Au tournant des années 1990, les Milan – Sampdoria sont des rencontres au sommet opposant le style géométrique d’Arrigo Sacchi au pragmatisme rusé de Vujadin Boškov. Lors de ces matches, les duels entre Pietro Vierchowod, alias le Tsar, et Marco van Basten, Rudolf Noureev selon Berlusconi, sont des moments de bravoure.
Tout démarre en mai 1989, après la défaite de la Sampdoria face au Barça en finale de Coupe d’Europe des vainqueurs de Coupe[1]. Dans le rôle de l’incendiaire, Ruud Gullit dont les propos sont repris par la presse. Selon lui, la Sampdoria a perdu car « elle a manqué de cœur ».
Ses commentaires résonnent dans la tête de Vierchowod quand la Samp accueille Milan le 14 mai. Il ne devrait pourtant pas se sentir visé puisqu’il n’a pas disputé la finale européenne en raison d’une suspension. Il pourrait en outre choisir de répliquer par médias interposés mais il ne dispose pas des qualités oratoires de Gullit-Démosthène. Aux bavardages, il privilégie l’action. Mais cette grande gueule de Gullit n’est pas du déplacement, il ne peut même pas lui régler son compte.
Alors le Tsar cible van Basten, un adversaire à sa mesure dont les chevilles ne sont pas encore celles d’un vieillard cacochyme. Il lui impose un marquage barbare en multipliant les fautes plus ou moins grossières, plus ou moins sanctionnées[2]. Le match s’achève sur un score de parité (1-1) et Sacchi commente les assauts de Vierchowod avec fatalisme : « je m’y attendais, Gullit n’était pas là et quelqu’un devait payer pour ses propos ». En toute fin d’année 1989, bis repetita, Vierchowod éteint à sa manière le Batave et inscrit même un but pour la Sampdoria.
La suite a lieu en février 1990 quand l’Italie se déplace à Rotterdam pour disputer une rencontre amicale face au Pays-Bas. Au marquage de van Basten, Vierchowod se comporte en despote (0-0 score final). Pour cette rencontre, Gullit est encore blessé mais cela ne l’empêche pas de produire sa chronique habituelle pour le Telegraaf. Cette fois-ci, son papier vise directement Vierchowod, l’accusant d’avoir massacré van Basten et d’avoir agi comme un boucher lors du dernier match de championnat entre la Sampdoria et Milan. Les mots sont durs, destinés à agir sur les tifosi comme une harangue guerrière de Démosthène. Evidemment, l’article fait grand bruit en Italie et Vierchowod répond qu’il confie sa défense à son avocat.
Quand les Rossoneri reçoivent les Blucerchiati en avril 1990, la tension atteint des seuils inédits entre ces deux équipes, les propos urticants de la Tulipe Noire étant présents dans tous les esprits. Le pyromane Gullit est rétabli mais Sacchi reporte son retour à la compétition à la semaine suivante, sage précaution. Van Basten sait qu’il va à nouveau trinquer et évoque sa frustration sportive face au stoppeur italien : « j’ai déjà marqué face à la Samp lors de la Supercoupe d’Italie l’an passé. Mais c’était sur pénalty alors que Vierchowod avait été remplacé ». Tout au long du match, le public de San Siro teste la ductilité du Tsar en l’insultant et en le sifflant continuellement. Peine perdue, ses nerfs de soldats ne rompent pas et son marquage grossier rappelle que son jeu n’a jamais reposé sur la déférence, encore moins sur l’affèterie. Les corps à corps imposés à van Basten par Vierchowod font penser à l’accouplement forcé du bien et du mal. Une allégorie non dénuée de sens tant le grand numéro 9 aux allures parfois précieuses paraît prendre du plaisir dans ces joutes viriles. Jeté à terre à plusieurs reprises, il se relève à chaque fois pour se frotter à son adversaire, n’hésitant pas à distribuer quelques coups quand l’occasion se présente. Du plaisir, peut-être, mais sans orgasme car encore une fois, van Basten reste muet (1-0, Massaro inscrit le seul but de la rencontre en faveur de Milan).
