Top 10 – Bologna Football Club 1909 (Première partie)

De tifoso en culottes courtes à réalisateur de cinéma consacré, Pier Paolo Pasolini aura vécu toutes les grandes épopées de Bologne. Du fascisme triomphant aux fiévreuses années 1960. Avec passion, en questionnant continuellement son rapport au corps et au calcio et, parfois malicieusement, celui des sportifs à la sexualité. Ce sont ses pas que nous vous proposons de suivre lors de ce Top 10…

Numéro 10 – Eraldo Monzeglio & Dino Fiorini

Parmi les grands défenseurs ayant porté les couleurs rossoblù avant-guerre, Eraldo Monzeglio et Dino Fiorini figurent au premier rang. Tous deux arrières droits, Fiorini succède à Monzeglio et ont également en commun une fascination pour la cause fasciste sans aucune forme de distance. Pour tout ce qui les lie, nous avons choisi de ne pas les dissocier dans ce top même si nous nous contentons ici d’évoquer le parcours chaotique de Dino Fiorini, Monzeglio « le Conformiste » ayant déjà eu « les honneurs » d’un portrait sur ce site.

L’histoire débute un dimanche après-midi des années 1930 par un court dialogue entre deux adversaires dans les instants précédant le coup d’envoi d’une rencontre de Serie A entre l’Ambrosiana-Inter et Bologna. « Monsieur Meazza ? Enchanté, Fiorini. Vous voyez ce ballon ? Regardez-le bien car vous ne le verrez plus. » Dino Fiorini se trompe : il vient de titiller la fierté du capitaine milanais, Giuseppe Meazza. Il paye sa fanfaronnade lors du match comme il va souvent payer ses bravades et ses excès.

Fiorini apparaît dans l’effectif des Rossoblù dès 1933. Il a 18 ans et la modestie ne l’étouffe pas : il demande aux tauliers de la défense, Eraldo Monzeglio et Felice Gaspari, de s’effacer à son profit. En retour, il reçoit quelques gifles et apprend la patience, ne devenant vraiment indispensable qu’à partir de 1935. C’est à cette période que Monzeglio part pour la Roma et qu’Arpád Weisz impose la doublette Fiorini – Gasperi pour sécuriser sa défense. Juif autrichien, coach magistral de 1935 à 1938 et la promulgation des lois raciales[1], Weisz dirige alors un effectif au sein duquel cohabitent des joueurs sans conscience politique, de discrets opposants au fascisme et des fanatiques prêts à s’engager pour l’Italie mussolinienne.

Fiorini appartient à cette dernière catégorie. Envoûté par la grandiloquence du Duce, il épouse le mythe de l’homme nouveau et ses attributs, mélange de virilité et de latinité. C’est l’époque du microphone, des harangues et des rodomontades entendues par des millions d’Italiens agglutinés sur les places des villes et villages, les yeux rivés sur le haut-parleur connecté à la radio comme s’il s’agissait d’un sermon de Dieu.

Au cours de cette deuxième partie des années 1930, le Bologna FC et l’Ambrosiana règnent sur la Serie A. A Milan, les stars s’appellent Ferrari, Ferraris et Meazza bien sûr, des champions du monde. A Bologne, Biavati et Andreolo sont de véritables cracks, eux aussi sacrés en 1938. Fiorini aurait sans doute appartenu à cette caste s’il n’avait cette réputation de fort en gueule à l’hygiène de vie douteuse. Durant les trois saisons qui précèdent la Coupe du monde en France, il est probablement le meilleur arrière droit italien mais jamais Vittorio Pozzo ne le convoque, découragé par la réputation du jeune homme.

A partir de 1938, Fiorini ne joue plus qu’épisodiquement, victime de fièvres. Certains moralistes choqués par ses aventures extraconjugales évoquent une maladie vénérienne. Pas impossible tant son donjuanisme est notoire, favorisé par un physique avantageux. D’ailleurs, la marque française de produits cosmétiques Bourjois le remarque – peut-être lors du Tournoi de l’Exposition Universelle 1937 à Paris[2] – et le choisit comme modèle publicitaire pour sa brillantine, accessoire particulièrement prisé depuis que Rudolf Valentino en a popularisé l’usage.

