Révélation de la Coupe du monde en Espagne, Thomas Nkono se prépare à régner sur l’estadio de Sarrià. Destins croisés avec Canito, idole déchue de l’Espanyol.
Après la Coupe du monde 1982, les dirigeants du Real Club Deportivo Español[1] cherchent désespérément des solutions pour satisfaire leurs socios et leur entraîneur José María Maguregui. La dernière saison s’est déroulée dans la morosité, à peine égayée par un succès au Camp Nou accélérant l’effondrement des Blaugranas dans la course au titre. Depuis plusieurs années, les Pericos sacrifient leurs ambitions sportives en cédant leurs meilleurs joueurs pour rééquilibrer des finances définitivement chancelantes. Parmi les transactions les plus douloureuses, citons celles d’El Noi[2] Solsona à Valencia en 1978 et du turbulent Canito au FC Barcelona en 1979, des enfants du club.
Español : le grand bazar
A l’été 1981, l’Español manque encore de liquidités et sacrifie son gardien international Urruti. Dans une manœuvre astucieuse, le Barça de Josep Lluís Núñez échange Urruti et quelques millions de pesetas contre Canito, devenu persona non grata au Camp Nou après avoir profané le sanctuaire du Barça en manifestant publiquement sa joie en faveur de l’Español avec le maillot blaugrana sur les épaules[3]. A Sarrià, l’annonce du retour de l’idole des Pericos fait oublier la perte d’Urruti, tant pis si Maguregui se retrouve avec un défenseur ingérable.
José María Maguregui est un Basque au caractère bien trempé, connu pour sa droiture et ses relations sans concession. Quand les écarts disciplinaires de Canito sont révélés par la presse, le conseil d’administration de l’Español se décide enfin à soutenir son entraîneur. Déjà absent lors des derniers matchs amicaux de juin 1982, Canito est écarté du stage de reprise en juillet.
C’est une fragile victoire pour Maguregui car les échecs répétés des Pericos lors des matches amicaux sèment le doute[4]. Déjà le public réclame Canito pour solidifier une défense manquant de leadership. Alors que le libero rebelle évoque sa réintégration, imaginant même porter le brassard de capitaine, Maguregui ouvre un contre-feu en demandant à ses dirigeants de trouver une alternative au très pileux gardien belge Theo Custers, doublure de Jean-Marie Pfaff avec les Diables Rouges et successeur d’Urruti dans les cages de l’Español.
Nkono, disciple de Beara
Celui que désire Maguregui s’appelle Thomas Nkono, le gardien du Cameroun révélé aux yeux de tous lors du premier tour de la Coupe du monde espagnole. Á La Corogne et à Vigo, son imperméabilité élastique et décontractée émerveille, privilège jusqu’alors réservé aux observateurs du football africain qui font de lui « l’Araignée Noire » et un double Ballon d’or continental. Tommie a déjà 27 ans, travaille (parcimonieusement) pour la Société Nationale des Eaux du Cameroun tout en évoluant au Canon Yaoundé, géant sur la scène africaine avec lequel il est double vainqueur de la Coupe des Clubs Champions aux côtés du « Docteur » Théophile Abega, de Grégoire M’Bida et d’Emmanuel Kundé.
Comme son concurrent en sélection, Joseph-Antoine Bell, Tommie est un disciple de Vlad Beara, sélectionneur insignifiant du Cameroun mais légendaire portier yougoslave des années 1950. S’il ne gagne rien avec Beara, Nkono bénéficie de ses conseils et de séances d’entraînement spécifiques au cours desquelles il répète ses gammes à l’infini et fait l’apprentissage de la douleur.
