Les grands duels : Real-Bayern (2e partie)

Ils ont fait la légende des compétitions internationales. Ils ont déchaîné les passions et déchiré les familles. Ils ont rythmé les règnes et ponctué les changements d’époque. Chaque mois, pendant la saison, P2F évoque pour vous l’un des grands duels à répétition de l’histoire du football. Suite et fin aujourd’hui de la saga des Real-Bayern, l’affiche la plus fréquente de l’histoire des Coupes d’Europe.

(Première partie disponible ici)

La saison des quatre chocs, acte I

Quand le tirage au sort de la deuxième phase de groupes de la Ligue des champions 1999-2000 place Real et Bayern ensemble, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis leur dernière rencontre. C’était en quart de finale de la C1 1987-88, un an seulement après une très chaude demi-finale dont nous avons parlé en première partie. Le Real s’était imposé d’une courte tête (2-3, 2-0), au terme de deux matchs acharnés mais pas mémorables, avant de s’arrêter en demi-finale (1-1, 0-0) face au futur vainqueur, le PSV Eindhoven.

Depuis, la Maison Blanche s’est refait une façade après les grandes heures des années 1980 et le trou qui a suivi la retraite de la Quinta del Buitre. À la faveur du déclin de l’Italie, reine des années 1990, et d’un recrutement réussi, appuyé sur une puissance financière retrouvée, le Real a remporté sa septième C1 en 1998 après 32 ans d’attente. L’ère des Galactiques de Florentino Pérez est encore à venir, mais tous les signaux sont au vert.

Le Bayern, lui aussi, a eu du mal au début de la décennie. Il a bien remporté la C3 en 1996 face aux Girondins de Bordeaux (2-0, 3-1), mais l’Allemagne du football est globalement sur le déclin et même son éternel champion peine à lutter contre la tendance. Surtout, il y a eu ces trois minutes de folie l’année précédente, en finale de C1 face à Manchester United, qui ont laissé dans l’inconscient collectif du club une profonde blessure pas encore refermée, dont la cicatrice reste d’ailleurs visible un quart de siècle plus tard.

La deuxième phase de groupes est une nouveauté dans une compétition fraîchement élargie de 24 à 32 équipes. Quatre poules réunissent les 16 qualifiés de la première phase. Les deux premiers de chaque poule se qualifient pour les quarts de finale, à partir desquels c’est l’élimination directe. Le Bayern et le Real se retrouvent ainsi avec le Dynamo Kyiv, un client sérieux ces années-là, et Rosenborg, promis d’avance à la dernière place.

L’affrontement direct a lieu à la troisième journée. Le Real, vainqueur à Kyiv (2-1) puis à domicile contre Rosenborg (3-1), a deux points d’avance sur le Bayern, tenu en échec en Norvège (1-1) et vainqueur des Ukrainiens au Stade Olympique (2-1). En l’absence de l’attrait du « vaincre ou mourir », le Bernabéu n’est rempli qu’aux deux tiers. Le Real aligne Casillas – Salgado, Hierro, Karanka, Roberto Carlos – Redondo, Guti, Geremi – Raúl – Anelka, Morientes ; le Bayern, Kahn – Kuffour, Matthäus, Babbel – Lizarazu, Fink, Effenberg, Salihamidžić – Paulo Sérgio, Élber, Scholl.

Les Bavarois ont besoin de points, les Madrilènes peuvent se permettre de gérer, et ça se voit. Scholl (0-1, 21e) et Effenberg sur coup franc (0-2, 24e) frappent en trois minutes, Morientes (1-2, 25e) réplique immédiatement, mais Fink (1-3, 39e) redonne deux buts d’avance au Bayern. Après le repos, le Real tente bien de revenir par Raúl (2-3, 48e), mais la défense allemande tient la maison et Paulo Sérgio enfonce le clou sur un contre (2-4, 68e). Il reste neuf points à prendre dans le groupe et la saison est encore longue ; les deux équipes semblent se contenter du résultat et le Bayern repart de Madrid content.

Anelka face à Fink : le buteur du match n’est pas celui qu’on croit.

