps
Quand la première guerre mondiale éclate, nombreux sont les Anglais à penser que le conflit sera vite réglé et que tout le monde sera réuni autour de la table pour les fêtes. Malheureusement la réalité fût tout autre, et au lieu du confort des cottages, c’est dans le froid, la boue et l’horreur des tranchées que les soldats passeront leur réveillon.
Dans toute l’Europe, des campagnes sont menées pour collecter et distribuer des cadeaux de Noël aux soldats. Ainsi, dans le journal quotidien parisien Le Temps, on rapporte : « Un grand nombre de paquets prêts à être transportés au front ; les vignerons ont fourni 1 200 bouteilles. » Pas de vin pour les Anglais, mais un colis « Princess Mary » : une boîte métallique gravée d’une silhouette de la princesse et remplie de chocolats, de bonbons, de cigarettes et de tabac. Les boîtes contenaient également une carte illustrée de la reine Mary et une copie du message du roi George V aux troupes, qui disait : « Que Dieu vous protège et vous ramène sains et saufs à la maison. » Les plus chanceux des sujets de sa majesté reçurent même des boites de pudding. Des efforts considérables ont été déployés pour distribuer ces cadeaux et ce malgré l’énorme pression exercée sur un service postal déjà très sollicité. Au total, c’est plus de 355 000 boîtes qui ont été livrées à temps pour le jour de Noël.
Les femmes participeront, elles aussi, à l’élan solidaire. La compagne d’un maréchal appellera toutes les Anglaises à tricoter et poster 250 000 caches-cou et écharpes afin de tenir les soldats au chaud. Du côté des hôpitaux, ce sont les infirmières qui mettront un point d’honneur à décorer l’endroit pour les fêtes, et à ce que chaque malade ou blessé reçoive un petit cadeau.
Dans une période de l’année synonyme de joie et de fête, chacun y va de sa petite attention pour réchauffer le cœur des soldats soumis à rude épreuve. L’effort est chaleureusement apprécié mais les maigres cadeaux ne suffisent pas à remonter un moral en berne. En atteste ce croquis d’un certain Tommy (soldat anglais), faisant plutôt Mr Scrooge pour l’occasion, tellement il paraît mécontent devant son maigre repas de Noël qui consistait en une boite de corned beef et quelques biscuits de l’armée. (Parmi les autres conserves consommées le jour de Noël figurait le « Maconochie’s beef and vegetable stew », une préparation qui contenait plus de graisse et de cartilage que de viande. Les biscuits, notoirement durs, pouvaient faire sauter une dent s’ils n’étaient pas d’abord trempés dans du thé ou de l’eau !).
La trêve
C’est une triste soirée qui attend les soldats en poste dans les tranchées en cette nuit glaciale du 24 décembre 1914. Mais au moment où l’on s’y attend le moins, la magie de Noël va opérer.
À certains endroits de la ligne de front établie le long de la frontière franco-belge, les soldats anglais voient sortir des lanternes des tranchées allemandes. Elles sont accueillies avec suspicion et quelques tirs, avant que de petits sapins soient brandis à leur tour, accompagnés cette fois par des cantiques de Noël facilement identifiables. Un peu confus mais poussés par la magie de l’instant, les soldats anglais répondent également par des chants. Ces évènements sont rapportés dans les mémoires de Graham Williams, soldat de la London Rifle Brigade (LRB) dans ses écrits.
« Les Allemands chantaient une de leurs chansons, nous une des nôtres, jusqu’à ce que nous entamions « O Come All Ye Faithfull » et que les Allemands reprennent avec nous l’hymne en latin ‘Adeste Fideles’. Et alors je me suis dit : « Eh bien, c’est vraiment une chose extraordinaire, deux nations chantant le même chant de Noël en pleine guerre. »
La célèbre trêve de Noël, conte légendaire et surréaliste de la première guerre mondiale, a débuté. Elle se poursuit même au petit matin du 25 ! Les soldats les plus aventureux des deux camps se mirent à marcher à travers le no-man’s land pour échanger des présents, de la nourriture, du tabac, badges… (la photo de la reine Mary n’a pas dû peser bien lourd face à tout cela).
