Top 10 – Botafogo (2e partie)

Avant que vous ne découvriez le classement, nous vous livrons un scoop au parfum de scandale : Garrincha n’est pas le numéro 1 de ce top.

Numéro 5 – Carvalho Leite

Attaquant racé, grand par la taille et le talent, Carvalho Leite – Carlinhos pour les intimes – figure sans doute le plus aristocratique des joueurs brésiliens, né avec à-propos à Petrópolis, la cité impériale fondée par Pedro II pour y établir sa résidence d’été. Avec lui, le football prend une nouvelle dimension et l’amateurisme plus ou moins marron rend les armes face à l’évidence que constitue le professionnalisme.

Sélectionné pour la Coupe du monde 1930, le jeune Carvalho Leite (18 ans) évolue aux côtés de Moderato et Preguinho, des joueurs issus de la bonne société, comme lui. Le fantastique ailier Moderato exerce le métier d’ingénieur après avoir été diplômé de la prestigieuse école polytechnique de Rio et est plébiscité par les journalistes pour son intelligence et son humour. Fils de l’écrivain Coelho Neto, Preguinho profite de sa jeunesse et multiplie les expériences sportives avec succès sans peur du lendemain. Quand le professionnalisme s’impose à partir de 1933, Preguinho refuse d’être rémunéré par Fluminense alors que Moderato retourne dès 1931 dans son état natal du Rio Grande do Sul pour y faire carrière dans l’ingénierie ferroviaire. Carvalho Leite choisit au contraire de faire du football son métier.

Buteur de Botafogo, Carvalho Leite adopte rapidement les codes du professionnalisme. Il organise sa promotion personnelle avec son père dans le rôle d’attaché de presse, invitant les journalistes à siroter des cocktails au bar du club à l’ombre de grands parasols blancs dans le jardin entourant l’Estádio General Severiano. Efforts couronnés de succès tant les articles sont élogieux à propos de Carlinhos, en adéquation avec ses talents d’artilheiro implacable et son exquise allure.

Avec Nilo pour le guider, ou encore Canalli et Ariel qu’il a fréquentés à Petrópolis, Carvalho Leite et le Fogão règnent en maître sur le championnat carioca au début des années 1930. En termes de prestige, l’immense buteur Nilo pourrait le concurrencer s’il n’était physiquement dominé par la haute silhouette de Carlinhos. Roi du club alvinegro durant 12 années, sa noblesse est même reconnue par le Prince de Galles lors d’une rencontre organisée en l’honneur du futur Edouard VIII, éphémère roi d’Angleterre en visite au Brésil. C’est une évidence, Carvalho Leite est la première très grande star de Botafogo de l’ère professionnelle.

O artilheiro elegantíssimo gagne ce surnom par ses performances sportives mais aussi en raison de l’attraction qu’il exerce sur les femmes qu’il croise lors des mondanités auxquelles il se prête volontiers. Sa liaison avec l’ancienne Miss Botafoguense devenue Miss Brésil 1939, Vânia Pinto, finit d’asseoir sa célébrité. Vânia est considérée comme le premier mannequin professionnel brésilien, une Gisele Bündchen ou une Izabel Goulart de l’entre-deux guerres s’il fallait des références contemporaines. Les femmes du district de Botafogo ont alors la réputation d’être les plus belles de Rio, prestige corroboré par Adalgisa Colombo, première dauphine de Miss Univers quelques années plus tard.

Carvalho Leite joue jusqu’au début des années 1940 avec le Fogão auquel il reste fidèle malgré les difficultés financières du club et de nombreuses sollicitations. Une blessure en 1941 interrompt brutalement sa carrière alors qu’il n’a que 29 ans. Devenu pneumologue, il fait partie un demi-siècle durant du staff médical du club, assurant même à deux reprises l’intérim au poste d’entraineur, indéfectiblement lié à Botafogo.


