Les Guaranis n’ont pas brillé dans cette Copa América 2024, déjà éliminés après deux défaites. Ce quatrième épisode vous emmène en 1979 quand le Paraguay domina le football sudaméricain, dans les années les plus sombres de l’histoire latinoaméricaine.
En 1979, le continent sudaméricain, et plus particulièrement son Cône Sud, était plongé dans ses heures les plus sombres. Après la très décriée Coupe du monde organisée en Argentine l’année précédente, la Copa América continua son histoire après avoir traversé des turbulences. En effet, à partir du milieu des années 1960 et 1970, au même moment où se mirent en place les régimes dictatoriaux et militaires sur le continent, ces années ne furent pas propices au bon déroulement de la compétition, avec un trou de huit années entre 1967 et 1975 où aucune édition n’a eu lieu. Même si elle n’a jamais été organisée de manière carrée et sereine au long de son histoire, avec des éditions irrégulières et jalonnées de polémiques, tensions diplomatiques et forfaits. De plus, la Copa Libertadores, devient le nouveau lieu d’âpres batailles intracontinentales, qui supplanta en quelque sorte les matchs de sélections. Enfin, le football sudaméricain commence à voir partir de plus en plus ses stars et il devient difficile de s’aligner sur le calendrier européen avec lequel il doit désormais composer. Cependant, la CONMEBOL trouva un compromis : une édition organisée tous les quatre ans sur un temps plus long, étalée sur plusieurs mois, se libérant de l’unicité de temps et de lieu. En 1979, c’est la deuxième édition sous ce nouveau format.
Le Pérou qui était le tenant du titre était qualifié d’office pour le dernier carré, et trois groupes de trois sont formés pour obtenir les billets restants pour les demi-finales avec confrontations en aller-retour. L’Albirroja se retrouve dans un groupe avec l’Uruguay et l’Équateur. Elle obtint sa qualification avec deux victoires et deux nuls, ces deux derniers contre la Celeste. C’est lors du dernier match avec un nul 2-2 arraché au Centenario que le Paraguay assure sa qualification. Le match nul est obtenu grâce à un doublé d’Eugenio Morel. Cet attaquant-ailier gauche, rapide et puissant, avait émigré jeune en Argentine avec sa famille, comme des milliers de Paraguayens (première communauté étrangère d’Argentine). Destination le grand Buenos Aires et ses villas. Et c’est à Villa Fiorito qu’il fait ses classes sur les terrains vagues, là où plus tard Diego Maradona fera de même. D’ailleurs, il recroisera le jeune Maradona quand il rejoint Argentinos Juniors après s’être mis en valeur dans cette Copa. « Tito » fit son apprentissage avec Héctor Yazalde, qui deviendra une star nationale du football argentin des années 1970 et notamment avec Independiente. De son côté, Eugenio débute chez le rival du Racing. Après ne s’être imposé en Argentine, il revient jouer en 1973 au pays, à Libertad, le troisième club de la capitale. Grâce à ses bonnes performances, il est convoqué tardivement en sélection pour devenir titulaire et un des héros de la Copa 1979, à laquelle il termina co-meilleur buteur.
Après cette qualification pour la phase finale, la suite du parcours pour les Guaranis est une demi-finale contre le favori du tournoi, le Brésil. L’équipe brésilienne est moins flamboyante que celle de ses aînés triples champion du monde, mais elle peut tout de même compter sur les Zico, Falcão, Sócrates. C’est un Brésil à la sauce Coutinho, qui n’est plus trop dans le style qui a émerveillé le football mondial des années auparavant. Claudio Coutinho ne fait pas de vague avec la dictature militaire, il est dans le moule, un parfait exécutant. Et cela s’en ressent sur le jeu de la Seleçao. Le physique, l’ordre et une organisation tactique plus rigide, sont mis en avant en passant au-dessus des talents individuels, même si elle continue à profiter du génie de ses grands joueurs. Les Auriverdes sont sortis premier de leur groupe devant l’autre épouvantail de la compétition, les champions du monde argentins. Sur le terrain, le Brésil n’en est pas moins redoutable et se montre d’une efficacité absolue pour sortir l’Argentine. Même si le maître à jouer brésilien Zico est suspendu après un carton rouge reçu contre l’Albiceleste qui le prive de demi-finale.
