Obilić, de Kosovo Polje à Arkan

Miloš Obilić est un chevalier serbe du XIVᵉ siècle, alors au service du Prince Lazar de Serbie, autocrate de tous les Serbes. Il s’illustra lors de la bataille de Kosovo Polje, en 1389, où la légende raconte qu’il aurait tué le sultan Mourad Ier en le poignardant dans sa tente, avant de tomber lui-même sous les coups des gardes. Malgré cet assassinat, les Ottomans se ressaisissent et vainquent la coalition chrétienne, le Prince Lazar étant décapité sur le champ de bataille.

Miniature ottomane présentant la mort de Miloš Obilić par Nakkach Osman.

Si la bataille n’est pas une défaite immédiate, Bayezid Ier, fils de Mourad, s’empressant de signer la paix avec la veuve de Lazar, la mort des grands princes chrétiens des Balkans scelle à moyen terme l’annexion des Balkans au sein de l’Empire Ottoman. La seconde bataille de Kosovo Polje, en 1448, accouche en effet d’une victoire ottomane, qui entraînera finalement la chute du Despotat de Serbie en 1459. La Serbie ne retrouvera son autonomie qu’en 1815.

Alors pourquoi une telle introduction historique, à des siècles du football yougoslave de la fin des années 1990 ?

C’est parce que le FK Obilić est un club bercé d’Histoire, son nom étant celui du chevalier de Kosovo Polje et son existence étant marquée par l’une des personnalités les plus tristement célèbres de la Yougoslavie fédérale, Željko Ražnatović, mieux connu sous le nom d’Arkan.

Arkan et sa femme Svetlana, plus connue sous le pseudo Ceca, future présidente de l’Obilić mais surtout chanteuse la plus célèbre de Serbie

Comment définir Arkan… On pourrait dire qu’il fut le chef des Delije, le groupe de supporters de l’Étoile Rouge, mais aussi un homme d’affaires, une personnalité politique et même un pâtissier. Le plus honnête serait néanmoins de dire qu’il fut un bandit recherché pendant deux décennies par Interpol, et l’un des criminels de guerre les plus connus des Balkans – dirigeant la Garde des volontaires serbes, une milice paramilitaire également connue sous le nom des « Tigres d’Arkan », et responsable de nombreux massacres pendant les guerres de Croatie puis de Bosnie-Herzégovine.

Mais la facette d’Arkan qui va nous intéresser est celle qui l’a vu être président de l’Obilić entre 1996 et 1998. Deux années où le club passa d’un modeste milieu de tableau à un titre historique et à des matchs européens.

Fondé en 1924 à Vračar, une municipalité voisine de Belgrade, l’Obilić devient rapidement le troisième club serbe derrière les mastodontes BSK et SK Jugoslavija, dans ce qui est alors le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes, lequel royaume muerait en République populaire fédérative de Yougoslavie après que la Seconde guerre mondiale eut chamboulé le monde entier. Pour le club belgradois, c’est la chute. Le nom est abandonné, jugé « trop serbe » par le pouvoir central, et le FK Čuburac redevient alors un club local. Si le nom sera retrouvé dès 1952, il faudra toutefois attendre jusqu’en 1988 pour que le club soit promu en troisième division yougoslave, le premier échelon national du pays. Malgré une finale de coupe en 1995, l’Histoire du club attendra toutefois juin 1996, et l’arrivée d’Arkan à la présidence du club, pour changer enfin de dimension.

Pour la première saison de l’ère Arkan, le club monte du groupe B au groupe A avant de remporter le titre dès l’année suivante, au nez et à la barbe des géants Partizan et Zvezda. C’est un véritable miracle sportif dans un pays en guerre.

Néanmoins, le conte de fées semble trop beau. Et il l’est.

Sous le leadership de Ražnatović, les adversaires sont menacés par le président tout-puissant mais aussi par les membres de sa milice, toujours armés. Des arbitres sont escortés par les miliciens en personne. Certains témoignent d’autres faits, mais rien ne peut être prouvé. L’UEFA ne reste cependant pas passive devant ce club et son président plus que douteux, et envisage même d’interdire le club de coupes d’Europe. Arkan quitte donc la présidence et la laisse à sa femme, Ceca, durant l’été 1998.

Après avoir éliminé les islandais d’Íþróttabandalag Vestmannaeyja, les hommes de Miloljub Ostojić sont confrontés au Bayern. Il n’y aura toutefois pas de miracle : malgré un match nul à la maison, le 4-0 encaissé à Munich élimine l’Obilić. Repêché en UEFA, le club termine sa double confrontation face à l’Atlético de Madrid sur un 3-0 fatal.

La saison 1998-99 est arrêtée après que seules 24 des 34 journées ont été jouées, en raison des bombardements de la Yougoslavie par l’OTAN. L’Obilić, alors deuxième derrière le Partizan, sera banni d’Europe à cause des liens troubles qu’il entretient avec Ražnatović, et en dépit d’un série d’invincibilité longue de 47 matchs consécutifs, parmi lesquels la totalité des rencontres disputées lors de la saison interrompue.

Malgré deux troisièmes places et une quatrième lors des trois saisons qui suivent, le château de cartes s’effondre avec l’assassinat d’Arkan, le 15 janvier 2000. Sans lui, ses miliciens, et ses menaces, le club n’est plus qu’un colosse aux pieds d’argile, absolument pas au niveau attendu pour jouer l’Europe.