Numéro 4 – Gersón

Enfant, Gérson rêve de Fluminense. Mais c’est avec Canto do Rio qu’il fait ses armes, un club carioca de seconde zone où Modesto Bria (un Paraguayen qui découvrira plus tard Júnior) le repère et le recommande à Flamengo. Son pied gauche d’une précision absolue lui vaut d’être baptisé O Canhotinho de ouro  – le Gaucher en or – sans que cela ne suffise à convaincre le coach Flávio Costa de lui confier les clés du jeu. Privilégiant le duo Carlinhos-Nelsinho, Costa l’emploie souvent à contremploi dans un rôle à la Mário Zagallo, son prédécesseur sur le flanc gauche de Fla. Les désaccords entre Costa et Gérson virent au conflit et quand il est acquis qu’ils ne peuvent plus cohabiter, Gérson prend la direction de Botafogo en contrepartie d’une petite fortune. Fluminense attendra.

O Glorioso achève alors l’extraordinaire cycle 1957-1964 durant lequel il s’affirme comme le seul rival susceptible de supporter la comparaison avec Santos. Garrincha, Quarentinha, Nilton Santos, Zagallo arrivent au terme de l’aventure alors qu’une nouvelle génération apparaît avec Roberto Miranda, Jairzinho et un peu plus tard Paulo Cézar Caju ou Afonsinho.

Depuis une position basse, Gérson dirige le jeu de Botafogo en affichant un style proche des registi à l’italienne, mi-récupérateur, mi-organisateur chargé de dicter le tempo. En alternant les phases de conservation et les accélérations, son jeu long sert de rampe de lancement pour l’artilheiro Roberto Miranda, Rogério ou Jairzinho. Ses qualités associées à une langue bien pendue et une propension à jouer dur quand les circonstances l’imposent en font un leader incontesté. Avec Gérson et les cracks qui l’entourent, Botafogo renoue avec les sommets en s’adjugeant le championnat carioca à deux reprises et une version baroque du Brasileirão 1968 (dite Taça Brasil, la coupe est acquise contre Fortaleza en octobre 1969 !).

S’il est appelé sous les couleurs brésiliennes dès 1961, la consécration tarde à venir. Non retenu pour la Coupe du monde 1962, il ne dispute qu’une rencontre en 1966, Lima lui étant préféré par Vicente Feola. En 1970, avec son ancien équipier et entraineur Mário Zagallo aux manettes de la Seleção, il n’offre pas toutes les caractéristiques du titulaire indiscutable lors du premier tour[1]. Mais à partir de la phase à élimination directe, Zagallo l’installe aux côtés de Clodoaldo et lui confie la direction des opérations jusqu’au sacre auquel il apporte son écot en inscrivant en finale le second but brésilien, d’une frappe limpide du gauche aux 20 mètres.

Parti chercher fortune au São Paulo FC, il participe à la renaissance du Tricolor en le menant au titre paulista après 13 années de frustration. Les difficultés d’acclimatation de sa fille à l’humidité de São Paulo l’incitent à revenir à Rio en 1972. Il peut enfin assouvir son rêve d’enfance en enfilant le maillot de Fluminense avec lequel il conquiert un ultime championnat de Rio.


[1] Gérson joue le premier match contre la Tchécoslovaquie mais est remplacé par Paulo Cézar contre l’Angleterre et la Roumanie. Il retrouve sa place de titulaire contre le Pérou.


Numéro 3 – Heleno de Freitas

Dans une filiation fantasmée, les torcidas de Botafogo croient identifier le successeur de Carvalho Leite sous les traits d’un jeune éphèbe à la beauté princière, séducteur au charme vénéneux s’enfermant dans la peau d’un personnage irascible et ténébreux. Il se nomme Heleno de Freitas. Génie du Mal ou du Bien selon les jours, Heleno se comporte en poète maudit, comme s’il devait s’empresser de brûler ses œuvres de peur d’être aimé. Gâtant son talent par excès de tyrannie, il ne fait jamais de son Fogão l’égal de celui de Carvalho Leite, le buteur aristocrate multititré.

Né dans la soie, Heleno aurait-il eu ce destin si son père n’était pas décédé prématurément ? Avec d’autres jeunes aux parcours singuliers comme João Saldanha – futur journaliste, coach de Botafogo et sélectionneur de la Canarinha avant la Coupe du monde 1970 – ou Sérgio Porto[1], Heleno pratique le football sur la plage de Copacabana où le découvre Neném Prancha, homme à tout faire du football brésilien devenu légende pour des aphorismes qu’il n’a pour l’essentiel jamais prononcés[2].

