Dans le football japonais, Matsumoto Yamaga FC est un club à part. Une petite heure de train sépare la « petite » ville de Matsumoto (250 000 habitants tout de même, mais petit à l’échelle du Japon), perdue dans le centre du pays, de la capitale préfectorale Nagano. Mais le football s’y implante dès le milieu des années 1960. En 1965, des habitués du café Yamaga, situé en face de la gare de la ville, décident de créer un club de football et de le nommer en hommage à ce lieu qu’ils fréquentaient et aujourd’hui disparu. Ainsi est né le Yamaga Football Club.
Le petit club ne fait pas de bruit tout au long des décennies, se contentant d’évoluer dans les ligues locales puis régionales, sans grande performance notable. C’est au cours des années 2000 que l’histoire s’accélère. Alors que la popularité du football croit dans l’archipel japonais, Matsumoto n’est pas épargné par le phénomène et commence à gagner de plus en plus de fidèles. C’est alors que, avec le soutien de la mairie, est créée Alwin Sport Project, une association à but non lucratif gérée directement par les supporters, ayant pour but de mener le club vers le professionnalisme. La sauce prend bien, le projet plaît, le club gagne des fans et devient le représentant d’un coin du Japon manquant cruellement d’équipes sportives. Le stade Alwin et ses 20 000 places est plutôt bien garni pour une équipe si modeste, et le club, désormais renommé Matsumoto Yamaga, gravit les échelons du football japonais petit à petit. Jusqu’à accéder à la première division à l’issu de la saison 2014.
La croisade des Soba
En seulement 10 ans, Matsumoto Yamaga est passé de l’équivalent de la cinquième division, à la J. League ! Localement, l’équipe devient la fierté de toute une ville et de toute une région. Si au Japon, les supporters des Urawa Reds, du Gamba Ôsaka, des Yokohama F. Marinos, de Kawasaki Frontale ou du Vegalta Sendai sont particulièrement réputés, ceux de Yamaga peuvent largement rivaliser. Malgré le faible bassin de population si l’on compare aux exemples précédemment cités, les fans de Yamaga s’illustrent très vite par leur ferveur, leur fidélité, leur inventivité et leur capacité à se déplacer en grand nombre.
Le 7 mars 2015, pour l’ouverture de la saison et le premier match en J1 dans l’histoire du club, Matsumoto affronte à l’extérieur l’équipe de Nagoya Grampus. Plus de 15 000 supporters visiteurs vont faire le déplacement et garnir les tribunes du Toyota Stadium, devant des locaux totalement médusés par la marée verte à laquelle ils font face. Sur le terrain, Yamaga peut nourrir quelques regrets : après avoir mené 3 buts à 1 à la 76e minute, le promu va s’écrouler et concéder l’égalisation cinq petites minutes plus tard. Le petit nouveau et ses supporters se sont toutefois montrés à la hauteur de l’événement.
Des supporters qui après le match, prennent la confiance. Arrêtons-nous sur un point avant de continuer la narration : si peu de gens en France font véritablement la distinction, au Japon, toutes les pâtes ne sont se pas les mêmes et ne se valent pas ! Les Udon (pâtes épaisses fabriquées à partir de farine de blé) n’ont rien à voir avec les Râmen (pâtes moins épaisses et importées de Chine), qui elles mêmes n’ont rien à voir avec les Sômen (qui sont elles extrêmement fines) ou les Shirataki (des pâtes petites faites à partir de konjac). Chaque région, chaque ville du Japon, a ses pâtes préférées, sa façon de les cuisiner, sa spécialité culinaire qui en découle. A Matsumoto, ce sont les Soba qui ont la cote (des pâtes à base de sarrasin), généralement mangées dans une soupe de légumes et champignons saisonniers de la région. La spécialité est connue sous le nom de Tôji soba.
Et si la richesse culinaire de l’archipel nippon est connue dans le monde entier, l’esprit de clocher de ses habitants l’est sans doute un peu moins. Mais il est bien réel ! Chaque localité du pays fait de ses traditions culinaires un emblème et les Japonais n’hésitent pas à faire des blagues entre eux pour savoir laquelle est la meilleure. C’est ainsi que, dans les travées du Toyota Stadium, les supporters de Matsumoto commencent à chambrer la ville de Nagoya, célèbre elle pour sa cuisine à base de Miso (un aliment fermenté et salé servant de condiment, connu notamment pour la célèbre soupe miso) et pour ses Kishimen, des nouilles ressemblant aux Udon et servis généralement dans un bouillon très chaud.
