NOFV-Oberliga 1990-1991 : The last of us, DDR-style (première partie)

C’était en 1989, un jeudi 9 novembre comme aujourd’hui. Des centaines de millions de téléspectateurs incrédules, cloués devant leurs écrans jusque très tard dans la nuit, regardaient en direct des images qu’ils n’auraient pas crues possibles de leur vivant : une véritable rivière humaine franchissant un passage dans le mur de Berlin ouvert à la hâte par les gardes-frontières est-allemands dont les ordres venaient de changer. Le 3 octobre 1990, les deux Allemagnes ne feraient plus qu’une. Il faudrait cependant attendre jusqu’à l’été 1991 pour unifier le football, dont les saisons nationales avaient commencé avant la date fatidique. 34 ans après, que sont devenus les 14 participants à la dernière saison de l’histoire de l’Oberliga(1) est-allemande ?

Petit guide pratique

Avant la réunification, les deux Fédérations s’étaient mises d’accord sur les modalités d’absorption des clubs de l’Est :

  • Les deux premiers de l’Oberliga 1990-1991 se qualifiaient pour la Bundesliga 1991-1992, exceptionnellement élargie à 20 clubs et avec quatre descentes à la fin de la saison pour revenir aux 18 d’usage.
  • Du troisième au sixième, quatre clubs se qualifiaient directement pour la 2. Bundesliga 1991-1992, exceptionnellement élargie à deux poules de 12 clubs au lieu des 20 en poule unique des années 80, avec réduction progressive à 18 clubs en poule unique sur les trois saisons suivantes.
  • Du septième au douzième, six clubs accédaient à un tour de qualification à la 2. Bundesliga en compagnie des deux promus de la DDR-Liga(2), la deuxième division est-allemande. Les huit clubs étaient divisés en deux groupes, les vainqueurs se qualifiaient pour la 2. Bundesliga, et les autres étaient reversés en NOFV-Oberliga devenue l’une des poules régionales de D3.
  • Les treizième et quatorzième, les deux derniers, étaient directement reversés en NOFV-Oberliga.

(Un système du même style existait pour la DDR-Liga, avec reversement entre D2 et D4 selon le classement final.)

14e et dernier : FC Victoria 91 Frankfurt (Oder)

L’équipe de « l’autre » Francfort a eu une histoire aussi mouvementée après la réunification qu’avant. Né sous le nom de Vorwärts Leipzig en 1951, le club de l’armée est-allemande a (été) déménagé à Berlin-Est en 1953 puis à Francfort-sur-l’Oder en 1971 avant de se refonder sous un nouveau nom (Vorwärts, l’association sportive omnisports de l’armée, ayant été dissoute) en février 1991. L’année suivante, le club est devenu le Frankfurter FC Victoria 91 et a entamé une lente descente vers les bas-fonds avant de se stabiliser en Brandenburg-Liga (D6) après 2004. Suite à une fusion avec un rival local en 2012, il porte désormais le nom de 1. FC Frankfurt (Oder). Pour un club six fois champion de RDA entre 1958 et 1969, régulièrement présent en Coupe d’Europe, et sixième au tableau d’honneur de l’Oberliga toutes saisons confondues(3), le déclassement est dur à avaler, mais il est dans un certain ordre des choses. Dans une ville de 80 000 habitants, entre la centième et la deux-centième des plus grandes en Allemagne, le point d’équilibre à terme est en D5 ou en D4.

13: Energie Cottbus

Le nom a survécu aux caprices du pouvoir communiste et au passage à l’économie de marché, la tradition et le niveau aussi. Plutôt un habitué de la DDR-Liga (D2) que de l’Oberliga avant 1990 (sept saisons sur 42 en D1, 24e au tableau d’honneur), le club s’était néanmoins bâti un soutien populaire solide qui lui a évité l’un de ces changements de nom hasardeux d’après la réunification. Bien géré depuis (une rareté dans l’ex-RDA des années 1990), il a su se garder des tracasseries financières et a pris le temps de se structurer en six ans de D3 avant de monter en 2. Bundesliga en 1997. Après, il y a eu 12 ans d’une curieuse règle de trois pour les montées et descentes : Bundesliga en 2000, retour en 2. BL en 2003, remontée en 2006, et redescente en 2009. Le déclin de la ville, qui vient de passer sous les 100 000 habitants (-25% depuis 1990), a ensuite rattrapé le club qui est descendu en D3 en 2014 puis en D4 en 2019. Il a manqué de peu (barragiste) la remontée en D3 en 2023 et ambitionne d’y revenir rapidement, ce qui paraît faisable sans toutefois pouvoir espérer mieux sur le long terme.