Lorsque ses soucis de santé s’estompent, il redevient un joueur majeur de Bologna, artisan du scudetto de 1941 sous l’autorité de Hermann Felsner, revenu aux affaires après le départ forcé d’Arpád Weisz. Mais la guerre rattrape le pays dès 1942 et la Grande Italie expansionniste se disloque déjà sous les bombes. Fiorini démontre sa foi en Mussolini en étant en 1943 parmi les fondateurs de l’éphémère Partito Fascista Repubblicano et en s’engageant dans la Guardia Nazionale Repubblicana, armée constituée pour la défense de la fantoche République de Salò.

Ce choix lui est fatal : il est probablement assassiné par des partisans près de Bologne en septembre 1944, quelques mois après son ex-mentor Arpád Weisz dans le camp d’Auschwitz. Son corps n’est jamais retrouvé, laissant libre cours aux thèses les plus folles. Certaines prétendent qu’il rallie la résistance en tant qu’agent double et que ce sont des miliciens fascistes qui l’éliminent en le démasquant. D’autres assurent que sa mort est l’œuvre d’un mari bafoué. Son épouse Italia, mère de trois jeunes enfants au moment du drame, passe le reste de son existence à chercher la vérité sans jamais la trouver.

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[1] Les lois raciales sont promulguées en septembre 1938 et dès octobre, Weisz passe la main à Hermann Felsner, le coach autrichien du grand Bologna des années 1920.

[2] Tournoi regroupant le Slavia, l’Austria, Marseille, Sochaux, Leipzig, Phöbus, Chelsea et Bologne. Les Italiens balaient 4-1 Chelsea en finale et ce succès contre des Anglais est largement célébré par l’Italie fasciste.

Numéro 9 – Mauro Bellugi

Mauro Bellugi jouait régulièrement en portant autour du cou un médaillon représentant le visage de Mussolini. Aussi bien en sélection qu’en Serie A. C’était connu et ne laissait évidemment pas les gradins indifférents. En bien ou en mal… Pas le moindre des défis pour le capitaine du club chéri de Bologne la Rouge, bastion communiste pendant les Années de plomb.

Le natif de Buonconvento, dans la province de Sienne, était la définition du défenseur-destructeur, sans fioriture et uniquement concentré sur sa mission. Rapide et athlétique, possédant une bonne détente, Mauro est un enfant de l’Inter, qu’il intègre professionnellement en 1969. Aux côtés des modèles que sont Mario Corso, Burgnich ou Facchetti, Bellugi apprend toutes les ficelles du métier, développe un sens aigu du collectif et de la parole donnée, et s’impose peu à peu comme le renouveau transalpin à son poste de stoppeur. Titré nationalement en 1971, Bellugi est de l’aventure européenne jusqu’à la finale perdue face à l’Ajax. Un match où il sut mieux museler Keizer que le jeune Oriali le fit avec Cruyff. Sélectionné quelques mois plus tard face au Luxembourg, Mauro devient un régulier des convocations de Valcareggi, s’illustre à Wembley lors de la première victoire italienne en terre anglaise et attend de pied ferme une année 1974 qui doit légitimer sa prise de pouvoir. Las, l’été 1974 serait celui de la rupture. L’Inter vend son poulain à Bologne, pour 450 millions de lires, juste avant le Mondial. On parle d’une mésentente chronique avec Sandro Mazzola. Et au sein d’un vestiaire déchiré, Valcareggi lui préfère finalement le Juventino Morini. Bellugi regarde du banc l’ensemble du fiasco italien en Allemagne…