Puisqu’il est une des révélations de la Coupe du monde, Tommie change de dimension. Le 7 août 1982, il est invité à participer à un match de bienfaisance en faveur de l’UNICEF au Giants Stadium de New-York. Au sein d’une sélection mondiale opposée à une constellation d’étoiles européennes, il côtoie Falcão, Zico, Júnior, Hugo Sánchez en présence du roi Pelé et de Beckenbauer. Une grossière faute de main sur une frappe d’Antognoni coûte la victoire à son équipe. De retour au Cameroun, il reprend la compétition avec le Canon. Tout le monde pense alors que Tommie a laissé passer sa chance en ayant refusé de signer avec le Racing Santander. En cause, une modalité contractuelle le privant de sélection pour les matches qualificatifs à la CAN 1984.
Nkono et Canito, destins croisés
Alors que la presse catalane suit au jour le jour l’évolution des relations entre Canito et Maguregui, le 22 août, Mundo Deportivo informe ses lecteurs que des émissaires de l’Español sont à Yaoundé pour discuter de la venue de Nkono. La nouvelle suscite le scepticisme : quitte à sacrifier Custers, autant recruter un gardien espagnol et privilégier un joueur de champ en tant que second étranger pour accompagner le Danois John Lauridsen. Mais confrontés à l’insistance de Maguregui, les dirigeants catalans s’exécutent : Thomas Nkono signe le 26 août en faveur du RCDE après une dernière prestation devant le public du Canon face au Dragon Club de Yaoundé. A son arrivée à Barcelone, la première conférence de presse et les articles qui en rendent compte révèlent la défiance des journalistes à son égard. Les papiers rappellent sa grossière erreur new-yorkaise, s’interrogent sur l’utilité de jouer en collants et avec une pointe d’ironie le rebaptisent El Zamora Negro.
Le triomphe de Maguregui est total quand Canito est définitivement mis au ban. Convaincu que son immense popularité fera plier l’état-major blanquiazul, il lance un ultimatum : « ou Maguregui, ou moi. »[5] Il perd le bras de fer et est cédé au Betis.
Tommie débute en Liga dès le 4 septembre 1982 face au Racing Santander. Une partie tranquille au cours de laquelle il effectue quelques arrêts et reçoit la première des innombrables ovations du public de Sarrià. Par ses performances, les références douteuses des chroniqueurs disparaissent peu à peu (certains s’amusent de le voir se balancer à sa barre transversale en insistant sur sa couleur de peau), les insultes racistes se raréfient[6] car c’est une évidence : Thomas Nkono est un crack et un homme supérieurement intelligent.
Ses huit saisons avec le RCDE et ses vingt années passées à entrainer les gardiens de l’Espanyol en font une légende periquita aux côtés de Ricardo Zamora, Raúl Tamudo, Rafa Marañon, Josep Parra, Daniel Solsona, Julián Arcas et Tin Bosch, peu importe l’ordre dans lequel les socios les classent. Canito aurait dû appartenir à cette liste s’il n’avait pas totalement perdu pied en quittant l’Español, le seul club qu’il ait aimé. Son transfert au Betis marque le début d’une longue errance qui va le conduire à une mort miséreuse à 44 ans.
Nota : un immense merci à Goozigooze pour l’illustration en en-tête.
[1] La catalanisation du nom en Reial Club Deportiu Espanyol de Barcelona date de 1995.
[2] L’enfant, en catalan. Daniel Solsona est le premier professionnel de l’Español sorti de son école de football.
[3] Le 20 avril 1981, pendant un match du Barça au Camp Nou, Canito lève les bras au ciel en apprenant grâce au tableau d’affichage que l’Español mène à Alicante. Les supporters du Barça le voient et le sifflent copieusement.
[4] Dont une défaite 4- 2-contre le PSG de Rocheteau et Dahleb.
[5] On peut lire des graffiti « Canito si, Magu no » sur les murs de Sarrià.
[6] Lors d’un derby catalan disputé au Camp Nou, il est bombardé de bananes.
Merci Verano! A noter que dans le groupe de l’Espanyol, finaliste de l’UEFA 88, on trouvait l’attaquant franco-espagnol, Miguel Pineda qui fut formé à Auxerre. Je me souviens de son retour en France à Toulon.
