Ils ont fait la légende des compétitions internationales. Ils ont déchaîné les passions et déchiré les familles. Ils ont rythmé les règnes et ponctué les changements d’époque. Chaque mois de la saison, voire plus si affinités, P2F évoque pour vous l’un des grands duels à répétition de l’histoire du football. Aujourd’hui, jour anniversaire du sinistre match de 1993 que nous avons évoqué à l’épisode précédent, voici la quatrième et dernière partie de la guerre sans merci entre l’équipe de France et la Bulgarie, un nom qui donne encore des sueurs froides aux plus de 40 ans.
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1996 : reprise technique à la Bourse des Balkans
Le 17 décembre 1995, le tirage au sort de la phase finale de l’Euro 96 en Angleterre offre une nouveauté dans l’interminable duel franco-bulgare qui fait rage depuis plus de trente ans maintenant. Pour la première fois, en effet, les deux nations vont s’affronter dans un grand tournoi. Côté français, on fait la grise mine. Le groupe comprend également la Roumanie et l’Espagne pour former le plus équilibré des quatre de ce premier Euro à seize équipes. Le cauchemar du 17 novembre 1993, avec le but d’Emil Kostadinov qui a éliminé les Bleus de la Coupe du monde 1994 à la dernière seconde, est dans toutes les têtes. Nombre des mêmes joueurs seront sur le terrain, à une dernière journée qui pourrait être décisive : avantage psychologique aux Bulgares.
Qui plus est, le rapport de forces a changé. C’est la Bulgarie du moment, et non la France des années Platini, qui sort d’une Coupe du monde paticulièrement réussie, ponctuée d’une quatrième place. Les Ivanov, Letchkov, Balakov, ou autres Stoitchkov atteignent tous la trentaine mais sont encore à leur meilleur niveau. Les Bleus, quant à eux, sont toujours en reconstruction sur tous les plans depuis la catastrophe du Parc des Princes. Aimé Jacquet, installé sur le banc à cette occasion, est discuté pour avoir fait le choix fort d’écarter Éric Cantona, David Ginola, et un Jean-Pierre Papin déclinant de son groupe.
L’équipe a eu beaucoup de mal en qualifications face à une Roumanie quart-de-finaliste de la World Cup 1994 et d’autres adversaires (Slovaquie, Pologne, Israël, Azerbaïdjan) théoriquement à sa portée. La victoire à Bucarest (3-1) à l’avant-dernière journée, que personne n’attendait vraiment, semble avoir été un match-référence, mais les certitudes sont encore fragiles. Malgré cela, les bookmakers londoniens donnent la France à 8 contre 1 pour remporter l’Euro, en retrait de l’Allemagne (4/1) ou de l’Italie (5/1), mais sur les talons de l’Espagne (7/1) et loin devant la Bulgarie (16/1) ou la Roumanie (20/1). La République tchèque est quant à elle à 66 contre 1 ; on en reparlera.
Le début du tournoi n’a rassuré qu’en partie. En ouverture, les Tricolores ont difficilement battu la Roumanie à Newcastle (1-0) pendant qu’Espagnols et Bulgares se neutralisaient (1-1) à Leeds. Ces mêmes Bulgares ont éliminé les Roumains (1-0) le deuxième jour à St. James’ Park ; les Bleus, quant à eux, se sont fait rattraper par l’Espagne en fin de match à Elland Road (1-1). Dans ce premier tournoi où la règle des trois points et le résultat de la confrontation directe sont en vigueur, les deux équipes entrent ainsi sur la pelouse de Newcastle, le 18 juin 1996, avec des bilans absolument identiques : 4 points, 2 buts marqués, 1 encaissé.
Un vainqueur serait qualifié quoi qu’il arrive, tandis que le vaincu devrait espérer que l’Espagne (2 points) ne batte pas la Roumanie. En cas de match nul, les deux seraient qualifiés si l’Espagne ne battait pas la Roumanie. Dans le cas contraire, avec trois équipes à 5 points, tout dépendrait de l’ampleur de la victoire espagnole et du nombre de buts marqués partout. Autant dire qu’on ne veut pas en arriver là.
