« Messieurs, nous pouvons le reconstruire. Nous en avons la possibilité technique. Nous sommes capables de donner naissance au premier homme bio-ionique… Le plus fort, le plus rapide, en un mot, le meilleur. »
Moteur !
Après le carton historique de la série L’homme qui valait trois milliards au début des années 1970, Steve Austin, astronaute, est dans tous les esprits en France. Le football n’est pas épargné, d’autant plus que les triomphes à répétition des athlètes néerlandais et allemands ont scellé la prise de pouvoir du physique des gens du Nord sur la tactique des Latins. Le Saint-Étienne de Robert Herbin a été la première équipe française à suivre la course aux armements, avec entre autres un Dominique Bathenay, athlétique et endurant (1,81 m, 73 kg), qui représente le prototype du milieu récupérateur de l’époque. Mais la décennie tire maintenant à sa fin, le jeu demande toujours plus de vitesse et de puissance, et le box-to-box de 1975 n’a plus guère que le format du libero de 1980.
La solution a un nom : Jean-François Larios. Plus jeune que Bathenay de deux ans, plus grand (1,86 m), plus lourd (81 kg), plus rapide que son modèle, ce produit du centre de formation des Verts a éclaté en 1977-78 lors d’un prêt à Bastia et de l’épopée européenne des Corses jusqu’à une finale de C3 perdue face au PSV Eindhoven. Dans un registre un peu plus offensif que Bathenay (on le verra même avant-centre un soir de Coupe d’Europe), il peut occuper tous les postes dans l’entrejeu. Revenu dans le Forez à l’été 1978, appelé pour la première fois en Bleu à l’automne, il forme avec Jean-Marie Élie et Michel Platini l’excellent milieu de terrain d’un Saint-Étienne qui a retrouvé les sommets.
Les Allemands ne font jamais les choses à moitié. Là où les Franzosen ont sorti un homme nouveau, ils en ont fabriqué deux, dans le même moule physique (1,88 m, 84-85 kg) mais de vocations très différentes. En remplacement de Rainer Bonhof (1,80 m, 72 kg), l’étalon-or des années 70 au poste de numéro 6, le monde a découvert Hans-Peter Briegel, plus jeune de trois ans, bien plus grand et plus costaud, avec en prime une pointe de vitesse de décathlonien : 10,6 secondes sur 100 m à 16 ans… À la pointe de l’attaque aussi, le vent nouveau a soufflé. Dieter Müller (1,82 m, 80 kg), qui avait pourtant presque fait oublier son illustre homonyme Gerd, a dû céder la place à Horst Hrubesch, que son jeu aérien dévastateur fera surnommer Kopfball-Ungeheuer (« monstre de la tête »), pas maladroit du tout avec les pieds et bien plus intelligent dans le jeu qu’il y paraît. Le duo s’est distingué au sein de la séduisante nouvelle vague allemande (Schumacher, Kaltz, K.-H. Förster, Schuster, Hansi Müller, Rummenigge, Allofs…) qui vient de remporter l’Euro 80.
Les Bleus de Michel Hidalgo, non qualifiés pour l’Euro après la désillusion du Mundial 1978, cherchent à s’étalonner à une époque où le football tricolore attend encore son premier titre. Entre deux matchs de qualification à la Coupe du monde 1982, ils vont donc affronter les nouveaux champions d’Europe en amical chez eux, à Hanovre, le 19 novembre 1980. Jupp Derwall s’est permis de laisser souffler Stielike et Rummenigge (Breitner, fâché avec sa Fédération, n’est pas encore revenu en grâce) et aligne Schumacher – Kaltz, K.-H. Förster, Schuster, Dietz – Briegel, H. Müller, Allgöwer, Votava – Hrubesch, Allofs. Michel Hidalgo, lui, n’est privé que de Marius Trésor et aligne son meilleur XI possible compte tenu de la blessure de Bernard Lacombe : Dropsy – Janvion, Specht, Lopez, Bossis – Tigana, Platini, Larios – Zimako, Rocheteau, Amisse (Didier Six, le numéro 11 habituel, est sur le banc et entrera en fin de match). On va voir ce que donne le choc des hommes nouveaux.
