MacKay et Bremner

Dave MacKay détestait cette photo. « On me demande tout le temps de la dédicacer mais je n’aime pas ça, parce que ça me dépeint comme une brute – il est plus petit que moi et je le soulève par le col. Je ne suis pas une brute et je n’aime pas les brutes. »
Dave MacKay est perçu comme un géant physique du foot anglais des années 1960. Il ne mesurait pourtant qu’1,72 mètre mais son jeu était si intense, si intimidant que ses adversaires paraissaient fuir à son passage. Mais il serait injuste d’enfermer le gamin du difficile quartier de Raploch à Edimbourg dans un vulgaire rôle d’Attila picte. Aussi photogénique soit-il.
Révélé à Hearts, MacKay va constituer, avec le Nord-Irlandais Danny Blanchflower, une des plus brillantes doublettes de ratisseurs-distributeurs qu’ait connu l’Angleterre. Leur entente est parfaite et va transfigurer totalement l’équilibre des Spurs de Bill Nicholson, permettant aux artificiers Jimmy Greaves et Bobby Smith de semer le désordre dans les défenses adverses.
La réussite est totale et les premières s’enchaînent. Premier doublé du siècle. Premier titre européen anglais lors d’une démonstration face à l’Atlético. Auxquels se rajoutent trois FA Cup. Neuf ans à faire rugir de plaisir White Hart Lane, jusqu’à en devenir le capitaine emblématique au départ de Blanchflower. Souness, jeune apprenti des Spurs, garde encore en mémoire les exercices où MacKay s’amusait à frapper des volées contre un mur, à 20 mètres de distance, pied droit, pied gauche, sans que jamais le ballon ne touche le sol. Un seigneur mais au parcours jalonné de blessures.

20 août 1966, premier match de la saison, Tottenham reçoit Leeds United. Mackay revient tout juste d’une longue convalescence. Une fracture du tibia-péroné, conséquence d’un tacle sauvage de Noel Cantwell de Manchester United en 1964. Un calvaire que MacKay revivra un an plus tard, presque jour pour jour, à la même jambe.
Et quoi de mieux pour tester sa solidité physique que le Leeds United de Revie et de son compatriote Billy Bremner ? Bremner est un excellentissime milieu. C’est aussi un petit roquet prêt à mordiller la premier mollet qui passe. Et plus si affinités.
A Greaves qui lui demandait pourquoi il venait de lui mettre un coup de pied dans le tunnel des vestiaires, le bon Billy répondit qu’il en avait juste envie. Mais comme le souligne Greaves, Bremner ne se serait jamais attaqué à MacKay. Sauf lors de ce match précisément.
MacKay conduit le ballon du pied droit mais Bremner lui assène une pointe vicieuse sur la jambe gauche. Un geste délibéré selon MacKay.
« Bremner était un joueur brillant mais également un sale petit bâtard. Il m’a donné un coup de pied dans la jambe que je venais juste de me casser deux fois. S’il avait donné un coup de pied à l’autre, j’aurais pu accepter ça. Mais il a donné un coup de pied à celle cassée et ça m’a vraiment énervé. J’aurais pu le tuer ce jour-là. »
Ce qui frappe sur cette photo, c’est la fureur de MacKay. Une fureur qui semble avoir décuplé sa force et son gabarit. Son corps n’est que tension. Il n’est guère plus grand que Bremner mais le domine totalement. Terry Venables, en arrière-plan, attend l’issue inéluctable tandis que l’arbitre Norman Burtenshaw se précipite pour séparer les belligérants. Bremner a les bras écartés tel un pantin et n’offre aucune résistance. Il sait qu’il a dépassé les bornes.
Alex Ferguson, dans la préface de l’autobiographie de MacKay, décrit cette scène ainsi : « La rage de Dave est celle d’une personne ayant été inexplicablement frappée par un frère ou un meilleur ami ; le regard de Billy est celui du frère ou du meilleur ami ayant fait une bêtise et l’ayant regretté. »
Ami, je ne sais pas, même si a posteriori, Bremner se rappellera avoir tenté de convaincre MacKay qu’il avait glissé et qu’il préféra toujours garder pour lui la réponse cinglante de MacKay. MacKay, the man of steel, gagnera la FA Cup face à Chelsea cette saison-là. En bon capitaine. Et deviendra certainement l’homme le plus important de l’histoire de Derby County. Le meneur du groupe de Clough lors du premier titre 1972. L’entraîneur en chef lors du second en 1975.