Pour le Sampdoria – Milan de novembre 1991, Marco est initialement suspendu à la suite d’une expulsion face à la Roma. Blanchi par la commission de discipline[3], sa présence ressemble bien plus à une mesure sacrificielle qu’à une grâce. Le Néerlandais et le champion du monde 1982 se chauffent, comme prévu. Après la rencontre, ignorant les érythèmes marbrant sa peau, van Basten déclare avec élégance que « le duel avec Vierchowod a été comme toujours brûlant. Après ma requalification, je savais que j’allais en payer le prix ». A la différence de Gullit, van Basten ne ressent pas le besoin de criminaliser le jeu de Vierchowod même s’il demeure désespérément atone face à lui.
Le duel dure jusqu’en 1993 et en six saisons de Serie A, de 1987 à 1993, Marco van Basten n’inscrit qu’un but à la Sampdoria en présence de Vierchowod et, ce jour-là, les Blucerchiati jouent à dix. Quant à Ruud Gullit, il signe à Gênes en 1993, et étonnamment, son appréciation du Tsar s’affine, abandonnant les habits du contempteur pour ceux du thuriféraire. Dans son livre « How to watch football », il écrit « Vierchowod de la Sampdoria est l’un des meilleurs défenseurs que j’aie connus. Demandez à Van Basten ce qu’il pense de lui. Marco n’a réussi à se défaire de son marquage qu’une seule fois quand nous avons joué contre ce défenseur. C’était un tir chanceux, qui s’est transformé en but après que le ballon a rebondi sur le poteau. Marco n’avait plus qu’à pousser le ballon au fond des filets ».
[1] 2-0 en faveur du FC Barcelone.
[2] Sur une poussette de Vierchowod, Van Basten réclame vainement un pénalty.
[3] Expulsé par erreur contre la Roma (Aldo Serena aurait dû l’être), il est blanchi par la commission de discipline.
Sacré titre ! Bien trouvé, très accrocheur.
Encore un bel article, equilibré sur le fond, riche sur la forme (j’y apprends deux mots!)..
J’ai suivi cette epoque live, bon an mal an la Samp m’impressionnait bien plus que l’AC, je realisais evidemment la qualite de Vierchowood..mais pas à sa juste mesure assurement, car j’avais surtout l’oeil happé par le trident Vialli-Mancini-Lombardo, et merci donc de rendre justice ici au « vieux » Vierchowood (à l’instar de Ferrara, je l’ai toujours pris pour plus vieux qu’il n’etait).
Van Basten, je ne suis de ses zelateurs, tout ce culte, au secours.. ceci dit voilà qui me conforte dans mon appreciation plutot favorable de son caractere.
Super titre, en effet.
Et remarquablement écrit, oui.
Un point de vue fort intéressant.
Merci, don Verano !
Vierchowod, j’avoue être passé à côté à l’époque. Peut-être à cause de son style un peu bordélique sur un terrain. Je sais que cette Samp a ses cotés sombres mais perso, je l’adorais.
Pareil : pas dupe pour un sou, en termes d’à cotés pas meme sûr que ca vaille mieux que Parma, mais c’etait rafraichissant pour un club italien, tonique.. + le « business-plan », deja abordé par Verano??, relancer des vieux au milieu de jeunes hyper talentueux.. ==> equation formidable.
C’est aussi la seule equipe que j’aie vu dominer le « grand Malines » en 3-4 ans (l’AC de Sacchi ne put absolument pas en dire autant). Irresistibles.
Et pareil en finale de C2 90 contre un tres bon Anderlecht (mais inexistant), et que dire de cette defaite contre le cours du jeu en finale de C1 92.. Pour moi le grand club italien du tournant des 90’s.
La rencontre Samp-Barça 89, en finale de c2, une des premières finales européennes que j’ai vues. Souvenir d’une interview de Victor dans France Football qui retrouvait le club catalan. Victor, il aimait bien mettre des taquets mais était pas mauvais. Et ce maillot de la Samp, un de mes préférés…
Et même dans les années 80, Souness, Briegel, Brady, Francis… Quelques étrangers bien sympas à la Samp.