Alors qu’il grandit parmi les espoirs de Botafogo, les difficultés financières du club obligent Heleno à s’exiler à Fluminense où, déjà, son caractère taciturne l’isole de ses partenaires. De retour au Fogão en 1940 sur l’insistance de son ami Saldanha – meilleur interprète que joueur de football, il est alors le traducteur du coach hongrois Dori Kürschner – Heleno succède à Carvalho Leite sur le front de l’attaque et expose aux yeux de tous ses dons de buteur à la plastique parfaite. Joyau de ce Botafogo nouveau, il en est également l’oppresseur. Sur les pelouses pelées de Rio, il laisse libre cours à ses instincts primaires, insulte ou frappe indifféremment adversaires et équipiers, tous coupables d’entraver ses desseins d’esthète. Il devrait être adulé de tous, il est détesté au sein même de son propre vestiaire, sourd aux exhortations de ses dirigeants l’invitant à la mesure.

A l’époque, des jeunes issus de la bourgeoisie et supporters de Botafogo animent la vie nocturne de Rio. Le groupe d’amis prend le nom de Clube dos Cafajestes et Heleno en fait évidemment partie. Quelques années plus tard, ce sont ces membres du Clube dos Cafajestes qui le rebaptisent Gilda en référence à l’héroïne d’une beauté fascinante et perverse incarnée par Rita Hayworth dans le film éponyme de Charles Vidor. Ses adversaires usent et abusent de ce surnom qu’il déteste au plus haut point pour le faire dégoupiller plus vite encore.

Quel est le vrai Heleno de Freitas ? Le fin lettré, diplômé de la faculté de droit de Niterói, ou le toxicomane se perdant des nuits entières dans les bars et bordels de Rio ? Le buteur élégantissime de Botafogo ou la petite frappe jouissant de son aisance avec les mots pour avilir des défenseurs aussi désarmés avec leurs pieds qu’avec leur langue ? Les dirigeants du Fogão cherchent la réponse à ces questions durant des années avant de se décourager. Ils mettent fin à leur relation en 1948 sans que Heleno n’ait soulevé aucun trophée significatif avec le club alvinegro.

Soucieux de l’harmonie au sein de son groupe, Flávio Costa ne le retient pas pour la Coupe du monde 1950 malgré 14 buts en 18 sélections[3] et le titre dans le championnat carioca 1949 avec Vasco da Gama. Cette déception décuple l’énergie qu’il met à s’autodétruire. Il s’exile quelques mois en Colombie où ce qu’il reste de son talent charme Gabriel Garcia Márquez. Puis revient au Brésil, s’appliquant à saboter chaque opportunité par des accès de violence chroniques et des hallucinations de plus en plus fréquentes. Rongé par la syphilis, interné plusieurs années dans un sanatorium et gagné par la folie, il meurt à 39 ans seulement[4].


[1] Chroniqueur, écrivain et compositeur musical à succès.

[2] Dans ses articles, Saldanha prête des phrases à Neném Prancha que ce dernier ne reconnaît pas, pures créations ou détournements de mots pour les rendre plus percutants.

[3] Heleno brille lors de la Copa América 1945 dont il finit co-meilleur buteur avec Tucho Méndez mais son comportement irrite ses partenaires. Il participe également à la Copa 1946.

[4] Il évolue également brièvement à Boca Juniors. Avant de mourir, il prétend avoir eu une liaison avec Eva Perón durant son séjour à Buenos Aires.


Numéro 2 – Nilton Santos

« Volta, Nilton! Volta ! ». Sur le banc de touche brésilien, le sélectionneur Vicente Feola s’époumonne en vain. Nilton Santos vient d’intercepter une passe autrichienne dans son camp, il efface un joueur et remonte le ballon à grandes enjambées jusqu’aux 18 mètres adverses. Feola exprime sa désapprobation en lui criant « Reviens » mais Nilton n’entend rien. Il s’appuie sur Altafini et après un contrôle, ce dernier glisse le ballon dans l’espace où se trouve Nilton. De l’extérieur du pied droit, il pique le ballon au-dessus de Szanwald et inscrit le second but de la victoire auriverde (3-0, score final). Ce dimanche 8 juin 1958, dans le décor bucolique d’Uddevalla, Nilton Santos inaugure un concept encore flou devenu par la suite une tradition brésilienne : les défenseurs latéraux offensifs.