Lors du match aller de cette confrontation, le Paraguay fait forte impression. L’un de ses plus grands matchs. Devant 50 000 spectateurs à l’Estadio Defensores del Chaco d’Asunción, le Paraguay l’emporte 2-1 en ayant été, de l’avis tous, bien supérieur au Brésil. Même si le score reste serré, l’Albirroja a surclassé le Brésil et a réalisé une première mi-temps spectaculaire, à l’image de l’ouverture du score. Ce but exceptionnel est considéré au Paraguay comme « le but du siècle ». En effet, Eugenio Morel a inscrit un but resté dans l’histoire de la Copa América. À la réception d’un centre au milieu de la surface, dos au but, il contrôle le ballon de la poitrine et effectue une chilena (un retourné acrobatique pour les Sudaméricains) qui file sous la barre et ne laisse aucune chance au gardien adverse Leão. Après ce but spectaculaire, le capitaine Hugo Talavera inscrit le but du 2-0 avant la mi-temps. Talavera était un des hommes de base de cette sélection, architecte du jeu paraguayen (d’autant qu’il était diplômé en … architecture), milieu offensif de talent avec une âme leader que suivaient ses compagnons. Il avait brillé au début de sa carrière sous le maillot du Cerro Porteño, puis évolua chez le rival Olimpia, avec lequel il obtint les succès internationaux à cette période.
Pour revenir au match, le Brésilien Palinha réduira le score. Si à l’aller les Guaranis ont déployé un jeu remarquable, pour le match retour au Maracanã, la sélection dut sortir la carte de la garra et de la défense. Dans l’étouffant Maracana, véritable cocotte-minute prête à exploser, l’air est irrespirable sur le terrain et le public brésilien mettant une pression à chaque action et décisions arbitrales. De nouveau, le Paraguay réalise l’exploit en arrachant le nul 2-2 pour se qualifier pour la finale. Un match durant lequel, mené deux fois au score, le Paraguay n’a rien lâché. La Seleção avait ouvert le score en milieu de première mi-temps par Falcão. La réponse guaranie fut immédiate, avec l’égalisation deux minutes plus tard par l’avant-centre Milcíades Morel. L’autre star brésilienne, Sócrates redonne l’avantage à son équipe, juste après l’heure de jeu, en transformant un penalty généreux. Mais c’est le jeune et prometteur Julio César Romero, de retour du Mondial des moins de 20 ans, qui égalisa quelques minutes plus tard. Il ne restait plus qu’à l’Albirroja de tenir en défense, se sacrifier pour résister aux assauts brésiliens. Et cela fonctionna puisque le Brésil ne trouva pas d’espaces et de failles au milieu de la défense paraguayenne, celle-ci bien aidée par les parades de Roberto « Gato » Fernández. Le Paraguay éteignit le Maracanã pour filer en finale.
C’est l’étonnante sélection chilienne que l’on n’attendait pas à ce niveau, mais qui a pu compter sur le retour du « rebelle » Carlos Caszely, qui fait face au Paraguay en finale. Le match aller est une démonstration des Guaranis qui infligent une claque 3-0 à la Roja : un doublé de Romerito et un but de Milcíades Morel, le tanque et buteur de Libertad. Le match retour est une toute autre histoire. D’abord, la préparation du match est vivement perturbée par une histoire de primes. Les joueurs paraguayens protestèrent pour réclamer les sommes promises par les dirigeants. Le capitaine Talavera, porte-parole de ses coéquipiers en fit les frais personnellement, car on l’accusa de fomenter la rébellion. Dans cette atmosphère tendue en interne, le Chili l’emporte à Santiago sur la plus faible des marges (1-0), non sans que de fortes suspicions d’interférences du pouvoir de Pinochet pèsent sur ce match. Comme la formule de l’époque ne prend pas en compte la différence de buts, un match d’appui sur terrain neutre est nécessaire pour décerner le titre. Il se dispute dans la dictature voisine en Argentine, à Buenos Aires au stade José Amalfitani. L’antre du Vélez Sarsfield, sonne creux et est peu garni pour l’occasion. Après 90 minutes écoulées sans que les filets ne tremblent, une prolongation se déroule pour désigner le champion d’Amérique du Sud. Le Paraguay tient, toujours solide défensivement par « un sacrifice » défensif de tous les instants. Les Chiliens butant sur la défense avec un « Gato » Fernández toujours infranchissable. Au final, un 0-0 qui n’aura servi à rien, sauf à rajouter de la dramaturgie. Le règlement ne prévoyant pas de séance de tirs aux buts, le Paraguay, grâce à une plus grande différence de buts sur la double confrontation (3-1 au total), remporte sa seconde Copa América après son premier succès en 1953.