Aimé Jacquet aligne un 4-3-2-1 qui deviendra d’ailleurs la marque de fabrique des Bleus jusqu’en 2002 : Lama – L. Thuram, Blanc, Desailly, Lizarazu – Guérin, Zidane, Deschamps – Karembeu, Djorkaeff – Dugarry. Le choix des latéraux surprend là où l’on attendait Angloma et Di Meco. En face, c’est un 4-4-2 en losange hérité des succès de 1994 : Mikhaïlov – Kremenliev, Houbtchev, Ivanov, Tsvetanov – Iankov, Iordanov, Letchkov, Balakov – Penev, Stoitchkov. Il n’y a finalement que quatre des Bleus de 1993 au coup d’envoi (Pedros les rejoindra en remplacement de Zidane à l’heure de jeu). Il y en a neuf côté bulgare mais pas l’affreux Kostadinov, touché au match précédent contre la Roumanie.
Dès la 3e minute, on croit revivre le cauchemar de 1993. Zidane, qui n’est pas encore Zizou, fait une passe dans le vide depuis l’aile droite à hauteur des 16 mètres bulgares. Le ballon repart en contre-attaque éclair côté opposé, exactement comme à cette maudite dernière minute, mais Marcel Desailly descend Stoitchkov sans états d’âme à 25 mètres du but de Lama, carton jaune à la clé. Sur le coup franc, la star de Parme enroule en force du gauche et le gardien parisien sort une prise de balle impeccable. On n’aurait pas pu faire comme ça au Parc ?
Trois jaunes dans le premier quart d’heure : des comptes sont en train de se régler, mais ça n’ira pas beaucoup plus loin. Pendant ce temps, l’Espagne a ouvert le score et prend la tête du groupe au nombre de buts marqués. À St. James’ Park, il n’y a pas d’occasions nettes. Les Tricolores ont un léger avantage territorial mais ces excellents techniciens que sont Letchkov et Balakov se tirent du pressing bleu avec aisance. Et attention à Stoitchkov qui semble en forme, flairant presque toujours le bon coup sur les ballons hasardeux…
Après que Youri Djorkaeff a contraint Mikhaïlov à une belle parade sur coup franc (14e), le voilà qui tire un corner de la droite. Laurent Blanc, monté, place un coup de tête au deuxième poteau qui scotche le gardien bulgare (1-0, 20e). Ça s’arrange pour les Bleus, d’autant plus que la Roumanie égalise contre l’Espagne dix minutes plus tard : France 7 points, Bulgarie 4, Espagne 3. Un qui ne s’arrange pas est l’arbitre, l’Anglais Dermot Gallagher, qui se claque au mollet et doit céder le sifflet au quatrième officiel, son compatriote Paul Derkin.
Les Bulgares sont maintenant plus présents dans le camp français, sans pour autant inquiéter Bernard Lama. C’est au contraire Mikhaïlov qui doit joliment sauver ses couleurs par deux fois, sur un lob lointain de Dugarry (43e) et un tir de près de Djorkaeff (45e). Et ça continue après le repos : celui qui n’est pas encore le Snake bute sur Mikhaïlov bien sorti (54e) et manque d’un millipoil de reprendre une balle en profondeur seul face au gardien bulgare (59e). C’est encore lui qui force la décision quatre minutes plus tard en enroulant un coup franc depuis l’aile gauche que Penev, au duel aérien avec Laurent Blanc, dévie de la tête dans son propre but (2-0, 63e). On avait cru revivre le scénario de 1993 en début de match, on est maintenant dans celui de 1977.
Mais chaque France-Bugarie est différent, et celui-ci comprend un Hristo Stoitchkov en mode cobra. Sur une faute évitable à 20 mètres dans l’axe, il brosse au-dessus du mur bleu une lourde frappe sous la barre que Lama ne peut qu’effleurer (2-1, 69e). Tout redevient possible : en cas d’égalisation bulgare, si l’Espagne marquait deux buts, c’est la moyenne des classements UEFA de 1992 à 1996 qui départagerait France et Bulgarie pour la qualification, et personne n’a les chiffres en tête… Sur le terrain, en tout cas, ça tient. Lama n’a pas à s’employer et c’est au contraire Mikhaïlov qui boxe proprement (80e) une belle volée couchée de Pedros entré en remplacement de ZZ. Mais voilà que la Roja reprend l’avantage à Leeds. C’est elle qui est qualifiée avec les Bleus maintenant : France 7, Espagne 5, Bulgarie 4.
