Principal suspect du douteux Argentine – Pérou, El Loco Quiroga est-il coupable ?
La question tourne en boucle depuis 1978 : le gardien péruvien Ramón « El Loco » Quiroga est-il coupable d’avoir sciemment favorisé les desseins de l’Argentine, son pays de naissance, lors du fameux 6-0 expédiant l’Albiceleste en finale de son Mundial ? A-t-il succombé à des intérêts supérieurs en lien avec l’Opération Condor, plan soutenant la coopération entre les polices secrètes des dictatures sud-américaines face à la subversion communiste, sous l’œil complaisant des Etats-Unis ? S’il est aujourd’hui prouvé que Jorge Videla, et probablement Henry Kissinger, visitent le vestiaire péruvien avant la rencontre, si les soupçons sur l’intégrité du staff et des joueurs de la Blanquirroja demeurent, aucune preuve définitive, aucun aveu ne permet de confirmer la collusion. Cloué au pilori dans une affaire sans crime avéré, n’est-il pas temps de rappeler qu’El Loco est d’abord et avant tout un personnage majeur du football sud-américain des années 1970 et 1980, au style avant-gardiste, annonciateur de ce que devient par la suite le poste de gardien ?
Ramón Quiroga naît à proximité de l’enceinte de Rosario Central dont il est hincha, El Gigante de Arroyito, le stade qui accueille ce fameux Argentine – Pérou. Surnommé Chupete par un journaliste local, il débute en 1970 à 19 ans sous les ordres d’Ángel Tulio Zof, le plus grand coach de l’histoire du club. C’est une période bénie pour les Canallas, portés par des joueurs de la trempe de Jorge Carrascosa, Aldo Poy, Angel Landucci, Ramón Bóveda, Daniel Killer et quelques autres encore. S’il dispute la finale du Nacional 1970 perdue face à Boca, il n’est plus titulaire lors du titre 1971, devancé par Norberto Menutti et Carlos Biasutto.
Sollicité par le Sporting Cristal pour remplacer Luis Rubiños, le gardien de la Blanquirroja mobilisé pour la désastreuse tournée en Europe du printemps 1972, Quiroga accepte dans un premier temps un prêt de six mois. Un coup de maître puisque les Celestes sont immédiatement champions. Désireux de jouer la Copa Libertadores, Quiroga prolonge l’aventure et supplante définitivement Rubiños. Les spectateurs péruviens découvrent un gardien de taille modeste mais particulièrement spectaculaire qu’ils surnomment « El Loco » tant son jeu se rapproche de celui d’un libéro, coupant les trajectoires en profondeur et premier relanceur de son équipe. Ce que réalise René Higuíta à la fin des années 1980, Quiroga le fait 15 ans plus tôt.
Monstre de travail starifié au Pérou, il tente en 1976 de s’imposer sur sa terre natale avec Independiente, géant continental aux six titres en Copa Libertadores. Alors qu’un septième sacre se profile, « El Loco » commet une erreur fatale contre River Plate et acquiert en Argentine l’image d’un gardien médiocre souffrant de la comparaison avec « El Pato » Fillol. Il ne lui reste plus qu’à retourner à Lima où l’attendent un nouveau contrat avec le Sporting Cristal et une offre de naturalisation selon le vœu de Marcos Calderón, sélectionneur de la Blanquirroja.
Rempart décisif devant les assauts de l’ennemi chilien lors des éliminatoires pour la Coupe du monde 1978, Quiroga prouve sa valeur dès la première rencontre du Pérou face à l’Ecosse de McLeod, désarmante de prétention dans son approche de la compétition. De la victoire péruvienne 3-1, l’histoire retient l’extraordinaire coup-franc de Teófilo Cubillas et occulte l’arrêt sur pénalty d’El Loco alors que le score est de 1-1. Puis face aux Pays-Bas, Quiroga réalise probablement son chef d’œuvre, stoppant treize tentatives des Oranje pour un 0-0 décisif dans la course à la première place du groupe.
