« Au nom du peuple italien, le Tribunal de Bologne, conformément à l’article 479 du Code de procédure pénale, acquitte Gino Cappello pour des faits qu’il n’a pas commis ». Des cris de joie accompagnent l’énoncé du verdict, une partie de la salle scande des « Gi-no, Gi-no » comme s’il s’agissait d’encouragements à destination du vieux campionissimo Bartali. Ce 11 septembre 1952, la justice ordinaire vient de blanchir Cappello, un des grands personnages du calcio de l’immédiat après-guerre, initialement suspendu à vie par les instances disciplinaires de la Fédération.

Le taciturne
Gino Cappello – Capèo en dialecte vénitien – naît en 1920 dans un milieu ouvrier de Padoue. Adolescent, il évolue au sein de l’équipe d’un Gruppo rionale fascista, un des quartiers futuristes créés par Quirino De Giorgio au cours des années 1930. Attaquant technique et puissant, son jeu attire l’œil des recruteurs de l’Associazione Calcio Padova, avec laquelle il effectue ses débuts professionnels à 18 ans, puis l’AC Milan le choisit pour seconder Giuseppe Meazza, transfuge déclinant de l’Ambrosiana. Sélectionné avec les espoirs italiens en 1942, Capèo emprunte une trajectoire linéaire vers les sommets que la guerre vient brutalement percuter. Quand l’Italie sort du chaos, le destin l’envoie à Bologne dans le cadre d’un échange avec le bomber rossoblù Héctor Puricelli, un peu trop accommodant avec les thèses du Duce pour jouer dans une ville redevenue communiste.



Du grand Bologna FC de l’avant-guerre, il ne reste plus grand-chose. Les idoles Carlo Reguzzoni et Amadeo Biavati sont à bout de souffle, les Oriundi et les fascistes d’hier ont opté pour de nouveaux horizons, quand ils ne sont pas morts comme Dino Fiorini. Toujours aux commandes, le président Dall’Ara fait porter le fardeau du renouveau sur les larges épaules de Gino Cappello. Une erreur. Si son jeu d’attaque incarne un idéal de modernité, sa personnalité lui interdit d’assumer durablement tout leadership. Taiseux, irritable, il vit replié sur lui-même et ne s’épanouit dans l’altérité qu’avec méfiance et parcimonie. Son comportement sur le terrain traduit son caractère, alternant les actions individuelles de classe, les querelles inutiles, et de longues périodes d’indolence durant lesquelles il se désintéresse du match.
Renato Dall’Ara n’est pas le seul à se fourvoyer à propos de Cappello. Trois semaines après le crash aérien et la désintégration du Grande Torino sur la colline de Superga (le 4 mai 1949), la Nazionale doit se réinventer. Face à l’Autriche, le sélectionneur miraculé Ferruccio Novo fait appel au novice Cappello et lui confie le numéro 10, celui de Valentino Mazzola. Auteur du premier but de la victoire italienne (3-1) à la suite d’une action limpide – crochet-frappe du gauche à l’entrée de la surface – il donne l’impression d’être le nouveau maître à jouer des Azzurri. A la suite de ce match où l’espérance le dispute au chagrin, la foule croit encore en Cappello alors qu’il approche la trentaine. Prompte à accorder le pardon aux talentueux, confrontée à une pénurie de fuoriclasse, l’Italie feint d’ignorer les turpitudes de Cappello y compris un péché confessé l’année précédente, un lamentable scandale de match truqué au profit du Napoli à l’issue duquel la Ligue inflige au Bolognais deux mois de suspension[1].

L’irascible
La seconde affaire impliquant Cappello survient en 1952. Début juillet se tient traditionnellement à Bologne le Palio calcistico petroniano, un tournoi caritatif opposant les clientèles des bars des différents quartiers de la ville. Malgré l’interdiction de leurs employeurs, il n’est pas rare que des footballeurs professionnels se glissent parmi les amateurs sous de fausses identités en contrepartie de quelques milliers de lires offertes par les patrons des établissements de boisson. Cet été-là, Gino Cappello évolue avec le bar Otello, un des principaux fiefs des tifosi rossoblù. Le 5 juillet en soirée, les bars Otello et San Mamolo s’affrontent devant environ 10 000 spectateurs. Une rencontre houleuse au cours de laquelle l’arbitrage de Walter Palmieri irrite les protagonistes. La suite ? L’arbitre se retrouve au sol à l’issue d’un contact – volontaire ou non, les versions diffèrent. Dans sa chute, l’arbitre se blesse à la cheville. La lumière du crépuscule et la distance empêchent les spectateurs de distinguer les faits, mais selon Palmieri, Cappello l’a agressé.
