Les grands duels : Italie – Argentine en Coupe du monde

Ils ont fait la légende des compétitions internationales. Ils ont déchaîné les passions et déchiré les familles. Ils ont rythmé les règnes et ponctué les changements d’époque. Chaque mois, P2F évoque pour vous l’un des grands duels à répétition de l’histoire du football. Aujourd’hui, place à une affaire de famille qui n’en finira qu’avec la crevaison du dernier ballon de l’humanité : Italie-Argentine, en match officiel bien évidemment, donc en Coupe du monde.

Durant cinq Coupes du monde consécutives, de 1974 à 1990, l’Italie et l’Argentine s’opposent dans des querelles familiales, entre équipes où les Italiens sont dans les deux camps, il suffit de prendre connaissance des noms inscrits sur les feuilles de match pour s’en rendre compte. L’Albiceleste doit beaucoup aux immigrés italiens, la Nazionale doit beaucoup aux Oriundi argentins. Mais lors de ces duels latins, il n’est pas question de gratitude. En jeu, la suprématie italienne entre natifs et descendants, une lutte identitaire excédant largement le cadre sportif faite de moments de fraternité et de haine.

Acte 1 – Coupe du monde 1974, 1er tour

19 juin 1974, les 70 000 spectateurs du Neckarstadion de Stuttgart ont mal pour lui : mâchoires serrées, comme dans un étau, Fabio Capello souffre le martyr. D’ailleurs, a-t-il le souvenir d’avoir enduré une telle épreuve ? Le sélectionneur Fulvio Valcareggi a décidé d’en fait un terzino contre nature au marquage de René Houseman, le petit ailier de Huracán. El Loco est en feu, il fait danser le colérique Capello à coups de petits ponts, crochets, double-contacts, roulettes, un enfer auquel l’Italien ne sait répondre que par des accrochages et des coups.

Ce jour-là, l’Italie affronte ce qu’il reste d’influence britannique dans le football argentin et à la 20e minute, la connexion de los ingleses de Huracán se met en action : Carlos Babington lance Houseman en profondeur, il échappe à Capello, devance Burgnich et trompe Zoff d’un tir lobé. L’Albiceleste mène 1-0, El Loco court vers le banc argentin, les bras levés, guidé par une joie simple, à son image. René n’a même pas 21 ans et il est déjà à son zénith. L’histoire de Houseman est connue, il boit, il fume, c’est un clone d’Orestes Corbatta, autre génial analphabète. Il vient d’une villa miseria de Buenos Aires, celle de Bajo Belgrano, un dépotoir à ciel ouvert, un royaume fait de tôles ondulées, de briques brutes, de planches mal équarries et de bâches percées au-dessus desquelles planent des relents de misère, de violence et d’alcool puisqu’il faut bien tenir.

Titré avec le Huracán 3G (Ganar, Gustar, Golear[1]) de Menotti en 1973 aux côtés de Carrascosa, Babington, Brindisi et Basile, il se révèle au monde en étant un des rares Argentins à ne pas décevoir. L’équipe nationale est encore gouvernée par l’improvisation, comme si la qualification des hommes dirigés par Omar Sívori après l’échec de 1970 avait fait oublier toutes les faiblesses structurelles du football argentin. D’ailleurs, en Allemagne, Sívori n’est plus à la tête de la sélection, remplacé par un triumvirat dont Vladislao Cap est le leader. Battue par la Pologne (3-2) lors du premier match et perturbée par les accusations de viol pesant sur Roberto Telch[2], l’Argentine doit s’imposer contre l’Italie en prévision d’une ultime rencontre a priori plus simple contre Haïti et le but de Houseman ressemble à une délivrance.

Le but de Houseman devant Tarcisio Burgnich.

