Pour tout l’or du Nouveau Monde – 1re partie : le vestiaire de Murcie

Paris 2024 a enfin démarré. On espère des exploits et une belle moisson de médailles de nos Bleus, qu’on entende parler de ceux-ci tous les jours ou tous les quatre ans. Là où les escrimeurs, les judokas, ou les handballeurs sont souvent à la fête, les footballeurs tricolores n’ont que rarement brillé sous les anneaux du baron de Coubertin. Ce début des Jeux est l’occasion rêvée de revenir sur la plus belle page olympique du ballon rond national : l’épopée de 1984, du fin fond d’un vestiaire de D2 espagnole aux paillettes de Los Angeles. Plus vite, plus haut, plus fort… c’est parti !

C’est sur Téléfoot, un dimanche tranquille de mars 1983, que la France du football redécouvre sa sélection olympique et comprend la belle occasion qui lui tend les bras, à seize mois de la grande fête qui se profile à Los Angeles. Le reporter – était-ce Didier Roustan ou un tout jeune Frédéric Jaillant ? – vient de résumer avec brio les péripéties d’un éprouvant déplacement en Espagne, première étape sur la route des Jeux. Un frémissement est né dans l’opinion et va accompagner ces mini-Bleus jusqu’au bout d’un fabuleux parcours.

L’occasion est belle, effectivement. Lassé du triste spectacle 100% « amateur », où les mêmes sélections A peuplées de fonctionnaires bidon des pays de l’Est se disputent toujours l’or après avoir taillé en pièces de vraies équipes nationales amateur à peine dignes de la D3, le CIO a tranché dans le vif. Les Jeux de la XXIIIe Olympiade seront ouverts aux footballeurs professionnels, sous des conditions qui respectent l’accord passé avec la FIFA de ne pas disputer la primauté à la Coupe du monde. Les Européens et les Sud-Américains ne pourront aligner que des joueurs n’ayant jamais joué en phase finale de Coupe du monde[1], sans limite d’âge. Les autres continents auront libre choix.

La FFF a abordé l’affaire intelligemment. Elle a placé sur le banc Henri Michel, l’adjoint de Michel Hidalgo chez les A, pour le mettre en situation dans l’optique du passage de témoin après l’Euro 84. Elle a tenu en réserve des « vrais » Bleus de grands espoirs (William Ayache, Jean-Marc Ferreri) ou d’excellents joueurs aux portes de la sélection (Guy Lacombe, Albert Rust) afin de préserver leur éligibilité olympique. Les poids lourds de l’Ouest, Britanniques exceptés[2], jouent eux aussi le jeu et font de ces qualifications un véritable tournoi A’ digne d’intérêt. Comme la France, pays organisateur de l’Euro 84, ne dispute pas les éliminatoires de celui-ci, les Olympiques ont la voie libre pour capter l’attention du public.

L’Europe se dispute quatre places, en plus de celle réservée à la Tchécoslovaquie championne en titre. Le format des qualifications est du genre baroque ; les Bleus sont ainsi versés dans la poule B du groupe 4 avec l’Espagne et la Belgique. Le vainqueur affrontera celui de la poule A (Israël, Portugal, RFA) en barrage aller-retour pour l’un des précieux sésames.

Voilà comment les Tricolores se retrouvent à La Condomina de Murcie, le mercredi 23 mars 1983, pour entamer leur parcours face à des Espagnols qui font figure d’épouvantail. C’est pourtant l’époque où la Roja est encore une éternelle déception dans les grands tournois, mais la RFEF joue la chance des Jeux à fond pour dorer son blason. Elle a nommé Miguel Muñoz, le sélectionneur des A, à la tête des Olympiques. Celui-ci a puisé sans vergogne dans son vivier des qualifications pour l’Euro 84. Quinze jours avant d’affronter les Bleus, l’Espagne a ramené un solide match nul de Belgique (1-1) dans ce mini-groupe où chaque point est vital.

À Murcie, elle aligne Buyo – Juan José, Serna, Álvarez, Julio Alberto – Víctor, Francisco, Roberto, Marcos – Rincón, Carrasco : du beau monde, surtout devant. En face, Henri Michel s’est fourni en bons crus de la Division 1 avec Rust – Thouvenel, Jeannol, Pilorget, Ayache – Lemoult, Touré, Rubio, Zanon – Bureau, Xuereb. Pas mal non plus, mais un ton en dessous de l’adversaire sur le papier.

