Le 27 juin 1987, Jesús Gil y Gil est élu président de l’Atlético à l’issue d’une campagne électorale que ne renierait aucun ténor du populisme. Le soir-même, il est à Saragosse pour assister à la défaite des siens aux tirs au but contre la Real Sociedad en finale de Copa del Rey. Déjà exsangue financièrement, le club perd sa dernière chance de capter des revenus supplémentaires en participant à une Coupe d’Europe. Interrogé par un reporter, Gil ne prend pas de gants : « cette défaite est préjudiciable. Mais le pire a été de voir l’équipe dont dispose l’Atlético ».
Alors il transforme l’effectif et dès l’été 1987, outre la star Futre, l’Atlético accueille Eusebio, López Ufarte, Marcos Alonso et Andoni Goikoetxea pour former un duo de défenseurs centraux effrayants avec Arteche. Sur le banc, Aragonés est écarté au profit du flamboyant César Luis Menotti, champion du monde avec l’Argentine en 1978. Avec ce recrutement, les socios pensent que la décennie de vache maigre en Liga touche à sa fin[1].
Fausses promesses
Quand il s’était agi de les séduire, Gil avait su parler aux socios, les essentialisant dans « une masse habituée à la souffrance et méritant qu’on lui apporte plus de satisfactions que de déceptions. » Dans les semaines suivant son intronisation, il peaufine son analyse sociologique du supportérisme colchonero et précise sa pensée profonde : « ce sont des personnes de milieux modestes. » Puis il ajoute « s’il n’y a pas de toxicomane dans leur famille, il y a au moins une prostituée. » Ces propos vexatoires ne suffisent pas à décourager les aficionados, encore crédules quant aux annonces préélectorales de Gil.
Pourtant, les promesses de diversification des sources de financement disparaissent aussi vite qu’elles avaient été rédigées pour le programme électoral : les terrains en proximité du stade Vicente-Calderón sont vendus alors qu’ils devaient être aménagés en parking pour constituer une rente et l’intrigante idée de casino flottant s’évapore comme les eaux du Manzanares en plein été. Il reste malgré tout le gigantesque projet de cité sportive supposé doter l’Atlético d’un centre d’entraînement ultra-moderne et offrir aux socios un lieu dédié aux loisirs et aux sports. Et comme le scande Gil, tout cela ne relève pas de la spéculation – personne n’en doute – mais de la bonne gestion de l’Atlético dans le but de générer des revenus et recruter des cracks.
Durant l’hiver 1989-1090, Gil présente au maire de Getafe un immense programme immobilier couvrant 600 hectares et comprenant, outre la cité sportive, une zone commerciale, un complexe aquatique et des logements sociaux pour rendre acceptable cette folie. Au fil du temps, l’ambition évolue : l’emprise est diminuée de moitié mais il est envisagé d’édifier des arènes pouvant accueillir jusqu’à 50 000 spectateurs et une salle omnisports. Puis il est question d’un stade de 100 000 places pour remplacer le Vicente-Calderón, la croissance du budget semblant infinie. Cela n’affole pas Gil qui précise en mars 1991 dans le journal ABC, avec la candeur d’un premier communiant, que « l’Atlético de Madrid ne devra pas investir ne serait-ce qu’une seule peseta dans la cité sportive pour éviter que l’on pense qu’il s’agit d’une opération spéculative. » Il révèle toutefois un besoin de financement de 30 milliards de pesetas que pourraient apporter la Once (la puissante organisation des aveugles espagnols dont les kiosques distribuent les bulletins de la loterie) et de mystérieux investisseurs des Emirats arabes unis. Planifiée en septembre 1991, la pose de la première pierre n’a jamais lieu. Evidemment Gil ne réussit pas à réunir les fonds nécessaires et en habile communicant, il reporte la responsabilité de l’échec sur les élus de Getafe et de la Communauté de Madrid, ce qui lui donne l’occasion de roder son discours d’homme politique en rupture avec l’establishment, nous y reviendrons.