Côté italien, la fédération trouve le moyen d’instaurer une organisation encore plus alambiquée que celle de l’Argentine. Il Pentagono azzurro[3] est supposé apporter expertise et complémentarité, il ne crée que le désordre, une cacophonie à laquelle se joignent les joueurs pour exprimer leurs inimitiés entre ceux venus du Nord et ceux du Sud. Le capitaine du Napoli Antonio Juliano critique publiquement la mainmise des Milanais et Turinois alors que le laziale Giorgio Chinaglia intrigue avec quelques journalistes influents avant le premier match et la difficile victoire contre Haïti (3-1). Remplacé en fin de rencontre par Anastasi, Long John Chinaglia insulte Valcareggi[4] puis dévaste le vestiaire au cours d’une colère monumentale. Faute de consensus au sein du Pentagono, ni Juliano, ni Chinaglia ne sont exclus d’une sélection partant à vau-l’eau.

Giorgio Chinaglia au moment de sa sortie contre Haïti, juste avant qu’il n’insulte son sélectionneur.

Ce 19 juin 1974, menée 1-0, l’Italie égalise grâce à une mauvaise intervention et un autogol d’El Mariscal Perfumo avant la mi-temps. En dessous de tout, elle aurait réussi à s’imposer en dépit de toute logique si la frappe de Sandro Mazzola, un peu trop croisée, avait atteint sa cible. Ce premier Italie-Argentine en match officiel s’achève sur un match nul 1-1 qui n’arrange aucune des deux formations. Et puisqu’il est question d’arrangement, les Argentins tentent de motiver la Pologne déjà qualifiée avant son match contre l’Italie alors que cette dernière, à l’inverse, cherche le moyen de s’assurer la bienveillance des équipiers de Grzegorz Lato[5].

Finalement vaincue par la Pologne (2-1), l’Italie est éliminée et les règlements de comptes peuvent débuter. L’Argentine se qualifie à la différence de buts après son succès face à Haïti (4-1) mais les Pays-Bas se préparent déjà à la ridiculiser[6]


[1] Approximativement, Gagner, Plaire, Marquer

[2] L’excellent cinco de San Lorenzo Roberto Telch est accusé de viol par Ingrid, une femme de chambre de 17 ans employée par l’hôtel hébergeant les Argentins. Viol ou relation consentie ? L’affaire ne connaît pas de suite mais empoisonne la préparation du match contre l’Italie que joue malgré tout Telch.

[3] Le président de la fédération Artemio Franchi, l’entraîneur principal Franco Carraro, le directeur général des équipes nationales Italo Allodi, le commissaire technique-sélectionneur Ferruccio Valcareggi et le médecin-directeur du Centre technique Fino Fini.

[4] En sortant, sans regarder Valcareggi, Chinaglia lui lance « vaffanculo ».

[5] Il est aujourd’hui établi que l’attaquant polonais Robert Gadocha a accepté de recevoir environ 20 mille dollars prélevés sur les primes des joueurs argentins avec leur aval. Gadocha a empoché la somme sans la partager ni même en référer à ses équipiers, l’objectif de la Pologne étant de gagner quoi qu’il arrive. Côté italien, Italo Allodi aurait proposé une mallette pleine de dollars à la mi-temps de Pologne-Italie, refusée par les Polonais vainqueurs 2-1 de la Nazionale.

[6] Au second tour, l’Argentine perd contre les Pays-Bas 4-0, le Brésil 2-1 et finit sur un nul contre la RDA, 1-1.


Acte 2 – Coupe du monde 1978, 1er tour

10 juin 1978, Buenos Aires. Qualification pour le second tour déjà acquise, l’Italie et l’Argentine se disputent la suprématie du Groupe 1 avec pour récompense, la possibilité de disputer les trois matches à venir au Monumental, le jardin de l’Albiceleste. Pour finir premiers, les Sud-Américains doivent impérativement s’imposer face à de surprenants Italiens, le goal-average leur étant défavorable[1].