34 réflexions sur « MacKay et Bremner »

  1. Une de ces photos dont le football anglais avait le secret, l’extrême intensité des lieux et débats y était sans doute pour beaucoup.

    Les portraits faits de chacun des protagonistes me paraissent équilibrés, bravo de ne pas être tombé dans le sensationnalisme qu’on y prête hélas coutumièrement.

    Le Tottenham de Nicholson vaut très largement le coup d’oeil. Si livre-référence il y eut concernant cette magnifique décennie des Spurs : The glory years, immersion totale!

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    1. Je viens de voir que ton bouquin concerne la saison 72 des Spurs. Je note.
      J’ai toujours aimé les Spurs. Une certaine idée du beau jeu et l’art de se vautrer avec classe.
      Ah Hoddle… J’étais gamin lors de son passage à Monaco donc je n’ai pas de souvenirs precis de lui mais quel technicien merveilleux.
      Apres, je te laisse parler des innovations tactiques de Nicholson et de son apport dans le foot anglais.

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      1. Et, oui : focalisé sur la saison 72. Mais illustratif de la méthode Nicholson, et alors la complétude du truc………… Ca se lit comme un roman, quoique la moindre échéance du club y soit abordée, contextualisée…. Un classique qui le vaut bien.

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      2. Bota
        T’as un problème de pseudo. Ton véritable nom s’affichait ses tes 3 derniers posts. Gooz l’a corrigé mais tu devrais éviter de poster tant que Sebek n’a pas rectifié le problème.

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      3. Ah zut, c’était délibéré, marre des pseudos et pas envie qu’on me pompe impunément 20 ans de recherches sur le cruyffisme, ça ne me pose donc absolument aucun souci, que du contraire : laissez bien ainsi.

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      1. Partageant l’un de mes « g » avec ce nom linguistiquement proche, et n’habitant guère qu’à 800 kilomètres de la rivière Willamette qui irrigue le sud-ouest de l’État de l’Oregon, je ne peux qu’approuver !

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      2. Ben en fait c’est français ;), et de toute façon on ne s’appelle pas tous Wilfried Vandewaterzooi, hein.

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      3. « Waterzooi ! Waterzooi ! Waterzooi, morne plat ! »

        – Le chef des Belges dans l’Astérix éponyme

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      4. C’était encore Gosciny à l’époque? Qu’est-ce que c’est bon, les premiers Astérix..et le Waterzooi aussi!

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      5. C’est le dernier Goscinny, et je confesse humblement ne jamais avoir goûté à ce célèbre plat.

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  2. L’OL de Louis Hon (pas le plus accompli des tacticiens mais un remarquable meneur d’hommes) a eu son moment de gloire face à ce Tottenham-là en huitièmes de C2 1967-68. Vainqueur 1-0 à l’aller à Gerland, il ne s’est incliné que 4-3 à White Hart Lane après un combat épique et a été une des premières équipes à bénéficier de la règle des buts marqués à l’extérieur qui prenait effet cette saison-là. L’aventure s’est arrêtée en quarts face à Hambourg (0-2, 2-0, 0-2 en match d’appui), mais ç’a été un des rares éclairs de lumière dans une période sombre du foot français.

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      1. LE premier, tout simplement – comme joueur au HSV, puis comme entraîneur dans ce même club pour sauver la saison 1977-78 après le fiasco Rudi Gutendorf.

