Niños de Rusia III – José Biriukov

Petite serie suivant les pas des Niños de Rusia et de leurs descendants, ces enfants espagnols envoyés en URSS pour échapper à la Guerre Civile

« Finalement, il a été plus difficile de devenir espagnol que de quitter l’URSS. » José Biriukov est soulagé. Nous sommes en novembre 1984 et il peut enfin revêtir officiellement le maillot du Real Madrid. Sa mère Clara est émue. Qu’il fût long le chemin du retour…

Pues, este es mi primo

A l’instar de la légende du hockey sur glace Valeri Kharlamov, José Biriukov Aguirregaviria est d’origine espagnole.
Il est né en 1963 à Moscou, fruit de l’union entre un chauffeur de taxi moscovite et d’une réfugiée basque, prénommée Carla.
Carla, originaire du village d’Ortuella, a huit ans lorsqu’elle embarque sur le cargo nommé Habana, en compagnie de son frère et sa sœur. Quittant l’Espagne et le port de Saturce, direction l’URSS, après une escale par Bordeaux.
De la guerre civile, de la traversée de sa mère et de son exil, José ne sait pratiquement rien. Le caractère téméraire de sa grand-mère et sa décision désespérée, le souvenir des larmes que Carla peine à réprimer à la simple vue d’une photo du conflit. Et cette question sans réponse. Pourquoi là-bas, si loin de sa culture et des siens ?
Comme les autres niños de Rusia, Carla grandit dans un orphelinat. C’est une femme forte et énergique, qui, malgré son passé douloureux et les difficultés de l’apprentissage du russe, fait des études à l’Institut de l’Industrie légère. Elle sera laborantine. Elle rencontre Alexander Vasilievich Biriukov. Ils ont un premier fils, Yuri, né en 1949.
En 1956, à la différence de sa sœur et son frère, Carla, mariée, décide de rester en URSS, malgré les lois d’amnistie du régime franquiste. Les hommes soviétiques étant interdits de séjour en Espagne, elle ne put jamais se résoudre à abandonner Alexander.
Le petit José grandit au sein dans une famille unie, où le russe et l’espagnol tourbillonnent dans un espéranto qu’ils semblent les seuls à comprendre. José, plus vieux, se remémorera avec nostalgie et appétit, les parfums de bortsch et de tortillas de patatas embaumant leur modeste appartement.

El Habana

Biriukov, comme tout gamin moscovite qui se respecte, joue au hockey sur glace et commence le basket à 10 ans à l’école de sport Trinta de Moscou, une référence. Il y reste huit ans, sous la conduite de Ravil Cheremtiev. Ce dernier, coach et pédagogue, cherche à former des hommes accomplis, des sportifs de haut niveau certes mais ouverts sur le monde et la culture. Chaque déplacement dans cet immense pays est l’occasion rêvée d’échanger livres et ressentis, de visiter les musées prestigieux tel celui de l’Ermitage à Leningrad.
Biriukov est un meneur-arrière trapu d’1,93 mètre, au tir extrêmement plat, quasiment sans arc dans sa trajectoire. Inesthétique au possible mais diablement efficace à longue distance. Un tir qui deviendra sa marque de fabrique, et tant pis pour ce qui est de rivaliser avec la beauté de son modèle, Sergei Belov. C’est un joueur puissant, solide sur ses appuis qui fera dire quelques années plus tard à George Karl, le futur coach des Seattle SuperSonics de Kemp et Payton, qu’il n’avait que peu d’équivalence en Europe.

En 1979, à 16 ans, sa mère l’enregistre en tant que fils d’Espagnole à l’ambassade d’Espagne à Moscou. Une ambassade, récemment ouverte, dirigée par un certain Juan Antonio Samaranch, ancien franquiste notoire, venu à Moscou, juste avant les J.O, dans l’espoir de briguer la présidence du CIO en se rapprochant des dirigeants du bloc de l’Est. Et si besoin est, en utilisant habillement le réseau de son ami Horst Dassler, patron d’Adidas. Toutefois, contrairement à son frère aîné, José ne comprend que des bribes d’espagnol.