Comme premier sponsor impérialiste, une régie nationale, ça va encore, non ?

12: Sachsen Lepizig

L’arbre généalogique du club sur sa page Wikipédia allemande(4) mérite le détour, entre fusions d’avant-guerre, dissolution par les Alliés en 1945, bricolages incessants du pouvoir communiste, et mariage en dernière minute avec un autre club local. Héritier du Chemie, l’un des deux grands clubs de la deuxième ville de RDA et la treizième d’Allemagne en 1990, le Sachsen avait l’assise économique et populaire pour réussir sur le long terme. En 1991, il repartait en D3 après avoir échoué au tour de qualification pour la 2. Bundesliga. Mais une série d’équipes dirigeantes aussi ambitieuses qu’imprudentes ont conduit le club au dépôt de bilan en 2001, avec rétrogradation en D4 à la clé. La remontée en D3 en 2003 n’a duré qu’une saison, puis le club est retombé dans ses travers de mauvaise gestion. Une tentative de rachat par Red Bull en 2006 a échoué(5) et un nouveau dépôt de bilan est devenu inévitable en 2009, avec rétrogradation en D5. Cette fois, c’était pour de bon : après deux saisons sans succès et un partenariat de formation avec le RB Leipzig qui a fait fuir un public très marqué à gauche, le club a été liquidé à l’été 2011. Un tout nouveau Chemie, sans lien juridique avec l’ancien, est venu revendiquer les traditions de celui-ci et s’est depuis établi en D4.

11: FC Berlin

Pour l’ex-Dynamo Berlin en quête d’un nouveau départ, le changement de nom de 1990 aura été aussi efficace que la peau de mouton sur le dos du grand méchant loup. Le noyau dur des pires hooligans des deux Allemagnes, passés sans sourciller du communisme au néo-nazisme, va continuer de sévir pendant toute la décennie (et au-delà…) et alimenter une haine quasi-universelle du « club de la Stasi »(6) qui dure encore à ce jour. Tous ses meilleurs joueurs étant partis en Bundesliga depuis longtemps, le décuple champion de RDA se voit reversé en D3 à l’issue du tour de qualification 1990-91. Il y végète en milieu de tableau jusqu’en 2000, descend en D4 sur fond de soucis financiers croissants, puis est rétrogradé en D5 après le dépôt de bilan en 2001. Entretemps, il a repris son nom de Berliner FC Dynamo sous la pression insistante de ses supporters. Il remonte en D4 en 2004, mène à bien son redressement judiciaire, se voit déplacé en D5 avec toute sa division quand la 3. Liga professionnelle est créée en 2008, et finit par remonter en D4 en 2014. L’objectif D3 est affiché, il a été manqué de peu en barrage d’accession(7) en 2022 et c’est bien parti cette saison. Il y a la place à Berlin pour trois clubs pros, voire davantage, et le Dynamo pourrait tout à fait devenir le Millwall allemand, maléfiquement stabilisé en D2 ou D3 derrière le Hertha et l’Union.

« – Qui est notre Führer ? – Erich Mielke ! », aimaient-ils hurler du vivant de leur chef déchu…