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  3. White Hart Lane… Magnifique! J’avais presque oublié ce nom, complètement disparu des articles contemporains (excepté bien sûr ici sur notre splendide P2F) et s’estompant malheureusement des mémoires… Quel bon bol d’air, un vrai rafraîchissement ! Thx Khia ! Encore un chapitre de culture foot joliment partagé et une bonne « cup of tea » pour commencer la journée !

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    1. La génération écossaise des années 60 est un concentré de talents et de fortes personnalités. MacKay, Bremner, Gilzean, Jim Baxter, Creig, McNeil, Lorimer… Law evidemment.
      On parles de légendes ultimes de leurs clubs respectifs.

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      1. Quelqu’un de plus compétent que moi pourrait-il nous parler de l’invraisemblable gâchis de l’Écosse au WM 1974 et surtout au Mundial 1978 ? J’ai lu il y a quelque temps une série de bons articles en anglais dessus, mais sans souvenir précis.

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    2. @calciocalabria, exacte d’ailleurs se serait sympa un article sur les nom de stade leur origine les diminutifs donnés par les supporters les origines ect…

      sympa cet article encore sur le foot Anglais à l’ancienne et question béotienne, ce football était il aussi violent que l’était les ruelles anglaises? peut être suis emplis de chichés (en train de lire le bouquin du KOB ça doit m’influencer^^)
      merci pour les références culturelles historiques littéraires dans les commentaires qui complètent l’article on est bien!
      à la limite recenser les meilleurs livres sur le foot (ou de sport tout court) pourrait être une entreprise sympa quoique peut être fastidieuse

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  4. Une chose qui me manque le plus du foot anglais de ces années-là est l’usage que les gardiens avaient de revêtir la même tenue que les joueurs de champ excepté le maillot. Je viens de regarder les extraits d’un fameux choc Liverpool-Forest au tour préliminaire de C1 1978-79. Ray Clemence en short et bas rouges, maillot vert, face à Peter Shilton en short et bas jaunes à parements bleus (tenue extérieur, c’était à Anfield), maillot vert. Magique pour lier le gardien à ses coéquipiers. Je crois qu’un règlement de l’UEFA interdit maintenant cette pratique, et c’est fort dommage.

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    1. Debat… Qui était le meilleur entre Shilton et Clémence? Je n’ai vu que la toute fin de carrière de Shilton, où la detente l’avait abandonné.
      Shilton, Jennings, ces détenteurs du record de sélections qui ne leurs appartenait finalement pas à l’époque. Puisque le défenseur malaisien Soh Chin Aun avait largement dépassé leurs comptes. De 1969 à 84.
      Mais on comptait différemment les sélections à l’époque. Mettant des côtés les sélections olympiques qui étaient pourtant des sélections A pour des pays ayant encore un statut amateur.
      Soh Chin Aun a perdu son record récemment.

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      1. Shilton, c’est la victime de Maradona en 86 ? Çui qui fait un saut digne d’un enfant de 4 ans sur la main de Dieu ?
        Quant au record du nombre de sélections internationales, il sera bientôt entre les mains d’un mec qui joue en Arabie Saoudite…

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      2. Et une pièce dans la machine, une !

        Je mettrais une petite pièce sur Shilton, mais de très peu. Lui et Clemence sont contemporains (un an d’écart) mais n’ont pas percé au même moment. Shilton a émergé à la fin des années 70 quand Clemence avait déjà gagné deux C3 et une C1. Je n’ai eu l’âge de m’intéresser au foot qu’à l’époque des Verts, donc je ne peux pas juger des faits d’armes précédents de Clemence.

