Sven-Göran Eriksson of football

Qui l’a connu en tant que joueur conserve le souvenir d’un arrière droit malingre, à l’équilibre précarisé par de trop longues jambes, anonyme parmi des formations insignifiantes dans les ligues inférieures suédoises, archétype du footballeur nordique pour qui le sport ne se conçoit que sous les traits de l’amateurisme. Il fallait plonger dans les yeux gris de ce jeune assureur, médiocre défenseur, pour y lire une flamme que masquait un visage trop doux, sans aspérité, typiquement suédois.

Eriksson, à droite.

S’il ne fallait retenir qu’une chose de la carrière d’Eriksson, ce serait sa rencontre au début des années 1970 avec Tord Grip, une de celles qui forgent un destin. Plus tard, durant une longue convalescence, Grip le convainc de raccrocher à 27 ans pour devenir son adjoint à Degerfors, en troisième division. Le rapide départ de Grip au chevet de la sélection nationale en pleine préparation pour la Coupe du monde argentine (en tant qu’adjoint) lui permet de s’exercer au pouvoir, bien plus rapidement qu’il n’aurait pu l’imaginer. Et déjà ses méthodes le singularisent. Il fait appel à un psychologue du sport norvégien pour que ses joueurs, dominateurs dans la phase de championnat, surmontent le stress des play-offs d’accession et cela fonctionne. Remarqué par les décideurs de l’IFK Göteborg, il abandonne la quiétude de Degerfors pour Göteborg, la seconde ville du pays. Les débuts n’impressionnent personne, le système de jeu paraît indéfinissable et le public prend en grippe ce provincial au teint diaphane. En mal de résultats, peinant à dissimuler sa fébrilité et ébranlé par les insultes de supporters – « que ce salaud soit renvoyé chez lui, dans la forêt » – Svennis Eriksson présente sa démission à ses dirigeants et à ses joueurs. Tous la refusent.

Conforté dans son poste, Eriksson parvient à imposer un style en rupture avec l’histoire de l’IFK, ce que les médias qualifient de trahison. Inspiré par Hodgson et Houghton, entraîneurs anglais à la tête de Halmstads BK et Malmö FF, son 4-4-2 privilégie l’efficacité à la beauté du geste : la défense évolue en zone et affectionne le hors-jeu, les milieux ont pour principale fonction de presser pour récupérer le ballon et lancer des attaquants véloces. Un football simple mais très structuré, décrit méthodiquement à l’occasion de rébarbatives séances de tableau noir. Des poncifs de nos jours, une révolution pour le Blåvitt au tournant des années 1980. Ses impératifs tactiques et ses exigences en matière de préparation mentale mènent une équipe semi-professionnelle à la victoire en Coupe de l’UEFA 1982 face à Hambourg, son maître Ernst Happel, ses stars Magath, Kaltz, Hrubesch. 

Ses détracteurs voient en lui un jeune technocrate goûtant les plans exécutés sans écart à la trajectoire, un manager un peu fade qui aurait réussi en ayant tourné le dos à la tradition de beau jeu de l’IFK. D’autres ne s’embarrassent pas de considérations verbeuses et perçoivent le potentiel de ce technicien de 34 ans. C’est le cas de Fernando Martins, président de Benfica. A Lisbonne, Svennis s’entoure de Toni, un penseur du jeu à sa mesure. Son 4-4-2, immuable, s’adapte aux profils portugais et accorde une place de choix aux artistes du milieu Chalana, Shéu ou Joõa Alves à qui il enseigne les principes de l’intensité. De ses deux passages au Benfica (1982-1984 et 1989-1992), il reste des titres et deux finales de Coupes d’Europe perdues. S’il fallait exprimer un bémol, ce serait son incapacité à ne pas contredire la prophétie de Béla Guttmann, bien trop irrationnelle pour qu’Eriksson puisse composer un antidote[1].

Estádio da Luz de Lisbonne, 1982, en compagnie de Glenn Stromberg venu avec lui de Göteborg.