La justice sportive s’empare du dossier et ne lésine pas sur la sanction : suspension à vie pour Cappello, une peine confirmée en appel. Le joueur sollicite alors la justice ordinaire. Confronté à un prétoire hostile et intimidé par des magistrats professionnels, Palmieri témoigne avec hésitation. Blafard, les mains serrées dans le dos comme s’il était menotté, on jurerait que l’acte d’accusation s’adresse à lui. Il n’est finalement plus très sûr de reconnaître Cappello. Dès lors, le procès bascule en faveur du joueur du Bologna FC. Ce dernier est acquitté et triomphe sur le perron du palais de justice alors que l’arbitre s’éclipse discrètement, encadré par deux carabinieri dont on se demande s’ils sont là pour le protéger ou pour le conduire sous les verrous.
Capèo ne sort pas totalement blanchi de cette affaire : pour avoir participé au Palio malgré l’interdiction de son club, Dall’Ara lui inflige une lourde retenue financière alors que la Ligue ramène la suspension à une année ferme.

L’incorrigible
Cappello accomplit sa pénitence et reprend naturellement le fil de sa carrière avec Bologne et la Nazionale, participant même à la Coupe du monde 1954[2]. Une ultime expérience professionnelle à Novara en Serie B et il quitte l’univers professionnel tout en disputant encore quelques rencontres avec le club des conducteurs de tramways de Bologne.
Le nom de Cappello réapparaît très vite dans les journaux à l’occasion d’une nouvelle affaire douteuse. En avril 1960, en amont d’une rencontre entre l’Atalanta et le Genoa, Capèo propose un million de lires à Nello Cattozzo, défenseur bergamasque et ancien équipier à Bologne, dans le but de faciliter la victoire de Gênes, et ce à la demande de Fausto Gadolla, président du Genoa. Cattozzo feint d’accepter le marché et s’empresse de dénoncer la tentative de corruption à ses dirigeants, ces derniers informant la Ligue dans la foulée[3].
Gino Cappello nie son implication et jure ses grands dieux ne pas avoir eu de contacts récents avec Cattozzo. Mais à la différence de l’affaire Palmieri, la commission mène une enquête approfondie et fait comparaître plusieurs témoins : l’épouse de Cattozzo, un garagiste, un barbier. Capèo s’enferme dans des faux-semblants alors que tous affirment l’avoir vu à Bergame. Malgré ses démentis, le verdict tombe, implacable : la commission judiciaire de la Ligue nationale le radie définitivement.
En niant toute relation avec Cattozzo et le Genoa, Cappello protège en théorie le club ligure d’une sanction. Mais le président Gadolla adopte une ligne de défense si alambiquée qu’elle ressemble à un aveu. Déjà relégué sportivement, le Genoa écope d’une vingtaine de points de pénalité qui interdisent tout espoir de remontée immédiate[4]. A 40 ans, Cappello renonce à recourir à la justice ordinaire, celle qui l’avait sauvé huit ans plus tôt. Il se reconvertit en tenant un bureau de tabac dans le centre de Bologne et laisse le souvenir d’un joueur à l’incroyable talent. « Dommage qu’il soit fou comme un cheval », se sentait obligé d’ajouter le radioreporter Sandro Ciotti, un de ses plus grands admirateurs.

[1] En perdition en championnat, le Napoli est reconnu coupable d’avoir corrompu plusieurs joueurs de Bologne (victoire 0-1 du Napoli à Bologne). Cappello figure parmi les joueurs rossoblù suspendus en compagnie de Taiti et l’ancien international Arcari.
[2] Cappello dispute la Coupe du monde 1950 au Brésil (2 matchs) puis celle de 1954 en Suisse (1 match).
[3] Vaine tentative de corruption puisque l’Atalanta s’impose 2-1.
[4] Le Genoa fait appel et obtient que la sanction soit ramenée à 7 points. De son côté, le président Gadolla démissionne.
Jamais entendu parler, merci!
C’est fou, un cheval?
Un ballon à son nom, c’est quand même une sacrée consécration pour un footballeur.
Le troisième paragraphe, « L’Irascible »…….. ==> D’emblée l’impression d’être plongé au milieu de Peppone et Don Camillo.
Encore des scandales alala.. Un irascible pourrait te croire anti-italien………..jusqu’à ce qu’il te lise, car je perçois surtout une forme de tendresse pour ces tragicomédies.