Au second tour, le Pérou montre ses lacunes défensives et subit le réveil momentané du triste Brésil de Coutinho, 3-0. El Loco ne brille pas particulièrement, en retard et handicapé par son manque d’envergure sur le second but de Dirceu. Face à la Pologne, il s’incline sur une tête imparable d’Andrzej Szarmach après une grossière erreur de Navarro. En fin de rencontre, alors que le Pérou joue le tout pour le tout, Quiroga se positionne très haut pour couper les contre-attaques adverses. Dans un premier temps, il tacle durement Deyna à 40 mètres de son but avant de tranquillement relancer. Puis, à quelques minutes de la fin du match, il se précipite au-devant de Grzegorz Lato, dans le camp polonais. Battu par la feinte du divin chauve, Quiroga le plaque et stoppe l’action. Averti par l’arbitre, il repart se placer les mains dans le dos, signe de contrition à la sincérité douteuse.
Eliminé et hors course pour les places d’honneur, le Pérou doit encore affronter l’Argentine, qui de son côté a besoin de s’imposer par quatre buts d’écart pour devancer le Brésil et obtenir le droit de disputer sa finale. S’il ignorait jusque alors ce qu’est l’adversité, Quiroga la découvre dans un Gigante en fusion, agrandi depuis son départ de Rosario Central. Tout est contre lui, le public bien sûr pour qui il n’est qu’un traître et même son père, hincha de Newell’s et de l’Argentine.
Durant les 20 premières minutes, le Pérou a plusieurs fois l’occasion d’ouvrir le score, la plus nette étant une frappe de Muñante sur le poteau de Fillol. La chance de la Blanquirroja est passée : l’Argentine trouve la faille grâce à Kempes puis Tarantini double la mise juste avant la mi-temps. Dans une ambiance indescriptible, l’Albiceleste plie l’affaire en cinq minutes au retour des vestiaires grâce à Kempes et Luque. Le Pérou n’est plus qu’un fétu de paille dans un stade qui semble tanguer et si le score final n’est que de 6-0, c’est en raison de la maladresse argentine, des poteaux et des arrêts de Quiroga.
Dès le résultat connu, Claúdio Coutinho et les officiels brésiliens accusent le Pérou de s’être vendu. Quiroga est évidemment le principal suspect au regard de sa performance faiblarde. Il faut dire qu’il a une bonne tête de coupable avec ce regard en coin. Un air de fourberie rappelant celui de Gian Maria Volonté dans « Une poignée de dollars » ou encore Eli Wallach, le célèbre truand « Tuco » de Sergio Leone. Pourtant, le visionnage attentif des buts argentins ne révèle aucune faute grossière d’El Loco. En revanche, les attitudes du défenseur Rodulfo Manzo sur certaines actions sont bien plus douteuses, et au retour à Lima c’est sur lui que se portent les principales accusations de trahison, à tel point qu’il migre en Argentine, à Vélez Sarsfield, puis en Equateur. Harcelés par la presse, les versions des acteurs présents divergent, le doute instille le poison du soupçon et fracture l’équipe péruvienne, brisant certaines amitiés que l’on pensait inaltérables après le titre 1975 en Copa América.
Quiroga dispute encore la Coupe du monde 1982 sans parvenir à se qualifier pour le second tour, éliminé par la Pologne 5-1 et un but en forme de revanche de Lato. Pour conclure, quelques mots sur sa carrière d’entraîneur dans son pays d’adoption. A la tête du Deportivo Municipal, il frôle la mort lors d’un attentat attribué au Sentier Lumineux[1] : un spray déodorant trafiqué explose dans le vestiaire, tuant un joueur et blessant sérieusement El Loco. A 75 ans, il est désormais commentateur télé, voyageant de Lima à Rosario et réaffirmant sa probité à chaque interview évoquant le 21 juin 1978 au Gigante.
[1] Le Sentier Lumineux est un Parti communiste péruvien fondé dans les années engagé dans une stratégie de guérilla dans les années 1980
Une coquille dans ta note de bas de page.. C’est la première fois que je te vois faillir ou formellement, ou sur le fond, ou que sais-je encore..
Ce devait donc être dit : tu es faillible et humain, ouf!