A 18 ans, Biriukov signe chez le mastodonte du CSKA Moscou, une des grosses écuries européennes, en étant recruté par Anatoly Astakhov. Anonyme parmi de nombreux internationaux, il joue peu et son horizon semble bouché. De plus, l’impossibilité de faire des voyages d’ordre privé pour un militaire, en particulier à l’étranger pour y voir sa famille, lui pèse. Il se détourne très rapidement du CSKA et répond favorablement aux avances du Dinamo Moscou. Choix judicieux, Biriukov devient le cerveau du Dinamo, dirigé par Evgueni Gomelski, le frère d’Alexander le patriarche du basket soviétique, et l’un des espoirs les plus prometteurs. Evgueni promet à Yuri un temps de jeu conséquent pour son cadet. José est dans une situation idéale pour rejoindre par la suite la sélection senior.
Le Dynamo Moscou est une équipe jeune, joueuse, sans géant faisant la loi sous le cercle. José gagne désormais 250 roubles par mois qu’il confie presque intégralement à sa mère, devenue entre temps domestique chez le consul du Pérou. Doña Carla est la mascotte du Palais des sports de Kriljatsko, encourageant avec passion son fils cadet et se démarquant du flegme habituel des spectateurs soviétiques
A 20 ans, il est déjà vice-capitaine derrière Seryoga Kiselev et incorpore naturellement la sélection soviétique junior où il côtoie les futurs monstres européen que seront Tikhonenko, Marciulionis, Volkov ou Sabonis.

Il participe à une tournée triomphale aux États-Unis. Pendant que Sabonis, n’ayant pas encore atteint sa taille adulte, martyrise une des futurs Twin Towers des Houston Rockets, Ralph Sampson, Biriukov distille points et passes clairvoyantes au grand étonnement des Américains qui n’hésitent pas à lui proposer sous le manteau un contrat pour la prestigieuse NBA !
Mais un événement change littéralement le destin de Biriukov, la victoire au Championnat d’Europe junior 1983, organisé en Bulgarie.
Des journalistes espagnols, présents au tournoi, s’interrogent sur la sonorité hispanique de son prénom. Dans un anglais approximatif, José ne parle pas leur langue, celui-ci explique que sa mère est espagnole, une « enfant de la guerre » comme ils sont surnommés en URSS. L’histoire est publiée dès le lendemain dans le quotidien As et lue par un cousin, Javier Aguirregaviria. Ce dernier s’empresse de contacter le Real Madrid pour les convaincre de se pencher sur le cas et talent de José. « Des talentueux, vous savez, il y en a des tonnes… » rétorque poliment le Real.
Biriukov est oublié jusqu’au jour où le Dinamo se déplace à Badalone en Coupe Korac lors de la saison 82/83. José marque 36 points. Goguenard, Javier retourne au siège du Real Madrid, les bras remplis des journaux sportifs qu’il a pu récupérer. « Voilà, c’est lui mon cousin… »

Chechu de Madrid

A la suite de sa performance à Badalone, le président et directeur général du Real Madrid font une offre concrète à Biriukov, devenu international A avec l’URSS. Un conseil de famille est réuni à la hâte. Devant les incertitudes de sa femme quant à leur avenir, son père Alexander, éternel optimiste, trouve les mots justes. « Allons-y. Pour ton bonheur, Clarissa. Nous ferons n’importe quoi : balayer les rues, nettoyer les ordures, laver les voitures. José glorifiera notre patronyme, grâce au sport… »
Biriukov quitte le froid moscovite et débarque dans la capitale de l’Espagne en octobre 1983, accompagné de la totalité de sa famille. Mère, père, femme, frère, belle-sœur et une nièce. Ainsi qu’un couple d’amis, ayant finalement obtenu la permission de quitter Moscou. Un départ sans retour, il est exclu du Komsomol, l’organisation de la jeunesse communiste et perd son titre de maître des sports.
Les médias espagnols ne lâchent pas d’une semelle l’homme venu du froid et José doit sans cesse justifier son choix. On attend de lui qu’il condamne le régime soviétique, ce qu’il ne fit pas. Son contrat est faramineux, 350 000 dollars par an, et il devient un des premiers sportifs de son pays à jouer à l’étranger.
Yuri trouve rapidement une place de pédiatre mais le reste de la tribu vit aux crochets de José. Une communauté de 10 personnes logeant sous le même toit dont la première sortie à Madrid n’est pas la visite du Prado mais bien celle d’un Continente, sorte Carrefour local !

La découverte de ce nouvel environnement est rapidement ternie par la réalité administrative. L’Association des clubs de basket n’autorise pas Biriukov à jouer pour le Real Madrid en tant que joueur espagnol. Dès son arrivée, la question se posait de savoir quelle serait sa véritable nationalité sportive. Pour le Real Madrid, Biriukov est d’origine espagnole, puisque Carla l’était, comme le stipulait la réforme du Code civil instaurée par Francisco Fernández Ordóñez, ancien ministre de la Justice.
Pourtant la Fédération, qui s’était autrefois mobilisée pour accélérer la naturalisation des Américains Brabander, Luyk ou du Dominicain Sibilio, traîne étonnamment des pieds dans cette affaire et José démarre une longue bataille juridique pour clarifier sa situation. Il dépose une demande de naturalisation le 19 janvier 1984 et, le temps de la procédure, n’est autorisé qu’à jouer des matchs amicaux, débutant sous la tunique madrilène pour les 50 ans du Maccabi Tel-Aviv.
Une période d’inactivité difficile à encaisser pour José qui craint de perdre sa belle dynamique. Heureusement l’accueil de ses nouveaux coéquipiers est chaleureux. Biruikov partage désormais le quotidien de grands joueurs tels Iturriaga, Corbalán, les frères Martín, Romay ou Wayne Robinson. Le vétéran Rafael Rullan devient son mentor, inculquant au jeune russe la culture de la gagne héritée du coach Pedro Ferrándiz et de Raimundo Saporta. En novembre 1984 il fait enfin ses débuts officiels face au Caja de Alava mais, au regard des règles FIBA en vigueur à l’époque, devra attendre trois ans pour participer aux compétitions européennes de clubs, autant pour candidater à l’équipe nationale espagnole. Une éternité…