Convaincante jusqu’alors, l’Italie a déjà fait oublier le désastre de 1974 et il ne vient pas à l’idée dIl Vecchio Bearzot de chambouler un équilibre qu’il a mis tant de temps à trouver. Il assume la prise de pouvoir des Juventini (ils sont huit à débuter le match contre l’Argentine) et renouvelle sa confiance aux juvéniles Antonio Cabrini et Paolo Rossi. De son côté, l’Argentine n’a pour l’heure rassuré personne. Son succès laborieux contre la Hongrie et le rôle de l’arbitrage face à la France entretiennent le doute quant à son véritable niveau. Menotti peine à trouver la solution dans l’animation offensive et doit composer avec l’absence de son avant-centre Leopoldo Luque, affecté par la disparition accidentelle de son frère Cacho, et la blessure du meneur Beto Alonso. Quant à René Houseman, à peine 25 ans, il n’est déjà plus un joueur de haut niveau. Pour alimenter Mario Kempes, El Flaco décide de lancer Daniel Bertoni et Oscar Ortiz sur les ailes, soutenus par José Daniel Valencia, dont l’élégance ne peut masquer le manque d’impact dans les zones clés.

Dans la tribune d’honneur du Monumental, toute la clique est là, généraux et amiraux, ministres et ambassadeurs, sommités de la société civile dont les intérêts sont étroitement chevillés aux choix politiques de la junte. Autour d’eux, 70 000 hinchas oublient quelques instants la réalité du pays, l’inflation galopante et la répression des opposants. Le soutien à l’Albiceleste est total mais se manifeste sans excès d’animosité vis-à-vis des Azzurri qui, après tout, ne sont que les envoyés de la mère-patrie sur la terre de ceux qui ont choisi l’exil.

L’Argentine se rue d’emblée à l’assaut du but italien et se heurte à un mur dont Romeo Benetti et Claudio Gentile sont les pierres angulaires. Timide, la Nazionale se contente de quelques actions au cours desquelles Franco Causio torture El Conejo Tarantini. Inefficace et pressée par le temps, l’Albiceleste prend des risques et sur un contre orchestré par Rossi et Bettega, ce dernier inscrit le but de la victoire des Azzurri, condamnant l’Argentine à disputer les matchs du second tour à Rosario.

Roberto Bettega vient de marquer. Olguín et Fillol sont au sol, Gallego, Galván, Ardiles et Passarella constatent les dégâts.

Quand vient le temps de l’analyse, les observateurs sont formels : ces Italiens sont des prétendants au titre, aucun journaliste ne se permet plus de les qualifier avec morgue de Cadaveri eccelenti (« Cadavres exquis » en VF, film de Francesco Rosi sorti en 1976). A l’inverse, peu imaginent l’Argentine triompher tant elle semble brouillonne.

Le peuple porteño, lui, garde la foi. Ce résultat n’est pas une tragédie, au plus une déception qu’il s’empresse d’oublier en chantant le long des avenues et sur les places de la capitale avec les tifosi de la Nazionale, offrant le spectacle rare d’une communion où s’entremêlent les drapeaux italiens et argentins.


[1] Victoires de l’Italie et de l’Argentine contre la France sur le même score (2-1) mais contre la Hongrie, l’Italie s’impose 3-1 alors que l’Argentine ne gagne qu’avec un but d’écart (2-1).


Acte 3 – Coupe du monde 1982, 2nd tour

Enzo Bearzot et César Menotti se retrouvent quatre ans plus tard à Sarrià, le stade du RCD Espanyol, planté dans les années 1920 en périphérie d’une ville en pleine croissance et qui se transforme au fil du temps en verrue au cœur d’un quartier résidentiel chic de Barcelone.

Les titulaires ont peu changé, sept Italiens (des cadres de 1978, ne manquent que Benetti et Bettega, Causio étant remplaçant) et neuf Argentins sont encore là. Parmi les nouveaux venus, Diego Maradona capte toute l’attention médiatique d’une ville qui l’attend comme le messie depuis sa signature au FC Barcelona.

Que retenir de ce match entre équipes moribondes pendant le premier tour ? Des images : Paolo Rossi, désespérément muet, toujours à contretemps, le bel Altobelli, plus inexpressif que jamais sur le banc, attendant vainement un signe de Bearzot, Kempes totalement hors sujet, matador n’ayant pas su s’extraire des années 1970… Et bien sûr la victoire pleine de maîtrise et de cynisme de l’Italie 2-1 (Tardelli et Cabrini contre Passarella) au cours d’une rencontre durant laquelle le héros est Claudio Gentile, cerbère ayant dévoré Maradona avec l’assistance de l’arbitre roumain Nicolae Rainea dont les coups de sifflets, s’ils avaient existé, auraient dû agir comme une musique destinée à endormir le monstre venu de Libye[1].