Débarqué dans une cité sous tension, entre contestation étudiante et attentat meurtrier du 2 août 1980, qui fera 85 morts, Bellugi, aux aguets, ne se séparera jamais de son arme. Qu’il fut empêché d’utiliser au dernier moment par un policier, un soir de match à Gênes… Bologne vient de gagner la Coupe en 1974. Son président Luciano Conti a d’ailleurs de grands projets pour sa paire de centraux Bellugi-Caporale, dit Caporalbauer, mais son club entre, sans le savoir, dans une longue éclipse, dont il n’est jamais réellement ressorti. Le vieux Bulgarelli arrête sa prestigieuse carrière en 1975, suivi par le transfert record du bomber Giuseppe Savoldi pour Naples. Éliminé piteusement par le Gwardia Varsovie, au premier tour de la Coupe des vainqueurs de coupe, Bellugi ne jouera plus l’Europe avec Bologne par la suite. Son exposition internationale, il l’obtiendra avec Bearzot. Le sélectionneur apprécie son charisme et, malgré une grave blessure au genou la saison précédente, en fait un des rares titulaires au Mondial 1978 qui ne soit pas du sérail de la Vieille Dame. Un superbe tournoi où il annihile Krankl et ne rate que le match décisif face aux Néerlandais. A 28 ans, c’est néanmoins déjà le déclin physique pour Mauro, Bearzot lui préfère désormais Collovati. Il signe à Naples, sans grand succès, et rate l’Euro 1980 à domicile. Délesté chez le promu Pistoiese, où il côtoie Lippi, il range les crampons en 1981, à 31 ans seulement. Revenu tristement sur le devant de la scène pendant la période du Covid, où il fut malheureusement amputé des deux jambes, dont celle, il le rappellera non sans humour, de son unique but avec l’Inter face à Gladbach, Bellugi est décédé quelques mois plus tard.

Numéro 8 – Giuseppe Della Valle

Quand il est question du premier âge d’or du Bologna FC (renommé Bologna Sezione Calcio en 1927 pour italianiser son nom), celui des premiers titres obtenus en 1925 et 1929, deux noms émergent rapidement : Hermann Felsner, l’entraîneur autrichien ayant réussi à concilier le football collectif d’essence danubienne avec les qualités individuelles des joueurs italiens, et Angelo Schiavo, le bomber décisif du titre mondial 1934. Et on oublie trop souvent Giuseppe Della Valle[1], trait d’union entre Mimmo Alberti et Angelo Schiavo à la pointe de l’attaque des Rossoblù.

Giuseppe est issu d’une famille aisée de Bologne, son père étant officier dans l’armée royale de Vittorio Emanuele III. Son frère aîné Guido appartient au petit cercle ayant fondé le Bologna FC sous l’impulsion d’Emilio Arnstein, un Autrichien que les lois raciales rattraperont des années plus tard. Joueur et dirigeant, Guido est mobilisé et disparaît durant la Première Guerre mondiale, comme six autres Rossoblù, ouvrant la porte à une nouvelle génération à laquelle appartient Giuseppe Della Valle.

Avec la venue du très jeune entraîneur Felsner (31 ans), le club d’Emilie-Romagne s’affirme comme une terreur. Dès la saison 1920-21, Bologna écarte le puissant Genoa et ne succombe qu’en finale de la Zone Nord face au Pro Vercelli multi titré de Guido Ara. Le leader de l’attaque rossoblù est encore Cesare Mimmo Alberti, un prodige dont le frère est également mort durant la Grande Guerre. En 1922, une blessure au ménisque interrompt la carrière d’Alberti à 18 ans seulement[2] et permet la constitution de l’emblématique duo Schiavo – Della Valle. A propos de ce dernier, Felsner répète fréquemment « Si Geppe décide de marquer, il marque », comme s’il voulait souligner le rapport distant qu’entretient Della Valle avec la compétition. Plus tard, il confirmera avoir toujours privilégié l’état d’esprit au résultat, retenant de sa carrière « de bons moments, pleins de légèreté, de promesses, de fraternité et d’enthousiasme« . Son leadership est tel que l’entraîneur autrichien lui confie le rôle de capitaine quand la maladie emporte Angelo Badini, un autre Bolognais de bonne famille.

Il serait commode de décrire l’association Schiavo-Della Valle comme celle d’un grand joueur puissant, Della Valle, servant de point d’appui à un attaquant plus râblé et plus véloce, Schiavo. Dans les faits, même s’ils ne se ressemblent pas physiquement, le duo possède des qualités très similaires, Schiavo étant sans doute un peu plus buteur et Della Valle plus créateur. A leurs côtés se trouve le virtuose de l’équipe, Bernardo Perin surnommé la Signorina pour la délicatesse de son jeu. Ensemble, ils conquièrent deux championnats avant l’instauration de la Serie A, en 1925 et en 1929. Le premier titre, appelé lo Scudetto delle pistole pour les multiples incidents ayant émaillé la finale de la Zone Nord contre le Genoa[3], doit beaucoup à Della Valle, auteur d’un but privant de titre les joueurs du Griffon à quelques minutes du terme du second match.