        Shilton avait plus l’occasion de briller car il était derrière une défense plus perméable que celle des Reds qui était une véritable forteresse. Sa finale de C1 1979-80 face à Hambourg fut un monument. En équipe d’Angleterre, la question n’a pas été tranchée avant 1982. Ron Greenwood faisait alterner Clemence et Shilton à la fin des années 70, Clemence fut le titulaire à l’Euro 80, et il semble bien que la question se soit posée même à la CM 1982. Dans les grands tournois, la tradition en Angleterre était jusqu’à récemment de donner les numéros 1 à 11 aux « probables » et les autres aux « possibles ». Clemence est arrivé en Espagne avec le 1, Shilton avec le 22. C’est finalement Shilton qui a joué, mais ce n’était sans doute pas sûr à 100%.

        Le nombre de sélections n’est pas un indicateur fiable pour départager les deux, et ce pour deux raisons. En premier lieu, Clemence était le numéro 1 chez les Three Lions pendant leur traversée du désert de 1970 à 1980; il a donc manqué une bonne dizaine de sélections par rapport à la moyenne. Ensuite, Shilton a bénéficié du désert derrière lui. Comme le suggère bobbyschanno, il était nettement sur le déclin dès 1986, mais il n’y avait personne pour lui faire concurrence. Woods, qui l’a remplacé à la CM 1990, était de niveau international, sans plus. Clemence, lui, avait eu affaire non seulement à Shilton, mais aussi à Joe Corrigan, de City, et à quelques excellents prétendants dont Phil Parkes de West Ham. Là aussi, il a laissé une petite dizaine de sélections en route. Toutes choses égales par ailleurs, on peut supposer qu’ils auraient tous deux fini avec 80-90 sélections.

        Très difficile de les départager, donc… avec une petite préférence pour Shilton. Il y avait à cette époque-là un troisième larron de taille à mettre tout le monde d’accord : le Nord-Irlandais Pat Jennings, de Tottenham et d’Arsenal, un véritable monstre qui était, à mon sens, le meilleur de cette génération.

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      3. Il me semble y avoir trois noms qui reviennent le plus souvent chez les Anglais, pour concurrencer le vieillissant Shilton des 80’s : Woods donc, Martyn aussi (lequel reçut abondamment sa chance, et eut de tête une carrière vraiment castarde).. et enfin l’excellent Tony Coton, c’est peut-être même leur plus grande déception à les écouter.. mais déception surdimensionnée par la chicheté de ses sélections?? (je ne me rappelle pas même qu’il fût jamais sélectionné)

        Je penche pour Shilton, dont malheureusement les matchs les plus connus furent loin d’avoir été les meilleurs. Mais il fut par moments effectivement extraordinaire, complètement décisif (personnellement, il m’a fallu pas mal de temps pour le réaliser). Peut-être fut-il desservi dans l’acception continentale par son style très « terrien »? Notez que les Anglais ne sont pas toujours beaucoup plus tendres quand ils se le remémorent, sorte de bouc-émissaire à leurs (fort excessifs) espoirs déchus de 86 et 90..

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      4. Salut Triple G, j’adore ce boxeur, ton texte est est-allemand passera le 27 janvier! Merci

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      5. Maintenant que les vacances sont finies, le débit va baisser. J’ai un autre article fini à 90% (indice : on y parlera de Jan Tomaszewski) et des notes rassemblées sur trois autres, mais tout ça n’avancera plus qu’une demi-heure par ci, une demi-heure par là…

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  5. Tiens Khiadia, remettre une pièce sur cet article..en vous faisant suivre cette histoire impliquant deux des protagonistes, en l’espèce : une confession de Venables concernant lui et Bremner..

    « A mes 15 ans, j’étais souvent sélectionné au sein de l’équipe scolaire d’Angleterre ; un cadre dans lequel il arrivait régulièrement que nous ayons à affronter l’Écosse à Wembley. C’est pour l’un de ces matchs-là que je dus jouer un jour avec le numéro 4, au poste de demi-droit, et avec comme adversaire direct un certain Billy Bremner… D’abord, nous nous sommes battus à mort tout au long du match. Puis nous nous sommes retrouvés à une réception…où nous avons continué à nous donner des coups de pied sous la table. »

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