Troublé par la modernité du jeu de Benfica lors d’une confrontation européenne[2], désireux d’ouvrir un nouveau cycle, le président Dino Viola lui confie sa Roma, voyant en lui un nouveau Niels Liedholm, plus moderne, plus intransigeant également (les deux Suédois sont sur la photo d’en-tête). Un geste éminemment audacieux tant l’étouffante Serie A des années 1980 rechigne à s’ouvrir aux techniciens étrangers n’ayant pas un long historique avec le calcio. Contesté par les ténors du vestiaire, Bruno Conti et Falcão, hostiles à une attaque réduite à deux éléments pour l’un, au pressing tout terrain pour l’autre, Eriksson mate l’opposition dans le calme, sans excès d’autorité, précurseur des entraineurs managers aux pouvoirs élargis, propres sur eux, dont les médias vont bientôt s’enticher.  Svennis aurait dû être sacré à Rome si sa Louve n’avait pas inexplicablement flanché lors d’une rencontre gagnée d’avance contre Lecce, offrant de facto le scudetto 1985 à une Juventus souffreteuse.

A Florence, la présence de Roberto Baggio ébranle pour la première et dernière fois les certitudes d’Eriksson. Conscient de disposer d’un joyau, il module ses principes et accepte de libérer Baggio d’un carcan trop contraignant, ce qu’il a toujours refusé à ses stars par le passé, que ce soit Ralf Edström à Göteborg ou Falcão à Rome. Le désengagement financier du machiavélique Comte Pontello met un terme à la parenthèse florentine. A Gênes, il cherche à donner un nouveau souffle à la Sampdoria alors que Gianluca Vialli s’est éloigné de son jumeau Roberto Mancini et que le président Mantovani décède en 1993. Les choix italiens d’Eriksson paraissent alors manquer de timing, comme s’il était irrémédiablement destiné à gérer les phases de rétractation de clubs ayant tutoyé les sommets.

Désormais, des lunettes à fine monture ornent un visage allongé par un front haut et fuyant et lui confèrent un air professoral, un peu froid, un peu sentencieux. Le personnage, affable et habile communicant, reste malgré tout en retrait en comparaison des ténors du moment, Marcello Lippi ou Fabio Capello. Beaucoup le voient alors comme un second couteau, bien installé dans le panorama du calcio, mais dont le potentiel ne paraît pas infini.

Puis vient l’heure du retour à Rome, aux commandes d’une Lazio armée jusqu’aux dents par Sergio Cragnotti. Au printemps 1999, Eriksson échoue une nouvelle fois dans sa quête de couronnement à Rome, le Milan d’Alberto Zaccheroni coulant dans la dernière ligne droite une Lazio aux allures d’invincible armada. Un revers qu’amoindrit une victoire en Coupe des vainqueurs de coupe mettant fin à une série de trois défaites consécutives lors de finales européennes[3]. Désormais assisté de Tord Grip, l’homme des débuts, de son préparateur mental norvégien, Svennis s’offre le scudetto dès la saison suivante à l’issue d’un suspense insoutenable, la Juventus de Carlo Ancelotti se noyant dans les marécages du stade Renato Curi de Pérouse lors de la dernière journée[4].

A la Lazio en train de donner ses instructions à Simone Inzaghi.

Pour Sven-Goran Eriksson, il est désormais temps de rendre au football anglais tout ce qu’il lui doit. The FA lui déroule le tapis rouge, le rémunère des sommes folles et le fragilise d’emblée auprès d’une presse populaire et populiste hostile à la nomination d’un sélectionneur étranger, une première en près de 140 ans d’existence. Traqué, espionné, piégé, il ne vient pas à l’idée de Svennis de se plaindre d’un traitement excédant le domaine de l’acceptable. Le soutien de ses joueurs, que sa finesse a soudé en dépit des rivalités du quotidien, l’aide à surmonter les désillusions, des coups du sort presqu’impossibles à contrer pour un technicien définitivement rationnel : un coup de génie de Ronaldinho en 2002, les tirs au but en 2004 et en 2006 face au Portugal.

Sa fin de carrière présente peu d’intérêt, même s’il ne partage probablement pas cette vision simpliste en rappelant que son expérience de sélectionneur du Mexique est associée à la rencontre de sa dernière compagne. Quand Svennis se sait condamné, délaissant enfin sa froideur, il s’attache à revenir sur le théâtre de ses exploits passés, pour un dernier salut au public, une ultime preuve d’amour.