Pourtant, depuis les années 1960, le Paraguay avait reculé au second plan sur la scène continentale, ne parvenant pas à se qualifier en Coupe du monde depuis 1958. Mais 1979 fut une année triomphale pour le football paraguayen. Le titre de la sélection nationale parachève une année faste pour son football, car l’Olimpia avait remporté la Copa Libertadores quelques mois plus tôt. Ce fut la première victoire d’un club paraguayen dans la compétition, rompant l’hégémonie du trio Argentine-Brésil-Uruguay. Le titre fut obtenu avec l’entraîneur Luis Cubilla, dans un succès final contre le double champion en titre, Boca Juniors. Ce dépucelage continental donna de l’énergie, une forte confiance en elle et un mental à toutes épreuves à la sélection paraguayenne pour son parcours. De plus, elle s’appuyait sur l’ossature du club victorieux : outre Hugo Talavera, six autres joueurs furent titulaires dans au moins l’une des rencontres contre le Chili : Roberto Paredes, Evaristo Isasi, Carlos Kiese, Alicio Solalinde, Luis Torres, Osvaldo Aquino ; en plus de l’expérimenté Flaminio Sosa titulaire en sélection mais pas à Olimpia, et inversement Enrique Villalba titulaire à Olimpia mais pas en sélection, tous deux dans le groupe champion d’Amérique du Sud. Seul la légende du Decano Ever Almeida manquait à l’appel. Une belle génération paraguayenne si on ajoute les deux prodiges Romerito et Roberto Cabanas, ainsi que Juan Bautista Torales, les deux Morel cités de Libertad, ou les « Gato » Ferandez et Aldo Florentín du Cerro Porteño.
Ces succès acquis en pleine dictature d’Alfredo Stroessner au moment les plus controversés du football sudaméricain, avec une situation politique des plus noires. Le dictateur Stroessner, au pouvoir depuis 1954, profita du football pour ce faire de la publicité, récupéré politiquement la victoire, manière habituelle de cacher ce qui se passe et d’étouffer les violations commises dans son pays. En même temps, ce double succès s’accompagnait de la transformation du football paraguayen et continental. D’un côté, Olimpia changea le football paraguayen sous l’impulsion de son mécène, Osvaldo Domínguez Dibb, un proche de Stroessner, qui a profité de ses relations pour s’enrichir économiquement (et illégalement) et assoir sa notabilité auprès des élites paraguayennes. Ce qui accola à Olimpia les critiques de club de la dictature. Son fils, Alejandro, est l’actuel président de la Fédération Sud-américaine depuis 2016 et œuvre dans les arcanes du football paraguayen et de la FIFA depuis de nombreuses années. De l’autre, quelques années après Nicolás Leoz prenait le pouvoir à la CONMEBOL, grâce à son amitié avec João Havelange (mettant plus tard le siège de l’institution à Asunción puis à Luque). Leoz resta près de 30 ans à la tête de la Confédération et trempant dans tous les scandales de celle-ci et de la FIFA.
Malgré la situation particulière et dure à ce moment là, ces résultats donnèrent tout de même un peu d’espoir et de joie aux Paraguayens après des années d’incertitudes et difficiles. L’équipe paraguayenne, en revanche, n’a pas profité immédiatement de cette dynamique. Deux ans plus tard, le Chili prend sa revanche en éliminatoires de la Coupe du monde 1982 en remportant le groupe. Le Paraguay n’effectuera son retour en Coupe du monde qu’à l’occasion du Mondial mexicain en 1986.