Action, scène I
Les choses ne vont pas bien pour les Bleus. Dès la 5e minute, Allofs a poussé Janvion à la faute et Kaltz a ouvert la marque sur penalty. Les Tricolores, brouillons, désorganisés, asphyxiés par la puissance allemande, ont du mal à sortir de leur camp, sans toutefois que la RFA ne se crée beaucoup d’occasions franches. On en est encore à 1-0 quand survient la 37e minute. Hrubesch, à 40 mètres du but français, a permuté avec Klaus Allofs pour prendre la gauche du duo d’attaque et gratte un ballon entre Larios et Zimako. Le voilà parti en puissance dans l’espace béant entre les lignes françaises. Larios, revenu, et Specht ferment les voies d’une passe en profondeur, aussi le 9 du HSV donne-t-il aux 30 mètres à Briegel lancé dans l’axe.
« Nenenenenenenenenene…. »
Sûr de sa force, l’arrivant charge vers le but et efface Bossis, dont on se demande ce qu’il fait là en tant que latéral gauche, d’un crochet sans bavure dans la course. Aux 20 mètres, trois Bleus sont là, mais ces Gaulois-là mettent à peu près autant d’empressement à aller au duel que les Romains en voyant arriver Obélix. Ils se contentent de faire les poissons-pilotes jusqu’à dix mètres du but où le cyborg plante un solide plat du pied à ras de terre hors de portée de Dropsy sorti à sa rencontre. Même pas besoin d’un coup d’épaule ou d’une accélération pour semer un poursuivant, juste la percée tranquille du Panzer invincible. On a connu des mottes de beurre plus résistantes que cette défense française aux allures de mai 1940.
Action, scène II
Larios a réduit la marque sur penalty peu après le 2-0 de Briegel, Zimako a eu deux occasions perdues en un contre un face à Schumacher, puis les Bleus n’ont plus donné signe de vie. La RFA, maîtresse absolue au milieu du terrain, a repris deux buts d’avance (3-1, 62e) sur une spéciale HSV « centre de Kaltz, tête de Hrubesch », un peu aidée par un Dropsy figé sur sa ligne, et contrôle tranquillement le match. Il reste une minute dans le temps réglementaire quand Hrubesch, encore lui, vient gratter un ballon dans le rond central face à Jean Tigana et trouve Hansi Müller qui le lance vers le but d’un extérieur pure soie.
« Nenenenenenenenenene…. »
Le caviar de Müller, en diagonale vers la droite, prend la charnière centrale des Bleus à revers. Léonard Specht reste tout de même bien placé pour récupérer la balle mais Hrubesch lui reprend en 20 mètres les trois de retard qu’il avait et vient tacler le Strasbourgeois comme un défenseur au coin de la surface. Specht (1,80 m, 80 kg) a beau jouir d’une réputation de costaud en Division 1, il ne fait pas le poids et c’est lui, le central de métier, qui va au tapis pendant que le monstre se relève et continue comme si de rien n’était. Excentré à 10 mètres, Hrubesch pourrait frapper mais choisit intelligemment d’enrouler au second poteau pour Klaus Allofs, lancé, qui fusille Dropsy de la tête aux six mètres.