Les Bulgares poussent, la tension monte, les contacts virils et les petites fautes se multiplient au milieu. Mais ça tient toujours, à l’image d’un Karembeu qui fait la loi dans son secteur et réussit à ne pas céder aux provocations. C’est justement lui, alors qu’on est dans la dernière minute, qui trouve en profondeur Patrice Loko à l’angle des 16 mètres à droite. Le Parisien, entré vingt minutes plus tôt à la place de Dugarry touché par un gros tacle, crochète Mikhaïlov, garde son sang-froid devant les deux défenseurs bulgares revenus devant lui, et prend ceux-ci à contrepied en force au premier poteau (3-1, 90e). Cette fois, et comme en 1977 au même moment du match, c’est fait.
L’équipe de France gagne le groupe devant l’Espagne et a la satisfaction d’éliminer les mêmes joueurs qui l’ont martyrisée deux ans et demi plus tôt. La suite, pour les Bleus, sera 240 minutes sans but et une demi-finale plutôt inattendue, avec un 0-0 intense mais stérile remporté aux tirs au but face aux Pays-Bas puis une défaite de même format contre une République tchèque que personne ne voyait là non plus. Au plan comptable comme dans les têtes des joueurs, le camouflet de 1993 est à peu près effacé.
Dans l’opinion, c’est autre chose. Trente ans après, nul ne se souvient du 3-1 de Newcastle, mais tous les plus de 40 ans peuvent raconter où ils étaient et ce qu’ils ont dit quand ils ont vu Emil Kostadinov trouer les filets du Parc… On ne sait pas encore que ce premier duel franco-bulgare dans une phase finale marque en fait la fin d’une guerre sans merci étalée sur un tiers du XXe siècle. Quand les deux équipes se retrouveront pour la dernière fois à ce jour en match officiel, une génération plus tard, leur monde aura basculé.
2016-17 : l’ordre nouveau règne à Sofia
Le hasard fera en effet que la Bulgarie ne recroisera pas la route des Bleus, même en amical, avant 2016. Dans l’intervalle, les chemins ont radicalement divergé. La France a remporté une première Coupe du monde et un deuxième Euro, elle a atteint deux autres finales de ces grands tournois, elle n’a plus cessé d’être présente en phase finale depuis le match de Newcastle. La Bulgarie, elle, a payé cher sur le terrain l’effondrement de la politique sportive menée par le pouvoir communiste d’avant 1990. On l’a vue en Coupe du monde 1998 et à l’Euro 2004, les deux fois avec des éliminations sans gloire au premier tour, puis plus rien.
Vingt ans après, l’opinion accueille le tirage au sort des qualifications à la Coupe du monde 2018 avec une pointe de nostalgie. La France joue dans le groupe A avec la Bulgarie, donc, mais aussi les Pays-Bas, la Suède, le Luxembourg, et le Belarus. Sur la lancée d’un Euro 2016 réussi à un poteau près, avec un qualifié direct et un barragiste, un optimisme prudent est de mise. Les mots sont bien choisis, car un nul décevant au Belarus (0-0) en ouverture du groupe rappelle vite aux réalités. Dans le même temps, la Bulgarie ne bat un étonnant Luxembourg que dans le temps additionnel à Sofia sur un invraisemblable 4-3. Le décor est planté pour les retrouvailles à la journée suivante, le 7 octobre 2016.
Le Parc des Princes, théâtre de toutes les batailles d’autrefois, n’est plus celui de ce siècle. Les Bulgares découvrent un Stade de France que les Bleus, après des débuts hésitants en qualifications à l’Euro 2000, ont lui aussi transformé en place forte. Bien garni mais pas plein (65 000 spectateurs), il offre ce soir-là sa belle coulisse habituelle. Les équipes sont évidemment renouvelées à 100% depuis la dernière rencontre mais les deux sélectionneurs, Didier Deschamps et Petar Houbtchev, étaient sur le terrain un certain 17 novembre 1993…
DD a choisi un 4-4-1-1 avec Lloris – Sagna, Varane, Koscielny, Kurzawa – Pogba, Matuidi, Payet, Sissoko – Griezmann – Gameiro. Peut-être est-ce pour jouer avec les nerfs français qu’Houbtchev offre quant à lui sa première sélection à un milieu de 26 ans au nom terrible : Georgi Kostadinov, sans lien de parenté avec qui vous savez. On le retrouve dans un 4-2-3-1 avec Stoyanov – S. Popov, Pirgov, A. Alexandrov, Z. Milanov – Dyakov, G. Kostadinov donc – G. Milanov, Marcelinho, M. Alexandrov – I. Popov. Trois paires d’homonymes, c’est du jamais vu en Europe ou presque.