Quelques réflexions en vrac.
Ce titre 1979 est remarquable au regard du pillage systématique auquel le football guarani est soumis depuis les années 1960, et même un peu avant, la CM 1958. Les meilleurs joueurs filent en Espagne (ou en Argentine) et il est alors impossible d’avoir une continuité d’effectif pour les différents sélectionneurs. En 1979, après un passage moyen à l’Espanyol, le retour en Amsud d’El Gato est sans doute une chance pour le Paraguay.
La suspension de Zico pour les demi-finales résulte d’une échauffourée avec El Tolo Gallego, en Argentine. Ce jour-là, Socrates joue avant-centre, poste que Santana aurait sans doute dû lui confier en 1982 en l’absence de numéro 9 de top niveau.
Enfin, le sélectionneur Ranulfo Miranda était encore l’adjoint de Carpeggiani lors de la CM 1998 en France, quand Chila avait faillé écoeurer les Bleus.
Déjà après le sacre de 1953, la plupart des joueurs majeurs ne verront plus la sélection, un one-shot pour la plupart souc emaillot. Angel Berni parti à San Lo comme Rubén Fernández qui prend la direction de Boca. Idem pour Atilio Lopez et Heriberto Hererra à l’Atlético Madrid.
L’équipe de 58 est très offensive, avec une moyenne de 3 buts par matchs au Mondial.
Carpeggiani, très bon joueur de foot.
Socrates a joué plusieurs matchs avant centre
Merci Ajde. Le but de Morel est exceptionnel.
Je le découvre à l’instant, vu le contexte c’est effectivement extra.
1979 etait vraiment l’année du Paraguay puisque Víctor Pecci ira défier Borg en finale de Roland Garros.
Il n’y a que 2 pays qui n’ont jamais remporté de Copa América : le Vénézuéla (guère surprenant même s’ils sont en nets progrès) et… l’Équateur (j’ai été plus surpris).
L’Équateur n’a qu’une demi-finale, il me semble. Ça jamais été leur compétition.
A domicile peut être un jour. En jouant tous leurs matchs à 3000 m d’altitude!
Blague à part, premier maillot jaune équatorien de l’histoire (le jour de la première victoire d’étape d’un africain noir), ils doivent être fous là-bas.
Sacha. Tu penses que l’Équateur peut suivre les pas de la Colombie dans le futur ? Ou il manque une culture cycliste dans la pays, qui existait en Colombie, avant leur arrivée fracassante dans les années 80 ?
sont arrivés tardivement sur la scène continentale les équatoriens, développement football tardif. depuis plusieurs années, ils ont une politique de formation plutôt pas mal avec des résultats. l’équipe actuelle est jeune, et a largement de quoi progresser pour être à bon niveau. D’ailleurs l’Equateur s’est qualifié pour les quarts. La partie Nord de l’AmSud – Colombie, Equateur, Venezuela – est a bien meilleure niveau que ceux du cône Sud: Perou, Bolivie, Chili ou Paraguay. Les trois sont qualifiés et ont de meilleures perspectives au regard de leur joueurs pour les années à venir. Après pour remporter une Copa, l’Equateur aura besoin, comme toute équipe, de 2-3 joueurs bien plus talentueux et de classe mondiale pour y prétendre.
La culture cycliste existe aussi en Equateur mais à un degré moindre qu’en Colombie.
C’est la deuxième puissance sud-américaine et de loin.
Carapaz en est l’ambassadeur mais il est pas le seul. Narvaez est un cador dans son registre. Le seul qui s’est payé Pogacar sur le dernier Giro. Sont aussi présent à haut niveau Caicedo (également vainqueur d’étape sur le Giro), Cepeda, Harold Lopez (qui représente l’avenir). La plupart viennent des altiplanos et ont même caractéristiques physiologiques que leurs voisins. Carapaz vient d’un bled à 3000 m d’altitude et a toujours affirmé être au top quand la route s’élève vraiment.
Ce qui leur manque c’est surtout des structures même s’ils ont une sorte de club sélection qui participe à toutes les grandes courses en Amsud ou alors ils signent directement dans des équipes colombiennes.