Une semaine plus tard, c’est le « retour » au Stade Olympique, pas plein lui non plus. Par rapport à l’aller, Linke remplace Babbel en défense au Bayern et Helguera remplace Anelka dans un Real passé en 4-4-2. Les Allemands appliquent leur bonne vieille recette à domicile et mènent 2-0 au bout d’une demi-heure de jeu (Scholl, 4e, Élber, 30e). Helguera finit par remettre le Real dans le match d’un joli tir de loin (69e), mais Zickler, entré à la place de Scholl, règle la question d’un doublé (79e, 90e).

8-3 sur l’ensemble des deux matchs : ç’aurait été le plus beau résultat du Bayern si ç’avait été une élimination directe. Là, le faux pas est sans conséquence pour le Real qui se qualifiera au bout du compte en compagnie de son double vainqueur. En tout cas, il y a de quoi réfléchir pour Vicente del Bosque sur le banc merengue.

La saison des quatre chocs, acte II

Comme on se retrouve, deux mois plus tard, en demi-finale comme le permet le format non dirigé du tirage au sort des quarts… Le Real est allé gagner à Old Trafford, un exploit à l’époque même pour un très gros, pour en arriver là (0-0, 3-2). Le Bayern, lui, a sorti Porto au bout du temps additionnel du retour (1-1, 2-1). Comme en phase de groupes, on joue au Bernabéu en premier, mais cette fois à guichets fermés et avec l’ambiance des grands soirs.

Vicente del Bosque tente un coup tactique en 3-4-1-2 avec Casillas – Campo, Karanka, Helguera – Roberto Carlos, McManaman, Redondo, Salgado – Raúl – Anelka, Morientes. Au Bayern, curieusement, Ottmar Hitzfeld a eu la même idée : Kahn – Jeremies, Babbel, Linke – Lizarazu, Fink, Tarnat, Salihamidžić – Scholl – Paulo Sérgio, Élber.

Ceux qui étaient au Stade Olympique en 1976 vont avoir l’impression de revoir le match, aux rôles des équipes près. Le Real étouffe d’entrée son adversaire, marque très tôt par Anelka (1-0, 4e), double la mise à la demi-heure de jeu sur un csc de Jeremies (2-0, 33e), et tient le résultat jusqu’au bout malgré un regain de forme des Bavarois et une deuxième mi-temps très disputée.

Comment on dit « va te faire enc…, sale fils de p… » en allemand ?

Même s’il n’a pas la réputation du Real pour les remontadas, le Bayern est connu pour broyer ses adversaires à l’allemande sur son terrain. Del Bosque débarque en conséquence avec un 5-3-1-1 taillé dans le béton : Casillas – Geremi, Helguera, Júlio César, Campo, Roberto Carlos – Redondo, Sávio, McManaman – Raúl – Anelka. Hitzfeld, lui, mise sur le 4-4-2 avec Kahn – Babbel, Kuffour, Andersson, Lizarazu – Jeremies, Scholl, Paulo Sérgio, Effenberg – Élber, Jancker.

Le chauvissime costaud venu complémenter Élber en pointe est un 9 d’impact, puissant mais pas rapide, et n’est pas un titulaire indiscutable. Cette fois-là, ça marche : c’est lui qui ouvre la marque tôt dans le match comme le Bayern le cherchait (1-0, 12e). L’espoir ne dure que vingt minutes, jusqu’à ce qu’Anelka, de la tête, redonne trois buts d’avance au Real (1-1, 31e). Pas de Gerd Müller pour semer la terreur, pas de Juanito pour dégoupiller : le reste du match va être très intense, d’excellent niveau technique, mais sans vrai grand moment. Élber donnera bien l’avantage aux Bavarois (2-1, 54e), mais les Allemands n’auront pas les armes pour détruire la muraille blanche devant le but de Casillas.

C’est donc logiquement que le Real se qualifie pour une finale 100% espagnole, qu’il remportera assez facilement contre Valence (3-0) pour décrocher sa huitième C1. Pour la première fois, il a éliminé le Bayern en confrontation directe. Le signe indien est vaincu, et ce qui aurait pu être une rivalité à sens unique est devenu un vrai grand duel.

La plus grande victoire du Real

Quatorze ans ont passé et les confrontations entre ces abonnés fidèles à la Ligue des champions que sont le Bayern et le Real sont devenues fréquentes. Sur les cinq depuis 2000, les Espagnols en ont remporté deux (2002, 2004) et les Allemands trois (2001, 2007, 2012). La dernière, en demi-finale de C1 au Bernabéu, s’est conclue par une irrespirable séance de tirs au but remportée par le Bayern, lequel a ensuite perdu chez lui en finale dans les mêmes circonstances face à Chelsea. En 2014, de nouveau en demi-finale, tout le monde s’attend à un duel serré.

