René Vignal, l’Icare du football

« Il reste d’un homme ce que donnent à songer son nom, et les œuvres qui font de ce nom un signe d’admiration, de haine ou d’indifférence. »

Paul Valéry, Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, 1894.

Depuis 2015, le terrain d’honneur – dit terrain n°2 – du complexe sportif de la Présidente à Béziers porte le nom de René Vignal. Une plaque apposée à l’entrée nous rappelle que Vignal joua deux saisons à l’AS Béziers (1942-1943 et 1958-1959), qu’en tant que gardien de but il revêtit 17 fois la tunique tricolore entre 1949 et 1954, enfin qu’il était surnommé « le gardien volant ». Sécheresse des faits, des chiffres, qui masque un destin hors du commun.

René Vignal, à l’entraînement à Béziers en 1958.

De Béziers à Paris : l’ascension sociale par le football (1926-1949)

« C’est à Paris que l’on passe ses examens, c’est à Paris que l’on soutient sa thèse et que l’on est couronné. Ou détruit. »

René Vignal, Hors jeu, 1978.

René Vignal est né en 1926, à Béziers, dans une famille « d’ouvriers aisés » (Denis Baud). C’est le deuxième de trois enfants. Adolescent turbulent, rétif à l’autorité, il était – comme il le confie en 2013 au magazine So Foot« le « Matou » […]. Celui qui ne fait que des conneries. » Il s’essaie alors à la boxe, au vélo, se passionne pour la Coupe du monde en France – en particulier pour le gardien français Di Lorto. Peu appliqué à l’école, il obtient tout de même le certificat d’études.

En 1941, alors qu’il a 15 ans, René Vignal s’inscrit à l’AS Béziers où il débute comme avant-centre. S’il est très bon dans ce rôle, il impressionne encore plus lorsque – au cours de la saison 1943-1944 – il remplace le gardien de l’équipe ayant eu maille à partir avec la gendarmerie.

A la Libération, Pierre Cazals le recrute à Toulouse et lui fait signer son premier contrat professionnel. A 18 ans, René Vignal gagne déjà plus que ses parents : 45 francs par mois, plus les primes de matchs. C’est le début d’une formidable ascension sociale par le sport. Dans la Ville rose, Vignal achète un bar rue Gambetta qu’il confie à ses parents. Il leur offre aussi une maison dans le quartier des Minimes. Il flirte avec Janine Lozes, fille unique d’un industriel toulousain et dirigeant du TFC.

En 1947, c’est le grand Racing de Paris qui lui fait un pont d’or. Alors qu’il est blessé, le club francilien offre une indemnité de transfert de 1 450 000 francs au TFC. Lucien Gamblin, dans France Football du 14 août 1947, fustige cette opération : « L’esprit de club a complètement disparu. L’argent l’a tué. On en est arrivé à citer comme un phénomène le footballeur professionnel qui a plus de cinq ans de présence dans un même club. »

Chez les Pingouins, Vignal fait partie d’une équipe offensive, mise en scène par l’entraîneur Paul Baron. Celui-ci a développé un nouveau style de football, qu’on appelle couramment le « tourbillon ». Vignal le décrit ainsi : « A l’opposé des méthodes de l’époque, qui recommandent de surveiller étroitement son opposant, de garder sa place contre vents et marées, notre entraîneur a instauré la permutation dans l’équipe, la cavalcade, une sorte de jeu des quatre coins incessant. »

C’est un style qui convient tout à fait à Vignal, qui est lui-même un acrobate qui tient difficilement en place : « Très aérien, il n’hésite pas à sauter poings levés pour détourner une balle ou à plonger directement dans les jambes de ses adversaires. Il reste rarement sur sa ligne de buts et va souvent au-devant des attaquants adverses. Ainsi, il exerce son rôle non comme un défenseur qui attend qu’on lui envoie la balle mais comme un attaquant qui va chercher le ballon, qui avance à son contact » (Denis Baud).

