Dynamo Berlin contre Zwickau, Erfurt contre Rostock, voilà des affiches qui sentent bon la guerre froide et le football vintage de l’Oberliga est-allemande. Mais nous sommes bien au XXIe siècle et c’est à Chemnitz, pas à Karl-Marx-Stadt, que le Carl Zeiss Iéna se déplace au même moment. Ce week-end marque le coup d’envoi de la Regionalliga Nordost 2023-2024, la D4 régionale allemande qui couvre au mètre carré près le territoire de l’ex-RDA. Profitons-en pour faire un petit tour des forces en présence, avec des noms qui vont mettre la larme à l’œil aux Ostalgiques ou aux petits jeunots convertis aux sirènes du socialisme.
Regionalliga, was ist das ?
Depuis la création de la 3. Liga en 2008, les trois divisions supérieures allemandes sont professionnelles et gérées directement par la DFL, la LFP allemande, sur délégation de la DFB, la Fédération. Les Regionalligen, comme leur nom l’indique, forment l’étage régional le plus élevé. Elles ont pendant longtemps servi de D2 sous les ligues supérieures régionales (Oberligen) puis sous la Bundesliga à partir de 1963 ; il y en avait alors cinq. En 1975, à la création de la 2. Bundesliga, elles ont disparu au profit d’Oberligen refondées, puis ont fait leur retour en 1994 en tant que D3. Il y en avait quatre dont la Regionalliga Nordost qui nous intéresse, administrée par la Ligue du Nord-Est (NOFV) qui reprenait en fait le territoire, les équipes, et presque tout le personnel de feue la DFV est-allemande. De 2000 à 2008, la DFB a réduit le nombre de Regionalligen à deux (Nord et Süd) pour resserrer la D3 et en élever le niveau. À la création de la 3. Liga, les Regionalligen, désormais D4, sont devenues trois, puis cinq en 2012 (Nord, West, Nordost, Südwest, et Bayern) sous la pression des grandes ligues du Nord-Est et de la Bavière désireuses de reprendre leur indépendance. La Regionalliga West vient juste de devenir professionnelle, les quatre autres sont encore « open ». Les réserves des clubs de Bundesliga et de 2. Bundesliga sont autorisées à participer, mais pas celles des clubs de 3. Liga.
La Regionalliga Nordost compte 18 clubs. Selon les années, le champion est soit directement promu en 3. Liga (ce sera le cas en 2023-2024), soit qualifié pour un barrage d’accession, suivant un système de rotation rendu nécessaire par la présence de cinq Regionalligen pour quatre montées et descentes. À ce propos, le nombre de descentes de la Regionalliga vers la NOFV-Liga, la D5, varie entre un et cinq suivant le nombre de relégués de 3. Liga qui atterrit au Nord-Est et le succès du champion en barrage d’accession. L’écart de niveau entre pros et amateurs est net, mais la lutte pour la montée est toujours serrée : rares sont les champions qui comptent moins de cinq défaites en 34 matchs. Les budgets des clubs vont de 300 000 euros à 3 millions environ ; les salaires des joueurs, de 600 à 6 500 euros mensuels(1). Ces chiffres sont comparables à ceux du National 2, la D4 française(2). On compte environ 2 300 spectateurs par match en moyenne, avec une grande variation. Neuf des 18 équipes font moins de 1 000 spectateurs par match (la lanterne rouge étant à 380), six font plus de 3 000, et deux (Rot-Weiß Erfurt et Energie Cottbus) dépassent les 5 000(3). Là, ce sont plutôt des chiffres de National 1(4).
Nombre de grandes rivalités de l’ex-RDA, comme celle entre le Dynamo Dresde et le FC Magdebourg, ont émigré vers d’autres divisions, mais il en reste de belles. Le BFC Dynamo (Dynamo Berlin), « fort » des pires hooligans de l’ex-RDA (convertis sans problème au néo-nazisme) et universellement haï en raison de son lourd passé, sème le vent mauvais où qu’il aille. Le derby Carl Zeiss Iéna-Rot-Weiß Erfurt, sur fond d’une rivalité séculaire entre les deux villes, n’est jamais anodin. Celui de Leipzig entre le Lokomotive et le Chemie, né comme un simple « eux contre nous » à l’époque de la DDR, a pris une vilaine tournure politique qui en a fait un événement à haut risque où la haine, la vraie, est palpable(5). Dans une région gangrenée par l’extrémisme des deux bords, le Chemie est devenu le club de la mouvance antifa, le Lok, refondé en 2003 par des ultras proches des néo-nazis, celui de l’extrême droite : étincelles garanties et plus si (fréquentes) affinités. Entre ces deux-là et d’autres équipes fortement marquées à gauche (Babelsberg, Berliner AK) ou à droite (BFC Dynamo, Chemnitz, Cottbus, Rostock et sa réserve nouvellement promue, Zwickau fraîchement relégué), ça se frite aussi avec une constance décourageante. Eins, zwei, Polizei : l’immortelle chanson de Mo-Do n’est pas un vain mot en Regionalliga Nordost.