Le Bayern est le tenant du titre. Pep Guardiola, arrivé sur le banc à l’intersaison, a insufflé ses principes à l’équipe avec succès, mais tout ne tourne pas rond du côté de la Säbener Straße. Franz Beckenbauer, retraité des affaires du club mais toujours influent en coulisses, critique ouvertement un style de jeu « ennuyeux ». Uli Hoeneß, successeur du Kaiser à la présidence et condamné pour fraude fiscale, vient d’entrer en prison. Seule une victoire en C1 semble pouvoir ramener le calme.

Le Real, lui, ne rêve que de la Décima après une neuvième Coupe aux grandes oreilles remportée en 2002. Carlo Ancelotti, arrivé lui aussi à l’intersaison, semble avoir trouvé la parade au tiki-taka du Barça et a remis la Maison Blanche à égalité avec le rival détesté, même si c’est l’Atlético de Diego Simeone qui va coiffer tout le monde en Liga. Celle-ci n’est qu’un objectif secondaire pour le Real, déjà assuré de jouer la prochaine C1. Le succès de la saison va se mesurer en Europe.

À l’aller au Bernabéu, Ancelotti choisit le 4-3-3 avec Casillas – Carvajal, Sergio Ramos, Pepe, Coentrão – Xabi Alonso, Isco, Modrić – Di María, Benzema, Cristiano Ronaldo. Pep, lui, mise sur le 4-2-3-1 : Neuer – Rafinha, Boateng, Dante, Alaba – Lahm, Schweinsteiger – Robben, Kroos, Ribéry – Mandžukić.

Dans le plus pur style guardiolesque, le Bayern va s’assurer 80% de possession en première période ; dans le plus pur style ancelottien, les meilleures occasions seront pour le Real. Une seule fait mouche, quand Karim Benzema pousse dans les filets de Neuer un centre parfait de Fábio Coentrão bien lancé dans son couloir par Cristiano Ronaldo (1-0, 19e). Le scénario sera le même en deuxième mi-temps, à ceci près que la meilleure occasion sera pour Mario Götze, entré à la place de Ribéry, qui perdra son duel avec Casillas en fin de match. Au final, rien d’irrattrapable pour le Bayern huit jours plus tard à l’Allianz-Arena.

Tranquillou, le Karimou…

Là où Guardiola reste fidèle au 4-2-3-1 avec Neuer – Lahm, Boateng, Dante, Alaba – Kroos, Schweinsteiger – Robben, T. Müller, Ribéry – Mandžukić, Ancelotti aligne un 4-4-2 joliment équilibré avec Casillas – Carvajal, Sergio Ramos, Pepe, Coentrão – Xabi Alonso, Modrić, Di María, Bale – Benzema, Cristiano Ronaldo.

Après un premier quart d’heure sans grand danger pour Casillas, le Bayern implose en quatre minutes sur deux coups de pied arrêtés (corner de Modrić, 16e, coup franc de Di María, 20e) sur lesquels Sergio Ramos règle son compte à Neuer en deux coups de casque. Malgré la possession à l’avantage des Allemands, la verticalité impitoyable du Real prend régulièrement de court une défense bavaroise fébrile et empruntée. C’est ainsi que Benzema tranche la ligne rouge en une seule passe pour Bale, lequel n’a plus qu’à résister à Boateng dans la surface et servir CR7 sur sa gauche pour un but tout fait (0-3, 39e).

Vu du banc de Pep, c’est la tête des mauvais jours.

Le reste du match est presque pour la forme : un Real impressionnant de sérénité ne laisse rien passer, Pep et ses joueurs ne savent plus par quel bout s’y prendre. À la dernière minute, Cristiano Ronaldo en rajoute d’un coup franc finement joué au premier poteau, sous le mur qui avait sauté, là où tout le monde s’attendait à une grosse frappe (0-4, 90e). Pour la première fois en 38 ans et 10 matchs, le Real gagne à Munich. Dix, ce sera aussi le chiffre magique un mois plus tard à Lisbonne, quand l’objet de toutes les convoitises entrera enfin à la Maison Blanche après la victoire sur l’Atlético en finale (4-1 a.p.)