Les ennuis pointent à l’horizon depuis plusieurs jours déjà. La demande de billets a été beaucoup plus importante que prévu. Il est clair que le vétuste stade du Real Murcie, construit en 1924 et à peine entretenu pour un club qui se traîne depuis des lustres en Segunda División, n’est pas à la hauteur de l’événement, mais la Fédération fait la sourde oreille à toutes les inquiétudes. Le soir du match, les tribunes sont pleines et un bon millier de fans dépourvus de billets fait le siège des guichets. Le coup d’envoi approche, la fièvre monte, et les passions finissent par déborder : la foule force les portes et vient carrément s’installer dans l’aire de jeu, derrière les buts et le long des lignes de touche. Les joueurs qui s’échauffaient ont à peine le temps de se replier vers le tunnel.

En vérité, la traduction serait superflue.

Une heure passe. Téléfoot, présent dans le vestiaire des Bleus, ramènera d’étonnantes images[3] d’un groupe dans l’incertitude la plus totale, protégé tant bien que mal par quelques policiers à la porte, cherchant à deviner au son de la foule à quelle sauce il va être mangé. Courageusement, les joueurs espagnols sont sortis parlementer avec les envahisseurs, sans grand succès. Alors le président du Real Murcie, Pepe Pardo Cano, un roitelet du textile aux manières dignes d’un Bernard Tapie, prend les choses en main. Il monte au micro du speaker et lâche pour calmer le jeu des promesses qui n’engagent que ceux qui y croient. Je comprends votre mécontentement, compatit-il. Un nouveau stade dans deux ans, jure-t-il. Ce sera en fait pour 2006, mais le stratagème réussit et la horde domptée reflue à contrecœur vers les gradins. Par miracle, il n’y a eu aucune victime. Le match peut enfin commencer.

Vu les circonstances, il ne faut pas espérer un grand début de rencontre. À mesure que l’heure tourne, on est tout de même surpris de voir une formation française bien organisée tenir bon face à la domination territoriale de l’Espagne, sans qu’Albert Rust soit vraiment mis en danger. Petit à petit, les Bleus desserrent même l’étreinte, même s’ils ne contraignent pas Buyo à autre chose que des interventions de routine. On se prend à rêver d’un match nul… et voilà qu’à deux minutes de la fin, une bonne passe en profondeur trouve Daniel Xuereb au ras de la défense, dans l’axe aux 30 mètres. Le néo-Lensois n’est pas encore « Monsieur Xu » mais sait déjà y faire : il part au but, son chien de garde sur les talons, entre dans la surface, et ajuste le futur gardien du Real d’un plat du pied précis. España 0 – Francia 1.

Cette victoire que personne n’attendait, dans des conditions rocambolesques, a fait naître quelque chose. La bande de copains – beaucoup se connaissent bien depuis les U21 – venue un peu pour voir est devenue un groupe soudé, conscient de pouvoir « faire un truc » dans ces éliminatoires. Un mois plus tard, à Clermont-Ferrand, les nouveaux ambitieux battent la Belgique sans discussion sur un doublé de Xuereb dans le premier quart d’heure (2-0). Au retour à Charleroi, en novembre suivant, il leur suffit d’un point pour remporter la poule, car Espagnols et Belges se sont de nouveau neutralisés (0-0) deux mois plus tôt.

Yvan Hoste donne l’avantage aux Diablotins à la 63e minute et le spectre d’un match-couperet face à l’Espagne, le dernier jour, se profile. Mais Henri Michel a le nez creux en faisant entrer Xuereb à la 88e minute en remplacement de Bernard Zénier : le « supersub » d’un soir plante dans le temps additionnel le but égalisateur qui propulse les Bleus en barrages. La réception de la Roja compte désormais pour du beurre, et les deux équipes (avec tout de même Zubizarreta, Michel, Martín Vázquez, et Butragueño chez les visiteurs) en profitent pour gratifier le public d’Épinal d’un agréable spectacle couronné d’un succès tricolore (3-1).

Voilà les mini-Bleus à deux matchs de l’avion pour L.A. Avant de prendre les billets, il faudra cependant franchir un dernier obstacle de taille : la RFA, victorieuse sans trop trembler d’Israël et du Portugal dans la poule A. Un an et demi après Séville, les plaies de la défaite et de l’attentat de Schumacher ne sont pas encore guéries. Même s’il ne s’agit pas de la « vraie » revanche que beaucoup espèrent voir en finale de l’Euro à venir, la France du sport frémit d’impatience à l’idée d’en remontrer à l’ennemi héréditaire. Ce sera pour le 27 mars 1984 au Parc des Princes et le 17 avril au Ruhrstadion de Bochum, dans la deuxième partie de cette grande aventure.