Tels sont les chants qu’entonnent joyeusement les supporters de Matsumoto, captés en vidéo par un individu. Ce chambrage inventif et bon enfant fait beaucoup rire et le tour de la sphère du football nippon. Il va ainsi devenir la marque de fabrique des supporters de Yamaga qui tout au long de la saison seront toujours très nombreux en déplacement, se moqueront gentiment des spécialités locales de leurs adversaires, et seront salués pour leur fidélité et leur bonne humeur, malgré les mauvais résultats de leur équipe, aboutissant à une seizième place honorable mais synonyme de relégation en deuxième division. Ainsi passent à la casserole les Kamatma de la ville de Sanuki (un autre type de Udon), le Hôtô de la ville de Kôfu (une soupe miso dans laquelle on fait mijoter des Udon), etc…
Bataille culinaire
Dépassés par l’inventivité des supporters de Yamaga, aucun adversaire ne semble en mesure de répondre à la provocation… Jusqu’à ce qu’arrive ce 3 mai 2016. Nous sommes en J. League 2 et le Matsumoto Yamaga reçoit le Cerezo Ôsaka. Et s’il y a bien une chose qu’aucun Japonais ne niera, c’est le chauvinisme des habitants d’Ôsaka. Ceux-ci sont réputés pour leur drôle d’accent, leur étrange dialecte de la région du Kansai, leur déroutant franc-parler, et leurs nombreuses spécialités culinaires dont ils sont extrêmement fiers. En tête de liste, les Takoyaki, des boulettes de poulpe typiques trouvables dans n’importe quel stand de rue. Les supporters du Cerezo, emplis de l’orgueil caractéristique de leur région, décident alors de ne pas laisser leurs rivaux du jour s’attaquer à leur symbole local… et dégainent les premiers dans l’avant-match :
« Soba yori takoyaki ! Soba yori takoyaki ! »
(« Les Takoyaki sont meilleurs que les soba ! Les Takoyaki sont meilleurs que les soba ! »)
Abasourdis par l’affront qui leur est fait, les supporters de Matsumoto tentent de répliquer timidement… Mais doivent aujourd’hui concéder la victoire à ces fiers gens venus du Kansai. Mais ils se promettent de ne pas en rester là ! Il faut attendre le 4 mai 2019, soit trois années, pour que les deux équipes se rencontrent à nouveau au stade Alwin de Matsumoto. Et cette fois, les supporters de Yamaga sont bien décidés à laver leur honneur ! A une heure du coup d’envoi, la tribune des fans les plus fidèles est déjà bien remplie, et la bataille peut commencer. Confiants et sereins en raison de leur précédente victoire, les supporters du Cerezo se sentent libres de lancer les hostilités en reprenant le même chant que trois ans auparavant. Mais cette fois, les locaux ne se laissent pas surprendre et n’hésitent pas à répliquer :
« Takoyaki yori soba ! Takoyaki yori soba ! »
(« Les soba sont meilleures que les Takoyaki ! Les soba sont meilleures que les Takoyaki !)
S’attendant à trouver cette fois un adversaire préparé, le petit millier de supporter d’Ôsaka ne perd pas de temps et réplique dans la foulée. La guerre se gagnera à l’usure, pensent-t-ils sûrement. Et Dieu sait que les gens du Kansai sont parmi les plus têtus du Japon. Le tout sous les huées, amusées et bon enfant, mais néanmoins réelles, du public dans le reste du stade. Des applaudissements suivront à la fin du chant en question, saluant le bel esprit de ces chambrages lancés à tour de rôle. Mais la bataille est loin d’être finie. A l’image de leurs homologues, les supporters de Yamaga s’attendaient naturellement à cette réplique. Le chef de la tribune annonce au mégaphone qu’il est temps de passer aux choses sérieuses. Sur le même air que le chant habituel, les fans en vert s’écartent cette fois de l’attaque culinaire et misent sur la créativité :
« Midori no hi da kara, Cerezo ni makerarenai ! Midori no hi da kara, Cerezo ni makerarenai ! »
(« C’est la journée verte, donc on ne peut pas perdre contre le Cerezo ! »)
La « « journée verte » fait ici référence à la date du match, le 4 mai, qui est un jour férié au Japon (l’un de ceux composant la Golden Week), nommé officiellement le « Jour de la verdure ». Il s’agit d’une référence à l’amour aux plantes que portait l’ancien Empereur Hirohito, qui régnait sur le Japon de 1926 à 1989. Il ne s’agira pas ici d’expliquer pourquoi un aspect de la vie d’un Empereur décédé est célébré en tant que jour férié au Pays du soleil levant, mais nous soulignerons que le chant est plutôt bien trouvé, étant donné que l’équipe de Matsumoto Yamaga joue justement en vert. Faisant preuve une nouvelle fois d’une magnifique créativité, on peut clairement dire que les supporters locaux reprennent l’avantage dans ce duel. Ce à quoi les fans de Cerezo répondent :
« Midori yori takoyaki ! Soba yori takoyaki ! Midori yori takoyaki ! Soba yori takoyaki ! »
(« Les Takoyaki sont mieux que la verdure ! Et c’est mieux que les soba ! »)
Victoire par K.O.