Des promesses fumeuses et des résultats sportifs en berne incitent Gil à ajourner les élections présidentielles prévues en 1991, inquiet de l’ouverture d’un débat public avec ses contradicteurs. Ayant pris la peine de se débarrasser des administrateurs les moins dociles, Gil convainc le board mais il faut encore obtenir l’aval des socios lors d’un vote en Assemblée générale. Contre toute logique, le gilismo bat encore son plein et l’AG entérine le report du scrutin. Confronté à des procédures en justice initiées par des peñas colchoneras contestataires, Gil bénéficie en 1992 d’une initiative providentielle du gouvernement socialiste destinée à faciliter le développement des clubs : la création du statut de Sociedad anónima deportiva[2] en remplacement du contraignant et archaïque système de socios. Il acquiert 95% des parts de l’Atlético contre une somme dérisoire, résultat d’une opération frauduleuse impliquant Enrique Cerezo (l’actuel président de l’Atlético) et des banques en relation d’affaires avec lui[3]. Désormais, Gil n’a plus de comptes à rendre à quiconque et personne ne songe à lui rappeler les propos tenus à la veille de son élection : « si le club était la propriété de quelques personnes, la passion des supporters disparaîtrait, et sans leur passion, le football perdrait tout son charme. »[4]
Marbella, paradis de béton
S’il refuse de se soumettre au vote des socios, Gil se sent prêt à batailler pour la mairie de Marbella avec un but dont il ne se cache pas : s’enrichir via l’immobilier. Il fonde le GIL, el Grupo Independiente Liberal, un groupuscule politique au service de sa seule ambition. Comme lors de sa prise de l’Atlético, il se positionne en alternative aux partis traditionnels incarnés par le PSOE et le PP, simplifiant son discours à l’extrême car « les idéologies, c’est l’alibi des poltrons et des incompétents ». Dans son programme, il est surtout fait mention de sécurité (à la fin de ses mandatures, la ville emploie 400 policiers) et d’accès à la propriété pour les Espagnols, l’axe le plus important de sa campagne. Logique pour un promoteur immobilier.
Avec deux tiers des votes, Jesús Gil s’empare de Marbella au printemps 1991 et est réélu en 1995 et 1999. Deux mots suffisent à résumer sa gestion : fraude et dissimulation. En 15 ans, la population croît de 50% et 35 000 logements sortent de terre via une interprétation toute personnelle du Plan d’occupation des sols. Quelques personnalités l’accompagnent dans ce chef d’œuvre de bétonisation dont Tomás, ancien arrière latéral international et héros colchonero.
Les liens entre la mairie de Marbella et l’Atlético ne se limitent pas au rôle de conseiller municipal de Tomás. Dès 1991, la cité balnéaire de la Costa del Sol devient le principal parraineur des Colchoneros, Marbella ornant en lettres capitales le maillot rojiblanco. Gil vient de trouver le moyen d’injecter des liquidités considérables dans un club lui appartenant, sans cohérence avec les retombées économiques d’un tel sponsoring pour Marbella dont il est le maire.
L’Atlético, des hauts et beaucoup de bas
Les espoirs nés de l’ambitieuse politique de recrutement de l’été 1987 paraissent devoir se concrétiser. A l’automne, déjà vainqueur au Camp Nou, l’Atlético de Futre balaie le Real 0-4 au Santiago-Bernabéu et s’affirme comme un sérieux candidat au titre. Une illusion car le club s’effondre durant l’hiver. Première victime d’une longue série, puisqu’on recense une quarantaine de mouvements de coachs en 16 ans de présidence (« changer d’entraîneur, c’est comme boire une bière »), Menotti est démis sans que cela n’inverse la tendance. A la fin de la saison, Gil sacrifie Arteche, idole absolue du Vicente-Calderón, Chus Landáburu, jugé trop cérébral, ou encore Quique Setién, supposément addict aux femmes de petite vertu. Dès lors, il fait de l’effectif colchonero un maelström permanent engloutissant des dizaines de joueurs, inconnus ou célébrités venues se perdre à Madrid.