Ce 29 juin 1982, l’arbitre a choisi son camp, laissant Diego seul face à Gentile. Mais le plus étonnant, c’est sa solitude au sein même de l’Albiceleste. A chaque agression de Gentile, il se relève sans qu’aucun équipier ne vienne menacer ou intimider l’Italien. Pas d’attroupement, pas d’échauffourée, rien qui ne puisse troubler l’œuvre destructrice de Gentile. Abandonné à son propre sort, Diego mesure probablement à quel point cette équipe est celle de Daniel Passarella, El Gran Capitán de 1978. Passarella et Gallego sont les tauliers du vestiaire et n’ont manifestement aucune intention d’aider la prise de pouvoir du Pibe dont le seul allié objectif parmi les titulaires est Ramón Díaz, avec qui il n’est pas encore fâché. Et quand El Tolo Gallego durcit le jeu, sa cible est Marco Tardelli, ce que sanctionne immédiatement d’un carton rouge Nicolae Rainea, dont il faut louer la constance dans l’affichage de ses préférences[2].

Une rare photo de Diego avec El Tolo.

Trois jours plus tard, le Brésil de Telê Santana éteint les dernières chances argentines. Avant de rentrer au pays pour affronter le regard de ses compatriotes meurtris par les défaites sportives et militaires[3], Diego agresse Batista, comme s’il devait soigner sa sortie en se débarrassant de son costume de victime. Quant à l’Italie dont on ne donne pas cher face à la Seleção, elle s’en remet à un truffatore, minable comparse dans de sombres affaires de matchs truqués[4]. Rat des surfaces, antithèse des sculptures de Michelangelo, Paolo Rossi s’approprie le premier rôle. Confirmant qu’il n’y a qu’un pas entre la gloire et le déshonneur, le repenti fait les choses en grand et contre toute attente, guide l’Italie jusqu’à une fantastique troisième étoile.


[1] Dans la mythologie grecque, Cerbère garde les Enfers. Les héros qui parviennent à déjouer sa vigilance l’endorment en musique.

[2] Menotti met durement en cause l’arbitre après le match : « L’article 512 indique que la première faute sévère sur un adversaire sans le ballon vaut un avertissement, la seconde une expulsion. Maradona a subi au moins 20 fautes de ce type et j’aimerais savoir à quoi sert le règlement. » Plus tard, il regrettera le manque d’entrisme de Julio Grondona, inexpérimenté président de la Fédération argentine, dans les instances internationales, au contraire de l’Italie avec Artemio Franchi à la tête de l’UEFA et Italo Allodi DTN de la Fédération italienne.

[3] Après avoir envahi les Malouines en avril, l’Argentine capitule face au Royaume-Uni mi-juin 1982.

[4] Initialement suspendu trois ans dans le procès du Totonero (affaire de matchs truqués), Rossi bénéficie d’une réduction de peine en avril 1982 lui permettant d’être sélectionné pour la Coupe du monde.


Acte 4 – Coupe du monde 1986, 1er tour

Quatre années se sont écoulées quand les cousins se retrouvent à Puebla, au Mexique. Tardelli et Rossi n’ont plus grand chose à offrir, Gentile n’est plus là alors qu’à 26 ans, Maradona ne porte pas encore le poids du temps et des excès. Il doit se réjouir de l’absence du cerbère libyen mais sa plus grande satisfaction est ailleurs : il vient de prendre le contrôle de l’Albiceleste avec l’appui du sélectionneur, Carlos Bilardo. Après avoir écarté Fillol et isolé Passarella, Bilardo sacrifie El Gran Capitán. Victime d’une providentielle dysenterie que le corps médical argentin s’applique à ne pas soigner, Passarella perd tout : son statut, sa place, des kilos et la couleur cuivrée de sa peau d’Indien.

