Les grands duels : France-Bulgarie, la guerre de trente ans (3e partie)

Ils ont fait la légende des compétitions internationales. Ils ont déchaîné les passions et déchiré les familles. Ils ont rythmé les règnes et ponctué les changements d’époque. Chaque mois de la saison, voire plus si affinités, P2F évoque pour vous l’un des grands duels à répétition de l’histoire du football. En ce jour anniversaire d’un célèbre match en 1977, voici la troisième partie de la guerre de trente ans entre l’équipe de France et la Bulgarie, un nom qui donne encore des sueurs froides aux plus de 40 ans...

(Première partie disponible ici)

(Deuxième partie disponible ici)

1984-85 : un champion dans le yaourt

Zürich, 7 décembre 1983. Fernand Sastre, le président de la FFF, et Michel Hidalgo, le sélectionneur national, ne sont pas des plus heureux au sortir du tirage au sort des qualifications à la Coupe du monde 1986. C’est un véritable tour d’Europe de l’Est que se sont vu offrir les Bleus dans le groupe 2 avec la RDA, la Bulgarie, et la Yougoslavie, le Luxembourg complétant le tableau pour la forme. En pleine guerre froide, personne n’a envie de ces voyages à répétition derrière le rideau de fer.

Pire, le groupe contient à peu près toutes les bêtes noires de l’équipe de France. La Yougoslavie a inauguré l’appellation dans les années 1950, la Bulgarie a pris le relais dans les années 1960 et 1970, et la RDA vient de gagner sa place sur la liste, en sélection comme en club. Il ne manque que la République d’Irlande, adversaire coriace en qualifications 1974, 1978, et 1982, pour compléter le tableau[1]. On aura bien le temps de penser à tout ça plus tard, se dit-on toutefois un peu partout : les esprits sont fixés sur l’Euro 84 à domicile qui s’annonce.

Près d’un an s’est écoulé quand Français et Bulgares pénètrent sur la pelouse du Parc des Princes, le 21 novembre 1984. Depuis le mémorable match-couperet de 1977, les deux sélections ne se sont rencontrées qu’une fois, dans un match amical de préparation au Mundial 1982 (14 mai 1982 à Lyon, 0-0). Celui-ci n’est resté dans l’histoire que parce qu’il a permis à Michel Hidalgo de choisir son troisième gardien pour le tournoi, avec les conséquences que l’on sait.

La Bulgarie en a fini avec son âge d’or des années 1960-70. Devancée par les Bleus en QCM 1978, elle a complètement raté ses éliminatoires de l’Euro 80, échoué de peu en QCM 1982, et lutté jusqu’au bout mais sans succès dans la course à l’Euro 84. Elle a toutefois montré de gros progrès à cette dernière occasion et fait figure de joker dans ce groupe ouvert (deux qualifiés directs, pas de barrage) dont les favoris sont la Yougoslavie et la France.

La France, justement, vient de changer de dimension en remportant son premier titre. Elle aborde les éliminatoires du Mundial 1986 avec un groupe quasiment inchangé, seul Didier Six ayant pris sa retraite internationale. La génération Platini est à maturité autour de son maître à jouer qui sort d’une saison exceptionnelle. On se demande tout de même comment elle va digérer le passage de témoin entre Michel Hidalgo et Henri Michel sur le banc. Le nouveau venu, frais auréolé d’une belle médaille d’or aux Jeux de Los Angeles, inspire néanmoins une confiance réelle. Après deux ans où les Bleus ont lutté d’égal à égal avec les plus grands, personne dans l’opinion ne présente la Bulgarie comme l’épouvantail qu’elle a pu être.

Pour ce match, les Bleus sont privés de Battiston, Giresse, et Rocheteau, blessés. Avec Bats – Bibard, Sénac, Bossis, Amoros – Fernandez, Tigana, Platini, Genghini – Stopyra, Bellone, ils alignent tout de même huit champions d’Europe et sont sereins après leur promenade de santé au Luxembourg (4-0) un mois plus tôt. Des onze joueurs qui ont donné le coup d’envoi d’une fabuleuse histoire le 9 octobre 1976 à Sofia, il ne reste que Max Bossis et Michel Platini. Le Lensois Didier Sénac (fils de Guy, lui aussi Lensois et international), en grande forme avec le Racing dont il deviendra un joueur emblématique, fête quant à lui sa première sélection en remplacement de Battiston.