La réponse, aussi absurde qu’inattendue, fait éclater de rire le stade Alwin et les applaudissements redoublent davantage. Le Cerisier reprend ici clairement un avantage qui pourrait bien s’avérer décisif ! La tribune de Matsumoto doit réagir ! Difficile alors de savoir s’il s’agit d’une improvisation de génie, ou de la dernière carte ultime préparée en cas de situation critique, mais la réplique est celle-ci :
« Takoyaki notteru ao nori ! Ao nori ! Takoyaki notteru ao nori ! Ao nori !
(« Un Takoyaki enroulé dans une algue verte ! »)
L’affront ultime ! Un Takoyaki, cette délicieuse boulette de poulpe délicieusement grillée et soupoudrée de cette délicieuse sauce brune ? L’enrouler dans une algue verte comme un vulgaire Onigiri (une boulette de riz, souvent en forme de triangle, et enveloppée dans une algue verte. Un encas emblématique du Japon) ? Comment est-ce possible d’évoquer ne serait-ce que la possibilité de l’existence d’une telle chose ? De nombreux habitants d’Ôsaka sont probablement tombés dans les pommes rien qu’en imaginant cette abomination… Et pourquoi pas de l’ananas sur une pizza ? De la pâte à tartiner dans un sushi ? Les supporters du Cerezo sont outrés, effarés. Ils se murent dans le silence… Jeu, set, et match ! Aucun doute, cette bataille des tribunes est remportée haut la main par les supporters de Matsumoto Yamaga !
Alors bien sûr, il n’y a pas eu de mort, de violence, ou quoi que ce soit de la sorte. Au contraire, ces chambrages endiablés ont beaucoup fait rire les gens présents dans le stade, ainsi que les fans de football japonais. A l’image en somme de l’atmosphère très bon enfant que l’on trouve dans les stades nippons. Comme nous l’expliquions déjà ici, au Japon, on ne se rend pas au stade pour faire à la guerre à l’adversaire. Les incidents entre supporters de football sont extrêmement rares, et ceux de Matsumoto Yamaga sont sans doute parmi les meilleurs élèves de l’archipel. Aujourd’hui, leur équipe évolue en troisième division. Mais nul doute que leur retour au plus haut niveau est souhaité par plus d’un amateur de football japonais, tant leurs supporters apportent joie et bonne humeur partout où ils passent.
Hein ? Le résultat du match entre Yamaga et Cerezo ?
Il n’y a qu’un mot pour qualifier cet article : exceptionnel. Xixon, est-tu sûr de devoir rentrer en France si vite ?
^^
Même si je voulais rester, j’ai pas le choix : mon visa expire mercredi 🙁
Mais je pense que ce ne n’est partie remise ^^
Et puis au moins, en revenant en France, je pourrai revoir ma chérie 🙂
J’ai faim… Encore un grand partage, merci.
T’as affiné tes compétences culinaires là-bas?
Sublime, et fort apéritive, petite histoire du matin…
Et donc? Que choisir entre le Takoyaki et les soba?
Autant prendre les deux en vrai ^^
Les Takoyaki, c’est surtout un truc d’échoppe de rue, vendu à emporter. Un excellent amuse gueule
Les soba, ça peut se manger aussi bien dans un bouillon que « cuites » dans un wok.
Perso, je trouve que la formule Okonomiyaki (une omelette japonaise) + Yakisoba fonctionne très bien. Mais c’est pas la spécialité de Matsumoto pour le coup ^^
Original, bien écrit, excellent tout bonnement !
Ah ah, c’est excellent, bravo.
Chambrer l’adversaire pour des histoires de pâtes………. Ils le font avec une certaine distance, ou bien est-ce plutôt (voire aussi) premier degré?
Xixon, comment expliques-tu le côté bon enfant du supportérisme japonais? Et il n’y a, chez eux, vraiment pas le moindre marqueur de ce que nous autres nommons « hooliganisme »? En a-t-il toujours été ainsi?