La guerre psychologique semble d’abord faire effet. Un raid sur l’aile gauche de Georgi Milanov s’achève dans la surface française au duel avec Bacary Sagna. Le Bulgare se laisse généreusement tomber ; l’arbitre, l’Italien Luca Banti, n’y voit que du feu et siffle un penalty que Mikhaïl Alexandrov transforme d’un poteau rentrant (0-1, 6e). Si le nul au Belarus avait été un courant d’air frais, le but est un verre d’eau en pleine figure : les Bleus se réveillent et entrent enfin sérieusement dans la course à la qualification. La machine conquérante de l’Euro 2016 est relancée, l’adversaire ne voit plus beaucoup le jour, et la différence va se faire en un quart d’heure.
C’est d’abord Sagna, pour racheter sa « faute », qui prend son couloir droit et adresse un centre parfait aux six mètres pour Kevin Gameiro qui égalise d’une tête plongeante (1-1, 23e). C’est ensuite Dimitri Payet, depuis la gauche cette fois, qui adresse un centre rentrant que Griezmann ne peut reprendre mais qui mystifie tout le monde, y compris Stoyanov, pour finir au fond (2-1, 26e). C’est enfin le même Griezmann, aux 20 mètres dans l’axe, qui intercepte une relance catastrophique de Pirgov depuis la gauche de la défense bulgare, fait quelques pas, et loge un plat du pied précis au premier poteau (3-1, 38e).
Il n’y a plus de match, il n’y en aura pas davantage après le repos. Les Tricolores contrôlent tranquillement et placent des banderilles quand l’occasion s’en présente. Hugo Lloris n’a rien d’autre à faire que de rester échauffé pendant que Stoyanov, scotché sur ses appuis, voit une frappe monstrueuse de 25 mètres de Pogba passer à vingt centimètres de sa cage. Peu après, Kurzawa monté sur la gauche trouve dans la surface Griezmann qui place la balle aux six mètres pour un plat du pied impeccable de Gameiro face au but (4-1, 59e). Un dernier poteau de Matuidi pour la route et l’équipe de France conclut sa démonstration. Pas de doute, le rapport à la Bulgarie a changé pour la nouvelle génération.
Un an plus tard jour pour jour, l’horizon s’est couvert à l’heure du match retour. Les Bleus se sont bêtement mis dans le pétrin avec une défaite en Suède dans le temps additionnel (2-1) en juin 2017 et un piteux nul face au Luxembourg (0-0) à Toulouse en octobre. Des circonstances qui rappellent désagréablement le désastre de 1993 au moment de s’envoler pour Sofia. Heureusement que les Tricolores ont désossé les Pays-Bas (4-0) au Stade de France fin août. À deux matchs de la fin, ils comptent 17 points contre 16 aux Suédois, 13 aux Néerlandais, et 12 aux Bulgares qui vont ce soir-là jouer leur dernière chance. Sachant que les Pays-Bas reçoivent la Suède le dernier jour, la conjoncture reste favorable. Mais il y a ce maudit souvenir que tous rappellent à loisir dans la presse comme dans l’opinion…
La marche du temps n’a pas épargné le stade Vassil-Levski. C’est la première fois que l’équipe de France y joue en nocturne, grâce à un éclairage maintenant obligatoire pour l’homologation UEFA bien que celui-là ne respecte les normes qu’au minimum. Le passage aux tribunes 100% assises a fait chuter la capacité de 60 000 à 43 000 places. Sans toit et avec une piste d’athlétisme autour du terrain, l’enceinte n’impressionne plus des Bleus aguerris en club aux stades à l’anglaise et aux ambiances survoltées des meilleures ligues du monde. Qui plus est, seuls 12 000 spectateurs ont refusé le fatalisme et bravé la pluie qui tombe sans relâche sur Sofia pour venir encourager leur équipe. Vu du camp français, ce n’est plus la marche à l’abattoir des années 1970 mais plutôt un pensum à faire sans plaisir, comme un déplacement en Lithuanie ou en Islande.