Maradona avec le brassard de capitaine, cela semble aujourd’hui une évidence alors que ça ne l’est pas à l’époque. Après sa piteuse fin de Coupe du monde 1982, entre suspension, blessures et priorité donnée au Barça, Diego ne porte pas le maillot albiceleste durant trois ans. Puis en juin 1985, quand il s’agit de se qualifier pour le Mexique et que tout semble perdu face au Pérou, c’est Daniel Passarella qui arrache un nul salvateur. El Kaiser sort d’une énorme saison avec la Fiorentina, 11 buts en Serie A, un record pour un défenseur, et semble intouchable. Mais El Narigón Bilardo, dont les trois premières années à la tête de l’Argentine ressemblent à une litanie fangeuse, décide de tirer un trait définitif sur l’ère Menotti et mise résolument sur Diego.

Maradona, Maradona, Maradona… El Pibe est au centre de toutes les attentions et ses bons débuts face à la Corée du Sud (3-1) ne font que renforcer l’attente vis-à-vis du crack mondial au moment où déclinent Platini et Zico. Enzo Bearzot résume ce à quoi il est confronté d’une phrase : « il n’y a que 81 problèmes à résoudre avec Maradona » (pourquoi 81 ?). Décevante face à la Bulgarie (1-1), sa Nazionale espère monter en puissance et cela passe par la capacité de Salvatore Bagni à maîtriser son partenaire du Napoli.

Salvatore Bagni et Diego.

De son côté, Maradona ne se laisse pas déconcentrer par les éloges ou les ragots, l’intérêt qu’il suscite excédant largement le cadre sportif. L’actrice mexicaine de telenovelas Edith González se répand dans la presse, révélant avoir dîné avec Diego dans un des plus prestigieux restaurants de Mexico, parlant de cette expérience comme si elle avait apprivoisé un sauvage, manifestement troublée par son magnétisme sexuel. « Nous avons parlé de nos carrières respectives. Il ne savait pas manger certains plats, il se servait de ses mains. Je pensais au nombre de femmes qui auraient aimé être à ma place », laissant chacun fantasmer sur l’issue de la soirée.

Puis vient l’heure de la rencontre sur l’herbe grasse et haute de l’Estadio Cuauhtémoc de Puebla, là-même où en 1970 l’Italie avait obtenu un nul face à la Celeste. Cette opposition n’est pas la plus savoureuse de cette série. Spillo Altobelli, affuté et débarrassé de Rossi, ouvre le score sur un pénalty offert par le théâtral arbitre néerlandais Jan Keizer, Maradona égalise d’une caresse face à Giovanni Galli et le score n’évolue plus malgré plusieurs occasions argentines et une frappe sur le poteau de Bruno Conti. Au marquage de Diego, Salvatore Bagni ne dépasse pas les limites autorisées et les deux hommes se séparent bons amis.

Qualifiées pour les huitièmes de finale, l’Italie tombe sans gloire face à la maîtrise française alors que l’Argentine s’arrache contre le voisin uruguayen[1]. Puis Diego prend son destin en main, conscient d’avoir été touché par la grâce, et bouleverse son existence comme celle de ses partenaires, des apôtres dont les noms brillent à jamais au firmament aux côtés de la figure quasi-christique du gamin de Villa Fiorito.


[1] France – Italie : 2-0, Platini et Stopyra. Argentine – Uruguay : 1-0, Pasculli.


Acte 5 – Coupe du monde 1990, demi-finale

3 juillet 1990, Italie-Argentine à Naples, un piège pour la Nazionale d’Azeglio Vicini que l’on croit lancée à la conquête d’une quatrième étoile grâce à une apparition nommée Salvatore Schillaci, Totò le héros.

Schillaci est un migrant parmi d’autres, un mezzogiornista parti chercher fortune au Nord, flux séculaire, chair fraîche destinée à satisfaire l’appétit de main d’œuvre de l’ogre Agnelli, que ce soit à la Fiat ou à la Juventus. De longues années d’apprentissage à Messine en font un ouvrier qualifié, digne de rejoindre la Vecchia Signora en 1989. Il a déjà 25 ans quand Boniperti le recrute pour une misère, un de ses derniers coups en tant que président, fidèle à ses penchants pour les joueurs de devoir venus de Sicile.

