Dévouée à la cause de ses lecteurs, de plus en plus nombreux (pour nous prémunir de sollicitations d’annonceurs, nous ne communiquons pas sur la fréquentation du site, retenez simplement que la courbe des visites et des pages lues suivent des trajectoires exponentielles), la rédaction de Pinte de Foot a décidé d’envoyer un de ses envoyés spéciaux et un photographe enquêter sur une affaire rocambolesque qui va nous mener successivement à Buenos Aires, Mexico et Atlanta.
Napoleón, le talisman
Dans les années 1930, le Clásico de Villa Crespo s’installe doucement, expression d’une rivalité de quartier entre Chacarita Juniors[1] et le Club Atlético Atlanta. Camilo Di Bella, gardien de Chacarita, possède alors un chien appelé Napoleón qu’il ne peut ou veut conserver et qu’il offre à un ami socio d’Atlanta, Francisco Belón. Le bâtard, né probablement de l’union fugace d’un teckel et d’un canidé aux origines incertaines, change de camp et fréquente désormais le stade du Bohemio (surnom d’Atlanta) où il prend l’habitude de participer à l’échauffement des joueurs. Ernesto Periclito, 93 ans, se souvient du chien : « entendez-moi bien, señor, Napo, parce que je l’appelais Napo, n’a jamais pissé sur le terrain. Jamais ! » En 1936, après des saisons sportivement désastreuses marquées par une grande instabilité de l’effectif, Atlanta réalise enfin un bon championnat et Napoleón acquiert le statut de porte-bonheur.
La légende du perrito naît véritablement à l’occasion d’un match contre Talleres. Effrayé par l’explosion d’un pétard, le chien s’enfuit précipitamment. Au moment où réapparaît le corniaud, Atlanta est mené 1-5. Sa présence semble transformer les joueurs du Bohemio, ces derniers parvenant contre toute attente à combler leur handicap et arracher le match nul, 5-5. Convaincus du pouvoir ésotérique du toutou, les joueurs exigent systématiquement sa présence, ce qui nécessite de le faire voyager incognito en tramway ou en bus à travers Buenos Aires.
La belle histoire prend fin en avril 1938, quelques heures avant un déplacement sur la pelouse d’Estudiantes La Plata. Ernesto Periclito, témoin de la tragédie, nous raconte : « avec mes parents et mes frères, nous habitions dans un petit appartement de la calle Muñecas. J’avais l’habitude de jouer avec Napo, parce que je l’appelais comme ça, Napo. J’étais avec lui quand un autre chien est passé sur le trottoir d’en face. Napo est alors parti en trombe vers le perrito au moment où passait une Buick. J’insiste, c’était une Buick, pas un camion comme certains le prétendent. Ça me rend fou quand j’entends que c’était un camion. J’ai couru jusqu’à Napo mais il n’y avait plus rien à faire. » Ernesto sort un mouchoir grand comme un torchon et essuie une larme, un moment particulièrement fort dont nous nous souviendrons longtemps.
L’animal jouit d’une telle image que les dirigeants d’Atlanta proposent de l’embaumer. Figé sur une planche de bois sombre, un ballon sous une patte, Napoleón est précieusement conservé par Francisco Belón et ses héritiers. Nous avons recherché la famille du taxidermiste mais nous avons dû nous rendre à l’évidence : il n’a laissé ni témoignage écrit, ni descendance.
Devenu le symbole du Bohemio, après toilettage et époussetage, le chien sort de temps à autre de l’appartement des Belón pour être exhibé dans l’Estadio Don León Kolbowsky en amont de matches importants, comme s’il s’agissait d’une relique constitutive d’un rite païen.