A Paris, René Vignal s’installe d’abord avec ses parents rue Ampère, dans le confortable 17e arrondissement. Puis, en 1949, il connaît une triple consécration : d’abord, la victoire en Coupe de France avec le Racing ; puis, le mariage avec Janine ; enfin, les premières sélections en équipe de France.

Devenu une figure médiatique importante, Vignal étrenne effectivement le maillot bleu à l’occasion d’une défaite 4 buts à 1 à Rotterdam le 23 avril. Quatre jours plus tard, le 27 avril, il garde encore les cages de l’équipe de France à Hampden Park. C’est là, devant 135 000 spectateurs électrisés, qu’il réalise la plus grande performance de sa carrière. Bien que les Français soient finalement défaits 2-0, Vignal multiplie les arrêts de grande classe et la presse britannique lui rend alors hommage en le surnommant « The flying Frenchman ». Un surnom qui le suivra toujours.

Après son mariage, Vignal s’installe avec son épouse et ses deux enfants dans un pavillon à Argenteuil. Il acquiert aussi une propriété avec terrain de tennis à Villemur-sur-Tarn.

René Vignal au massage, après une blessure, en octobre 1948.

De Paris à Toulouse : la chute (1950-1978)

« Je savourais orgueilleusement une sorte de revanche des pauvres sur les nantis. »

René Vignal, Hors jeu, 1978.

Vedette médiatique, successeur désigné de Julien Darui dans les bois de l’équipe de France, époux et père de famille, propriétaire de plusieurs biens immobiliers, René Vignal aborde les années 1950 avec une confiance sans doute bien assise.

Homme de scène, homme de spectacle, il brûle néanmoins la chandelle par les deux bouts. Terriblement orgueilleux, il veut être aimé. Il fréquente alors le Tout-Paris, fait la fête jusque tard le soir. Grisé, Vignal oublie qu’une telle hygiène de vie n’est pas compatible avec le football de haut niveau : ajoutées à son style acrobatique et dangereux, ces longues virées nocturnes favorisent les blessures et l’usure prématurée de son corps.

Depuis 1952, René Vignal s’est trouvé un comparse pour l’accompagner dans la tournée des grands-ducs : Yeso Amalfi, un Brésilien passé par São Paulo, Boca Juniors, Peñarol, Nice, le Torino, Monaco, et que le Racing vient d’embaucher. « Un personnage de légende beau et talentueux, astiqué et désinvolte », se souvient Vignal.

D’un an l’aîné de Vignal, Amalfi est le fils d’un des plus importants pharmaciens de São Paulo. Doué à l’école, il devait prendre la succession de son père. Mais, également doué pour le sport et d’esprit fantasque et aventureux, il s’oriente finalement vers le football. S’il joue, ce n’est donc pas pour l’argent, par désir d’ascension sociale ou de revanche comme Vignal ; c’est uniquement pour le plaisir.

Lorsqu’il arrive à Nice, en 1950, c’est avant tout pour découvrir la vie mondaine de la Côte-d’Azur. Il choisit ses matchs, s’entraîne quand bon lui semble. Toutefois son talent est tel que cela suffit à en faire un des maillons essentiels de l’équipe qui remporte le premier championnat de France de l’histoire du club niçois. Et sa classe est si évidente qu’il fait véritablement l’objet d’un culte, recevant les acclamations du public, faisant les quatre cents coups.

Rentré au Brésil une fois sa carrière terminée, Yeso Amalfi est revenu en France au milieu des années 1990 à l’occasion d’une réunion des anciens joueurs de Cannes, Nice et Monaco. Jean-Claude Larrieu, dans le So Foot 87 de 2011, se souvient : « Il était là, en tribune en tant qu’invité d’honneur. Puis, à la mi-temps, il est descendu sur la pelouse. Il s’est mis pieds nus et a frappé trois coups francs. Il a mis une barre et deux lucarnes. Il était en costume, et il avait bien 70 balais. C’est la première fois que je voyais un extraterrestre. »

A Paris, Vignal et Amalfi sont donc les rois de la nuit. Le Racing connaît des résultats décevants – avec même une saison en D2 en 1953-1954 – mais Vignal continue d’être appelé régulièrement en équipe de France. Il est même convoqué pour la Coupe du monde en Suisse. Néanmoins, à l’occasion d’un match de barrages d’accession à la D1, Vignal se fracture le poignet. C’est la blessure de trop. Non seulement il ne participe pas à la Coupe du monde, mais il est incapable de retrouver un niveau digne de ce nom. A 28 ans, sa carrière est déjà terminée : il y met un terme définitif après un amical à Barcelone le 17 avril 1955.