Épilogue
4-1, les Bleus n’avaient pas connu pareille défaite depuis l’humiliation totale (5-0) subie à Wembley en amical en mars 1969. Larios a été l’un des meilleurs Bleus mais a à peine existé face aux nouvelles armes allemandes. La « correction de Hanovre » vue par la presse, en particulier le « qui s’y frotte s’y pique » à l’envers sur le dernier but, ravive instantanément le complexe d’infériorité d’un football français qui n’a encore jamais rien gagné à l’époque. Sept des vaincus de novembre 1980 (Bossis, Janvion, Lopez, Platini, Rocheteau, Six, Tigana) seront sur le terrain à Séville dix-huit mois plus tard. Quatre d’entre eux (Rocheteau, Six, Platini, Bossis, dans cet ordre) prendront part aux tirs au but, deux (Six et Bossis) échoueront sur Schumacher. Côté ouest-allemand, cinq des vainqueurs de Hanovre (Briegel, K.-H. Förster, Hrubesch, Kaltz, Schumacher) seront de la partie. Deux tireront au but (Kaltz et Hrubesch, dans cet ordre) et marqueront. Quoi qu’on ait pu en dire avant la rencontre (« Ce n’est pas le même match », etc.) et depuis, il n’est pas interdit de penser que les souvenirs du Niedersachsenstadion auront joué dans les têtes des deux côtés… et qu’un simple match amical aura peut-être changé le cours de l’histoire du football.
Les buts : https://www.youtube.com/watch?v=EIX7xRaOHtg
Karl Allgöwer, je l’avais oublié. Il jouait en défense centrale en fin de carrière et était le capitaine du VfB Stuttgart en finale de l’UEFA 1989 contre le Napoli.
C’est l’ami Patxi qui a vu cette génération du VFB 1989 lors d’un match face à la Real Sociedad. On en avait parlé une fois.
La « Maanschaft » et ses belles bêtes de tailles… Culturellement, ou plutôt enfant, celui qui m’a le plus marqué était Stefan Effenberg, je l’ai toujours considéré comme étant une espèce d’ « Oliver Kahn sur le champ », un « vampire version footballeur »!
Oliver Kahn, c’était Hulk. C’est la première image que j’ai eue de lui et elle était partagée! Certainement mon gardien allemand préféré.
Je l’avais vu pour la 1ere fois lors d’un Karslruhe – Girondins en Coupe d’Europe et il avait été monstrueux.
Trop allemand pour moi!, toujours dans l’agressivité, le combat de coq ou de territoire……… Ce sera décidément Illgner pour moi.
C’étaient les années 90 et les footballeurs avaient déjà commencé leur transformation en athlètes complets. Dix ans avant, c’était autre chose. Aujourd’hui, le joueur lambda de L1 ou de Bundesliga court 12 km par match. En 1980, Jean Tigana faisait figure d’exception infatigable en France en faisant ses 6 km… Dans ce monde-là, un Briegel de 1,88 m et 85 kg qui courait le 100 m en 11 secondes était un véritable ovni genre Jonah Lomu.
Malcolm MacDonald avait été du même bois, mais dix ans plus tôt. Un peu plus petit, certes. Mais construit comme un taureau, le 100 mètres en moins de 11 secondes aussi.
Puisque tu le cites sans le citer : les capacités physiques de Brieghel me choquent bien moins, infiniment moins, que celles d’un Cruyff. Cruyff est un produit du transhumanisme, c’est suffisamment documenté, son esthétique même fut rectifiée vaille que vaille, comme pour répondre à certain cahier des charges. Et son surnom de « Flaco » ou son tabagisme sont des cache-sexes : lui aussi courait le 100 mètres en moins de 11 secondes, endurance au top aussi, le tout avec un physique de gringalet et..des piqûres d’hormones à foison pour le fortifier, en sus des stimulants pris..
Brieghel, il y en eut peut-être, sans doute même : tu as lu Schumacher, le dopage sévissait dans le vestiaire ouest-allemand…………mais en eut-il tant besoin, bof…….. Y a des mecs naturellement mieux foutus, constitués. Ou chez qui les travaux des champs dès la jeunesse ont fat un bien fou, un Wilmots par exemple. Ce genre de gaillards ne requiert pas d’être augmentés.
Briegel aurait effectivement pu figurer dans un tableau de Brueghel 🙂 Lui et Elkjaer-Larsen à Vérone, c’était « lâchez les bisons furieux » à chaque match ! « Supermac » Macdonald, c’est juste au début de mes souvenirs de foot, il me semble qu’il a arrêté sa carrière en 1979. Il a eu la malchance de tomber au creux de la vague des Three Lions, comme Trevor Brooking et beaucoup d’autres…
Tu vois Triple G, me suis fait une petite session sur Footballia des matches de la Danish Dynamite, Larsen, très bon joueur mais gros simulateur! Et la pire, c’est qu’il est athlétique. Quasiment à chaque match, il cherche le peno grossier. A la fin, je voyais que ça!