(Deuxième partie disponible ici à partir du 29 juillet)

(Troisième partie disponible ici à partir du 31 juillet)

(Quatrième partie disponible ici à partir du 7 août)

(Cinquième partie disponible ici à partir du 10 août)


[1] La presse de l’époque, reprise par quelques rétrospectives, fait également état d’une limite à cinq sélections A. Sachant que l’Allemand Bernd Franke a disputé les Jeux avec sept capes au compteur, le doute est permis. Peut-être s’agissait-il de cinq sélections en match officiel, mais les archives disponibles ne permettent pas de l’établir.

[2] Le Royaume-Uni participe aux Jeux sous une seule bannière, à l’inverse du football où ses quatre nations (Angleterre, Écosse, Galles, Irlande du Nord) concourent séparément. Celles-ci refusent d’aligner une sélection professionnelle unifiée en 1984 de peur de créer un précédent que la FIFA pourrait utiliser pour remettre en question leur statut particulier. Il faudra attendre les Jeux de Londres en 2012, ouverts seulement aux U23, pour qu’elles franchissent le pas.

[3] Émission du 27 mars 1983.


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11 réflexions sur « Pour tout l’or du Nouveau Monde – 1re partie : le vestiaire de Murcie »

  1. Quelques noms sortis de la naphtaline comme Bernard Bureau, Brestois à l’époque je suppose, ou Bernard Zénier, divin chauve du FC Metz et de mémoire, meilleur buteur d’un championnat de D1.
    PS : le Real Murcia jouait régulièrement en Liga à l’époque.

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    1. Il y faisait des passages épisodiques (une saison par ci, deux saisons par là) sans pouvoir s’y établir durablement. On le voyait aussi passer en D3 de temps en temps. C’est peut-être cela qui a décidé les autorités à préférer Elche à Murcie, deux fois plus grande et distante de 60 km seulement, comme site du Mundial 1982 : l’Elche CF était bien installé en Liga dans les années 1970, au moment des décisions d’investissement.

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      1. Et surtout, le stade d’Elche était neuf, construit vers 1976 ou 77 pour remplacer le désuet campo d’Altabix.

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      2. J’aime bien le stade d’Elche. Pas seulement parce qu’il « appartient » à l’Histoire de mon foot, marqueur fort de notre WC82, mais aussi voire surtout car je le trouve réussi, beau.

        J’ai vu qu’il servait encore épisodiquement pour les matchs de la Roja, tant mieux.

        Vous voyez d’autres joueurs, qui eussent pu/dû être du voyage aux Etats-Unis? Quand je lis Xuereb je pense Vercruysse, pour le coup un superbe joueur.. Regrettable qu’il n’ait a minima ces JO dans sa besace.

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      3. C’était plutôt des briscards de la D1 que Michel avait sélectionné alors que Vercruysse était encore un espoir. Parmi les valeurs sûres de l’époque, Hinschberger ou Bernad, excellent meneur du FC Metz, auraient pu y être. Patrick Delamontagne, Joël Henry…

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      4. Tu parles de..Jean-Paul Bernad? Je me souviens l’avoir évoqué dans mon hommage à Birger Jensen, souvenir du double-affrontement Lyon-Bruges ; on parle du même? Jensen l’avait dégoûté mais un vrai beau joueur.

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  2. « Zubizarreta, Michel, Martín Vázquez, et Butragueño chez les visiteurs ».. ==> Du lourd, euphémisme! Et cependant ils finirent derniers du groupe?? (et aussi des Senor, Buyo cité donc, Carrrasco..)

    Dans le groupe des Espoirs belges, je ne vois guère que Leï Clijsters qui fût un cador, et encore ne joua-t-il qu’un match.

    Les autres, à l’exception de Ronny Martens : pour 3/4 des types qui n’allèrent pas bien haut dans la carrière, moins qu’on puisse dire..et 1/4 correct mais sans plus (le plus connu état sans doute le brin vicieux back gauche moustachu du FC Bruges Querter).

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    1. Ils étaient encore tout jeunes pour la plupart, mais c’est vrai qu’on peut se poser la question. La défaite contre la France a dû les plomber moralement, mais c’est le nul concédé à la Belgique ensuite qui interpelle le plus.

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