La photo de Quiroga portant Neeskens, je me rappelle du contexte : Neeskens se blesse en rabattant acrobatiquement vers Rensenbrink, une des meilleures occasions NL..mais bel arrêt (pas facile!) de Quiroga.
Eh eh, bien vu ! Il y a également une coquille dans le texte d’hier : il manque le dernier paragraphe du texte original !
Oui, j’en trouvais la chute curieusement abrupte pour un Verano..ce qui parfois est très bien aussi, en l’espèce curieux mais pas choquant.
Tu l’as entre-temps fait ajouter? A défaut, on peut lire ce paragraphe manquant?
Voici la chute
La rencontre s’achève sur le score de 2-2. Coutinho doute-t-il de ses choix ? Regrette-t-il d’avoir renoncé à Falcão, futur meilleur joueur brésilien de l’année ? Le déroulé de la CM argentine lui donne évidemment tort et pour la première rencontre du Brésil post Coupe du Monde, Coutinho rappelle Falcão, comme une évidence.
Ce doit être la 5ème fois que je revois les buts.. Le 4ème (tête de Luque) est hors-jeu, non?
Quiroga, ben.. Je ne vois toujours rien à redire, juste une savonnette à se mettre sous la dent, mais sans conséquence. Il fait son match..
Difficile de ne pas avoir d’empathie pour cette « bonne tête de coupable », avec son « air de fourberie » (lol)..
Je me rappelle avoir lu un article de Placar qui relatait une interview d’un joueur de cette sélection péruvienne dans laquelle il affirmait que six de ses coéquipiers de l’époque avaient été acheté. Et il y avait bien ce gardien dans la liste.
L’interview originale dans le journal péruvien Trome :
https://trome.pe/deportes/jose-velasquez-historia-jamas-contada-seleccion-peruana-argentina-78-entrevista-video-fotos-78101/
Alors, petit jeu…
Velasquez balance 4 noms mais en garde secret 2. Qui sont-ils?
Ils dit qu’ils sont fameux. Donc je parie sur Obilitas et Cubillas. Au pif!
Il a un bon melon Vélasquez. » Il n y a pas de joueur comme moi… ». On sent de l’aigreur dans ses propos donc ils sont peut-être à nuancer.
Le problème est qu’ils ne constituent pas une preuve.
Par ailleurs, rien trouvé de notable sur sa fin de carrière.
Super !
Dans l’esprit de beaucoup, ce qui joue aussi en défaveur de Quiroga sont ses origines argentines. Mais le vrai problème dans ce match n’est pas le fait des joueurs. Il est le fait du comité d’organisation, et donc de la FIFA et de l’AFA, qui, comme en 50 ou en 66, favorisa le pays organisateur.
En 50, le Brésil joue tous ses matchs (sauf celui contre la Suisse au premier tour, résultat nul 2-2) au Maracana alors que les autres sélections sont promenées entre Belo Horizonte, Sao Paulo, Curitiba, Porto Alegre…
En 66, l’Angleterre joue tous ses matchs à Wembley quand les autres sélections visitent Sunderland, Liverpool, Birmingham, Sheffield…
En 78, l’Argentine joue tous ses matchs du premier tour à Buenos Aires et ceux du deuxième tour à Rosario. Mais, surtout, elle joue tous ses matchs en dernier : elle connaît donc les résultats des autres équipes… Ainsi, dans ce match, les Argentins arrivèrent très motivés en sachant qu’ils devaient passer une valise aux Péruviens. Enorme avantage !
Dans le même style pour les English, tu as l’Euro 2020. Ils ne jouent qu’un seul match hors de leurs terres…
Sauf que les English restant les English, ils ont quand même réussi à ne pas gagner cette compèt’
Aux pénos bien sûr, sinon c’est moins drôle :3
Cet Euro 202(1) avec ce faux principe d’absence de pays organisateur, avec des sélections qui doivent se taper un trajet Bakou/Rome tandis que d’autres sont restées tranquillement chez elles à enchaîner les matchs, ce fut une sacrée parodie d’équité sur le fond comme sur la forme.
Quelle histoire ! Muchas gracias El Profesor Verano !