Didier Deschamps surprend ceux qui connaissent son idolâtrie du résultat en alignant un 4-3-3 résolument offensif : Lloris – Sidibé, Varane, Umtiti, Digne – Matuidi, Kanté, Tolisso – Griezmann, Lacazette, Mbappé. Petar Houbtchev, lui, a remanié en 4-4-2 : P. Iliev – S. Popov, Bodurov, Bojikov, Zanev – Manolev, Slavtchev, G. Kostadinov, Nedelev – Galabinov, Delev. Avec quatre rescapés de l’aller contre deux, le renouvellement des effectifs est presque total.
Le sélectionneur des Bleus, fort de son expérience de 1993 et d’une nature qui a tant fait défaut à Gérard Houllier cette année-là, n’a pas en tout cas oublié de mettre ses joueurs en condition dès le coup d’envoi. On ne joue pas depuis cinq minutes que Lacazette, qui a dézoné en faux 9, ouvre intelligemment pour Digne à l’angle de la surface côté gauche. Le latéral du Barça trouve Griezmann au point de penalty qui remet d’une touche vers Matuidi, lequel transperce Iliev du coin des six mètres (0-1, 3e).
La suite est intense, hachée, peu spectaculaire, et plutôt à l’avantage des Bleus. Iliev repousse en corner une frappe de Mbappé (14e), Tolisso et Griezmann manquent de peu le cadre (19e, 25e), Lloris foire sa prise de balle sur un tir de Nedelev mais se rachète d’un réflexe phénoménal sur la tête de Georgi Kostadinov qui suit (36e) : toi, mon gars, avec un nom pareil, tu ne passes pas. Une frappe hors cadre de Mbappé juste avant le repos (45e + 1), un tir de 25 mètres de Manolev que Lloris accompagne pour la forme (48e), puis le jeu se désintègre sur un terrain rendu de plus en plus lourd par la pluie.
Plus rien ne méritera mention avant le coup de sifflet final qui voit les Bleus prendre sans éclat trois points dont ils avaient bien besoin. Comme on le sait, il n’y aura pas de catastrophe par la suite. Les Bleus battront sans panache le Belarus au Stade de France le dernier jour (2-1) et gagneront le groupe avant d’aller remporter une deuxième Coupe du monde à Moscou neuf mois plus tard. On en aura oublié que c’était la première fois que l’équipe de France s’imposait en Bulgarie depuis 1932, et la première fois tout court en huit matchs au stade Vassil-Levski inauguré en 1953. Les temps ont bien changé, le mauvais sort est désormais rompu. Une victoire au petit trot (3-0) en amical au Stade de France, en juin 2021, confirmera que le grand duel d’autrefois est devenu trop inégal pour en rester un.
Épilogue
23 matchs, 11 victoires françaises, 4 nuls, 8 victoires bulgares. En 2024, le bilan peut paraître flatteur au premier abord. Mais c’est celui des 16 matchs officiels qui reflète la vraie nature de ces batailles impitoyables : 8 victoires françaises, 1 nul, 7 victoires bulgares, cinq qualifications des rois du camembert contre quatre aux seigneurs du yaourt[1]. Du premier en 1960 au dernier (à ce jour) en 2017, la France n’a eu l’avantage que pendant neuf ans au total, et elle a reçu du pied droit d’Emil Kostadinov une cicatrice qui ne s’estompera jamais.
Oui, cette guerre de trente ans entre Français et Bulgares, entamée un après-midi de 1961 à Sofia sur un hors-jeu non sifflé, continuée en 1976 par un arbitrage de légende noire, poussée au paroxysme en 1993 par un invraisemblable concours de circonstances, conclue sur le fond en 1996 à Newcastle par une revanche dans les règles, et paraphée pour la forme en 2017 par une nouvelle génération libérée des complexes de ses anciens, a laissé autant de souvenirs et de douleurs dans l’histoire du football français que l’autre guerre de Trente Ans, la vraie, a pu le faire dans la grande Histoire de ses protagonistes.