Côté bulgare, on ne connaît que quelques-uns des Mikhaïlov – Nikolov, G. Dimitrov, Arabov, Markov – Zdravkov, Sadkov, Gotchev, Sirakov – Iskrenov, Mladenov, suite à la victoire du CSKA Sofia sur Monaco (0-0, 2-0) en C1 deux ans plus tôt. Ceux de 1976 ont tous passé la main, mais Nikolaï Arabov était du retour au Parc en 1977. Comme ce soir-là, son équipe est venue chercher le nul et n’inquiète pas beaucoup Bats en première période. Sur un ou deux contres, on s’aperçoit tout de même qu’un Sirakov ou un Mladenov ont plus de ballon qu’on ne le pensait. C’est peut-être pour cela qu’Henri Michel joue également la prudence, peut-être aussi parce que personne chez les Bleus n’est vraiment en forme. Quoi qu’il en soit, et malgré une certaine domination tricolore, on reste sur sa faim à la mi-temps.

Avec la rentrée de José Touré à la place de Stopyra (58e), ça va tout de suite mieux. Quatre minutes plus tard, Bruno Bellone déboule sur l’aile gauche dans son style typique et centre à mi-hauteur aux six mètres. Mikhaïlov se troue et Markov, surpris, n’a pas le temps de retirer sa main de la trajectoire d’un ballon qui filait tout droit vers Touré. Penalty, décide quelque peu généreusement l’Allemand de l’Ouest Karl-Heinz Tritschler, que Michel Platini transforme tranquillement (1-0, 62e). Les Bulgares sortent alors de leur coquille et mettent les Bleus mal à l’aise. Bats doit s’activer sur deux alertes sérieuses signées Zdravkov et Mladenov, et c’est dans la douleur que les Tricolores préservent une victoire qui inquiète dans les esprits plus qu’elle ne rassure au bilan comptable.

La main du destin est avec les Bleus cette année-là. Ce n’est que partie remise…

Avant le retour à Sofia, le 2 mai 1985, les Tricolores se rassurent en battant la RDA au Parc (2-0) de manière très convaincante, puis en ramenant de Belgrade un nul tout en maîtrise (0-0) qui aurait pu devenir victoire avec un peu d’audace. Savez-vous d’ailleurs que les Bleus ne se sont jamais imposés en Yougoslavie de leur histoire ? Les Bulgares, quant à eux, font leur devoir à domicile face au Luxembourg (4-0) puis en toute fin de match face à la RDA (1-0). Ils comptent ainsi 4 points contre 2 à la RDA, 7 aux Bleus, et 8 aux Yougoslaves.

Avec Mikhaïlov – Nikolov, Arabov, G. Dimitrov, Petrov – Zdravkov, Guetov, Sirakov, Sadkov – Velitchkov, Mladenov, les locaux n’ont fait que trois changements par rapport à l’aller. Il en va de même côté français avec Bats – Ayache, Specht, Bossis, Amoros – Fernandez, Touré, Platini, Tigana – Stopyra, Bellone. Vassil-Levski est plein comme aux grandes heures et l’arbitre est écossais, comme le sinistre M. Foote de 1976 : mauvais présage…

Effectivement, la malédiction qui pèse sur les Bleus à Sofia va vite frapper. Pas même un quart d’heure de jeu et Joël Bats rate sa sortie sur un corner de Guetov, permettant à Dimitrov de placer une tête tranquille au second poteau (1-0, 11e). Les joueurs d’Henri Michel, maintenant contraints d’attaquer, prennent la situation en main. Bien qu’ils dominent jusqu’à la mi-temps, on ne retrouve pas l’équipe sûre de sa force de l’Euro 84 ou du match contre la RDA, et la France rentre au vestiaire avec un but de retard.

Répétez après moi : « oups », en bulgare, ça se dit..

Dès la reprise, ce n’est plus la même musique. Sous la poussée de Bulgares retrouvés, les Bleus sont à la peine, dépassés dans les duels et incapables de resserrer les lignes pour soulager une défense qui en a bien besoin. Fernandez et Tigana ne tiennent pas la maison, Platini s’entête dans de longs ballons qui n’aboutissent pas, Stopyra est inexistant en pointe. L’inévitable se produit sur un nouveau corner de Guetov, sur lequel l’excellent Sirakov devance José Touré de la tête et ne laisse aucune chance à Bats (2-0, 61e).