Sur le terrain
Champion sortant, battu en barrage d’accession par les Bavarois d’Unterhaching, l’Energie Cottbus est le grand favori(6) à sa propre succession qui signifierait cette fois-ci la montée directe. Le groupe n’a pas perdu de forces vives au mercato, mais attention au coup de mou qui suit souvent un titre. Ce coup de mou, le BFC Dynamo l’a connu la saison passée (sixième) après son échec en barrage en 2022. L’ex-club de la Stasi a sérieusement chamboulé son effectif pour compenser (10 joueurs sur 26) et semble bien armé pour la montée. Le Carl Zeiss Iéna, vice-champion et épargné lui aussi par le mercato, aura un sérieux mot à dire, surtout avec la fin prochaine de la reconstruction de son Ernst-Abbe-Sportfeld qui en fera un petit bijou de 15 000 places pour son bouillant public.
Le Lok Leipzig, quatrième en 2022-2023, semble avoir réussi un excellent mercato et apparaît aux yeux des spécialistes comme l’outsider numéro 1. Le Rot-Weiß Erfurt, troisième l’an passé, est dans une dynamique inverse et n’a pas réellement les faveurs des pronostics. Il en va de même pour le VSG Altglienicke, cinquième à l’exercice précédent, qui semble en fin de cycle après quatre saisons à lutter pour le titre. Le FSV Zwickau, arrivé de la 3. Liga, est un cas à part. L’ex-Sachsenring, cher à Jürgen Croy, est équipé pour jouer la remontée mais risque de se voir forcé de vendre des joueurs vu sa situation financière alarmante. Enfin, le Greifswalder FC, promu la saison dernière, très bien structuré et bien géré, pourrait venir créer la surprise en haut du tableau sans toutefois espérer décrocher la lune.
Dans le ventre mou, on va trouver quelques équipes trop bien armées pour risquer la descente mais pas assez solides financièrement pour jouer la montée ; elles n’ont d’ailleurs pas demandé l’an passé à la DFB la licence nécessaire pour accéder (le cas échéant) à la 3. Liga. C’est le cas du Chemie Leipzig, un ton au-dessous du Lok côté gros sous mais (presque) pas sur le terrain ces dernières années, du Chemnitzer FC, plombé par un redressement judiciaire en cours après un accès de folie des grandeurs(7), de la réserve du Hertha Berlin(8), contente depuis un bon moment de flotter au gré des eaux de la D4, et du SV Babelsberg 03 qui a atteint la limite du potentiel que son maigre budget lui offre.
Avec cinq descentes possibles dans le pire des cas, le reste du contingent va passer son temps à regarder vers le bas. Le Berliner AK 07, étroitement lié à la communauté turque de la capitale, est en pleine tourmente avec le retrait de son principal sponsor, le départ de 20 joueurs, et la démission de toute son équipe dirigeante. Le Viktoria Berlin, qui a mal digéré sa descente de 3. Liga la saison passée (douzième), n’a pas montré de signe d’amélioration à l’intersaison. Le FSV Luckenwalde et le ZFC Meuselwitz, petits poucets abonnés aux bas-fonds, ne peuvent espérer mieux que s’en sortir ric et rac une nouvelle fois. La réserve du Hansa Rostock, nouvellement promue, a tout à prouver mais a plus de chances d’éviter la redescente que l’autre revenant, le FC Eilenburg, un pur club amateur qui n’a ni les moyens, ni l’envie de changer son mode de fonctionnement(9).
L’auteur de ces lignes, grand fan des Girondins de Bordeaux dans les années 1980, concède bien volontiers un petit faible (sportif, entendons-nous bien) pour le Lok Leipzig en mémoire des duels de 1983 et 1987 qui ont marqué l’histoire des deux clubs. Il sera là à mi-parcours pour faire le point, puis au printemps 2024 pour tirer le bilan d’une saison qui s’annonce aussi indécise, aussi riche en bières et saucisses à la mi-temps dans le vent glacial de l’hiver poméranien, et, on l’espère, un peu moins saignante autour des terrains que ses devancières. Et maintenant, los, auf geht’s, Anpfiff !