Elle aura été un vrai avatar du XXe siècle et de la guerre froide, à la faveur de la politique de sport de masse du bloc de l’Est qui aura permis à une nation de 8 millions d’habitants de tenir la dragée haute à un pays six à huit fois plus peuplé dont la culture, il est vrai, préfère les exercices de l’esprit à ceux du corps. Aujourd’hui, dans le modèle de société toujours plus uniforme d’une Union européenne où la Bulgarie a rejoint la France, économie et démographie ont repris leurs droits. Il est hautement improbable que le grand duel que nous venons de revivre échappe à court terme à la poussière des archives. Puisse-t-il quand même servir de leçon à notre microcosme du football dont une certaine suffisance n’a jamais été absente, aux origines comme de nos jours.
France-Bulgarie 1996 : https://www.youtube.com/watch?v=RQLeuJqQTOQ
France-Bulgarie 2016 : https://www.youtube.com/watch?v=uAauO_rX3hk
Bulgarie-France 2017 : https://www.youtube.com/watch?v=20VVK8NT3Gs
[1] Les deux équipes se sont qualifiées ensemble une fois, pour la Coupe du monde 1986, et ont été éliminées ensemble une fois, à l’Euro 72. Le reste du temps, l’une a laissé l’autre sur le carreau.
L’Espagne 1996 de Clemente n’était pas une sélection belle à regarder mais avait du tempérament. L’égalisation de Caminero en fin de match, le but victorieux d’Amor en fin de match également face à la Roumanie. Elle fût malheureuse en quart face aux Anglais où on annula injustement un but à Salinas.
L’Euro 96 est le testament de Stoichkov au football. Sur la pente descendante, il marquera à chaque match du premier tour. A noter que les Bulgares arrivaient en Angleterre avec le plein de confiance. En ayant réalisé des belles qualifications dont une grande victoire face à l’Allemagne. Une Allemagne qui perdait rarement en qualifs. Comme en 94 quoi ! La victoire 3-2 des Bulgares
https://youtu.be/kiDsunn7nbA?feature=shared
J’ai vu ces matchs. Et pourtant je n’avais absolument aucun souvenir de ces France-Bulgarie, ni de Bernard Lama sous le maillot tricolore après la soirée du Parc en 1993, merci. Même sans être français, la charge émotionnelle induite par Kostadinov fut probablement telle qu’elle a fini par éclipser le reste.
En fait, en essayant vainement de me rafraîchir la mémoire, je réalise même qu’il n’y eut pas vraiment de révolution de palais après ce traumatisme, peu ou prou on retrouve les mêmes joueurs en 1994, même Ginola est encore là (on le retrouve dans 6 matchs, dont 3 comme titulaire).
Pas plus que toi, je n’ai de souvenir de ce France-Bulgarie de l’Euro 96. Karembeu positionné aux côtés de Djorkaeff dans un 4-3-2-1, plus haut que Zidane ? Eh beh… Tu m’étonnes que l’EDF 96 rime avec ennui. Et ça me conforte dans l’idée qu’en plus d’être un vainqueur, Jacquet est le fossoyeur d’une certaine idée du football.
A vrai dire, j’ai moi aussi dû faire un sérieux effort de mémoire au sujet de l’Euro 96, non seulement pour ce France-Bulgarie que j’avais carrément oublié, mais aussi pour l’ensemble du tournoi. J’en ai vu un paquet de matchs, je ne me rappelle guère que de bribes de France-PB (c’est là, je crois, que j’ai découvert Marc Overmars), du tir au but de Pedros manqué contre la RTC en demi-finale, et du but en or de Bierhoff en finale. J’étais à Prague en déplacement pro au début du tournoi, arrivé le lendemain de RTC-Italie et reparti le matin du RTC-Russie décisif. Timing impeccable, comme d’habitude 🙂
Le foot bulgare, une des grandes disparitions du foot européen depuis plus de 20 ans. Mise à part un Euro 2004 anonyme. Je sais pas à quoi c’est du. Pas de gros joueurs sortis non plus mise à part Berbatov qui avait un très beau style.
J’aimais beaucoup Martin Petrov, qui appartint peu ou prou à la même génération.
Mais c’est vrai que sinon Berbatov et lui, ben..