Fils de pêcheur et footballeur amateur sur l’Ile du Gouverneur, Nilton Santos n’a rien d’un talent précoce. Ailier ambidextre, il est d’abord recalé par Fluminense puis il fait la fine bouche devant les propositions de São Cristóvão. Il a déjà 23 ans quand s’ouvrent enfin les portes du football professionnel, à Botafogo, où Zezé Moreira le repositionne en défense. Vainqueur du championnat carioca 1948, il vit la longue disette du Fogão jusqu’au titre 1957 tout en s’affirmant comme un des plus élégants défenseurs brésiliens du moment.

Entretemps, Nilton Santos transforme le destin de Botafogo en se muant en sparring-partner d’un boiteux de Pau Grande venu tenter sa chance à Rio. Le calvaire de Nilton face à ce gamin aux jambes tordues convainc le staff de l’Estrela Solitária d’embaucher illico presto ce Manoel Francisco dos Santos que l’on surnomme Garrincha. Dès ce jour de juin 1953, les deux hommes nouent des liens d’amitié indéfectibles, Nilton Santos veillant comme il le peut sur ce drôle d’oiseau qu’est Garrincha.

Nommé sélectionneur, Zezé Moreira fait de Nilton Santos l’arrière gauche du Brésil 1954 dans une défense à trois, Djalma Santos étant déjà son alter ego à droite. Acteur de la Bataille de Berne contre la Hongrie, Nilton quitte la Coupe du monde en Suisse en offrant le spectacle navrant d’un joueur doué pour la simulation et bagarreur, ses échanges de coups avec József Bozsik lui valant une expulsion logique. En 1958, tout change. Vicente Feola compose un 4-2-4 inspiré par la disposition hongroise quatre ans plus tôt. Avec Djalma Santos (ou De Sordi), Orlando et Bellini pour assurer les arrières, Zagallo en ailier gauche travailleur (faisant passer le 4-2-4 en 4-3-3), Niton Santos laisse libre cours à ses envies offensives et efface l’image du défenseur brutal de Berne. Encore présent en 1962, il conquiert un second titre mondial à 37 ans.

Sur la fin, quand sa lenteur s’avère rédhibitoire, Marinho Rodrigues, le coach de Botafogo, l’installe au poste de libero où il peut exprimer sa science du placement et justifier son surnom d’Encyclopédie. Nilton Santos se retire en décembre 1964 sur une ultime victoire, son 718e match avec le maillot alvinegro, un record qui lui vaut d’avoir sa statue au siège du club et un stade à son nom[1].


[1] Le stade Nilton Santos appartient à la municipalité de Rio. Utilisé pour les compétitions d’athlétisme lors des Jeux Olympiques de Rio 2016, il est loué par Botafogo jusqu’en 2051.


Numéro 1 – Jairzinho

Il est difficile de concevoir une destinée plus linéaire que celle de Jairzinho avec Botafogo, une trajectoire rectiligne comme ses courses vers le but adverse. De son enfance à quelques pas du General Severiano, l’enceinte historique du Fogão, à une statufication de son vivant sur le parvis du stade Nilton Santos, tout lie le Petit Jair au Glorioso. Ramasseur de balles dans les années 1950, il admire Garrincha et Nilton Santos de près, effectue son apprentissage avec les jeunes de Botafogo avant de pénétrer une première fois dans l’univers des bicampeoes[1] en août 1962 lors d’une rencontre amicale disputée en Colombie durant laquelle brille Mané, au sommet de son art claudiquant.

Pouvait-on sérieusement imaginer un successeur à Garrincha, un nouveau boiteux dont les sempiternels numéros d’équilibriste auraient entrainé ad vitam la chute des adversaires, étourdis par un tour de passe-passe simpliste ? Puisque la réponse est négative, Jairzinho ne peut lui être comparé au prétexte qu’il endosse le numéro 7 à la fin du bail de Garrincha avec la Seleção[2]. Formidable coureur à la conduite de balle irréprochable, le jeune Botafoguense évolue le plus souvent en position de second attaquant, tournant autour de l’artilheiro Roberto Miranda ou profitant des passes en profondeur délivrées par le pied gauche de Gérson. Avec une nouvelle génération de joueurs entrainée par Zagallo, parmi lesquels figurent Paulo César Caju ou Afonsinho, Jairzinho et Botafogo s’attribuent les titres les plus prestigieux à l’exception de la Copa Libertadores à laquelle les clubs brésiliens ne participent pas à la fin des années 1960.