En effet. Sur les grands noms du calcio 90s décédés (trop) jeunes ces dernières années, la Samp est le point commun entre Vialli et Mihajlovic.
Ces clubs outsiders ont sans doute eu recours à des méthodes douteuses avec les grands. Histoire vue dans d’autres sports en Italie à l’époque où les sulfureux Dr Conconi et Ferrari mettent en application leurs protocoles chez ceux prêts à prendre le risque. Parallèlement, c’était plus compliqué pour leurs joueurs de se faire une place en nazionale vs des joueurs de Milan, Juve ou Inter. Ferri meilleur que Vierchowod: pas convaincu (et je suis interiste). Vialli et Mancini sont les premiers à sauter en 1990 pour laisser leur place à Schilaci et Baggio (qui n’aurait peut être pas eu carte blanche sans son récent transfert à la Juve). Pagliuca devient réellement titulaire quand il rejoint l’Inter, auparavant il était barré par Zenga… son prédecesseur à l’Inter. Idem ensuite pour des Zola ou Signori qui compteraient sans doute plus de sélections s’ils avaient rejoint le bon club.
Attilio Lombardo, que j’aimais beaucoup, était une caricature, une créature produite par la pharmacopée. Il faisait d’incessants allers retours sur le flanc droit sans jamais être fatigué.
En cherchant desesperement une info concernant Crystal Palace, pour mon chapitre consacré aux granges de Sydenham, je m’etais surpris à lire et rerelire que Lombardo figurait dans le..11 all-time de ce club!
Et ce apres 2 saisons pas toujours fructueuses sur le plan collectif ; de quoi rester quand meme vachement perplexe, c’est tellement symptomatique des primes annees-PL, bref..??
@khia la série A c était quelque chose dans les années 80
Platini, Maradona , Scifo,, Falcao, Brady, Zico, Prohaska, Junior, Rummenigee , elkjaer Larsen , Cerezo , les champions du monde italiens de 1982 entre autres … que des stars jamais un championnat n’a eu autant de joueurs fantastiques
Age d’or des 10..et grosso merdo les cracks à ce registre ont tous (ou pas bien loin) abouti dans ce Calcio à 2-3 etrangers max/ecurie, c’est costaud.
Il aura manqué qui? Hoddle, 2-3 autres aussi sans doute mais on aurait vite fait le tour.
On parle de la Premier League mais je ne retrouve pas cette profusion de talents, c’est évident.
Susic ( suis je objectif?? 😀😀) et Giresse
Ben je pensais aussi à Giresse, Valderrama..un Susic aussi bien sûr. Et meme un Ceulemans : longtemps prioritaire dans la shortlist de Milan, et meneur de jeu à ses heures (mais dans un style panzer, euphemisme).
Puis rebelote dans les 90’s : là encore, le Calcio les verra quasi tous passer.
Debut 80’s, c’est tres clair: le focus premier à rouverture des frontieres fut resolument mis là-dessus : les creatifs, patrons.. un p’tit côté « pillage de cerveaux »?? Le fait est que le Calcio reclamait alors un sacré imput d’idees.
L’ami Susic avait signé un double contrat avec le PSG et le Torino.
Mea-culpa. Susic signe un double contrat avec l’Inter et le Toro. Paris profitera de cette erreur.
Il a joué en 82, Vierchowod ?
Niet, remplaçant. Et son père était en effet un soldat soviétique (ukrainien) prisonnier en Italie, où il est resté après sa libération.