Désœuvré, Vignal continue néanmoins de sortir. Il ne peut cependant plus assumer son train de vie festif et il accumule les dettes. Sa vie familiale se délite aussi, et Janine demande le divorce.

Dès 1957, l’ancien international trempe dans une histoire de racket et est condamné pour complicité d’extorsion de fonds. Il quitte alors Paris et revient à Béziers où il achète un bar. Il reprend une licence à l’AS Béziers lors de la saison 1958-1959 et, à l’occasion d’un match de D2 contre le CAP, il rencontre son ancien compère Yeso Amalfi.

Après un passage dans le Service d’action civique du général de Gaulle, Vignal continue de fréquenter des milieux troubles et écope d’un an de prison ferme pour proxénétisme : il est incarcéré à Pau en 1967.

De 1968 à 1970, il est représentant en champagne chez Ruinart, ce qui lui permet de vivre confortablement et de faire régulièrement la tournée des bars et des boîtes. Mais, en même temps, il se lance dans une série de cambriolages. Ce n’est donc pas l’argent qui le pousse dans cette voie, mais le goût du risque, le défi, l’adrénaline que le crime lui procure : « Les risques, c’est mon soleil, mon pain et mon air à respirer. » Plus loin, il dit n’envisager les cambriolages « que sous l’angle de l’exploit purement sportif ». C’est un acte gratuit, un succédané à la pratique sportive de haut niveau, une manière de satisfaire son orgueil.

A partir de l’été 1969, donc, Vignal s’impose comme le meneur d’une bande de six cambrioleurs. Du 28 juin 1969 au 16 mai 1970, ces hommes réalisent 27 cambriolages à main armée (supermarchés, banques, PMU…). Arrêté en flagrant délit à Bordeaux, Vignal écope d’une peine de 15 années dont il ne purge finalement que huit ans. C’est à la maison d’arrêt de Muret, dans la banlieue de Toulouse, que l’ancien gardien de but est incarcéré. Sur place, il crée et anime la section football au sein de l’association sportive de la prison. Relâché en 1978, Vignal mène ensuite une retraite paisible jusqu’à son décès en 2016 (deux ans après son compère Yeso Amalfi).

René Vignal, en 1950.

Littérature

– Denis Baud, René Vignal le goal volant, 2016.
– René Vignal, Hors jeu, 1978.
So Foot, hors-série 7, hiver 2013.
So Foot, 87, juin 2011.
– Yvan Gastaut, « Yeso Amalfi (1950-1951), une vedette brésilienne à l’OGC Nice », Hommes & migrations, 2010.

Photo de couverture : Edouard Kargu, François Remetter, René Vignal, Lazare Gianessi, Lido Albanesi, André Strappe et Joseph Ujlaki dans les rues de Solna en Suède, 11 juin 1953.

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26 réflexions sur « René Vignal, l’Icare du football »

  1. C’est le gardien algerien, Ibrir, qui prit la suite de Vignal à Toulouse. Quelques sélections avec les Bleus dont celles face à la Yougoslave en qualifs pour le Mondial 1950. Ibrir sera par la suite le doyen de l’equipe du FLN.

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    1. Ibrir, héros de Toulouse lors d’une victoire en amical 1-0 à Les Corts contre le Barça en 1948 à l’époque où l’Espagne commence à s’ouvrir.
      L’administration de Franco accepte en 1949 que le Barça sorte de ses frontière et se rende à Toulouse pour une revanche, encouragée par le bon accueil de l’Atlético à Paris contre le Stade Français. Grave erreur car Toulouse est un fief de réfugiés républicains et c’est pour eux l’occasion de manifester leur hostilité au régime franquiste et en particulier au consul présent pour la rencontre. A la suite de cet affront, hors pays amis comme le Portugal, le Barça ne sort plus d’Espagne jusqu’en 1953 !