Verano, puisque tu nous parles des Canallas, faudrait que tu nous parles de la Palomita de Poy un de ces jours ^^
Il faudrait faire un texte sur le derby rosarino en général, avec une belle place pour Aldo Poy. Je vais y réfléchir !
Merci. Sais tu pourquoi Chumpitaz ne retourne pas avec Universitario, après son passage chez l’Atlas mexicain? J’imagine que voir el capitan de America rejoindre un rival a du causer des discussions dans le pays. Au Mexique, il jouera avec un gars que tu aimes beaucoup, Rafael Albrecht. Sacrée paire de centraux!
No idea. Les Péruviens du site le savent peut être ?
Ça paraît étrange qu’un des symboles du club ne revienne pas au club. Pognon, embrouille avec la direction?
J’essaierai de trouver quelque chose en soirée, pas trop le temps ce matin.
Simplement : merci Verano
Salut Berti. Juste pour savoir si ton texte sur le site est prêt. Afin de définir une date de publication. Bonne soirée.
Salut
J ai eu pas mal de boulot . Je le bosse , le peaufine et vous le transmets
Désolé
Ah non, c’était pas du tout pour te mettre la pression! C’était juste pour savoir. Prends le temps qu’il faut! C’est moi qui m’excuse.
Tu n’as pas du tout à t’excuser 😉
D’ailleurs merci beaucoup pour ce site c’est un plaisir tous les matins de se jeter sur son téléphone pour voir le nouvel article
Je suis impressionné par tant de culture ,d’anecdotes, de souvenirs qui remontent à la surface
Un grand bravo et encore une fois un grand merci
J’ai déjà entendu parlé bien sûr de cette légende sur le gardien du Pérou lors de ce match Argentine – Pérou.
J’ai même un souvenir de ma prof d’Espagnol quand j’étais en 3e où, évoquant ce match à travers le thème de la dictature argentine, elle expliquait que « Le gardien du Pérou limite laissait passer le ballon ».
Pourtant, moi aussi, en revoyant les images par la suite, rien ne paraissait suspect dans le comportement de Quiroga.
Ainsi, entre la plaidoirie de Verano, et la mienne arrivant dans quelques jours sur Byron Moreno, est-ce qu’il serait temps de créer sur P2F la rubrique « Avocat du diable » ?
Merci Verano ! Par contre, concernant l’âge de Quiroga à la fin de ton article, tu dis qu’il a 75 ans, alors qu’en réalité il en a 72, étant né en 1950 😉
J’adore la photo
L’écusson brodé à la va-vite , le vrai football d’antan comme on l’aime sans le marketing derrière
Pour ceux qui aiment les histoires de maillot, il y a ce site très intéressant qui explique les choix des maillots, des écussons, des couleurs etc…
Petit exemple avec une revue du mondial 1970 à travers les maillots portés https://museumofjerseys.com/2018/05/26/1970-world-cup-all-of-the-kits/
Pig
Ton texte sur la Grèce 1994 est il fini. Si oui, faudra discuter de sa publication. Voila.
? J ai oublié le point d’interrogation…
Oui il est fini, comment veux-tu que nous en discutions ? Email ?
Pig
Alors ton article a l’air prêt. Faut juste que l’on travaille la mise en forme mais on va le faire de notre côté. Pour la date de publication, je vais réfléchir à une date et je te tiens au courant. A moins que tu aies une date importante en-tête qui collerait à ton texte.
Et sinon, pourrais tu signer ton texte à la fin de l’article? On garderait donc Communauté Pinte de Foot au début de l’article pour signifier que ça vient d’un lecteur mais on pourrait également savoir qui l’a écrit. Tu peux mettre ton pseudo ou ton véritable nom. Au choix.
D’accord très bien. Pour la date non, pas de problème, publiez-le lorsque vous le souhaitez, il n’y a pas d’impératif. Pour mon véritable nom, ça ne me gêne pas.
Bon, tu passeras le 15 novembre!
D’accord merci Vagiz !
Bon ben comme Les Cahiers du Foot par SoFoot, vous commencez à vous faire piller… https://www.lequipe.fr/Football/Article/Ramon-quiroga-un-fou-en-liberte/1365023