L’histoire du père de Vierchowod, c’est quoi exactement ? Un soldat prisonnier en Italie comme l’Allemand Trautmann en Angleterre ?
sympa cet article on pourrait faire un copié collé avec le duel Diego Gentile en 82 mais ce n’est que sur un match il est vrai!
grand fan du cygne d’Utrecht ses pauvres chevilles n’ont pas supporté le traitement infligé par les défenseurs de série A!
effectivement je découvre la Samp sur cette saison 89 avant la finale, jeu club coach joueurs rafraichissants et maillot mythique évidement! forcément pour le club italien en finale
Chevilles foutues ab ovo, une constitution de cristal..puis une vilaine blessure aux Pays-Bas, à compter de laquelle son pere comprit aussitot que la carriere du Marco ne ferait long feu..puis le staff d’Ajax qui ne le laissa suffisamment se remettre.. ==> dès son arrivee dans le Calcio, ce n’etait deja plus qu’une question de temps, au pire Boli et d’autres n’ont guere fait qu’accelerer l’ineluctable.
Y a tout un mythe (berlusconien) qui me braque car il en a bien profité, le BO92, des affinités « politiques » intra-NL aussi..mais l’un dans l’autre je crois que c’est vraiment quelqu’un de plutôt estimable.
Excellent article sur un protagoniste de cette série A des années 90 concentrant tant de talents. A propos de Vierchowod, Pagliuca, si ma mémoire ne me joue pas des tours, disait qu’il était assurément un très grand défenseur mais pouvait se montrer très cassant voire insupportable avec son dernier rempart. Apparemment, Vierchowod était du genre à sortir un « qu’est-ce tu fous? » ou « Tu pouvais pas faire mieux? »après un but encaissé.
Marrant qu’il ai voulu venger les propos de Gullit au travers de Van Basten. Cela dit je trouve le batave beau joueur pour le coup !
Viechowod je ne connaissais pas avant de me pencher sur l’histoire du Como calcio où il a débuté en pro. Il aura loupé Tardelli d’un an il me semble. Ça me fait penser, il y a pas eu un joueur italien à succès qui lui était d’origine polonaise ? Ou je mélange ?
J’avais rapporté une histoire de cet acabit ici : comment, tout au long de leur parcours commun sous les couleurs de Leeds, le fort teigneux et controversé Bremner se faisait systematiquement fort de sur-chatouiller (une premiere nature, chez lui) les chevilles des joueurs adverses qui avaient eu le malheur de harceler racialement son equipier noir Johanesson. Et il le fit pendant des annees!
Je ne vois pas… Dybala est d’origine polonaise mais il est Argentin.
Propre la petite référence au grand Rudolf ! 🙂
Le Tsar Pietro, qui a connu une très longue et prolifique carrière en club, finissant en 2000 à 41 ans, a connu une histoire avec la sélection italienne un peu plus contrastée.
45 sélections entre 1981 et 1993 : champion du monde 82 mais sans jouer de match (une blessure à la cheville non résorbée) puis une absence de 4 ans entre 1986 – juste après l’élimination en 8èmes de finale du mondial 86 – et 1990 ; un Mondiale à domicile disputé dans la peau d’un remplaçant, où Ferri lui est préféré. Sacchi le rappelle ensuite pour terminer les éliminatoires de la coupe du monde 1994.
Coupe du monde qu’il ne jouera pas car il ne souhaitait pas être cantonné à un rôle de réserviste, devant espérer une potentielle blessure d’un coéquipier. Et on connait l’histoire de Franco Baresi et de sa blessure…
Je me demandais s’il avait joué un rôle important en sélection car je n’ai aucun souvenir de ce joueur sous le maillot de la sélection. Tu réponds à mon interrogation. Bon, il avait aussi une énorme concurrence à son poste. Aujourd’hui, ce serait certainement un pilier de la sélection. Sans tomber dans le » c’était mieux avant », peu de joueurs actuels du XI italien pourraient prétendre à une place de titulaire dans une des équipes des décennies 90 ou 2000. Leur victoire lors de l’euro 2021 est un peu en trompe-l-oeil.
Qui plus est, les années 80-90 étaient extrêmement compétitives en défense pour l’équipe d’Italie. À titre de comparaison, l’immense Mauro Tassoti n’a joué que 8 matchs sous le maillot de la sélection italienne, débutant en équipe nationale à 32 ans…