Sa technique rudimentaire est décriée par les journalistes, comme les critiques cinématographiques méprisaient autrefois le jeu de l’acteur napolitain Totò, insensibles à sa popularité auprès des petites gens. C’est pourtant lui qui est élu pour être Il Salvatore, le Sauveur d’une Nazionale stérile offensivement, sauveur dans son acception première pense-t-on alors. Son regard d’illuminé impressionne, il semble possédé, ce qu’il accrédite plus tard en affirmant à son propos que, « là-haut, quelqu’un a décidé que Totò Schillaci devait devenir le héros de l’Italie avant de changer d’avis au cours du match face à l’Argentine. »

Pourtant cette Argentine n’a pas grand-chose à opposer, c’est un groupe de boiteux et de crève-la-faim. Tout au long de la compétition, elle n’est que souffrance. Ruggeri joue une mi-temps au premier tour, Pumpido se brise la jambe, Maradona ne tient qu’à coup d’infiltrations et sa ligne d’attaque est famélique. Ses joueurs ressemblent aux clébards efflanqués qui trainent dans les rues de Buenos Aires. Se nourrissant de misérables rapines, ils vivent de privations, exposant ce qu’est l’ascèse à son paroxysme. Portée par un admirable instinct de survie, celui d’une meute refusant d’endosser le rôle de victime expiatoire, ce 3 juin, l’Argentine est là où elle voulait être, au San Paolo, le stade de l’apôtre transformé en tribunal.

Quand le match débute, le jury populaire a déjà tranché, ce procès est une formalité. Animal grégaire et lâche, la foule insulte, bafoue, méprise les Italo-descendants sud-américains. Dès la 18e minute, Totò se charge de lever les derniers doutes, la Nazionale tient sa finale, la bienséance est respectée.

Mais les condamnés de l’histoire refusent le sort qui leur est promis. C’est à la vie, à la mort, tous les coups sont permis. Giusti fait don de son corps, Ruggeri n’a jamais été aussi grand, Maradona et Caniggia sont habités par une force supérieure qui leur fait oublier la douleur des mots et des coups. Les arguments argentins sèment peu à peu le trouble dans les esprits jusqu’à ce que Zenga, l’invincible, l’implacable rempart expose ses failles au grand jour, devant Caniggia d’abord, les préposés aux tirs au but ensuite. Au bout de la nuit, après de longues minutes d’attente, le verdict tombe dans un silence de cathédrale : l’Albiceleste sort vivante du San Paolo, la foule s’écarte et regarde ses frères maudits rejoindre Rome, s’en remettant à la justice du Dieu Olympe.

Zenga piégé par Caniggia.

Dans un Stadio Olimpico hostile[1], traquée de toute part et à bout de forces, l’Argentine s’incline 0-1 en finale face à l’Allemagne et c’est un soulagement pour beaucoup. A Rome, les jeux du cirque ne s’embarrassent pas de pitié. Alors le public italien hue et insulte les vaincus, comme si la laideur de cette équipe de va-nu-pieds ou ce qu’il en reste n’avait pas sa place un soir de fête chez des hôtes aussi raffinés. C’est l’affligeante conclusion de 16 années de duels fratricides.


[1] L’hymne argentin est sifflé et la caméra saisit les insultes proférées par Maradona à destination du public.

10

29 réflexions sur « Les grands duels : Italie – Argentine en Coupe du monde »

  1. Merci Verano. Gadocha n’a pas pris la totalité de l’enveloppe puisque le Raton Ayala, qui devait faire l’intermédiaire, s’est un servi! C’est d’ailleurs Ayala qui en parlera à Lato, quelques années plus tard, quand les deux seront coéquipiers à Atlante au Mexique. Enfin Lato sortira l’affaire au pays au début des années 2000. Gadocha a toujours nié…

    0
    0
  2. Quelle déception cette equipe argentine pour mon premier mondial…tricheuse, défensive, constamment dans la contestation, sacrément vernie… A mes yeux, le finaliste le plus moche de l’histoire de cette compétition!