Le nombre d’affaires minables dans les années 40 et 50 est énorme. Des petites combines pour une victoire par ci, un nul par là, impliquant des joueurs, y compris des internationaux, des dirigeants, des arbitres, des intermédiaires, dans toutes les divisions, au Nord comme au Sud… Sur toutes les tricheries ayant existé, combien ont été révélées au grand jour ?
Oui, et pas seulement en Italie..
Je possede un petit livre au parfum sulfureux, jamais réédité et en son temps clairement blacklisté (et pour cause : y collabora l’un des maitres-chanteurs de l’invraisemblable Nottinghamgate..), qui sur certains points pèche par sensationnalisme voire raccourcis..et sur d’autres par ignorance, « le livre noir du football belge ».. L’un dans l’autre cependant, malgré ses defauts gros comme un camion volé : il dit plus et mieux que 99% du spectre mediatique en matiere de corruptions, affaires, combines, arrangements..
Y a-t-il en Italie des ouvrages de ce genre? Et quant à l’objet, et quant au sort y-reservé?
DOSSIER CALCIO: Tutti gli Scandali del Calcio Italiano dalla A alla Z
Aucune idée sur ce que ça vaut.
Plus de temps pour développer!
Ce petit « livre noir » est perclus de défauts et de limites (60% de compilation de vieilles affaires + 20% de règlement de comptes dudit maître-chanteur, de mémoire il s’agissait de René Van Aeken, + 20% d’autres sources), mais, ses mérites :
Plus grand-monde n’avait souvenir de ces vieilles histoires (en rien exhaustives!).. Sujet tabou que le discours-marchand préféra (car préfère généralement) enterrer/oublier.. Bref et fût-ce de manière très partielle : le mérite d’exhumer certains vieux trucs dont l’amateur qui se croirait éclairé n’a 9 fois sur 10 jamais entendu parler..
Et, autre mérite : avoir fait parler parmi d’autres l’ex vedette internationale Lozano, alors lui il déchire tout dans ce livre, lol : et vas-y que le Manager du club, Michel Verschueren, se fit remballer sans ménagement des bureaux du Real en 81 après y avoir proposé des arrangements mafieux.. ou vas-y que, lors de cette célèbre remuntada en 1/8èmes de C3 85 (que le Real remporta donc), les deux directions s’étaient cette fois entendues pour monnayer la qualif du Real au retour (6-1, après la défaite par 3-0 à l’aller).. De cet arrangement survenu à l’hiver 84, précision : l’un ou l’autre observateurs se posèrent la question à l’époque, et le milieu fuita quant aux problèmes que rencontra l’ingénu Danois Per Frimann sur pelouse (certains regards lui-adressés valaient le coup en live..) puis à la pause, à qui furent remontées les bretelles tant il se montrait inopportunément entreprenant sur le terrain..
Bref : Lozano y balance à la cool, décontracté du gland.. A la Lozano!, perso j’aime beaucoup 🙂
Il s’y trouve 2-3 autres trucs particulièrement embarrassants pour le grand club bruxellois, quoique pipi de chat à côté du Nottinghamgate (daté de la même époque), et quoique surtout le pire que j’aie jamais lu sur ce club figure dans un autre petit livre, et a plutôt trait aux années de guerre, bref.. ==> Autre histoire..bien que, à l’instar de l’un ou l’autre autres grands clubs d’Europe, elle soit plus encore fondamentale des succès de ce club..
Et je reviens donc sur ma question de départ : ce genre de trucs, publié donc et hors-contrôle, existe-t-il aussi sur le foot italien? Ou sur d’autres foots?
Nos messages se sont croisés, merci!
Encore une précision puis je ferme la parenthèse :
Lozano n’avait aucune raison personnelle de cracher ainsi dans la soupe : elle avait été très bonne avec lui, cette direction qu’il éreinta l’avait gardé et soutenu après sa blessure fatale encourue contre Waregem, Anderlecht l’avait même recasé aux institutions européennes (où il retrouva Frimann, tiens) – les entrées de ce club au sein des institutions européennes ne sont pas tristes, d’ailleurs.
Surtout : sinon cela, il n’a jamais dit le moindre mal de ce club, que du contraire.. C’était et c’est resté son club, simplement le garçon est sans filtre et quand il se livre il ne s’épargne pas davantage.