Biruikov intègre un groupe affamé, dominé par la personnalité de Fernando Martín, un des pionniers européens en NBA. Le coach Lolo Sainz développe un jeu agressif en défense, rapide en contre-attaque, les titres s’enchaînent nationalement. Le Real échoue, sans Biriukov, en finale européenne 1985 face au Cibona Zagreb des frères Petrović qui deviennent pour plusieurs saisons les rivaux numéro un. Et échange quelques gnons à l’occasion avec les San Epifanio ou el Perro Atomico Norris lors de de duels acharnés avec le Barça. Le basket espagnol change de dimension lors de cette décennie 1980. L’intelligence de jeu de Biriukov et son tir à trois points en font un des favoris du public madrilène, Chechu intègre la sélection espagnole face à la Hongrie en 1987. Ne pouvant s’empêcher de s’imaginer épousant la gloire olympique de Sabonis et Marciulionis à Séoul. 1988 sera malgré tout un grand cru. Biriukov partage le parquet de Larry Bird et des Celtics lors de l’Open McDonald’s organisé à domicile et prend sa revanche sur le Cibona en finale de Korac, malgré les exploits de l’insaisissable et caractériel Dražen Petrović.

Finale de Korac 1988

La mort de Fernando Martín

A l’été 1988, le Real frappe un grand coup en recrutant l’étoile du basket européen, Dražen Petrović. Un apport sportif indéniable qui ne déclenche pourtant pas l’euphorie chez la vielle garde madrilène. Celle-ci n’a pas oublié l’attitude provocatrice de la diva croate et Petrović et Fernando Martín, récemment revenu des Portland Trail Blazers, se disputent publiquement le leadership de l’equipe. Petrović est un joyau comme le continent n’en a jamais connu, un acharné des séances de tirs qu’il partagera longuement avec Biriukov. C’est également un incorrigible égoïste qui tire constamment la couverture à lui. Le Real laisse en ACB passer le train du Barça d’Epi mais se rattrape en gagnant la Coupe Saporta face aux Italiens de Caserta. Óscar Schmidt met 44 points ce soir là, Dražen en mettra 62. 62 points en finale FIBA…

Petrović et Martín réconciliés

La saison 1990 du Real Madrid est certainement une des plus tristes de sa longue histoire. Petrović, deux jours avant la reprise, s’enfuit pour l’Oregon et le fond du banc des Blazers, tandis que George Karl, un temps l’entraîneur le mieux payé du monde, tente de recoller les morceaux grâce à un jeu basé sur la vitesse et les tirs à trois points. L’élan sera de courte durée. Le 3 décembre 1989, Fernando Martín se tue dans un accident de voiture à 27 ans. La mort de celui qui est à l’époque le plus grand joueur espagnol de l’histoire est un traumatisme que les Madridistas mettront des années à digérer. Et s’il était besoin d’en rajouter, Biriukov est absent pendant huit mois pour blessure, ratant le mondial argentin.
Comme le soulignera Biriukov, le Real dérive pendant de nombreuses saisons, se faisant également damer le pion en Liga ACB par la Joventut Badalona de Jordi Villacampa. Seule éclaircie au panorama ambiant, une nouvelle victoire en Saporta au dépend du PAOK de Fassoulas et Brane Prelević sur un panier au buzzer anthologique de Rickey Brown. Sur la plan international, ce n’est guère mieux. Biriukov joue enfin les Jeux Olympiques avec l’Espagne à Barcelone mais ne peut éviter la honte absolue d’une défaite face au modeste Angola. Un Angolazo