J’y ai réfléchi en écrivant cette dernière partie, voici ma théorie. Comparons la Bulgarie (population 6-8 millions) à la Croatie (population 3-4 millions). Les deux ont vu les structures de détection et de formation des sportifs s’effondrer à la fin du communisme, avec en plus une guerre civile en Croatie. Pendant la guerrre froide, un sportif de haut niveau, même moyen sur le plan international, était fonctionnaire d’État sous un emploi bidon (ainsi les footballeurs des Dynamo est-allemands, tous policiers de la Volkspolizei ou de la Stasi « à la ville »). Le football bulgare a disparu, mais pas le football croate : l’effondrement de ces structures n’explique pas tout. Il y a une véritable culture des sports de balle collectifs en Croatie (foot, hand, basket, volley), tandis que la Bulgarie est plutôt une terre d’hommes forts (lutte, haltérophilie) comme la Turquie voisine. Il est fort possible que personne en Bulgarie ne s’est intéressé à mettre de l’argent dans les clubs de football, surtout les plus petits qui alimentent la pyramide, pour préserver le niveau d’avant 1990 dont est issue la dernière génération, celle de Stoitchkov. Quant aux jeunes hommes qui auraient fait carrière dans le foot, ils sont partis chercher leur beurre dans le privé (licite ou non), ont émigré, ou se sont tournés vers d’autres sports genre MMA. À 30 000 hommes par classe d’âge environ en Bulgarie, donc 450 000 sur 15 ans de carrière sportive, dont (disons) 1% a le potentiel d’un sportif de niveau national (et pas forcément international), il suffit que 4 500 hommes se détournent du sport (et pas seulement du foot) pour changer le cours de l’histoire. Il y a très certainement d’autres théories, celle-ci semble se tenir.
oui car la Yougoslavie puis Croatie a une longue tradition en sports collectifs.
non car la Croatie a connu de larges migrations et exode (que ce soit historique par une main d’oeuvre de travailleurs ou en raison des guerres des indépendances nationales en Yougoslavie)
beaucoup de sportifs croates (au-delà du foot) ont été formés ailleurs qu’en Croatie.
Pas que les sports co pour l’ex Yougo. Djokovic, Ivanisevic, Kostelic, Pogacar, Roglic, des champions dans des disciplines moins connues (ski de fond, saut à ski) ont émergé après la chute du régime grâce à des structures existantes.
J’ai cotoyé des ex yougos (principalement slovènes et croates) pendant mon année à Trieste en 1999, un champion de voile istrien notamment. Ils avaient connu le communisme puis l’indépendance et la démocratie. Les gamins faisaient du sport tous les après-midis à l’origine mais la Croatie et la Slovénie ont maintenu cette culture sportive. Concernant la Bulgarie, j’ai pas d’éléments de comparaison mais étant des régimes staliniens purs et durs, l’enseignement du sport était extrêmement rigide et sacrificiel comparé au pays du « socialisme à visage humain » où les gosses pouvaient malgré tout choisir un sport ludique là où de l’autre côté du Danube c’était l’exploitation des gamins orientés vers des disciplines olympiques « lourdes » (gym, lancers, haltérophilie,…) avec des charges d’entrainement infernales dès lors qu’ils montraient la moindre aptitude. Logique que le sport de haut niveau y soit perçu comme une contrainte associée à un régime honni auquel ils ont tourné le dos. Dans les disciplines olympiques la Roumanie, la Bulgarie, les tchèques, les hongrois sont bien moins performants qu’autrefois. Les yougos eux ne misaient pas sur ces disciplines là de toute façon. Qui voudrait connaitre l’enfance de Nadia Comaneci?
En parlant de Comaneci, son entraîneur Béla Károlyi est mort il y a quelques jours. Pas un tendre…
En Roumanie, la minorité hongroise est pas réputée pour plaisanter. Réputés fiables, bosseurs, exigeants (par rapport à leurs standards latins), mais pas drôles
Souvent géographiquement « mêlés » auxdits « Saxons » d’ailleurs, lesquels ne sont pas toujours des princes de carnaval non plus.
Depuis Berbatov, il y a pas eu un footballeur bulgare digne de ce nom. Les football roumains et bulgares ont eu un peu un destin similaire sur ces 30 dernières années.