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      1. Haha. C’était pas l’idee du siècle.
        Toulouse sera finaliste du Teresa Herrera en 53. Avec Ryktonen, le meilleur joueur de l’histoire du foot toulousain, après Beto. Grosse défaite 8 à 1! Ça pique!

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    1. Sur le site, le gars s’est donne la peine pour ecrire un enorme pavé incompréhensible pour nous dire que Vignal était exceptionnel et tous les autres après lui des peintres responsables des buts qu’ils encaissent, là où Vignal étaient sans reproches. On a affaire à un possédé haha

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  2. Yeso Amalfi sacré personnage. Le mec a bien roulé sa bosse en France et choisi ses destinations entre Paris et la côte d’Azur haha.
    A Nice il a laisse des bons souvenirs, il gagne le titre non? D’ailleurs des bresiliens en D1 avant lui vous voyez qui ?

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    1. A priori, le premier brésilien à évoluer en championnat de France est Fernando Giudicelli, ex-Flu et membre de la Seleção 1930 ayant participé à la 1ere CM. Il joue à Bordeaux au milieu des années 1930.

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  3. Ben quelle vie.. On peut comprendre qu’il fût « fatigué de la vie » et « pressé de partir » (ai-je entre-temps lu aussi sur ce site cité par l’Astaire), merci!

    Et vous eûtes donc, aussi, votre Bodart : gardien intrépide et talentueux, bandit ensuite..

    1.450.000 francs en 1947, où cela se situe-t-il par rapport aux transferts-records de l’époque? Je m’y perds toujours avec vos vieux/nouveaux francs..

    The « flying Frenchman » fut-il courtisé aux Îles, comme l’avait été un prestigieux prédécesseur français?

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    1. Je ne sais pas bien comment situer cette somme, mais c’était fort important à l’époque dans le football français.
      A ma connaissance, René ne fut jamais approché par un club britannique… au contraire de son homonyme Grégory !

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  4. Félicitations, Bobby, bel article pour un gardien et un personnage hors normes auuel je ne serais bien attaqué si tu ne l’avais pas fait. Il faudra un jour faire un article sur la mémorable finale de Coupe de France 1949 lors de laquelle le « tourbillon » du Racing a fait exploser (5-2) la défense du LOSC, à l’époque le patron de la D1.

    À propos de la photo de garde, prise en 1953 en Suède, avez-vous remarqué que la voiture roule à gauche ? C’était le cas jusqu’au 3 septembre 1967, le « jour H » (H pour Högertrafikomläggningen, « réorganisation de la circulation à droite », paraît-il) qui a vu la circulation passer à droite à minuit après une gigantesque préparation… et sans une seule victime !

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  5. Merci pour l’article -juste pour que l’on sache illico de quoi il retourne lorsqu’on mentionne le SAC, je l’aurais plutôt estampillé  »de Charles Pasqua » que du Général. Le doute plane alors beaucoup moins quant à son champ d’activités…

    Pour Yeso Amalfi, je m’étonne de ne pas avoir lu dans sa bio l’anecdote qu’on m’a racontée à propos de ses débuts : son coach lui reprochait de ne pas s’entraîner comme les autres. Yeso a pris un morceau de sucre sur une table en bord de terrain où était proposé du café et il a jonglé avec le morceau de sucre : pied gauche, pied droit, genoux, cuisses, ailes de pigeon, épaules, tête, toute les parties de son corps (que la décence permettait de raconter au gosse que j’étais), le sucre ne touche pas terre pendant dix minutes et ensuite il se le reprend de volée pour le gober et tout en mâchant, il assène à son entraîneur « quand les autres sauront faire ça comme Yeso, Yeso s’entraînera comme eux » (note pour plus tard : faire un article sur les footballeurs parlant d’eux à la troisième personne)

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