Il y a un siècle, la ville de Tsaritsyne changeait de nom : il fallait maintenant l’appeler Stalingrad. C’est sous ce nom que la cité rentrera dans l’histoire, à travers l’une des batailles les plus meurtrières de la Seconde Guerre mondiale. La première cible de la Wehrmacht est l’usine de tracteurs Dzerjinski, reconvertie dès 1932 dans la fabrication de chars. Dans un premier temps, ce sont les légers T-26 qui sortent des ateliers mais à partir de 1940, les Allemands découvrent le T-34, dont la légende continue à alimenter les discussions 80 ans plus tard.

Ces chars mythiques étaient liés au Traktor Stalingrad, le nom durant la Grande Guerre patriotique du Rotor Volgograd d’aujourd’hui. Le Traktor, alors club de l’usine Dzerjinski, connaît des périodes de succès modérés, finissant quatrième du championnat soviétique en 1939 dans une année marquée par des nombreux retournements de situation, et des périodes plus creuses, alternant entre D1 et D2 durant toute l’ère soviétique. Déstalinisation oblige, la ville devient Volgograd en 1961.
La dislocation de l’URSS permet au Rotor de prendre une place de choix dans le nouveau championnat russe, en tant que principal adversaire de l’intouchable Spartak Moscou pour le titre. Deuxième en 1993 puis quatrième en 1994, troisième en 1996, et à nouveau dauphin du Spartak en 1997, le Rotor chute après cette dernière place d’honneur, jouant le milieu de tableau voire le maintien jusqu’en 2004 où le club termine dernier du championnat. C’est la fin du club bleu et cyan, dont les finances ne lui permettent pas de conserver sa licence professionnelle.
Depuis 2005, la réserve du club a remplacé le Rotor mais, là encore, la gabegie financière du club a fait disparaître celle-ci en 2015. Depuis une décennie, un nouveau Rotor est né, réussissant même à remonter en première division en 2020, hélas pour une saison seulement. Le club est actuellement en deuxième division russe, tentant de survivre.
Mais ne finissons pas sur cette note triste et rappelons-nous plutôt de ce qui fut l’une des pages les plus glorieuses de l’histoire du club.
Manchester United, colosse aux pieds d’argile continentaux
Nous sommes en septembre 1995, le championnat approche de sa fin, le Spartak-Alania Vladikavkaz, à la surprise générale, semble en route pour remporter un titre hautement improbable, et le Rotor est englué en milieu de tableau, à se battre pour participer à la Coupe Intertoto.
Le tirage au sort de la Coupe UEFA a offert au Rotor un cadeau empoisonné : Manchester United et ses joueurs mondialement connus, Peter Schmeichel, Roy Keane, Ryan Giggs, ou Andy Cole. Ces derniers ont en effet terminé deuxièmes de Premier League : incapables de vaincre West Ham lors de l’ultime journée, ils finissent à un point des Blackburn Rovers. Adieu la C1, qui n’a pas encore adopté son mode actuel de qualification élargie, et bonjour la C3.
Néanmoins, si le David de la Volga est opposé au Goliath de l’Irwell, ce dernier souffre d’une différence de niveau très regrettable entre le championnat anglais et la Coupe d’Europe.
Depuis la victoire en Coupe des Coupes 1991 face au Barça, les Red Devils se sont fait assommer par l’Atletico de Futre et Schuster puis lamentablement sortir par le Torpedo Moscou, Galatasaray, et Göteborg. Si ce n’est pour le modeste Kispest Honvéd, la dernière victoire à l’extérieur date d’avril 1991, à Varsovie.
C’est donc le 12 septembre 1995, au Tsentralnyi Stadion de Volgograd, que les locaux accueillent le mastodonte anglais. Les deux équipes se créent de belles occasions qui ne terminent pas au fond, le match se termine donc sur un 0-0 qui fait les affaires des Anglais, sûrs d’imposer leur supériorité chez eux.
26 septembre 1995, ultime match avant le retour de suspension du King Éric Cantona. Old Trafford sonne plus que creux, moins de 30 000 personnes ayant pris un billet pour ce match.
On s’attend à voir les Mancuniens dominer, mais dès le départ, les Russes semblent bien plus toniques. On joue la seizième minute et Vladimir Niederhaus se joue habilement de Kanchelskis avant de passer à Aleksandr Zernov. Ce dernier réalise le une-deux et toute la défense anglaise se retrouve mise sens dessus dessous. Niederhaus n’a plus qu’à marquer dans le but vide et le Rotor crée la surprise.
Huit minutes plus tard, une passe trop appuyée de David Beckham pour Steve Bruce rebondit sur le défenseur anglais, le ballon est perdu, et Oleg Veretennikov tente sa chance en dehors de la surface. Sa superbe frappe bat Schmeichel et touche le poteau avant de rentrer. On est à la vingt-quatrième minute de jeu et le Rotor Volgograd mène 2-0 à Old Trafford !
Paul Scholes réduit le score à l’heure de jeu avant qu’un corner à la dernière seconde ne permette à Peter Schmeichel, monté, de marquer l’unique but de sa carrière sous le maillot des Red Devils.