[1] En quittant le Benfica en 192, Guttmann maudit le club et prédit qu’il ne gagnera aucun trophée européen dans les 100 ans à venir.

[2] Benfica élimine l’AS Rome en quart de finale de Coupe de l’UEFA 1982-83.

[3] Anderlecht – Benfica en finale de Coupe de l’UEFA 1982-83, Milan – Benfica en finale de Coupe des clubs champions 1991, Inter – Lazio en finale de Coupe de l’UEFA 1998.

[4] Des pluies diluviennes interrompent le match Pérouse – Juventus pendant plus d’une heure. A Rome, les joueurs et les tifosi patientent et apprennent le sacre quand le match de Pérouse s’achève sur la victoire 1-0 des locaux sur la Juve.

11 réflexions sur « Sven-Göran Eriksson of football »

  1. L’itinéraire d’Hodgson est intéressant. Il est à la base des changements de mentalité dans le foot de club suédois. Tout en ayant permis à la Suisse de retrouver les grandes compétitions, après 28 ans de disette.

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    1. Pour être précis, c’est Bob Houghton, le premier, qui importe en Suède la défense en zone, sans libero avec Malmö qu’il guide jusqu’en finale de C1 1979. C’est également lui qui favorise la venue de Bob Hodgson à Halmstad avec lequel il est sacré champion de Suède. C’est en s’inspirant d’eux que Tord Grip et Eriksson posent les bases de leur système en 4-4-2 et de l’IFK vainqueur de la C3 1982. Eriksson le concède lui-même : ce n’était vraiment pas beau à voir !

      Petite précision complémentaire : adepte du 4-4-2, l’année du titre avec la Lazio il amende un peu le système avec un 4-5-1 où Salas évolue seul en pointe.

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      1. Teddy Sheringham a un passage à Djurgårdens . Avant d’exploser à Millwall avec Cascarino. Si quelqu’un a des infos sur sa venue en Suède…

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    2. Hodgson..et les Hongrois avant lui. Dont l’influence avait abouti, autant que j’aie pu en juger jusqu’ici (..je changerai peut-être voire sans doute d’avis??), à un jeu de type allemand : libéro et individuelle en défense, jeu de position plutôt classique en possession.

      Mais, donc : voilà que ces Anglais apportent autre chose fin 70’s, plus moderne : zone, gros jeu de transitions (perso : j’adore mais c’est sans doute culturel), jeu plus direct..

      Hodgson, Houghton.. ==> C’est auprès de..Houghton, que Hodgson apprit le métier. Et Eriksson s’inscrit dans cette ligne-là, oui : plus méthodique, plus pro, robotisante, et bien moins esthétique/dilettante.

      Je trouve bien vu cette focale sur les traits du visage d’Ericsson : à rebours, c’était comme écrit dessus.

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      1. Même époque / fin 70’s, il y eut aussi Alan Ball à Djurgarden..lequel club aura évolué 3/4 de siècle durant dans un stade que j’adore, et que je compte bien aborder un de ces 4!

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      2. Quand Eriksson impose ce foot direct avec défense à plat à Göteborg, le vieux libero Nordqvist n’a plus sa place. Puis c’est au tour d’Edström, pas assez actif au repli. Fallait avoir des cojones pour oser se séparer des deux stars en n’ayant aucune référence et pas encore de résultats.

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  2. J’adore Stromberg. Grand, technique, physique. Mon joueur suédois préféré dans cette décennie. Idole de Bergame evidemment. Un des ses compères à Goteborg, Dan Corneliusson, fera lui le bonheur de Come.

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    1. Mais bon, je préférais la Lazio de Zeman qui a été mon équipe italienne préférée pendant quelques saisons. En gros, j’ai soutenu la Juve de Baggio, Hassler et Toto. Un flop. Le Toro de Scifo. La Lazio de Signori. La Viola de Batigol. La Roma 2001. Y punto. Une girouette de compétition !

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  3. J’ai raté le train P2F hier et, avec ça, la merveilleuse locomotive à vapeur du captivant Verano.
    Train-train quotidien heureusement rattrapé ce matin et un remerciement à l’amigo pour ce petit voyage.

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