10: FC Magdebourg

Six mois plus tôt, ils se faisaient éliminer par les Girondins de Bordeaux (0-1, 0-1) en C3. À l’été 1991, les uniques vainqueurs est-allemands d’une Coupe d’Europe, avec leurs trois titres en Oberliga et leur sept Coupes de RDA, prennent le chemin de la D3 après un tour de qualification complètement raté. Pire qu’un déclassement : une humiliation en place publique. Le club se stabilise à ce niveau, manque la qualification pour la Regionalliga quand celle-ci est créée en 1994 en tant que nouvelle D3, et se retrouve donc en D4. Il monte en 1997, redescend trois ans plus tard, et remonte en 2001. Mais les finances sont au rouge vif, sur fond de paris inconsidérés sur l’avenir, et le dépôt de bilan survient quelques mois plus tard. Rétrogradé en D4, le club retrouve la D3 en 2006 mais se voit « descendu » une nouvelle fois quand la 3. Liga est créée en 2008. Il n’évite la relégation en D5 en 2012 que grâce à l’élargissement de la D4 puis redresse enfin la barre. En 2015, c’est le grand retour chez les pros en 3. Liga, puis le haut du tableau pendant quatre ans (avec des affluences de niveau L1 française) et la montée en 2. Bundesliga en 2019, pour une saison seulement. Remonté en 2022, le club a réussi à se maintenir et semble en passe de s’établir en D2, en attendant mieux. Dans une agglomération de 300 000 habitants, et avec un tel soutien populaire, ce grand nom peut viser une place en Bundesliga.

9: Eisenhüttenstädter FC Stahl

Répétez après moi : « aïzennchuttennshtaiteur efftsé shtaal », le club des aciéries de la Ville des Fonderies. Ça faisait déjà pléonasme, mais d’un genre plus politique, quand cette ville-combinat, créée sur ordre et sur l’Oder en 1950, s’appelait encore Stalinstadt. Trois petites saisons en Oberliga (1969-1970 et 1989-1991) pour cet habitué de la D2 est-allemande (sous son ancien nom de BSG Stahl Eisenhüttenstadt) qui est reversé en D3 en 1991 en même temps qu’il atteint la finale de la Coupe de RDA face au champion et se qualifie donc pour la C2. Un premier tour pour l’honneur face à Galatasaray (1-2, 0-3), une petite décennie en D3, puis la longue chute commence : D4 en 2000, dépôt de bilan en 2004 avec abandon du championnat en cours de saison et rétrogradation en D5, descente en D6 en 2007, descente en D7 en 2013, et remontée en D6 la saison suivante. En 2016, le club fusionne avec deux autres pour former le FC Eisenhüttenstadt, lequel reste bien installé en D6 depuis. Difficile de viser plus haut dans une aire urbaine de 25 000 habitants (-50% depuis 1990) en crise quasi-continue depuis la réunification.

Camarades, en avant toute sur la route du progrès !

8: Stahl Brandenburg

L’autre métallo du groupe vient de Brandenbourg-sur-l’Havel, un peu à l’ouest de Berlin. Il a surtout connu les divisions inférieures en RDA mais s’est fermement établi en Oberliga dans les années 80 (une participation en C3) sous son nom d’origine de BSG Stahl Brandenburg. À la réunification, il se sépare de son aciérie-mère (BSG devient BSV), remporte un des deux groupes du tournoi de qualification 1990-91, et accède ainsi à la 2. Bundesliga. Il n’y reste qu’une saison et descend en D3, puis coule à pic : D4 en 1995, D5 la saison suivante. Le Stahl croule sous les dettes après avoir manqué la remontée et dépose finalement son bilan en 1998. Faute d’un plan de redressement crédible, le tribunal liquide le club qui disparaît ainsi des registres de la Fédération. Un successeur, le FC Stahl Brandenburg, est immédiatement fondé et peut récupérer la place du BSV en D5. Il s’y maintient jusqu’en 2006, puis évolue principalement en D6 jusqu’en 2018 avant de se stabiliser en D7. En 2022, il a repris le nom de BSG Stahl Brandenburg de l’époque de la RDA. On devrait à terme revoir le club de cette ville de 75 000 habitants en D6 ou en D5.