Moisés González Márquez
En 1996, le CA Atlanta vivote en seconde division, en proie à d’importants problèmes financiers. Comment le Mexicain Moisés González Márquez atterrit-t-il à Buenos Aires, et plus précisément à Atlanta ? Personne ne s’en souvient vraiment, lui-même n’étant pas très clair lorsque nous l’avons joint pour la première fois : « je crois qu’ils m’ont confondu avec Rafael Márquez, qui était alors un grand espoir. Moi, je finissais une formation d’expert-comptable. »
L’arrivée d’un Mexicain dans le championnat argentin est toujours une source d’inquiétude pour les hinchas du club concerné tant les réussites sont rares. Sur le site enunabaldosa.com, l’auteur de la page dédiée à Moisés González Márquez relève que la signature d’un Mexicain suscite en général deux réactions : encore un faussaire et qu’avons-nous fait pour mériter cela ? La vérité oblige à écrire que le court séjour de González Márquez avec le Bohemio conforte cette analyse un peu abrupte. Il inscrit un but en dix rencontres puis reprend un vol pour Mexico et le club de Cruz Azul où il ne laisse pas un grand souvenir sur le plan sportif.
Le départ de González Márquez aurait pu être fêté comme un soulagement si un événement dramatique n’était intervenu la nuit précédant son départ : des inconnus visitent le domicile des Belón durant leur sommeil et volent Napoleón. Les investigations du sergent Domingo Dogo ne donnent rien : « nous avons fait appel à la police scientifique, interrogé des dizaines de suspects, épluché les fichiers des zoophiles nécrophiles, rien, nada. » Une enquête complexe pour Dogo, suspecté de ne pas tout mettre en œuvre pour retrouver Napo et accusé d’être hincha du grand rival Chacarita. Quand nous l’interrogeons sur ces injustes reproches, il ânonne quelques mots, sans doute un patois porteño que nous ne parvenons pas à comprendre[2].
Pour Osvaldo Belón, le fils de Francisco ayant grandi en jouant avec le cadavre de Napo, le traumatisme est immense, c’est comme si le perrito était mort une seconde fois. Il perd l’appétit et ses cheveux en une nuit, ne parvenant à reprendre pied qu’à l’issue d’une longue thérapie et d’un strict régime végétarien.
Rebondissement à México
L’affaire aurait dû en rester là si Moisés González Márquez n’avait pas été rongé par le remord. Car, vous l’avez deviné, il est l’auteur de ce vol ignoble. Il a fallu beaucoup insister pour qu’il nous accorde cet entretien exclusif. « Quand j’ai vu Napoleón porté en triomphe devant les supporters, j’ai compris qu’il s’agissait d’un chien sacré, celui que mes ancêtre nahuas appelaient Xoloitzcuintle. Cet animal protège les défunts dans leur voyage vers l’au-delà et prend place dans la tombe du défunt. Les Dieux m’ont alors intimé l’ordre de m’en emparer pour qu’il soit à mes côtés à ma mort. » Les yeux baignés de larmes, Moisés tente en vain de nous émouvoir.
Quand nous l’interrogeons sur les raisons qui l’ont poussé à avouer le rapt du chien, Moisés se reprend. « Venu me rendre visite, un shaman a vu le chien, la patte posée sur le ballon. Il s’est mis à l’examiner en détail et au bout d’un moment m’a assuré qu’il s’agissait d’un animal élevé pour être mangé, son ventre rond l’attestant, et qu’il n’avait rien de sacré. » Passée la déception, Moisés décide alors de restituer la bestiole mais ne sachant comment s’y prendre, sollicite un salarié de Cruz Azul en lui demandant de l’expédier au CA Atlanta avec un petit mot d’excuse.
Début 2023, le trophée empaillé arrive entre les mains de Javier, le magasinier du club. Nous l’avons joint au téléphone : « moi, je ne voulais pas y toucher, il me faisait peur. Avec mon collègue Miguel, nous avons enfilé des gants et l’avons mis dans une grosse boîte. Miguel a inscrit l’adresse d’Atlanta sur le formulaire et avons remis le colis à l’employé des Correos de Mexico. »
Les dirigeants de Cruz Azul préviennent leurs homologues du CA Atlanta du prochain retour de Napoleón, plus de 25 ans après sa disparition. La nouvelle se répand comme une trainée de poudre, Osvaldo Balón est informé et une grande fête est prévue dans l’Estadio Don León Kolbowsky. Les jours passent, chaque vol d’Aeroméxico est célébré mais les déceptions s’accumulent : aucune caisse contenant un chien embaumé n’est débarquée alors que les interlocuteurs de Cruz Azul sont formels, Napoleón a bien été expédié (si cela n’était pas aussi cruel, nous aurions chantonné l’air de Nino Ferrer « Z’avez pas vu Napo ? Oh la la la la la. Où est donc passé ce chien ? »).