Très aimé des Felsinei, Della Valle promène sa haute silhouette avec une forme de détachement, comme si sa condition sociale devait se refléter sur l’aire de jeu. Certes, il est de tous les combats mais il paraît toujours un peu au-dessus de la mêlée, assumant ses silences et une mésentente totale avec son équipier Pietro Genovesi (les deux hommes ne se parlent pas) sans que cela n’affecte leurs relations sur le terrain.

Sélectionné avec la Nazionale dès 1923, Geppe Della Valle est l’avant-centre italien durant les Jeux olympiques de Paris, épaulé par Levratto et Baloncieri. Il y croise Zamora une première fois (victoire 1-0 de l’Italie)[4]. La seconde rencontre avec El Divino a lieu à Bologne en mai 1927 pour l’inauguration du Stadio Littoriale, l’actuel Renato Dall’Ara (succès italien 2-0). S’il ne marque pas, Delle Valle est à l’origine du second but en expédiant le ballon sur le poteau avant que Prats ne le pousse malencontreusement dans le but de Zamora. 

A partir de 1927, Della Valle joue moins, privilégiant son métier d’ingénieur. Il travaille à Parme, à une centaine de kilomètres de Bologne, et manque certains déplacements. Ses dirigeants (parmi lesquels figure le très influent Leandro Arpinati, président entre autres de la fédération et maire de la ville) souhaitent l’exclure en raison de ses absences, mais ses équipiers se mobilisent pour qu’il demeure parmi eux. Encore important dans l’obtention du titre 1929, il met un terme définitif à sa carrière de joueur en mai 1931 en inscrivant un dernier but contre le Genoa. Très attaché à sa ville et à son club, il devient conseiller municipal et membre de la garde rapprochée du président Renato Dall’Ara qu’il accompagne jusque dans les années 1960.

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[1] Il est parfois appelé Della Valle III pour le distinguer de Guido et Mario, ses frères ayant également évolué avec le Bologna FC.

[2] Sa carrière est supposée terminée mais il se relance au Genoa en 1924 après une opération du ménisque réalisée par un chirurgien britannique, un exploit pour l’époque. Il meurt à 26 ans d’une intoxication alimentaire.

[3] Des arbitrages douteux, des envahissements de terrain, des intimidations et même des coups de feu lors d’un déplacement de supporters perturbent les cinq rencontres nécessaires à ce que Bologna s’impose face au Genoa. En s’attribuant le titre de la Zone Nord, Bologna obtient le droit d’affronter l’Alba Roma, vainqueur de la Zone Sud, qu’il balaie 4-0 et 2-0.

[4] Malgré un but de Della Valle, l’Italie est éliminée en quarts de finale par la Suisse.

Numéro 7 – Ezio Pascutti

Cette photo d’Ezio Pascutti, l’homme au crâne dégarni, est sa préférée. Elle signifie tant de choses… Ses duels homériques avec Tarcisio Burgnich, du même coin du Frioul que lui, sa détermination à ne jamais reculer, son désir de désavouer le destin. Il n’est pas rare de voir, de nos jours, cette photo décorer les restaurants de Bologne.

Né sur une terre où rien ne poussait, Ezio vit un de ses frères tenter l’aventure canadienne, tandis que son aîné, invalide de guerre et détruit psychologiquement, se laissa mourir de faim à 30 ans seulement. Celui que ses frères avaient conseillé de travailler son pied gauche car « en Italie il n’y a pas de bon ailier gauche après Carapellese« , en gardera de profondes cicatrices. Il abandonna sa formation de menuisier et se laissa séduire, à 16 ans, par les avances de Bologne et de Renato Dall’Ara en 1954. Débutant en pro, le 1^er janvier 1956, face à Vicenza et marquant le premier de ses 143 buts avec l’institution. Pascutti n’était pas un virtuose ni un grand dribbleur. En revanche, il ne craignait rien ni personne, utilisant sa vitesse pour déborder son vis-à-vis ou surgir, tel un aigle sur sa proie, au moindre centre à ras de terre. Associé au départ à son compère des ailes, Marino Perani, Ezio jouera 13 ans avec son club de cœur, avec comme point d’orgue, le titre 1964. Titre bien sûr entaché par le dopage, cinq joueurs (dont Pascutti) ayant été contrôlés positifs aux amphétamines après un succès contre le Milan de Nereo Rocco en mars 1964. Initialement sanctionné par la justice sportive, Bologne est sauvé par les juridictions de droit commun en raison de possibles manipulations des échantillons d’urine. Tant mieux pour les Felsinei même si personne n’est dupe tant les pratiques dopantes sont alors généralisées.