Notes :

  1. Rebaptisée de DDR-Oberliga en NOFV-Oberliga (Nordostdeutsche Fußballverband) en cours de saison.
  2. Rebaptisée de DDR-Liga en NOFV-Liga en cours de saison.
  3. https://fr.wikipedia.org/wiki/Tableau_d%27Honneur_de_la_DDR-Oberliga
  4. https://de.wikipedia.org/wiki/FC_Sachsen_Leipzig
  5. L’entreprise a alors racheté un autre club local de D4, le SV Markranstädt, devenu le RB Leipzig d’aujourd’hui.
  6. À proprement parler, il s’agissait de l’association sportive de la police (Volkspolizei), comme les Dinamo ou Dynamo dans tous les autres pays de l’Est. Son président en était Erich Mielke, ministre de la Sécurité de l’État et à ce titre chef de la Stasi.
  7. Il y a cinq groupes de D3 mais quatre places seulement pour la montée. Celles-ci sont donc attribuées selon un système de barrages tournants : les vainqueurs des deux régions les plus peuplées montent directement, l’un des autres groupes monte directement (chacun son tour tous les trois ans), et les deux restants disputent un barrage aller-retour.

(Deuxième partie à lire ici à partir du 10 novembre)

Ces maillots, ces mulets… c’est clair, c’est 1991 !

10 réflexions sur « NOFV-Oberliga 1990-1991 : The last of us, DDR-style (première partie) »

  1. Cette année 89 est certainement la première année marquante au niveau géopolitique pour ma part. J’avais seulement 9 ans mais je comprenais que les changements étaient brutaux. La chute du Mur et le bonheur des Berlinois, la fin de Ceaușescu, le manifestant posté devant le char à Tian’anmen… Melange d’espoir et de fin des illusions. Je me doutais pas que je visiterais ces endroits quelques années plus tard.

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  2. Comment fut décidée l’attribution de tickets aux clubs de l’Est dans les championnats ? Certes, la fédération est allemande n’était pas en position de force mais la répartition est particulièrement déséquilibrée. Critère purement économique ? Simulacre de critères sportifs ? Fait du prince (fédération ouest-allemande)? Bakchichs ?

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    1. La formule utilisée, dite « 2+6 » en Allemagne (c’était dans l’air du temps, en parallèle avec les négociations « 2+4 » concernant l’unification des États), est l’œuvre des présidents des deux Fédérations. Elle est en dernière analyse un choix politique plutôt que sportif ou économique. Selon ces deux derniers critères, les clubs de l’Est auraient en général dû atterrir plus bas encore. Ils avaient été pillés de leurs meilleurs joueurs dès l’été 1990, perdaient d’un coup leurs parrains (organes ou entreprises d’État dissous, démembrés, ou sans valeur), et perdaient aussi les structures de recrutement des jeunes mises en place par l’État est-allemand (les meilleurs étaient dirigés d’office vers une demi-douzaine de clubs désignés « formateurs », les grands noms qu’on connaît). Avec des affluences en chute libre, des stades et installations insuffisants, et des budgets ridicules, ils ne remplissaient les conditions d’attribution de la fameuse licence DFL qu’en jouant avec les mots, pour le moins. La suite a d’ailleurs prouvé que les points d’équilibre de ces clubs sur le terrain étaient nettement plus bas que leurs placements en 1991. C’est donc plutôt le choix politique de représenter l’ex-RDA au plus haut niveau qui a guidé le choix du 2+6.

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      1. C’est vrai qu’ils n’ont pas fait de vieux os en Bundesliga. C’était quand la dernière saison en elite du Dinamo Dresde?

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  3. Y a un sujet à faire sur le sport à Magdebourg, un peu comme j’avais essayé de faire avec Vitoria, entre le Deportivo Alaves et Baskonia. Les années 70 sont la grande période de son football mais en hand, c’est encore un niveau au dessus. Avec les premiers titres européens. Avec la figure du gardien, Wieland Schmidt.
    D’ailleurs Magdebourg est l’actuel champion d’Europe.

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    1. L’un de mes meilleurs amis est Berlinois (ex-Ouest), nous nous connaissons depuis 40 ans (qui a dit Deutschland 83 ?) Le 9/11/89, j’habitais à Los Angeles, pas moyen de partager le moment avec lui… et avant Internet, impossible d’avoir une connexion téléphonique ce soir-là, les lignes étaient saturées.

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      1. Est-ce que les Américains étaient au courant de ce qui se tramait en Allemagne à cette époque ? Ou ils s’en foutaient royalement ?

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