Les premières années de présidence ne sont que frustrations et punchlines, parfois drôles, souvent vulgaires. Aux costumes mal coupés et cravates trop longues, il préfère désormais des chemises noires échancrées sur une volumineuse chaîne en or et n’hésite pas à poser torse nu, révélant une panse gargantuesque qui lui vaut le surnom d’El Gordo, le Gros. Cette image sans filtre joue en sa faveur et pour de nombreux Espagnols, Gil est un ogre sympa, un peu filou mais tellement amusant qu’on se réjouit de ses exubérances comme on se réjouit en France des fanfaronnades de Tapie, dans un style différent.
Personne n’est en mesure de maitriser sa communication, alors il se surpasse. L’arbitre Michel Vautrot est qualifié de maricón, le président de la Fédération Ángel María Villar de « chef de la mafia » (peut-on lui donner tort en l’occurrence ?) et les ténors de la Ligue des « monceaux de merde ». En 1997, à l’occasion des quarts de finale de la Ligue des Champions, il se sent obligé de parler de l’effectif adverse : « Les Noirs de l’Ajax… Cela ressemblait au Congo. Les Noirs sortaient de partout, comme d’une machine à churros. » Gil n’a aucune décence et fait le bonheur de médias incapables de condamner ses outrances, ne faisant qu’observer les vaines suspensions prononcées par les autorités du football.
Sur le plan sportif, l’Atlético déçoit énormément et les duels invraisemblables que se livrent Paco Buyo et Futre lors des derbys madrilènes ne suffisent pas à masquer la misère. Les Rojiblancos parviennent à conquérir deux Copas del Rey en 1991 et 1992 mais cela ne correspond pas aux promesses de Gil. Le miracle se produit en 1996 sous la responsabilité de Radomir Antić, un des deux seuls coachs avec Luis Aragonés à tenir tête à Gil. Avec Pantić, Simeone, Vizcaíno, Caminero, Kiko, Penev, l’Atlético réalise un extraordinaire doublé Copa-Liga malheureusement sans lendemain. Car après 10 ans de fureur et de magouilles, l’empire d’El Gordo commence à vaciller…
[1] Dernier titre en Liga en 1977.
[2] Equivalent de la SASP en France.
[3] Le prix de l’Atlético est estimé à plusieurs milliards de pesetas. Gil ne dispose pas des liquidités suffisantes pour l’opération. Alors il emprunte les sommes qu’il est supposé injecter dans le club en contrepartie de la propriété de l’Atlético. Dès que les formalités sont validées par les instances du football, il rembourse ses créanciers et n’injecte que 10% de la valeur des titres dans le club.
[4] Seuls le Real, le Barça, l’Athletic et Osasuna parviennent à conserver un système avec socios.
Merci Verano ! C’est vraiment une caricature ce type . Un vrai personnage de film ! Ils pourraient faire un succès énorme avec un clan Gil y Gil ( putain il a un parti à son nom le type ! ) , Berlusconi, Tapie, Bez , Rocher ( un bambin face à ses mastodondes ) et le président de l’Olympiacos dont j’ai bouffé le nom ! Un vrai clan de mafieux ! Et la liste est loin d’être complète ….
Tiens Karlo, je ne résiste pas à te mettre une video d’un énorme pain foutu par Gil lors d’une réunion de la Ligue.
https://youtu.be/-kdieivQZik?si=bnSa0HzRu7Im54uW
Ben oui, mais l’autre insulte sa mère, il ne pouvait pas laisser passer ça 🙂
ahah ça ferait une belle idée pour un top!
Goikoetxea et Arteche, hehe. Un duo de poètes.
J’adore l’Atletico, vous le savez, mais je me demande si ce sentiment de lutte contre la malchance et la souffrance et ce rôle surjoué de modeste face au gros voisin des Colchoneros (faut pas deconner, l’Atletico est le 3ème club d’Espagne depuis les années 40 et a pu se payer des stars comme Futre, Vieri, Vava…) ne découle pas des années de Gil à la présidence…
Sachant que c’est déjà la posture adoptée par Cabeza, le président de l’Atlético au début des années 1980. En lutte contre tout le monde et parano. Sans ses excès, s’il ne s’était pas mis à dos l’univers de la Liga (dont les arbitres qui ne feront aucun cadeau à l’Atléti), il n’est pas irréaliste de penser que les Colchoneros ne se seraient pas effondrés dans le sprint final pour le titre en 1981 alors qu’ils avaient fait la course en tête toute la saison.