Sélectionné dès 1958, il est également des voyages aux Mondiaux 1962 et 1966. Une relation douce-amère avec la Nazionale. Entre jour de gloire lors d’un doublé victorieux à Vienne, offrant la première victoire italienne au Prater en 27 ans, et coup de sang qui le fit basculer dans le camp des pestiférés. Le 13 octobre 1963, à Moscou, lors d’un match comptant pour l’Euro 1964, Pascutti est violemment taclé par derrière, sur une jambe opérée récemment. Furieux, il se retourne vers le fautif, un certain Dubinski, et l’agrippe au niveau du cou mais retient in extremis son poing. Dubinski s’écroule, il est expulsé, l’Italie est éliminée… Pascutti rentre aux vestiaires en pleurs, anticipant déjà les conséquences. Car une colère tenace va fondre sur lui. Celle des médias et de leurs unes qui ne se priveront pas de qualifier de honteuse son attitude. Et la plus douloureuse, celle d’une partie du public. Pendant des années, Pascutti sera régulièrement sifflé dans les stades. Les communistes transalpins avaient la dent dure en ce temps là.

Orgueilleux, Pascutti préféra feindre l’indifférence, voire choisira la provocation, en entrant sur la pelouse avec des bouchons dans les oreilles ! Mais ce serait passer à coté de l’essentiel. Lui qui fut, avant l’éclosion de Batistuta, le recordman de matchs consécutifs en Serie A avec une réalisation, ne peut être ignoré dans cette décennie 1960. Car si Ezio Pascutti refusa son transfert millionnaire à l’Inter, c’est bien pour ses brillantes performances avec Bologne. Des prestations dont les vieux fans parlent encore avec tendresse. Qui lui feront dire que seul l’Interiste Nyers lui était supérieur en ailier gauche…

Numéro 6 – Harald Nielsen

Avant-centre du très modeste club de Frederikshavn fI, tout au nord du Danemark, Harald Nielsen expose ses dons de buteur avec sa sélection lors des Jeux olympiques de Rome. Héros de l’équipe ayant atteint la finale[1], il accède à 18 ans seulement au rang de star, et le mot n’est pas galvaudé. Lors de la séance de dédicaces de son livre « Harald Scorer », des dizaines de jeunes femmes se précipitent sur lui, certaines lui arrachent des touffes de cheveux et le service de sécurité, débordé, parvient à grand-peine à l’exfiltrer. Des milliers de lettres d’admirateurs et admiratrices lui sont adressés, des colis sont déposés à son domicile comme s’il s’agissait d’offrandes à un dieu nordique et des sollicitations, de toutes natures, lui parviennent quotidiennement. Parmi celles qu’il accepte, un rôle secondaire dans un film intitulé « Far til fire med fuld musik » où il croise Rudi, une actrice de comédies populaires, adulée des Danois depuis son plus jeune âge. L’idylle entre la gracieuse artiste et le footballeur-star enflamme plus encore le pays, des fortunes leur étant offertes pour qu’ils prêtent leur image de couple idéal à des annonceurs en mal d’inspiration.

Parallèlement à sa vie de people, Nielsen poursuit sa carrière à Frederikshavn et reporte de quelques mois son entrée dans le monde professionnel en refusant les offres du Hambourg SV et du Real Madrid. Depuis les réussites de John Hansen et Carl Aage Præst à la Juventus, ses idoles d’enfance, il ne rêve que de Serie A. Son vœu est exaucé en 1961 quand Axel Pilmark, un compatriote ayant évolué avec les Rossoblù durant les années 1950, le recommande au président Dall’Ara. Avec ce choix, il renonce à l’équipe nationale encore réservée aux joueurs amateurs[2].