Question grandiloquente voire complètement débile enfin, je m’en excuse d’avance, mais : quelque travail de fond fut-il exercé post-war sur la société japonaise pour l’expurger de toute forme de violence (pas particulièrement stadiale, mais tout bonnement sociétale), à l’instar de ce qui eut cours en RFA?
Xixon, j’ai l’impression (erronée, je le sais, mais) que tu es au Japon quasi-depuis le lancement de ce site.. Ca fait bon 6 mois déjà, non?
J’y suis depuis début février 🙂
Le mois de février, c’était un voyage prévu de longue date avec des potes. Puis les circonstances ont fait que j’ai trouvé un stage de trois mois à Sendai. Et donc je rentre en France demain.
Effectivement, y’a peu de « hooliganisme » au Japon. Mais tout n’est pas rose pour autant. Ya des bagarres qui arrivent de temps en temps. On a aussi des polémiques avec des franges de supporters qui font des chants ou des actions aux relents nationalistes nippon bien dégueu…
Genre à Urawa une fois, on a vu un pancarte à l’entrée de la tribune des ultras « interdit aux étrangers ». Méga polémique tu t’en doutes.
En général, ce genre de problèmes vient à Urawa, Gamba Ôsaka ou Kyôto. Mais ça reste assez marginal cela dit. A Sendai, je n’ai jamais eu de problème, et même plutôt été bien accueilli (faut dire que je dénotais un peu, j’étais genre le seul « typé blanc » dans la tribune ^^)
Je n’ai pas de compétences de sociologue, et analyser les tribunes japonaises demanderait sûrement plus de quelques lignes (faut que je relise Jean-Marie Buissou)
Mais pour le dire simplement, quitte à paraitre simpliste, c’est dû à plein de facteurs : de l’état d’esprit général de la société japonaise ; l’absence de violence résultant à la fois du modèle éducatif et de la lutte ardente contre le crime organisé tout au long des années 90-2000 ; d’un modèle de supportérisme s’inspirant de l’amsud et d’europe certes, mais qui prend racine sur celui du baseball (le sport majeur dans le pays), qui est tout de même beaucoup plus apaisé ; etc…
Chouette article qui m’a donné une faim de loup…qu’est-ce que la cuisine japonaise me manque (sans oublier Asahi/Kirin/Sapporo et cie ^^)
Je suis beaucoup plus fan des trucs plus houblonnés. Et le style « super dry » japonais, bien que je comprends que sa légèreté plaise au plus grand nombre, me laisse assez de marbre…
En konbini, je pense que les meilleures sont la « Yona yona » et la « Boku beer Kimi Beer » (reconnaissable à sa canette jaune avec une grenouille dessus)
Mais la scène craft est étonnement bien développée au Japon. J’avoue que je ne m’y attendais pas du tout, pensant le marché largement dominé par les quatre mastodontes Kirin, Asahi, Suntory et Sapporo. La plupart des villes ont leur bar spécialisé dans la bière artisanale et un amateur trouvera sûrement plein de trucs sympas.
Le style IPA est beaucoup plus populaire que je ne le pensais d’ailleurs. Avec un pote, on a une hypothèse : les gros buveurs de thé que sont les Japonais ne sont en soi pas rebutés par l’amertume. Mais dans leur imaginaire une bière doit être « blonde ». Ca pourrait expliquer pourquoi les styles aux couleurs plus sombres ont du mal à percer alors que le style IPA marche plutôt bien
Merci Xixon. J’ignorais que le Japon avait une culture de la bière intéressante. Suis pas trop whisky mais les leurs sont excellents.
« For relaxing times… make it Suntory time », n’est-ce pas, Bill Murray ?
Excellente référence ! Murray au top, il contribue à la magie du film de Sofia.
Quant à Suntory, c’est un empire. Je ne sais pas si c’est toujours le cas mais le groupe avait acheté Château Beychevelle il y a quelques années.
La magie ou la chienlit ?
T es un génie Xixon ahah
Xixon,
Je viens de pense rà toi car en discuttant avec une correspondante espagnole, j’ai failli laplace rà Gijon… Mais je me suis dit que xixonesa ferait un peu rentre dedans, surtout e parlant d’un artiste nommé Chichi…
Bref, c’est pas le sujet, c’est juste que par pur hasard en remontant le fil de Une, je tombe sur le titre de ton article (Xixon, Xixonesa, Chichi), que je dois donc lire, et qui me fait penser à un fameux western… Nouilles : Tampopo! L’as-tu vu? Pure comédie japonaise, vue plusieurs fois : je ne saurais trop te la conseiller.
Maintenant, je vais lire.