    0
    0
    1. si je calcul bien c’est celle de 90? blasphème!! hérétique!! footix!! je t’envoie les foudres de Thor et la colère de la pachamama!! ha ha (rien que ça!)
      elle est juste à l’image de cette coupe du monde et du jeu du début des 90’s et à part des Tchèques enthousiasmant et le 1er pays africain à arriver en 1/4 c’est une des pires coupe du monde!
      me parlez pas de celle de 94 où le Bresil en particulier renie tout ce qui a fait sa légende pour jouer à l’européenne (pour ne pas dire à l’italienne) où il renie son identité..une conséquence de l’arrêt Bosman avant l’arrêt Bosman ha ha

      tout ça pour dire merci pour cet article! sur les 5 duels j’en ai vu 2 en direct! forcément à fond derrière Diego les 2 fois le goat quoi^^
      j’ai revu en vidéo celui de 82 ce match ne se finit pas de nos jours c’est violent!!

      1
      0
      1. Sainte. Mais j’adore l’Argentine normalement! Un peu moins ces dernières compétitions, c’est vrai…
        Etant trop jeune pour 86, j’attendais énormément de Maradona dont je n’avais certainement vu que la finale UEFA face à Stuttgart et me semble-t-il le tour face à la Juve. Ce dernier, je l’invente peut-être…
        Donc imagine ma déception quand j’ai vu cette bouillie! Heureusement qu’il y avait Milla et Schillaci pour mettre un peu de piment dans la compétition.
        Scifo, Piksie face à l’Espagne, le Costa Rica de Conejo, RFA-Yougoslavie…Tout n’était pas à jeter mais c’était médiocre ! Hehe

        0
        0
      2. Ah ah, je savais que ça te plairait. J’aime l’Italie et l’Argentine mais j’ai un faible pour l’Albi et je crois que ça transpire un peu dans le texte eh eh.

        0
        0
      3. Trop petit pour être footeux en 1974, trop jeune pour avoir le droit de regarder 1978 aux heures tardives des matchs en Argentine, mais j’ai vu tous les autres. 1982, c’était vraiment une boucherie, effectivement mal arbitrée par le Roumain Rainea qui, d’ailleurs, avait déjà semblé légèrement pro-italien pendant Italie-France 1978 à Mar del Plata. Et puis, dans ce groupe de trois au deuxième tour de 1982, il y avait LE Brésil de Socrates. Après Italie-Argentine est venu Brésil-Argentine. Cette démonstration, ma mère… Sans la maladresse chronique de Serginho, le Brésil aurait mis 6 ou 7 buts. Pour en revenir à ce grand duel, je ne peux pas pardonner aux Azzurri de nous avoir privés de ce Brésil-là. En finale, chez moi, on était pour la RFA… trois jours après Séville, c’est tout dire !

        0
        0
      4. Ce qu’on n’évoque pratiquement jamais lors de cette CM, c’est l’influence du calendrier au 2nd tour : 3 des 4 équipes qualifiées pour les demi-finales ont eu 6 jours de repos entre le premier et le second match dans leur poule, Pologne, Italie, France. L’Italie a eu pratiquement une semaine de préparation avant d’affronter le Brésil alors que celui-ci avait battu l’Argentine en plein cagnard 3 jours plus tôt.

        0
        0
  3. Chinaglia avait l’air complètement timbré. Un style plutôt heurté mais efficace. Je me demande qu’elle aurait été sa carrière en Europe sans son transfert aux Cosmos. En selection, après le Mondial 74, ça paraissait compromis. Hehe

    0
    0
    1. Chinaglia était ingérable sauf par Tommaso Maestrelli, le coach de la Lazio. Maestrelli est même appelé en Allemagne en 1974 pour tenter d’apaiser la situation et calmer Chinaglia.
      Pour Long John, il a déjà 27 ans en 1974, en ayant monté un à un les échelons depuis le Pays de Galles. Champion et capocannoniere avec la Lazio, il aurait pu être le héros de l’Italie, il en est un des principaux fossoyeurs. Son départ au Cosmos début 1976 après un bras de fer avec son club n’a sans doute rien changé à son destin avec la Nazionale, Bettega, Rossi ayant parfaitement tenu leur place en 1978, bien plus que Chinaglia ou Anastasi en 1974. Et on peut penser que l’émergence de Giordano avec la Lazio est facilitée par son départ.

