Luciano Spalletti : la fête à Naples, la tête à Florence

Fin mai 2021, à quelques jours d’intervalle, nous apprenions l’engagement de Gennaro Gattuso avec la Fiorentina puis celui de Luciano Spalletti avec le Napoli, successeur du bouillant Rino sur le banc des Azzurri. Après deux années consacrées à ses oliviers et à sa vigne au cœur de la campagne toscane, Luciano Spalletti relançait une carrière à l’arrêt depuis son semi-échec interista.

La SSC Napoli représentait une noble destination pour un entraîneur n’ayant plus beaucoup de temps devant lui. Il avait dû se remémorer Boccaccio, né comme lui à Certaldo près de Florence, venu plein de doutes au royaume de Naples et le quittant à regret. Pourtant, au fond de lui, après le divorce express de Rino Gattuso avec la Viola[1], il s’était probablement demandé s’il ne venait pas de manquer le désir d’une vie : entraîner la Fiorentina.

Depuis le milieu des années 1970, Spalletti rêve d’exorciser des peines d’adolescence, les plus douloureuses, quand celle dont on est amoureux vous éconduit sans égards. Il a 16 ans lorsque la Fiorentina se sépare de lui pour des broutilles, prétextant son manque d’ardeur au sein de la Primavera. Puisque la plus belle de la région ne veut pas de lui, il se contente de società plus modestes, à Castelfiorentino, Chiavari, La Spezia, Viareggio ou Empoli, jamais très loin de Firenze, comme s’il attendait qu’elle le rappelle.

A 16 ans avec la Primavera de la Fiorentina.

Le milieu relayeur qu’il est ne parvient jamais à capter la lumière, alors c’est en tant qu’entraîneur qu’il poursuit son projet, sans empressement exagéré, sans jamais exprimer ses envies de manière outrancière. A Empoli, où il débute sur un banc, il fait tout pour attirer l’attention de Florence, la ville voisine : accessions en Serie B, en Serie A, maintien. De véritables exploits. Lors du déplacement à l’Artemio-Franchi, le petit Empoli qu’il dirige s’impose face aux stars de la Viola, Toldo, Rui Costa, Batistuta[2]. Là encore, il ne plastronne pas en dépit de la jalousie qu’il ressent vis-à-vis d’Alberto Malesani, un Véronais que la Fiorentina lui préfère alors.

Malgré l’évidence, la famille Cecchi Gori refuse de lui confier la belle endormie, préférant l’offrir à ce vieux séducteur de Giovanni Trapattoni quand le divorce avec Malesani est consommé. Il faut reconnaître que Spalletti ne maitrise pas encore tous les codes d’une société aussi aristocratique. Survêtement, barbe de quelques jours, calvitie partielle, la tête dans les épaules, il n’a rien de glamour. Puisque Florence ne le regarde pas, il entame un long voyage au cours duquel il croise des dirigeants pittoresques, Zamparini, Pozzo ou Sensi, patriarches d’autres splendeurs, Venise, Rome et même Saint-Pétersbourg, ses combines et ses magnificences.

Avec le temps, Spalletti affine son style, devenant Il Filosofo, divin chauve marchant perdu dans ses pensées le long des pelouses, vêtu de princiers costumes sombres que sa fonction semble exiger. Il ne faut pourtant pas s’y tromper, il demeure un paysan, le fils d’un garde-chasse, mondain par obligation, un provincial à la tête dure, exagérément méfiant. Tout Spalletti évoque la campagne Toscane, dans ce qu’elle a de plus profond, presqu’immémorial, à commencer par son visage, celui d’un Etrusque aux arêtes aiguës, qu’une calvitie désormais soigneusement entretenue rend encore plus osseux.