Appelé avec la Canarinha sur l’aile droite dès 1963 au gré des absences de plus en plus fréquentes de Garrincha et ses vieilles jambes tordues, il est par la suite balloté à différents postes – avant-centre, second attaquant ou ailier gauche – selon les inspirations des sélectionneurs. En 1969, João Saldanha lui attribue définitivement le numéro 7 et le stabilise sur l’aile droite afin de libérer le centre du jeu pour Pelé et Tostão. Son successeur, Mário Zagallo ajuste sans travestir le dispositif imaginé par Saldanha et cette Seleção diapre de jaune d’or le stade de Guadalajara et l’Azteca de Mexico. Au top physiquement, gavé d’offrandes, Jairzinho inscrit sept buts en six rencontres, déboussolant les défenseurs adverses par ses courses sur son aile et ses incursions au cœur de l’attaque. Définitivement conquis, le journaliste Geraldo José de Almeida le rebaptise Furação, l’Ouragan, un surnom qui ne le quitte plus.

Dans les années 1970, Jairzinho adopte une coupe afro qui le rapproche esthétiquement des sprinteurs américains adhérant au mouvement Black power. Pourtant, jamais il ne s’exprime contre la dictature au pouvoir depuis 1964, ni ne prend position en faveur de son équipier de Botafogo Afonsinho, un barbudo à la carrière chahutée par son opposition ouverte à la junte militaire. En 1974, il cède aux sirènes marseillaises, un transfert gigantesque à l’échelle de la Division 1 française qui tourne court, malheureusement[3]. De retour au pays, Furação poursuit sa conquête de titres majeurs avec le Cruzeiro vainqueur de la Libertadores 1976. Sa carrière s’achève à Belo Horizonte car la suite n’est qu’une quête de dollars à travers le continent sudaméricain. Rare privilège, la CBF lui offre une ultime sélection avec la Canarinha de Telê Santana en 1982, la plus belle depuis 1970, comme s’il devait évoluer dans une équipe de rêve pour raccrocher en paix.


[1] Champions du monde 1958 et 1962.

[2] Avec Botafogo, Jairzinho porte le numéro 10.

[3] Accusé d’avoir frappé un juge de ligne, il écope d’une longue suspension qui met fin à son aventure en France.


Hors catégorie – Garrincha

Avec ses partenaires de Sacrofano en 1970.

Tout a été dit à propos de Mané, phénomène inclassable de Botafogo et la Seleção. Alors, au lieu d’une énième biographie insipide, Pinte 2 foot vous propose de vous évader avec lui et Elza en Italie, un épisode moins connu de leur vie.

En 1962, Garrincha tutoie les sommets, Botafogo conquiert tout ce qu’il peut conquérir et le Brésil conserve sa couronne mondiale. Au Chili, le monstre physique qu’est Pelé s’efface, blessé avant les phases finales, et le Brésil s’en remet à un estropié touché par la grâce. Mané échappe à toutes les embuches, blessures et suspensions[1], et porte la Seleção jusqu’au titre suprême. Une aubaine pour la démocratie confrontée à des crises alimentaires et désireuse de détourner l’attention sur les problèmes du quotidien. Le gouvernement de João Goulart exploite à satiété l’image des vainqueurs et décrète leur appartenance au « patrimoine intouchable de la nation ». Ce protectionnisme d’état met un terme aux espoirs des clubs italiens, l’Inter et la Juventus, cette dernière étant prête à dépenser une fortune pour attirer Garrincha et l’associer à Omar Sívori.

A partir de 1964, le monde se dérobe sous les pieds de Garrincha. Certes, Elza Soares embellit sa vie mais son corps tordu n’en peut déjà plus, ses amis Nilton Santos et Quarentinha abandonnent le navire alvinegro et la junte militaire désormais au pouvoir cible le couple adultère, une insulte à l’image traditionnelle de la famille. Perclus d’arthrose, alcoolique, il quitte à son tour Botafogo en 1966 et entame une période d’errance qui le mène jusqu’en Italie[2].