Râââ, l’Espanyol 88.. C’est pas eux, qui parvinrent à éliminer un FC Bruges au parcours happelesque?
De tête Bruges perdait lourdement tous ses matchs-aller..avant de l’emporter par 3-0, 5-0 etc. au retour..et pas contre des équipes de pimpins, hein : Zenit, Dortmund (pourtant fort avantagé au retour par le referee – pas un cadeau, l’équation clubs allemands / arbitrage dans les 80’s..), l’Etoile Rouge aussi…….. C’était de la folie furieuse, le tout avec un duo Ceulemans-Degryse de feu, sous la houlette d’un disciple direct et fidèle de..Happel, à bien des égards son héritier en Batavie, le dénommé Henk Houwaert.
En demi, toujours de tête pour la première fois : Bruges l’emporta à l’aller, 2-0..??.. avant d’être éliminé au retour en Espagne, « à la brugeoise », lol..
Par contre je pense toujours spontanément à l’Atletico pour cette élimination en demi..or c’était bien l’Espanyol pourtant, je dois confondre avec je ne sais quelle autre confrontation.
Le parcours de l’Espanyol est enorme. Ils éliminent les futurs champions d’Italie, le Milan AC. Les voisins de l’Inter et cette tres belle équipe de Bruges en demi.
Le début de carrière de Clémente est quand meme pas mal, entre cette performance et les titres avec l’Athletic.
Quelle déception cette finale perdue aux tirs au but. C’est l’Espanyol, vainqueur 3-0 à Sarrià, qui tient le 0-0 au retour à l’heure de jeu et qui s’effondre… le parcours préalable est formidable avec notamment l’élimination des deux clubs milanais, le Milan de Sacchi allant devenir champion d’Italie. Puis cette demi-finale retour contre Brugesavec le but qualificatif en toute fin de prolongation par Pichi Alonso, un joueur réalisant la saison de sa vie.
Mouais…
Si l’Espanyol avait gagné, ce n’eut plus vraiment été l’Espanyol !
« très pileux gardien belge Theo Custers »
Ah ! ah ! effectivement…
Connais pas Josep Parra… Beara, le modèle de Yachine. Et Lauridsen, un exemple de la densité danoise de cette époque. Joueur élégant.
D’ailleurs N’Kono Lauridsen, c’est la doublette d’étrangers immuable de l’Espanyol dans les 80′, non?
Parra est, avec Arcas, l’idole des Pericos dans les années 1950. Défenseur profondément attaché au club, il est très très haut dans les classements des socios.
Lauridsen arrive avant Nkono et effectue en effet de nombreuses saisons au milieu du RCDE. 1988, ça doit être sa dernière saison.
Cette finale UEFA de 1988, quel kif !
A l’aller 3-0 pour l’Español, qui aurait marqué beaucoup plus, au retour 3-0 pour le Bayer Leverkusen (tous les buts inscrits en 2e mi-temps), l’époque bénie ou les coachs pouvaient fumer sur le banc de touche !
J. Clemente sent le vent tourner et commence à s’inquiéter, rien ne se passe aux prolongations, malgré quelque escarmouches allemandes.
TAB : « Pichi » Alonso marque en forme, Falkenmayer rate (ou N’kono arrête), ça commence bien pour les Catalans. Rolff réduit le score, Urquiaga tire en force la balle tape la transversale et rebondit dehors…Waas marque très joliment en bas à droite, Zuniga (le joueur considéré le plus technique) tire en force au milieu, le gardien allemand ne bouge pas et stoppe le tir. Losada le dernier espagnol tire en haut et c’est la fin !