Un autre soldat de la LRB, Oswald Tilley, raconte l’épisode : « Le matin de Noël, comme nous avions pratiquement cessé de tirer sur eux, un Allemand a commencé à nous faire signe, et un de nos Tommies est sorti devant notre tranchée et l’a rejoint à mi-chemin où ils se sont salués. Au bout d’un moment, des types de chez nous sont sortis pour retrouver ceux d’en face jusqu’à ce que des centaines d’hommes, littéralement, en provenance des deux côtés, se retrouvent sur le “no man’s land” à se serrer la main, à échanger des cigarettes, du tabac et du chocolat, etc. Nous nous sommes rencontrés, on a échangé des souvenirs avant de se séparer comme de bons amis, un d’entre eux m’a donné son adresse pour que je lui écrive après la guerre, il y avait un tas de gens bien parmi eux, je suis sûr que si cela dépendait que des hommes, il n’y aurait jamais eu de guerre. »
Fritz contre Tommies
C’est au beau milieu de l’élan d’humanité entre frères ennemis qu’un soldat anglais aurait sorti un ballon de football et qu’un match de football aurait été joué entre les deux camps dans la région de Ploegsteert.
Il ne s’agit évidemment pas d’un match officiel sur terrain délimité, on parle ici d’un match en pleine guerre. Le match devait ressembler à ce qui se fait encore de nos jours dans une cour de récréation sauf que ce n’était pas des bonnets ou des pulls qui servaient de goals mais des casques ou des képis. La symbolique est là : le football, souvent critiqué pour diviser et déchainer les passions, peut aussi être assembleur. En affirme ce magnifique exemple qui déploie l’espoir d’une paix future.
Si une victoire 3-2 pour les soldats du Kaizer, dans un match décousu mais dépourvu d’animosité, est évoquée, il n’y a que trop peu d’écrits pour la confirmer. Une mention existe pourtant dans l’édition du Times du 1er janvier 1915 suite à une lettre d’un docteur de la Rifle Brigade : « Le régiment a eu un match de football contre les Saxons, qui les ont battus 3-2. » Dans une lettre, deux soldats britanniques, le caporal Albert Wyatt et le sergent Frank Naden, décrivent aussi une partie qui se serait disputée à Wulvergem, en Belgique. L’écrit d’Albert Wyatt fut publié dans un article du Thetford Times décrivant une « partie de ballon entre deux lignes de tir. »
Si la trêve de Noël a bien eu lieu, il est difficile de prouver qu’un vrai match organisé eut lieu et le score pourtant mentionné ne fait pas office de preuve suffisante pour les historiens. Mais il est certain que quelques joutes eurent lieu dans la région de Ploegsteert, car elles sont mentionnées dans les carnets de plusieurs soldats, que ce soit des quelques passes à des matchs avec une boite de conserve en guise de ballon.
Tous ces témoignages permettent de croire que le football fut l’exemple de son plus bel aspect, être un sport universel qui réunit les peuples lors d’une journée pendant laquelle les deux armées ennemies ont fraternisé. L’absurdité de la situation illustrant la stupidité de la guerre est écrite dans une lettre du soldat Oswald Tilley: « Pensez simplement que pendant que vous mangiez votre dinde… J’étais là, dehors, à serrer la main d’hommes que j’avais essayé de tuer quelques heures auparavant. C’était incroyable ! »
Pour les instances internationales, il ne fait aucun doute que les matchs de football ont fait partie des évènements de la trêve de Noël 1914. C’est pourquoi des monuments commémoratifs seront édifiés dans la région de Ploegsteert: une croix en bois sera déposée par les Britanniques en 1999, une sculpture d’Andy Edwards sera réalisée à Messines (avec une copie présente à Liverpool près de l’église St. Lukes), et enfin un obus surmonté d’un ballon sera érigé au lieu-dit Saint-yvon (Comines) par l’UEFA en 2014, en présence de Michel Platini pour commémorer les 100 ans de l’événement. Lors des différentes commémorations, des reconstitutions d’un match entre soldats des deux camps sont toujours effectuées à ces deux endroits.
L’espoir mis K.O. par la bêtise
Si la trêve a pu avoir lieu, c’est essentiellement grâce à l’impulsion de soldats épris d’humanité à l’approche des fêtes, soldats qui souhaitaient pour certains respecter la volonté du pape Benoit XV. Celui-ci avait en effet poussé ses fidèles à agir, et ce contre l’ordre de leurs états-majors, en ce jour si important pour les peuples belligérants, tous chrétiens.