Le 24 janvier 1970, Elza et Mané atterrissent à Fiumicino sous un ciel de pluie. Il vient d’être condamné à deux ans de prison avec sursis par le tribunal de Marita pour avoir causé la mort de la mère d’Elza dans un accident de la circulation et sa venue ressemble à la fuite sans fin d’un homme définitivement irresponsable. En manteau de fourrure, couverte d’un large chapeau, Elza capte l’attention des journalistes les accueillant à l’aéroport alors que Garrincha, en tenue légère, paraît découvrir l’hiver européen. Elle affirme que sa carrière de chanteuse guide leurs pas, qu’elle est là pour révéler la fraîcheur de la musique brésilienne à un public européen intoxiqué par la pop anglo-saxonne, il murmure espérer trouver un club à sa mesure, en Italie de préférence. Sait-il que le calcio n’accueille plus d’étrangers depuis 1966 ?

Dans les semaines suivantes, Elza se produit dans différentes salles de Rome et des environs, du simple cabaret-restaurant à l’élégant théâtre Alfieri d’Asti. Chaque soir, au premier rang, Mané s’enivre en écoutant la voix rauque de sa diva dans l’attente d’un contrat, peu importe où. Il a enfin compris que les portes de la Serie A ne s’ouvriraient pas et rumine l’échec des transactions du passé, jaloux du destin d’Amarildo, son ancien partenaire avec Botafogo et la Seleção[3].

Le couple ne roule pas sur l’or, ils vivent modestement à Torvaianica avec quatre de leurs innombrables enfants. Les cachets d’Elza et la rente versée par l’Institut brésilien du café dont Mané est l’ambassadeur peinent à couvrir leurs dépenses. Dino Da Costa, entraineur-joueur du club amateur de Sacrofano l’ayant côtoyé à Botafogo à ses débuts, lui tend la main et lui offre une centaine de milliers de lires par match disputé. Dans des stades champêtres, le souffle court et bedonnant, Garrincha élimine des défenseurs anonymes, les João d’autrefois[4], en attendant une proposition qui ne vient pas. Sollicité par la presse italienne pour donner son avis sur la Seleção durant la Coupe du monde au Mexique, la saudade et l’aigreur affleurent à chacune de ses réponses laconiques, des grognements presqu’inaudibles. Lui infliger le visionnage de matchs durant lesquels rayonnent Pelé et Jairzinho, son numéro 7 dans le dos, s’apparente à un supplice.

Le temps s’écoule, insidieusement, rendant chaque jour la fin plus proche. A l’occasion d’un concert d’Elza à Madrid, un contact est noué avec le Red Star. Au reporter français en quête de scoop, Mané ment sans ciller sur son âge et livre les détails du deal : 5000 dollars par mois et 20% des recettes au guichet. L’affaire en reste là, le Stade Bauer l’attend encore. Les rumeurs se multiplient mais rien ne se concrétise. Durant l’hiver 1971, on l’aperçoit à Tor di Quinto, le centre d’entrainement de la Lazio. Au printemps, il assiste à une rencontre amicale du Torino sur le chemin de la victoire en Coppa Italia. Des badauds admirent parfois cet inconnu, aux jambes exagérément arquées, réalisant des prodiges avec un ballon, seul sur la plage de Torvaianica ou sur le Campo de’ Fiori, au cœur de Rome. Et puis, en janvier 1972, deux ans après son arrivée, le couple quitte Rome dans l’indifférence, sans que ce séjour n’ait jamais eu la saveur d’une parenthèse enchantée.

En retrouvant Rio, Mané obtient enfin ce dont il rêve : Olaria, club de troisième zone, lui tend la main. La presse en fait des tonnes, Placar le met à la une avec Jairzinho, Jorge Mendonça et d’autres avec le titre « ils vont faire exploser le Maracanã ». Mais à 38 ans, Garrincha n’a plus rien du dynamiteur d’autrefois. Il se retire définitivement avant la fin de la saison et entreprend d’accélérer sa descente aux enfers. Elza le quitte, lassée de sa violence éthylique et en janvier 1983, c’est une épave que les services sanitaires de Bangu transfèrent dans un hôpital de Botafogo. Il y meurt dans les heures suivant son arrivée, à quelques encablures du stade General Severiano où 30 ans plus tôt, un inconnu nommé Manoel Francisco dos Santos avait forcé le destin lors d’une séance d’entrainement l’opposant à Nilton Santos.