L’honneur de United est sauf, ce cauchemar ne finira pas en défaite. Malgré tout, la règle des buts à l’extérieur permet aux hommes de Viktor Prokopenko de se qualifier pour le second tour.
Opposés aux Girondins de Bordeaux, ils ne réaliseront pas un nouveau miracle. Si Niederhaus ouvre le score à Lescure, Franck Histilloles puis Sylvain Wiltord retourneront le score. En Russie, Anthony Bancarel marquera l’unique but de la rencontre pour assurer la qualification des Marine et Blanc qui iront jusqu’en finale, dans un parcours resté légendaire.

Pour Alex Ferguson et ses hommes, cette élimination n’était qu’un détail dans une saison qui se terminerait sur un doublé Coupe-Championnat, amorçant une nouvelle ère remplie de succès.

Une version de David contre Goliath autant méconnu que comme je les aime. Merci Alpha.
Je n’en avais aucun souvenir, probablement parce que leurs déconvenues ne manquèrent pas comme tu l’écris..et merci donc!
On ne peut pas accabler Cantona sur le coup, il était absent..mais il était quand même souvent « absent » en Coupes d’Europe, à un moment on peut parler de plafond de verre je crois. Et je tiens les Pallister et Irwin en haute estime, mais les défenses anglaises et continentales c’était vraiment pas la même chanson à l’époque.
A la bourre……………… ==> Un lien-vidéo à proposer peut-être?
Le retour des Anglais en c1, quelle cata… Leeds éliminé par Stuttgart avant les poules. United et Arsenal, idem. Respectivement par Galatasaray et Benfica. Blackburn ignole pour son unique participation. Y avait un véritable fossé entre l’image que la Premier League essayait de faire passer et la réalité.
https://m.youtube.com/watch?v=jW-iWCCClrA&pp=ygUMVW5pdGVkIHJvdG9y
Il y a du boulot dans cet article !
Respect !
Je ne voyais cette saison uefa qu’à travers le prisme des Gigis , ce n’est plus le cas !
Torpedo Moscou, mon club moscovite préféré. Je sais, je fais un peu mon frimeur sur ce coup. Hehe. Ça fait bien longtemps qu’il n’est plus compétitif.
C’est pas lors d’un amical contre le Torpedo que Cantona avait balancé son maillot de l’OM ?
Je rebondis sur le post d’Alex : Canto, excellent dans un championnat anglais qui était au fond du trou après les sanctions de 1985. Et comme le mentionne Alex, inexistant la plupart du temps en Coupe d’Europe. Il a su exploiter le filon anglais en pionnier, bravo à lui. Pour le reste, superbe produit marketing. Il y avait eu ce dialogue surréaliste avec Maradona sous l’égide de Roustan pour le syndicat mondial des joueurs mais le top du top, c’est cette rencontre organisée par je ne sais quel canard avec Mickey Rourke. Le rebelle, comme un petit garçon, avec Rourke qui n’en avait rien à foutre.
Diego et Canto sont les champions du paradoxe. Un anticapitaliste qui fait des pubs pour un site de paris. Ça devait donner les discussions politiques entre les deux.
C’est marrant que tu dises ça, il y a eu un Torpedo-Rotor en D2 dimanche dernier.
Victoire 1-0 du Rotor à Moscou !
Un an avant le Real de Laudrup et Zamorano se faisait éliminer par Odense ! Un Real qui allait coller un 5-0 au Barça de Cruyff. On risque plus de vivre ces événements.
Un an avant cette manita du Real, il y a aussi celle du Barca (de Laudrup pur le coup) ! Avec la fameuse ‘Cola de vaca » de Romario sur Rocha. Belle époque effectivement !
La victoire en c2 91 face au Barça, c’est la revanche de Mark Hugues. Lui qui était passé furtivement en Catalogne. J’aimais beaucoup ce joueur.
Merci alpha ! Si je dis pas de bêtise , Volgograd était une des villes hôtes de la CDM 2018 ayant obtenu un nouveau stade. Joli cadeau pour un club alors en D2… J’imagine que c’est la position occidentale de la ville qui a dû jouer ?
Il y a sans doute eu un peu de propagande aussi dans la décision. Faire jouer à Volgograd, c’était y faire venir des dizaines de milliers de visiteurs dont beaucoup en auraient profité pour visiter le mémorial de la bataille de Stalingrad, recevant ainsi le message selon lequel la Russie (ne soyons pas trop regardants sur son régime de l’époque) était finalement dans le même camp que le reste de l’Europe « quand ça comptait ». Évidemment, c’était avant l’Ukraine…
Merci pour cet article !
C’est vrai que la première League n’était pas très excitante à regarder. En tout cas, elle était en retard par rapport aux autres championnats. Le Manchester de Canto nous a été un peu « survendu » par les médias français (comme Arsenal par la suite), aussi on était régulièrement déçu lors des soirées européennes. J’avais une tendresse pour cette équipe mais j’ai toujours été étonné de voir autant de joueurs en surpoids (mm notre Eric national).
Petite précision, Wiltord arrivera plus tardivement aux Girondins. Cette année là (95/96), le club fera le « grand tour », en passant par toutes les contrées européennes, avant d’atteindre la finale de la C3.