Les épisodes de pause n’étaient en effet pas souhaités par les généraux et l’état-major des deux camps, ce pour éviter d’endiguer l’envie de combattre de leurs soldats. C’est ainsi que certaines unités ayant participé à la trêve seront considérées comme « contaminées » et déplacées dans des zones de combat bien plus rudes…
La guerre reprit alors son cours tambour battant… Si d’autres épisodes de trêves auront lieu les années suivantes, aucun n’aura l’impact de celui de 1914. L’ordre des généraux en costume, établis bien loin de tout champ de bataille et passant chaque Noël au chaud, d’interdire toute fraternisation entre les deux armées, atténuera tout espoir d’une paix prochaine. Il faudra attendre, comme vous le savez toutes et tous, quatre ans de plus.
La bêtise humaine l’aura donc finalement emportée sur l’espoir. Le fusillier Oswald Tilley, enthousiaste participant des événements de la trêve, sera tué par les Allemands en 1915. Heureusement l’espoir et la paix trouvent toujours un chemin et les mémoires du soldat ont permis de contribuer à la légende d’une des plus belles pages d’humanité du conflit, la trêve de Noël 1914.
Merci pour ce bel article et joyeux Noël Pinte de Foot !
Merci Stade & Mayo. Joli texte qui rappelle à quel point la paix est précieuse.
J’avais vu le film Joyeux Noël qui évoquait cette trêve. Pas un chef d’œuvre mais j’avais été touché, sans doute parce qu’il renvoie nombre d’entre nous aux misérables conditions vécues par nos aïeux.
J’ai entendu parler du film , oui. Il faudrait que je le regarde par curiosité. En Angleterre il y a eu une longue pub pour la chaîne de supermarchés sainsbury’s qui romancait l’événement et qui a pas mal marcher outre Manche. https://youtu.be/NWF2JBb1bvM?feature=shared
Je connaissais plutôt bien l’histoire, par contre j’ignorais que des monuments commémoratifs avaient été dressés??
Ploegsteert me fait toujours penser à Frank VandenBroucke – que devient sa fille, tiens??
De la guerre, béni soit le jour où ne s’y livreront que ceux qui la promeuvent et qui la louent.
J’ignorais aussi pour les monuments, j’ai pourtant à un moment été assez souvent du côté de Comines mais je ne savais absolument pas à l’époque. À mon prochain passage j’irai faire un tour, je ne suis pas trop loin 😉
Un détail me plaît, ce score de 3-2 pour les Allemands.. En général il me rappellerait plutôt un souvenir délétère, aka cette crapule de Rötlisberger en 94, mais ici il a ceci de bon que – et c’est une version de l’Histoire qu’ont promue pas mal d’auteurs (parfois prestigieux!) – il est assez commun de lire que c’est à l’occasion de ces joutes entre Brits et Allemands que ces derniers auraient vraiment pris goût au football……….dont que dire sinon « Lol »..??
Certes : l’establishment teuton ne goûtait vraiment ce sport brit’.. Certes il y privilégiait plutôt sa gymnastique sportive, le « Turn »….et cependant : évidemment qu’on jouait massivement au football en Allemagne pré-WW1!!!, et évidemment qu’il s’y pressait du monde pour voir ces joueurs!!, allez-y voir les photo et vidéo que j’avais proposées ici ( https://www.pinte2foot.com/article/lami-de-herberger )……
Et cependant, oui : des auteurs affirmèrent que le succès du football, en Allemagne, procédait de ces matchs/trêves de Noël?? Je ne citerai pas de noms, mais.. Me borner à dire que je ne sais ce qui fut le plus ridicule de tout cela, on a le choix :
Les lunettes grossissantes avec lesquelles l’on voulût voir le soft-power paranoïaque allemand?
Quelque apologie de la force intrinsèque prêtée via ce sport au libéralisme UK, qui forcément dût vaincre les réticences culturelles de cette Allemagne forcément ratatinée sur elle-même?
Ou l’idée que ces quelques matchs eurent plus d’impact sur la troupaille puis la populace allemandes…………que les quatre années d’occupation d’une Belgique où le football était largement pratiqué, partout, depuis deux bonnes générations?
Le fait est que l’idée était (et reste – elle est populaire) grotesque.