[1] Exclu lors de la demi-finale contre le Chili, il doit sa participation à la finale à la clémence de la commission de discipline que l’on soupçonne d’avoir été sous pression des dirigeants brésiliens.

[2] Avant Rome, il joue à São Paulo avec le Corinthians, à Barranquilla en Colombie puis à nouveau à Rio avec Flamengo.

[3] Amarildo, attaquant de Botafogo et champion du monde 1962, est transféré à l’AC Milan en 1963. En 1970, il évolue encore en Italie, à la Fiorentina.

[4] João était le terme générique utilisé par Garrincha pour désigner les défenseurs qu’il affrontait et dont il ignorait le nom la plupart du temps.

10

30 réflexions sur « Top 10 – Botafogo (2e partie) »

  1. Gerson a une sacrée emprise sur le Bresil 70. Dictant le jeu superbement. J’adore mater le jeu d’influence dans l’equipe au moment de tirer un coup franc, quand Pele, Rivelino, Tostao et Gerson s’avancent pour récupérer le ballon. Et c’est souvent ce dernier qui en prend possession.

    0
    0
  2. En parlant de Garcia Marquez, j’aimerais bien lire El triple campeón revela sus secretos qui retrace les exploits du cycliste Ramon Hoyos dans les années 50. Un des patriarche de la discipline dans le pays.

    0
    0
  3. Je pensais faire un texte sur le court passage de Jairzinho au Kaiser Chiefs en 75, après Marseille. Mais j’ai pas trouvé énormément d’infos. Il n’aurait joué que 3 rencontres pour planter 7 buts. Sans qu’il soit politiquement engagé, c’était pas anodin de jouer pour les Townships en plein apartheid.

    0
    0
      1. Oui, hésite pas si tu trouves un truc au Brésil. Je vais lire le papier en anglais.

        0
        0
      2. Ah oui, avec plaisir !
        Était-ce une opération de l’agent Élias Zakour, celui qui a expédié Jairzinho et Paulo Cézar Caju à l’OM ?

        0
        0
      3. D’ailleurs Cebo, me souviens plus. C’est quelle équipe que tu apprécies le plus au Brésil ?

        0
        0
      4. Si je dois en choisir un je dirais la Juve da Mooca. Déjà c’est le premier que je suis allé voir au Brésil, et en plus je dois habiter à 30mn du stade en métro maintenant.

        0
        0
  4. ah ce scandale ! escroc ! hehe

    Pas de joueur de 1995, bon c’est vrai que c’est un peu un oasis dans un désert ce titre, pas de joueur ultra marquant dans cette équipe, et vu la comparaison avec les deux époques glorieuses qui se dégagent nettement, années 30 et 60, y’a pas photo. Compliqué d’en inclure dans un top 10 dans cette situation.

    La suite ? quel club brésilien vous allez passez sous votre expertise senhor Verano ?

    0
    0
      1. Ne sois pas modeste, je suis sûr que plein de gens nous lisent, et trouve ça très intéressent. En tous cas, c’est un format très bien pour parler histoire d’un club, plus qu’une série d’articles qui suivrait une barbante chronologie.

        (Ah oui c’est tops c’est du travail, dire que certains en font 50, hehe)

        0
        0
  5. Oui les clubs brésiliens n’ont pas participé aux éditions 69 et 70 de la Libertadores. La CBF retirant ses clubs pour un désaccord sur le calendrier et le format de la compétition. Certains disent que c’était un prétexte pour préparer la sélection en vue du Mondial 70. Preuve que la Libertadores, encore toute jeune, souffrait encore d’un manque de considération. Les deux dindons de la farce, c’est donc Botafogo champion 68 et Palmeiras champion 69.

    Botafogo qui est toujours en lice pour l’édition 2024, un quart contre San Pablo. Après avoir sorti Palmeiras au tour précédent.

    0
    0
  6. « Il vient d’être condamné à deux ans de prison avec sursis par le tribunal de Marita pour avoir causé la mort de la mère d’Elza dans un accident de la circulation »

    Ben ça, j’étais même pas au courant..

    Prison avec sursis, a priori ce devait être du sérieux…….et, cependant : elle resta avec lui?? C’est qu’elle devait en être mordue, la Elza..

    0
    0

Laisser un commentaire