La suite est tristement logique :

Fin de saison 2005-2006 : relégation en deuxième division serbe.
Fin de saison 2006-2007 : relégation en troisième division serbe, en n’ayant pris que six points en 38 matchs.
Fin de saison 2007-2008 : relégation en quatrième division serbe.
Fin de saison 2008-2009 : relégation en cinquième division serbe.
Fin de saison 2010-2011 : relégation en sixième division serbe.
Fin de saison 2011-2012 : relégation en septième division serbe.

C’est à ce stade que l’Obilić met un terme à son inexorable chute. Malgré une remontée en 2013, le club redescend dès l’année suivante. 2015 est la dernière année du club ; le glorieux champion 1998, à ce jour l’unique club serbe autre que Partizan et Zvezda à avoir remporté un championnat, n’étant plus bon à renflouer ses caisses qu’en louant son stade à ses voisins pour les petites affiches de première ou deuxième division.

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9 réflexions sur « Obilić, de Kosovo Polje à Arkan »

  1. J’ai le souvenir d’un papier de L’Equipe
    magazine sur « Baby Face » Arkan, son rôle durant la guerre, le surnom de ses troupes lié à un bébé tigre en guise de mascotte, ses méthodes à la tête de son club. Un article qui ne redorait pas l’image de la Serbie. Sans doute était ce trop tôt après les bombardements de l’OTAN et sans doute ne fallait il pas demander à un journal mainstream d’évoquer ce pays autrement qu’à travers un de ses pires représentants.

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  2. Il parait que les joueurs de l’Etoile rouge refusaient de se changer dans le vestiaire et restaient aux abords de leur bus car ils craignaient qu’on y diffuse du gaz assommant… On en était là !
    La Serbie sous Milosevic, qui protégeait ce criminel, ça avait l’air vraiment craignos n’empêche… Sous l’apparence d’un état fort guidé par un chef fort (malgré le charisme d’huitre de Slobo), un pays où la loi n’a plus cours, où la corruption regne en maitre et où l’économie est à l’arrêt

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  3. C’est quand même incroyable : 3ème club serbe, disons..et des éliminations quasi-systématiques (une et une seule qualif, face à des Islandais) en CE, dont face à des clubs féringien, géorgien, finlandais.. Même avant leurs déboires, du mal à passer le moindre cut.. Le foot serbe, pourtant pas rien..mais de quoi alimenter l’idée d’intimidations sur la scène domestique.

    Tiens, le grand Sekularac (https://www.pinte2foot.com/article/dragoslav-sekularac-et-el-hexagonal-del-olaya) les entraîna, à leur belle époque?

    J4avais déjà touché un mot de Milan Lesnjak, défenseur central voire back gauche de l’Obilic, en son temps acquisition la plus chère de l’Histoire du FC Bruges qui, abusé par les résultats d’Obilic et la place centrale disait-on de ce joueur dans ses résultats, croyait avoir déniché en lui un nouveau Belodedici, Mihajlovic ou que sais-je, transfert présenté comme l’affaire du siècle ou pas bien loin…………….mais au final un four colossal..

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    1. A la bourre tantôt, precisions : dans les 70’s Arkan avait etait condamne à 10 ans de prison en Belgique, en purgea 4 non loin de chez moi, s’enfuit de prison.. 20 ans plus tard, c’etait un criminel de guerre..auquel le FC Bruges paya directement, « de main a main », 3 millions d’euros pour le susdit Lesnjak, sacre scandale à l’epoque

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  4. Il faut vraiment que je retourne en Serbie, avec mon épouse cette fois.

    Qu’elle est loin cette époque où les clubs d’Europe de l’est étaient des épouvantails qui pouvait faire trembler n’importe qui.

    Et l’équipe de Serbie, qualifiée régulièrement aux grands tournois et quasiment toujours décevante. La dernière fois qu’elle a passé le premier tour, c’était en 2000 lors de l’Euro, sois le nom de Yougoslavie (qui comprenait en réalité la Serbie et le Monténégro).

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  5. Très chouette article. Arkan faisait la pluie et le beau temps en Serbie à une époque où il ne valait mieux pas se mettre sur son chemin quand il voulait quelque chose. Tout le monde savait que les matchs d’Obilic étaient truqués mais personne ne disait rien. Il a menacé de nombreux joueurs (dont Perica Ognjenovic) et des arbitres ont eu littéralement des revolvers collés à la tempe.
    Pour la petite histoire : il était tellement sûr que son équipe allait remporter le championnat qu’il avait parié 100 000 DM en début de saison.
    Il y a un autre aspect à prendre en compte dans la personnalité d’Arkan : c’était son impunité obtenue à grand coup d’assassinats politiques pour le compte de l’UDBA (les anciens services secrets yougoslaves) dans les années 70/80 qui, je pense, lui ont permis de commettre pas mal de larcins sans être inquiété par la suite.

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    1. Oui, il a réussi à ‘sanctuariser’ l’ancienne Yougoslavie vis-à-vis de ses crimes en Europe contre basses-oeuvres en faveur du régime.
      Difficile de concentrer autant d’aspects négatifs et caricaturaux du foot et des Balkans en une seule personne hélas…

      Hvala pour l’article Alphabet

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