Atlanta ou Atlanta ?
La suite, c’est Javier qui nous la narre : « Miguel, il a envoyé le chien à Atlanta. En Géorgie. Atlanta United Football Club. Miguel, il pouvait pas savoir, il connaît pas Atlanta en Argentine. » La méprise constatée, Miguel justement licencié[3], Cruz Azul contacte le club de MLS. Nous avons pu parler avec George, celui qui a réceptionné le colis : « Quand j’ai vu le clébard, j’ai cru qu’il s’agissait d’une mauvaise blague. Je l’ai pris en photo puis je l’ai mis directement dans l’incinérateur. Il était bien sec, il s’est consumé très rapidement. » La blague de George nous heurte, évidemment, mais nous ne disons rien.
A Buenos Aires, dans le quartier de Villa Crespo, cette issue ne fait rire personne. Ernesto Periclito s’énerve : « ces Gringos, ils ne respectent rien. » Quelques jours après l’annonce de la troisième et dernière disparition de Napo, une cérémonie se tient sur les lieux de sa première mort, en 1938. Ernesto est évidemment présent et trouve les mots justes : « quand je suis arrivé après l’accident, il était tout haletant, il semblait s’en remettre à moi. Madre de dios, cette respiration saccadée, ce regard trouble, cette langue pendante, je ne les ai croisés qu’une seule autre fois dans ma vie. C’était en 1949, avec Marga, ma défunte épouse, paix à son âme. »
En apprenant le drame, Moisés González Márquez s’attache à réparer sa faute. Sur la foi d’une photo, un ami sculpteur réalise une œuvre représentant Napoleón, une merveille saisissante de réalisme, les parties intimes du perrito étant particulièrement réussies. Nous avons demandé à Osvaldo Belón ce qu’il a ressenti à la réception du chien en marbre noir : « j’ai d’abord voulu m’en débarrasser mais un ami m’a assuré que le marbre diffusait une énergie douce dissipant la tristesse et dissolvant les peurs. Au début, je ne l’ai pas cru. Et puis comme par miracle, j’ai retrouvé l’envie de faire des asados et mes cheveux ont repoussé sur les tempes. Alors j’ai décidé de le garder. D’ailleurs, c’est bien pratique, je peux le sortir même quand il pleut. »
Osvaldo viendra bientôt présenter son nouveau Napoleón aux hinchas du Bohemio. Espérons que l’estadio Don León Kolbowsky l’accueillera chaleureusement. Nous serons là pour partager avec vous ce moment, à n’en pas douter, rempli d’émotions.
[1] Non, Chacarita Juniors n’est pas le surnom du fils de Shakira et Piqué.
[2] « La concha de sus madres. Se sudán la polla, bastardos de hinchas bohemios ». Si une âme charitable veut nous traduire le dépit du sergent Domingo Dogo, qu’il s’adresse à la rédaction de Pinte de Foot, un abonnement d’un an à notre édition papier lui sera offert.
[3] Miguel n’acceptait de nous parler à condition que nous lui versions 1000 dollars. Soucieux de la maitrise des frais généraux de Pinte2foot, nous avons refusé de nous soumettre à ce chantage.
Il est très animal cette semaine Verano. Un chien, un puma, un lapin…
Tsss tsss, je ne suis pas l’envoyé spécial de P2F. D’ailleurs, je ne connais qu’une histoire de chien argentin, celle de Boneco avec Independiente (je ne retrouve pas le texte posté naguère sur Sofoot).
Haha. A Toulouse dans les années 90, notre mascotte etait une boite géante de Cachou Lajaunie. Le mec faisait donc le tour du terrain déguisé comme ça. Et le plus intéressant, c’est que l’on a appris que c’était un mec de mon quartier qui faisait la mascotte. Comment gagner un surnom à vie.