Une ancienne connaissance de Biriukov va remettre le Real et José sur les bons rails, Arvidas Sabonis. Le rival de Petrović, considérablement diminué par de multiples blessures, n’est plus ce pivot mobile qui devait dominer le monde du basket. Il reste néanmoins une anomalie, un géant tirant à trois points, un mur infranchissable en défense et certainement le plus grand pivot passeur jusqu’à l’arrivée de Nikola Jokić.
José et Arvidas se connaissent depuis les Spartakiades, ces jeux regroupant les différentes fédérations composant l’URSS, et se comprennent instinctivement sur le terrain et en dehors. Même si Biriukov redoutera toujours les tournées de bars en compagnie du gigantesque Lituanien ! Le Real gagne l’ACB en 1993, sept ans après, et l’arrivée de Kurtinaitis le shooteur permet au public madrilène de découvrir la maestria du ballet soviétique.
En 1994, le coach Obradović, déjà titré en Euroleague avec le Partizan et Badalone, est engagé. José ne s’épanouit pas dans ce basket lent et tactique et perd progressivement sa place sur le parquet. Mais les résultats donnent raison au génie serbe, les Sabonis et Arlauckas offrent en 1995 au Real, face à l’Olympiakos de Volkov, sa première couronne continentale depuis 15 ans !

Biriukov, les genoux esquintés, arrête sa carrière sur ce fait d’armes et un match d’adieu face au CSKA, à 32 ans à peine. En légende consacrée à Madrid et habile entrepreneur par la suite. Yuri, son frère, ouvrira sa propre clinique pédiatrique tandis que leur père mourra en 1991, après avoir longtemps travaillé en tant que mécanicien en Espagne, juste avant la chute définitive de l’URSS. Sa mère Carla passera son temps à voyager, de Bilbao à Moscou, en femme libre. Éternellement reconnaissante envers ce fils lui ayant restitué un petit bout de son enfance volée…

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26 réflexions sur « Niños de Rusia III – José Biriukov »

      1. D’ailleurs en parlant de Galis, De Colo va battre son record de points inscrits en Coupe d’Europe. Avec beaucoup plus de matchs et une moyenne plus basse que le grec mais une belle récompense pour ce superbe joueur qu’est Nando.

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  1. Eh bien Khiadia, un merci renouvelé pour cette magnifique série, fortiche.

    Et pas trop tard pour que j’apprenne que Biriukov était de souche espagnole, ça n’avait jamais fait tilt.. Très belle histoire, qui m’a à certains égards (ces mesquineries administratives) fait penser à Lozano.

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    1. Je peux pas l’affirmer pour la mere de Biriukov mais il y a de fortes chances que Gomez le footeux et Bégonia, la mère de Kharlamov se soient rencontrés. Ils grandissent tous les 2 dans un orphelinat à Odessa. Mais il avait plusieurs secteurs.

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    2. Je te mets un résumé de la finale de Saporta 89 entre le Real de Petrovic et Caserte d’Oscar Schmidt. Donc Schmidt met 44 points et Drazen 62 ! Biriukov raconte qu’ils étaient assez mécontents de la prestation de Drazen parce qu’il avait été très individualiste tout le match et qu’ils avaient failli perdre la finale!
      https://youtu.be/HPkXkZZsPGw

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  2. I’m back désolé les gars^^
    merci pour ce moment de bonheur sur le vieux basket des 80’s les vieux noms aussi, bien doux a mes oreilles d’enfant et d’ado de l’époque! Marciulionis, Sabonis père, Kortinaitis ou Drazen!
    dans ton récit j’entends coupe Sporta le Cibona Zagreb (il manque plus que Varese et Cantu), oui comme un vieux je suis attaché aux souvenirs de la coupe des coupes 88 remportée par le CSP (mon 1er souvenir de basket je crois) ou la coupe Korac, quasi propriété des clubs français au début des 80’s avec le CSP et Orthez, ou Badalone des noms de clubs mythiques des 80’s en europe!! Oscar Schmidt le plus grand joueur international à n’avoir jamais joué en NBA (mais quand même au all of fame de Springfield)

    elle est sympa cette petite photo contre le CSP Limoges de Toung (quel joueur!) et Verove c’est donc en 93 au final four je présume petit moment de pure nostalgie (surtout après la déculottée du CSP ce wk a la leaders cup)

    merci aussi de ce rappel pour ce pan d’histoire des Espagnols qui fuient le Franquisme et vont vivre en URSS sacré dépaysement soit je l’ignorais (probable) soit je l’ai oublié!
    en sens inverse il y a le handballeur Talant Dujshebaev sovietique d’abord qui deviendra Esapgnol même si c’est après la chute du mur
    bien joué mon grand!!

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    1. Merci Sainte! Ce texte était un peu destiné aux fans de basket FIBA dans ton genre.
      On voit sur la photo du CSP Willy Never Nervous Redden!

      Les fistons Dujshebaev ne sont pas au niveau de Talant qui est un des plus grands de l’histoire mais sont également très forts. Surtout Alex, à mon avis le meilleur espagnol depuis plusieurs années.

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