A Naples, Il Filosofo abandonne les splendides étoffes romaines ou milanaises taillées sur mesure au profit d’informes joggings et de maillots à manches courtes révélant son goût pour la musculation. Dans une relation exempte d’artifices, il parvient à se faire aimer du peuple partenopeo dès sa première saison avant de mener le Napoli sur le toit de l’Italie sans Insigne, Mertens ou Koulibaly. Plus fort encore, il réussit à inverser le rapport de force qu’entretient depuis 20 ans le président De Laurentiis avec ses techniciens.

A 64 ans, Luciano, tu n’as jamais été aussi beau. Resteras-tu une saison de plus à Naples ? Penses-tu encore à la Fiorentina ? Comment pourrait-elle ne pas enfin se donner à toi ? Comme Boccaccio, tu imagines achever ton long parcours près de Certaldo, dans ton fief de Montespertoli et ses collines dominant Florence, enfin conquise.


[1] La Fiorentina et Gattuso se séparent le 17 juin 2021, trois semaines après la signature du contrat les liant. Vincenzo Italiano succède à Gattuso.

[2] Le 27 septembre 1997, Empoli s’impose 2-1 à Florence. Au retour, les deux équipes font match nul, 1-1.

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20 réflexions sur « Luciano Spalletti : la fête à Naples, la tête à Florence »

  1. En attendant Luciano, la Fiorentina te fera la
    Haie d’honneur dimanche prochain pour le Scudetto et le Mister que tu es. Bravo pour ta saison, ton collectif et ton beau jeu.

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  2. Je te l’ai déjà dis pour d’autres articles mais celui-ci me force à, encore une fois donc: renier le sage culte de la différence pour me faire tomber, inévitablement, dans les abysses de la comparaison en m’imposant l’atroce culture du classement.
    Premier, meilleur… triomphale, tonitruant, historique ou que sais-je encore… à l’image de son sujet d’ailleurs, ici Spaletti ou là Napoli peu importe… Ce texte s’installe indiscutablement sur le toit de ton panthéon Verano ! Et quel panthéon ! Un temple dédié à la Déesse de l’esthétisme, un autel dressé à la gloire de Dame Passion!
    Tout y est, la facilité de lecture aussi bien que la puissance littéraire, l’alliance sensible de la nuance et du contraste… La tendresse, la poésie et le romantisme d’un football pure qu’on pensait pourtant tristement perdu et qui apparaît chez toi comme parfaitement ressuscité ! Too much? Non: simplement Verano, naturellement Napoli!

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    1. Un compliment qui a son poids de la part du Maître, celui qui coucha dans ces pages mêmes (28 janvier 2023) l’immortel « Livorno enfin, un satellite letton, constamment caché par diverses Grandes Urss en pleine conquête de l’espace ! »

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      1. PS il maestro reste Verano, j’ai toujours dis que si j’étais une plume, lui est le cygne !

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      2. Tssss tssss. Pas de maestro, des styles différents, plus ou moins journalistiques, plus ou moins lyriques, plus ou moins riches.

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      1. Je pensais le finir cette semaine mais je peine sur la conclusion. On verra bien…

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  3. Bravo au Napoli pour ce titre. Dans des grands championnats où les gros ne laissent que des miettes, c’est rafraîchissant un peu de nouveauté. En espérant qu’ils conservent l’ossature du groupe.

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  4. mes hommages au sieur Verano comme toujours surtout quand il s’agit d’Italie! de la bel ouvrage , toujours aussi bien écrit avec un esprit romantique qui sied a la ville de Spaletti
    se serait dommage qu’il ne reste pas à Naples et jouer la ldc avec le club qu’il a mené au titre
    en tous cas là haut le pibe de oro doit bien faire la bringue (Ferlaino aussi?^^) peut être avec la bande des Giuliano!!
    petite anecdotes perso des potes ids font la tournée des grands ducs ils ont passé le wk avec les copains de la gate 3 de l’Aris pour vivre les play off en Grèce et ont pris leurs places pour Naples/Viola de ce wk pour vivre les festivités dans le stade et sont au pied du Vésuve depuis mercredi… je vous raconte pas les photos et vidéos reçus depuis hier^^

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