L’arrivée de Nielsen coïncide avec celle de l’entraîneur Fulvio Bernardini, champion avec la Fiorentina en 1956 et surnommé Dottor Piedata (Docteur Coup de pied) par Gianni Brera. Malgré des débuts prometteurs, Bernardini hésite à le titulariser, lui préférant fréquemment Luís Vinício. Dall’Ara entame alors des joutes orales avec son entraîneur, minimise ses performances passées (« Il a été champion à la Fiorentina, certes. Mais avec Julinho et Montuori, je l’aurais également été ») et s’étouffe en constatant que Bernardini refuse d’associer Nielsen et Vinício en attaque, Pascutti et Perani étant indéboulonnables sur les ailes. Pour tout dire, l’attentisme et la faible participation au jeu du Danois agacent Bernardini et une partie du public qui le surnomme Dondolo (la Balançoire) pour ses mouvements étriqués d’avant en arrière, jamais sur les côtés. Nielsen réalise cependant une excellente fin de saison et apporte son concours à la victoire du Bologna FC en Coupe Mitropa, 30 ans après le premier sacre du club.

A l’été 1962, Bologna se sépare du trentenaire Vinício et mise sur un international allemand encore méconnu, Helmut Haller, le parfait complément de Bulgarelli au milieu de terrain. Une bénédiction pour Nielsen : la fantaisie et le jeu collectif de Haller créent des opportunités dont profite le Danois, débarrassé de toute concurrence au poste d’avant-centre. Le sobriquet moqueur Dondolo s’efface au profit de l’admiratif Il freddo Danese quand il s’impose en tant que capocannoniere de Serie A en 1963 et 1964. Parmi ses chefs d’œuvre, la démonstration dans le derby della Secchia contre Modena tient une place particulière. Après le match achevé sur le score de 7-1 et des triplés du duo Nielsen-Pascutti, le peu expansif Bernardini affirme qu’« on ne joue comme ça qu’au paradis ». Le Danois entre définitivement au Panthéon rossoblù en étant l’auteur du but scellant le sort du match d’appui de juin 1964 contre l’Inter et offrant le scudetto à Bologne, quelques jours après le décès de Renato Dall’Ara. Ce titre est malheureusement sans lendemain. La disparition du vieux président semble avoir brisé l’harmonie d’un effectif au sein duquel les tensions entre les cracks Nielsen et Haller vont crescendo.

Les échecs du Bologna FC ne suffisent pas à entamer la popularité de Nielsen et de son couple si photogénique. La « Nielsenmania » s’est propagée à l’Italie, pays des paparazzi dont Harald et Rudi trompent la vigilance en s’échappant régulièrement sur la côte dalmate. L’aura médiatique et les talents de buteur du roi Harald incitent le très mondain président de l’Inter – Angelo Moratti – à dépenser une fortune pour l’acquérir, transfert record de l’époque. Cette opération est un fiasco, une hernie discale jamais véritablement soignée torture Nielsen et l’éloigne trop souvent des terrains. L’air de la baie de Naples puis du Golfe de Gênes (Sampdoria) n’y changent rien et il raccroche à 29 ans seulement. Il entame alors une brillante carrière d’homme d’affaires, débutée à Milan dans le commerce de la maroquinerie et diversifiée au fil du temps jusqu’à créer un petit empire commercial. Homme particulièrement influent, il contribue à l’émergence du professionnalisme au Danemark et s’implique dans la création du FC Copenhague au début des années 1990.

Souffrant lors des célébrations du cinquantenaire du scudetto, Nielsen se rend à Bologne l’automne suivant. S’adressant à ses anciens équipiers, il peine à masquer sa nostalgie. « Cette soirée, les amis, est un souvenir. Un souvenir dont nous aurons besoin pour affronter l’hiver qui ne fait que commencer. Alors, cette soirée, ce n’est pas un adieu… rappelez-vous que ce n’est qu’un au revoir ! » Sait-il qu’il s’agit de son ultime visite à Bologne ? Harald Nielsen meurt l’année suivante, à 73 ans.

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[1] Le Danemark ne s’incline qu’en finale contre la Yougoslavie et Nielsen inscrit 6 buts durant le tournoi.

[2] Edmondo Fabbri, en charge de la sélection italienne lors de la Coupe du monde 1966, tente vainement de le convaincre de prendre la nationalité italienne pour en faire l’avant-centre des Azzurri.

En collaboration avec l’ami Verano !