Je crois que c’est un des maillots les plus laids du championnat français
https://www.google.com/search?q=tefece+1991&tbm=isch&ved=2ahUKEwi05rePmof-AhWFnCcCHclyCK0Q2-cCegQIABAC&oq=tefece+1991&gs_lcp=ChJtb2JpbGUtZ3dzLXdpei1pbWcQAzoFCAAQogRQ2QhYlRNgxxhoAHAAeACAAXWIAaMCkgEDMi4xmAEAoAEBwAEB&sclient=mobile-gws-wiz-img&ei=8VwnZPSpBoW5nsEPyeWh6Ao&bih=921&biw=360&client=ms-android-samsung-gj-rev1&prmd=ivsn#imgrc=MYP5T2_GQ3TlfM&lnspr=W10=
Oh put***, on ne peut pas l’oublier après l’avoir vu. Les maillots actuels, surtout l’extérieur avec ses fines rayures façon années 80, sont en revanches superbes et font un joli clin d’oeil aux grandes heures de l’ère Visentin.
Pauvre Marcico. Ce qu’on lui a fait subir. De nos jours, il jouerait à West Ham ou Southampton. Actuellement, ils sont assez beaux, c’est vrai.
« Ernesto Periclito, témoin de la tragédie »… Joli. L’auteur a oublié de préciser que Napo s’était pris d’affection pour la légende absolue du Bohemio, le numéro 10 de l’Atlanta, un certain Antonio Panenca. Il manque aussi l’escapade de Napo en 1986 lors d’un match amical de l’Atlanta à Vienne à l’occasion de l’arrivée de Mario Kempes au First Vienna. Oublié à l’arrivée des bagages à l’aéroport par un intendant peu attentif, Napo ne doit son salut et son retour au bercail qu’à la présence providentielle de quatre supporters d’Everton en route vers Bucarest pour soutenir leur équipe en demi-finale de C1 face au Steaua. (Voir à ce propos P2F du 6 janvier 2023.). L’un d’eux, fin connaisseur de superstitions en tous genres, repère immédiatement l’égaré et alerte le personnel d’Aerolineas Argentinas qui arrange d’émouvantes retrouvailles.
Existe-t-il une photo de Kempes avec Napo ? Ce serait tellement émouvant de pouvoir se la procurer, la faire dédicacer au Matador et ensuite l’adresser au Señor Periclito.
Le Señor Periclito n’a-t-il pas déjà… euh, périclité ?
Domingo Dogo était tout à fait indiqué pour cette enquête pourtant… ^^
La vraie question est: Napo avait-il pu rencontrer Plekszy-Gladz au cours de son illustre carrière?
Le maréchal n’ayant accédé à la moustachure suprême qu’après la guerre, seul le fils de Napo aurait pu le rencontrer. Un vrai Napo baby.
La beauté du maillot ne coïncide pas toujours avec les résultats sportifs… Le plus beau maillot de l’histoire du Werder Brême, le seul maillot que je me sois jamais acheté, est à mon sens celui de la saison 2013-14 avec son fond en petits losanges (symbole du club) clairs et foncés. C’est la saison où ils ont pris 0-7 à la maison contre le Bayern.
Ahah à qui doit on ce texte incroyable?
Dans une approche, disons, « Argentine d’Epinal », c’est crédible jusqu’à la bobine d’Aznavour!
Mais ce pourrait ne pas être qu’argentin : les anglo-saxons aussi adorent ce genre d’histoires avec des chiens-chiens.
Je viens sur ce point de relire l’histoire dudit « Just Nuisance », dont je visitai jadis le musée à Simons Town (il pleuvait à verse).. Dingue à quel point c’était juste un bête, grand clebs..et cependant il a son musée, ses (!) statues, sa wiki-page (castarde!, ne manque que la marque de ses croquettes), son sentier..
Qui a visité ce musée se doit aussitôt d’être équitable : Argentins et Anglais se valent au moins sur ce point!, je crois même que les anglo-saxons sont les pires.
La page wiki de Boneco d’Independiente.
https://es.m.wikipedia.org/wiki/Boneco
Sur le coup, c’est 1-0 pour la faconde argentine..et je dis ça avec toute la bienveillance que j’ai pour les cultures dites populaires.