J’adore Elkjaer-Larsen, j’adore ce genre de tempéraments………… mais, oui : simulateur systémique, là-dessus il était insupportable..
Je crois que je préférais Colt Seavers quand j’etais gamin.
Comment était perçu l’échec aux qualifications pour l’Euro 80, à la suite du Mondial 78? Un retour inéluctable aux mauvais résultats ou juste une fausse route? Les Bleus cèdent face aux tenants du titre tchécoslovaques.
Comme une grosse déception encaissée d’emblée. Tout le monde avait été déçu de l’élimination au premier tour du Mundial 1978 (la hype d’avant-tournoi y avait contribué : Onze légendait une photo de Platini devant Rivelino comme « une image qu’on aimerait bien voir le 25 juin pour la finale »…) On attendait la revanche à l’Euro et on a eu la grosse déception d’entrée de jeu avec le nul concédé à la dernière minute au Parc face à la Suède à la première journée. Avec la Tchécoslovaquie championne d’Europe en titre dans le groupe et un seul qualifié, on savait que ce point perdu ne se rattraperait pas. Le reste des qualifications s’est passé sous le signe de l’«à quoi bon », surtout après la défaite à Bratislava en avril 1979 (le plus beau but de loin que j’aie vu les Bleus encaisser avec celui de Rats en 1986, soit dit en passant).
Ah oui? Ils étaient optimistes chez Onze! Dans un groupe comprenant l’Argentine, l’Italie et la Hongrie qui n’était pas mauvaise, une qualification au second tour était loin d’être acquise.
Il est vrai qu’il n’y avait pas de gros favori en 1978 entre une RFA vieillissante, un Brésil vraiment pas bon, des Pays-Bas sans qui vous savez et une palanquée d’autres titulaires, une Italie qui n’avait, souvenons-nous-en, pas montré grand-chose depuis 1970, et une Argentine dont on ne savait pas très bien ce qu’elle valait. Il y avait donc un coup à jouer pour les Bleus, mais de là à les voir en finale…
Certainement la conséquence des nuls face au Bresil et l’Italie, à l’extérieur, quelques temps auparavant.
Ceux-là, la victoire sur la RFA à l’automne précédent, et la tendance en France à l’époque à surestimer la valeur des résultats en amical (les autres gros du continent avaient bien compris que ce n’était plus la même chanson depuis la naissance de l’Euro, vingt ans plus tôt).
Ces histoires de pronos, d’attentes.. L’un des tout, tout grands favoris de la WC 86 par exemple, du moins avant les trois coups : c’est l’Uruguay.. A contrario Soviets et Belges, deux nations qui firent pour le moins parler d’elles, n’attendaient rien de leur équipe.
A une époque je me suis intéressé au comment du pourquoi, non pas aujourd’hui mais jadis, les bookmakers procédaient pour donner des cotes pré-WC………… Je me rappelle surtout n’avoir pas tout compris! 🙂 Mais aussi que la France de 66 était par exemple annoncée, par plus d’une agence UK, a minima en 1/4 de finale – oui oui, celle-là même à quoi Bobby consacra ici un article bien peu amène (et à raison).
Ce qui est marrant, c’est qu’une semaine après la déroute de la France, les Verts en colleront 5 à Hambourg à domicile.
Il y a là-dessous un coup tactique de génie de Robert Herbin, lequel n’était pourtant pas coutumier du fait : neutraliser le duo Kaltz-Hrubesch en fixant Johnny Rep dans le couloir de Kaltz et le faisant défendre comme un malade dès les 16 mètres du HSV. Ça a fonctionné à perfection, Castaneda n’a rien eu à faire. Pour le reste, un match solide au milieu et cinq contres ont suffi.