Pourquoi cet arrangement en C3 84-85, qu’Anderlecht (club pour qui la scène belge n’a jamais été, post-war, qu’un outil à disposition pour s’inscrire sur l’Euroscène) avait plus que jamais l’envergure pour remporter une seconde fois? Parce que, un an plus tôt, il y avait eu le Waterscheigate, fondamentalement une histoire de fraudes fiscales, je renvoie à mes papiers là-dessus..qu’Anderlecht était de loin le club le plus pourri en la matière, que son redressement avait par conséquent été castard (double de celui du Standard!), que fort heureusement et contrairement au Standard, le Président VandenStock avait tout épongé avec sa fortune personnelle…………….mais qu’il voulut aussi se rembourser, bref : l’argent reçu du Real retourna alimenter l’une ou l’autre caisses noires, parallèles…….d’abord pour renflouer en partie VDS, voire aussi pour continuer à payer (les pièces livrées plus tard à la presse belge par les maîtres-chanteurs du Nottinghamgate étaient sans appel, et ne s’arrêtaient pas à Nottingham) l’un ou l’autre arbitres en Belgique et à l’international.
Je connais mal l’affaire de la remontada du Real. L’absence de Vandenbergh était elle « normale » ? Et quid de Vautrot, a-t-il joué un rôle ?
VDB, je ne sais pas.
Vautrot non plus, mais sur son arbitrage il n’y a rien à redire, d’ailleurs il refuse de siffler une situation de pénalty (il y a un geste anderlechtois de la main, qui semble tirer le maillot) aux Merengue à 3-1. La prestation de l’un ou l’autre Anderlechtois, par contre..
Pour moi Morten Olsen et Frimann font leur match, Scifo aussi, j’ai envie de dire que Grün également.. Les autres, je n’y mettrais pas ma main à couper, c’est très mou.. De Groote? Peruzovic? Vercauteren? Je viens d’en revoir les 50 premières minutes (les 7 buts y surviennent), le but du 3-1 par Frimann replace Anderlecht en position de force, il frigorifie même d’un peu l’ambiance côté espagnol………..mais y a pas grand-monde parmi ses équipiers pour venir fêter son but, lol, 3-4 pelés + un autre très mollement pour la forme.. Hum.
Comme qui disait un type qui en a vu un rayon au registre des combines, quoique presque toujours dans le rôle du cocufié, Goethals donc : le nombre de matchs arrangés où l’arbitre n’était pas au courant, voire pas même le moindre joueur sur pelouse..
Live je n’avais pas assez de recul. Mais pour mon père qui en avait vu d’autres, tous les cocufiages subis par nos clubs fauchés face à des équipes allemandes, italiennes..ou une fois sur deux quand il y avait Anderlecht en face 😉 , tout au long des 60’s et 70’s : ça puait. Perso et à la revoyure, sur la prestation d’ensemble des Anderlechtois : le jour et la nuit entre l’aller et le retour, pas normal.
J’avais complètement zappé les passages au Milan et à la Juve de Giuseppe Meazza…
J’ignorais pour ma part qu’il avait joué pour la Juve.
Je ne chercherais décidement pas plus loin le monstre sacré du football italien.. Je dirais même qu’il ne doit pas y avoir 36000 cas/pays où ça se prête à prêter si peu à discussion.
Ce qui m’est 100% acquis : à quel point ce genre de figure est emm.. pour le discours-marchand, dopé qu’il est au toujours plus, à l’inflation jusqu’à l’absurde des chiffres et formules…. Or c’est compliqué de faire plus et mieux, en termes d’accomplissement, que l’antique Meazza..
Ça existe encore, le Palio calcistico petroniano ?
A priori, non. Mais manifestement, l’événement était important, cf. la mention des 10 mille spectateurs. Les matchs se déroulaient dans le stade du Bologna FC, le Renato Dall’Ara.
Apparemment, il était de ce match :
https://www.youtube.com/watch?v=b7SPnvmqK3c
Mais je ne l’y distingue pas porteur du N°10 qu’on lui prête.
Le cadre est à tomber par terre..et le deuxième but italien superbe.
Cas d’espèce, cette affaire de 1960 que tu évoques..et cas de tant d’autres assurément : je ne comprends pas trop pourquoi les dirigeants de clubs passaient par l’un de leurs joueurs pour arranger les rencontres (idem par exemple en Belgique avec l’Anderlechtois Jurion, petite main du Président Roosens..et qui y prit goût..), ils n’avaient pas des hommes de confiance à l’époque pour ça? Peur de se salir eux-mêmes les mains? Un joueur, ça peut changer de club et devenir bavard, c’est risqué.. Je ne comprends pas.