      1
      0
      1. J’ai lu que le surnom Long John serait un hommage à John Charles. Pas les mêmes personnalités!

        0
        0
    2. Je matais récemment un doc sur le Cosmos et j’avais complètement zappé le court passage de Pino Wilson au club. J’imagine que Chinaglia, débarrassé de l’ombre de Pele, est derrière ce transfert.

      0
      0
      1. C’est en effet Chinaglia qui le fait venir pour jouer durant la pause estivale européenne. Avec la CM 78 à laquelle Wilson ne participe pas et la reprise de la Serie A début octobre, cela faisait plus de 4 mois de coupure.
        Wilson et Chinaglia étaient très proches. Outre un point commun, une jeunesse en Grande Bretagne, ils ont joué ensemble à l’Internapoli dans les échelons inférieurs avant de constituer un duo d’affreux à la Lazio.

        0
        0
      2. Comme contre Ipswich. Le retour au Royaume uni les inspirait visiblement.

        0
        0
      3. Oui, Ipswich, un grand moment ! Il y avait déjà eu des embrouilles lors d’un tournoi estival ou lors de la Coupe anglo-italienne l’année précédente je crois.

        0
        0
  4. La Finalissima entre l’Italie, championne d’Europe, et l’Argentine, vainqueur de la Copa America a produit un beau match à Wembley en juin 2022. Martinez, Di Maria et Dybala ont marqué pour la victoire sans bavure des Tango.

    0
    0
    1. Grazie Aiaccinu. Il y a des versions qui affirment que le San Paolo était pour l’Argentine. C’est faux, le public était très majoritairement pour l’Italie mais il n’a sans doute pas vécu la défaite aussi amèrement que le reste de l’Italie, Diego étant un des leurs. Il me semble que ce manque de soutien napolitain a été largement instrumentalisé, une manière de rappeler encore une fois que Naples n’est pas tout à fait l’Italie pour le Nord.

      3
      0
      1. Tu penses faire une suite dans la même veine ? Avec les Argentine / Allemagne par exemple ou encore Argentine / Nigéria 😉

        0
        0
      2. Peut être Argentine – Allemagne en duo avec Triple g. Ces séries sont sympas à faire mais ça prend du temps à préparer puis à écrire.

        1
        0
      3. Nos avons effectivement un projet Allemagne-Argentine, mais c’est du moyen terme. Pig Benis, si tu as un grand duel à proposer, essaie-toi donc à la rédaction, ce genre de sujet fait souvent remonter des souvenirs et des émotions. Ce doit être un duel international, riche de tradition et de moments forts, qui se joue à répétition sur plusieurs années au moins. Inter-Real et Italie-Argentine sont presque des classiques éternels, Liverpool-M’Gladbach des années 70 est concentré sur cinq ans… à toi de voir !

        1
        0
      4. g-g-g, je suis sur un article qui me prend du temps en ce moment, et tout ça couplé à la préparation de mon mariage civil puis du religieux, ça ne me laisse pas beaucoup de temps et comme je n’ai pas envie de bâcler la chose (enfin les choses héhé) 🙂

        0
        0
  5. Jan Keizer avait plutôt une bonne réputation……….et puis un jour il a été accusé d’avoir accepté une valise remplie de grosses coupures occidentales, un match du Dinamo Bucarest en 83?? Ca tenait à une déclaration isolée, autant que je sache il n’a jamais réagi.

    Cette Italie-là, en 86, n’était vraiment pas terrible. Plus de Gentile, certes..mais aujourd’hui Bagni n’aurait sans doute pas fini le match, l’un ou l’autre mauvais gestes à l’encontre de son équipier.

    0
    0

Laisser un commentaire