Le Bayer gagne sa C3
« Le gardien allemand » était Rüdiger Vollborn. Il promettait beaucoup en début de carrière mais n’a jamais réussi à percer face à Schumacher et Stein d’abord, Immel et Illgner ensuite, Köpke enfin. Héros d’hier, anonyme aujourd’hui…
En 88, c’est le superbe Zambien Kalusha Bwalya qui gagne le ballon d’or africain. En particulier pour la victoire 4 à 0 face à l’Italie. N’Kono ne fait meme pas parti des 10 premiers. Étonnant. Peut-être du à la titularisation de Bell à la CAN victorieuse.
Avec plaisir Verano!
C est une consécration pour moi d illustrer un Verano.
Life achievement: unlocked
Vos commentaires sont aux niveaux de l’article, quelle culture !
Et au niveau d’un article de Verano svp…
C’est un dessin de Gooz ? C’est superbe. On a trouvé qui peut faire la bannière du site.
Il avait fait un dessin pour l’article de Chipalo au debut du site. Joli coup de crayon, le Gooz!
Merci les gars. Ça fait plaisir.
J peux ptete y réfléchir pour la bannière. Mais j sais pas j trouve ça dur… j suis vraiment pas doué pour les trucs un peu épuré (comme j’imagine etre une bannière de site) pareil pour logo etc…
Merci Verano ! D’ailleurs, fait « amusant » : lors du mondial 1994, Nkono (39 ans) et Bell (40 ans), seront encore présents et concurrents dans l’équipe camerounaise, même si Nkono ne jouera pas la moindre minute tandis que Bell sera titulaire lors des deux premiers matchs, remplacé par le grand Jacques Songo’o lors de la déroute face à la Russie.
Merci pour l’article, j’ignorais tous ces détails.. et saluer les talents graphistes de Goozigooze aussi!
Rien de bien malin à rajouter, au mieux ai-je vu que ça avait dérivé sur Kalusha, lequel échappa à cette catastrophe zambienne car il avait des obligations à remplir du côté du PSV.
Autre joueur qui, par miracle, n’embarqua pas sur ce foutu avion (tout bonnement impropre au vol), supérieur à Kalusha quoique dans un autre registre : le demi récupérateur/régulateur d’Anderlecht Charly Musonda. Lui, c’était vraiment un crack!.. mais une blessure compromit malheureusement sa carrière quelques années plus tard. A noter que, s’il n’embarqua pas : c’est parce que le légendaire (et fort mafieux) manager général d’Anderlecht Michel Verschueren le lui avait interdit, mode « ta priorité c’est le Sporting ».
Ledit Charly eut un fils de très grand talent, Charly Jr, unanimement tenu pour l’avenir du Sporting Anderlecht il y a une dizaine d’années..mais qui préféra brûler les étapes et s’enterrer à Chelsea.
Bwalya Kalusha n’avait jamais vraiment été suivi par le PSV, c’est dans la foulée du transfert croquignolesque de Romario que le PSV s’intéressa à Kalusha, repéré au mitan des 80’s par le Cercle Bruges.
Kalusha et Musonda étaient, et de loin, les deux stars du foot zambien, lequel avait alors toutes ses chances pour se qualifier pour la WC94. Qu’ils aboutirent en Belgique tint tout bêtement à la proximité géographique, commerciale et culturelle des Zambie et Katanga (ex-joyau économique du colonialisme belge).
C’est dingue de se dire que, dans la foulée immédiate de cette catastrophe de 93, ils parvinrent toutefois à finir vice-champions d’Afrique, et que leur élimination pour la WC94 tint finalement à pas grand-chose..
Solsona, voilà un nom que j’avais oublié et que j’ai dû aller chercher à l’occasion d’un post sur So Foot au sujet de Kempes. Je me souvenais qu’El Matador jouait pur 9 à Valence, contrairement à son rôle de 9 et demi en sélection, car ce Valence vainqueur de la C2 1979-80 était bien pourvu au milieu. Rainer Bonhof en 8, du très lourd, je le savais, mais j’avais oublié le 10 qui était notre homme. C’était un peu l’Arteta de sa génération, un joueur de classe internationale (7 sélections) qui a eu la malchance de naître dans une classe d’âge riche en talents.