Je te fais confiance. Je placerais les fans colchoneros sur le même plan que les fans de l’Oheme. Souvent à se plaindre, à exploser alors que le club est sixième. Ils me font toujours un peu rire les Marseillais quand ils se plaignent du pognon du PSG alors que leurs années fastes correspondent à l’époque où ils faisaient partis des plus riches du monde. A pouvoir presque s’offrir Maradona.
Des enfants gâtés, oui ! Hehe
Ce rôle de modeste, ils savent bien en jouer les coquins!
Ils en font de superbes séries de spots publicitaires : https://www.youtube.com/watch?v=sBRbH5heZbo
Oui Patxi. Comme ils avaient fait de très bonnes pubs lors de leur deux saisons en d2, au début des années 2000. Qui lancèrent el Niño Torres.
Un sentimiento comme on dirait en Argentine.
Le club de Marbella lui appartenait également.
Ah la découverte de l’Atletico de Futre, Abel ou Baltazar Maria. Un peu plus tard Schuster, Manolo et Donato…
Les prises de bec entre Buyo et Futre sont mythiques !
Caminero est le meilleur Espagnol au Mondial 94 et à l’Euro 96. Mais le coup de maître de cet Atletico 96 est d’avoir sorti Pantic d’un club grec modeste, l’OFI il me semble, pour en faire le meneur de jeu du groupe. Certainement un coup d’Antic.
D’ailleurs Antic comme Toschack, ce sont des indispensables de la Liga des années 90. Des étrangers à fort caractère, pas avares de bons mots.
Cette équipe de l’Atletico ne serait-elle pas celle qui permet aux génies d’environ 1m75 de s’épanouir, tel un Larbi Ben Barek, Hugo Sanchez, Futre ou Griezmann ? Si c’est le cas, il faudrait penser à embaucher un norvégien qui éclaire la brume londonienne et est prénommé Martin, mais dont j’ai oublié le nom de famille.
Pas trop de monde à la Gare du Nord en cette veille de long weekend ?
Odegaard a-t-il envie de revenir à Madrid ? No lo se mais en effet, l’Atleti va devoir se pencher sur la succession de Griezmann qui n’est plus tout jeune.
Odegaard à l’Atletico, après que Monsieur Zizou ne l’ait pas mis en confiance au Real, cela ne serait-il pas la réponse du berger à la bergère quand on se rappelle d’un Raul qui a du passer de l’Atletico au Real à cause de ce Monsieur Jesus Gil y Gil ?
Salut Odegaard-Du-Nord ! C’est rassurant de voir que ton gaucher norvégien a réussi à dépasser le stade des promesses. J’attends de voir ce qu’il se passe pour Endrick au Real.
Super, magnifique, merci Verano.
Tomás (Reñones), défenseur latéral droit, mais plus dur et vicieux qu’Arteche et Ruiz, était la taupe (ou l’indic) du gorille dans le vestiaire. C’est pour cela qu’il n’a jamais été invité aux matchs d’anciennes gloires de l’Atlético. Et c’est aussi pour cela (bon et loyaux services) qu’il a été nommé conseiller municipal à Marbella (et condamné à neuf mois de prison pour corruption).
Merci Bison. J’ignorais le role de Tomas au sein du groupe.
Tomas, un nom hyper familier, mais..?
Article bienvenu, ne pas hesiter.
Cette série est magique.
Merci pour cette foule de détails. Outrances et passif en etaient certes relayés en bords de mer du Nord, mais le portrait etait toujours assez vague – lacune que tu combles me concernant.
Cette photo.. j’allais sourire..puis je realise avoir à peu de choses pres le meme pif et, surtout, le meme bide desormais..
@alphabet, j’en profite : pas de La Rochelle pour bibi, pied dans le platre, je paie mon surpoids. A moins que tu ne fusses à l’hopital de Rochefort lundi pm, on ne se croisera pas..cette annee! (m’est acquis de revenir pour deux semaines l’an prochain, chouette region)