Quelques grammes de finesse dans un monde de brutes.

Grand duel d’hier, grand duel de demain ?

Il y a eu trois nouveaux duels (2017, 2018, 2024), tous à élimination directe, depuis ce match-référence. Les trois fois, le Real l’a emporté et semble avoir définitivement chassé le syndrome de la bête noire. L’avantage financier sans cesse croissant des Madrilènes devrait contribuer à perpétuer cet état de fait. En 2014, 12% séparaient les deux clubs en chiffre d’affaires (522 M€ contre 468). Cette année, l’écart est de 21% (1 milliard tout juste pour le Real, 822 millions pour le Bayern). Même pour le géant bavarois, il devient de plus en plus difficile dans ces conditions de former une équipe compétitive. Au niveau européen, seules des mesures drastiques telles que l’instauration d’un plafond salarial, à l’américaine, semblent capables de stopper la spirale infernale.

Mais peut-être l’avenir est-il un étage au-dessus avec une ligue mondiale, gavée de pétrodollars (la Coupe du monde des clubs de 2025 ressemble fort à un ballon d’essai, sur le plan sportif tout au moins…), dont les ligues continentales ne seraient plus guère que les D2, et dans laquelle le Real jouerait toujours les premiers rôles tandis que des « économiquement faibles » comme le Bayern squatteraient le ventre mou ? Bien malin qui sait quel modèle prévaudra. Souhaitons en tout cas que c’en soit un dans lequel un Real-Bayern, le plus fréquent et l’un des plus acharnés des grands duels du football mondial, reste une affiche indécise qui continue longtemps encore à drainer les foules et déchaîner les passions.

12 réflexions sur « Les grands duels : Real-Bayern (2e partie) »

  1. Sans doute la démonstration de mon désintérêt pour l’actualité du foot, je ne me souviens de rien de ce que Triple G évoque ici !
    Ces compétitions européennes ne laissent plus beaucoup de place à la surprise et l’idée d’avoir des clubs éternellement au sommet, sans trous d’air durant plusieurs années, me déplaît. Il était bien plus humain ce Real des 70es.

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  2. La grande chance de la Quinta était en 88. Après avoir sorti Naples de Diego, le tenant Porto et pris sa revanche face au Bayern, le Real aurait du passer l’obstacle PSV. Même si les Néerlandais avaient une équipe bien organisée. Dommage

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    1. Un 10, sorte de Hoddle balkanique.. savait tout faire des deux pieds, frappe à distance magnifique, vista..mais leeeent…. ==> Un joueur du passé

      Vu avec Anderlecht, j’adorais, auteur de séquences formidables en CE quoique étouffé (comme tant d’autres avant lui..) par l’intensité de la Samp en finale, je me rappelle aussi avoir été scotché par l’une de ses frappes à distance face au Racing Malines..mais même pas sûr qu’il ait joué deux ans, et après lui je n’ai plus jamais vu de playmaker aussi lent à Anderlecht.

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      1. Ah si, Baseggio..mais déjà plus vraiment le même genre de joueur, le Walter était d’un registre plus travailleur : récupérateur + frappeur + rampe de lancement, un surdoué..mais même lui sa lenteur serait bien vite rédhibitoire..

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  3. La résurrection du Real, c’est l’arrêt Bosman. Dès le premier mercato disponible en 96, ils signent Suker, Mijatovic, Seedorf, Roberto Carlos, Panucci, Illgner.. Viendra le titre 97 et la c1 attendue depuis 32 ans en 98. C’est le mercato du Real le plus décisif à mes yeux.

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  4. Merci Triple G. J’avoue ne quasiment plus regarder la Champions et toutes ces affiches qui se répètent inlassablement se perdent dans ma mémoire. Je pourrai découvrir certains matchs récents plus tard ! L’elite mondiale se confirme de plus en plus, c’est une certitude. Elle gagnera de nouveaux fans, en perdra d’autres… Mais pour la plupart des clubs modestes ou simplement pas assez puissants, la chute va être douloureuse.

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  5. Et je me souviens d’une interview de Michel, au début des années 90, en pleine domination du Milan AC, tandis que Mendoza militait déjà pour une ligue fermée, qui disait que ce format conviendrait mieux au Real qui était un coureur de fond alors que le Milan était un sprinteur. Il avait vu juste.

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