Références :
(1) https://www.chemischeselement.de/nofv-regionalliga-nordost-profi-gehaelter-in-der-amateurliga/
(2) https://footamateur.ouest-france.fr/dossier-dncg-2-budgets-stagnent-resultats-nets-en-chute-libre/
(4) https://www.transfermarkt.fr/championnat-national/besucherzahlen/wettbewerb/FR3/saison_id/2022
(5) https://www.vice.com/en/article/yp7yzm/fear-and-loathing-in-the-regionalliga-nordost
(8) En fait les U23 du club, selon l’usage en Allemagne pour les deuxièmes équipes, et comme pour le Hansa Rostock à voir plus bas.
(9) https://www.kicker.de/die-feierabend-fussballer-aus-eilenburg-mischen-wieder-mit-960038/artikel
Merci pour le panorama! A noter que le Viktoria Berlin a ete deux fois champion d’Allemagne.
Je ne m’étais jamais posé la question de l’origine de ce nom, Carl Zeiss Iéna, cet article m’a donné l’occasion de comprendre qu’il s’agit d’un club patronné à ses débuts par un industriel.
Moi j’ai l’impression de l’avoir toujours su :), et pour cause (bizarre) : mon père, qui pourtant n’avait aucun atome crochu avec ce secteur d’activités, parlait çà et là de la précision des instruments d’optique Carl Zeiss. Même délire avec des mécanismes de roulements à billes, toujours une société est-allemande : « ils (qui??) sont au top, blablabla »…………. Jamais pigé cette obsession de la haute-technologie est-allemande!, peut-être nos médias en avaient-ils fait des tonnes dans les années 60, en mode « le péril est-allemand »???
Beaucoup de noms connus dans cette D4 régionale. Mais que dire de la D2 allemande! Sinon çà et là en Angleterre (où ce fut des décennies durant « marche ou crève »), je n’ai pas souvenir d’une division inférieure à ce point dotée en clubs prestigieux en Europe de l’Ouest.
Les médias n’en faisaient pas des tonnes. Les années 60, c’était juste avant l’explosion de l’industrie japonaise. À cette époque, seuls les Allemands pouvaient rivaliser avec les USA pour l’électronique et les produits finis un peu compliqués. Ceux de l’Est aussi : on trouve encore sur Internet des photos des premiers circuits intégrés et puces Carl Zeiss (tiens, tiens…). Dans le même genre, un peu plus tard, l’éphémère domaine Internet .dd de la RDA a été utilisé par l’université d’Iéna pour un embryon de réseau local juste avant la réunification.
Je suis d’assez près la 2. BL et ses nombreux clubs historiques (Eintracht Brunswick, Hanovre 96, HSV, Fortuna Düsseldorf, Kaiserslautern, Magdeborg, Nuremberg, Hansa Rostock, St. Pauli), renforcés cette saison par Schalke 04 et le Hertha Berlin. À mon sens, la seule deuxième division qui lui fait de l’ombre dans le monde est la Championship anglaise. Il me semble avoir lu que celle-ci est quelque chose comme la dixième ligue de football pro du monde en termes de revenus…
Exact. Et l’une des plus castardes aussi en termes d’affluence. Mais en Angleterre c’est peu ou prou de décennie en décennie qu’on put/peut retrouver aussi massivement de grands noms en divisions inférieures, scène absolument impitoyable.. Pour ça que je l’appréciai tant jadis, sans compter que le niveau était très ténu entre cadors de D1 et bonnes équipes de D2, quelle densité ils connurent..
Et ça donnerait quoi, les pronostics en 2.BL pour cette année?
Salut Gaston. Ta question tombe à pic, on publie une présentation de Rwano de la d2 allemande. Bonne lecture!
Super intéressant ! J’ai eu l’impression de revenir au temps de la DDR, des coupes mulets et des joueurs jouant tous en Adidas noires, sans fioritures.
Le club d’ex-RDA Carl Zeiss Iéna m’a rappelé l’épopée du SECB de 78, où les allemands en avaient pris 7 à Furiani.
Que restent-ils aujourd’hui de ces clubs d’ex-RDA d’ailleurs ?
Réponse dans un article à paraître le 9 novembre, anniversaire de l’ouverture du mur de Berlin.