1971, 1976, 1985 : trois fois de suite que les Bleus repartent de Sofia avec deux buts dans la valise.

Le match est plié : le collectif tricolore se désagrège complètement, les attaques brouillonnes et les tentatives individuelles n’inquiètent pas un bloc bulgare bien en place. On sent ces Bleus comme paralysés, impuissants face au destin qui s’écrit devant leurs pieds – comme en 1961, comme en 1971… Au coup de sifflet final, les champions d’Europe viennent de connaître leur première défaite en 15 matchs, depuis un Danemark-France amical en septembre 1983. Au-delà de ce simple fait, c’est la manière qui inquiète beaucoup. Comment ceux de Séville, ceux du récital de la Beaujoire face aux Belges, ceux d’une demi-finale irrespirable face au Portugal à Marseille, ceux qui ont soulevé le trophée au Parc des Princes ont-ils pu tomber à ce niveau en moins d’un an ?

Le reste des qualifications ne rassurera personne. Après une défaite en RDA (2-0) aussi consternante que celle de Sofia, il faudra un nouveau match-couperet au Parc contre la Yougoslavie, le dernier jour, pour coiffer au poteau (2-0) les Allemands de l’Est et se qualifier avec la Bulgarie. On connaît la suite, avec une Coupe du monde réussie que les Bleus finiront à la troisième place après un match de légende contre le Brésil en quart de finale. Une nouvelle fois, pourtant, ce sont ces maudits Bulgares qui auront fait office de kryptonite et replongé les nouveaux champions d’Europe dans leurs doutes. On ne sait pas encore que le pire reste à venir.

1992-93 : le terminus des prétentieux

Thierry Roland : Guérin… peut donner à David Ginola… peut centrer… c’est Kremenliev qui va récupérer ce ballon.

Jean-Michel Larqué : On est dans les dix secondes de la fin du temps réglementaire.

TR : Penev, loin devant… attention… attention Kostadinov !

JML : Oh but !

TR : Oh là là là là là là là là là là là…

JML : À dix secondes… c’est la fin… à dix secondes—

TR : À dix secondes, Kostadinov qui marque. Ohiaïaïaïaïe, quelle catastrophe.

JML : Dix secondes de la fin… Dix secondes, c’est le but de Kostadinov…

TR : C’est la mise à mort.

Faisons le plus difficile tout de suite. Nous savons tous comment se termine ce sixième duel franco-bulgare, dans le cauchemar de la nuit la plus noire de toute l’histoire de l’équipe de France. Même le 17-1 encaissé des Danois aux Jeux olympiques de 1908, même la défaite à Strasbourg (0-1) en QCM 1970 contre une Norvège plus qu’à moitié amateur, même le bus de Knysna (quoique…) font pâle figure à côté de ce cataclysme galactique. Un point en deux matchs à domicile suffisait aux Bleus pour aller en Coupe du monde, et les voilà restés à quai. Comment a-t-on pu en arriver là ?

Les Bleus entament les qualifications à la World Cup USA 1994 dans le doute après un Euro 92 raté. L’euphorie née avec une participation décrochée haut la main, suite à huit victoires en autant de matchs, s’est fracassée sur un premier tour insipide ponctué d’une défaite face au Danemark synonyme d’élimination. Manuel Amoros et Luis Fernandez, les deux derniers champions d’Europe 1984 du groupe, en ont pris leur retraite internationale. Michel Platini, sur le banc depuis fin 1988, a quant à lui rendu son tablier. C’est Gérard Houllier, son adjoint, que la FFF a nommé pour lui succéder.

Le groupe 6 dans lequel ils sont tombés est relevé mais jouable. On y retrouve la Suède, demi-finaliste de l’Euro, une Autriche sur le déclin après le Mondiale 90 mais capable de chiper des points à tout le monde, et des Bulgares en plein renouveau. La Finlande n’étant là que pour faire le nombre, ils seront réellement quatre pour deux places directement qualificatives, sans barrage.

Après un gros trou à la fin des années 80, la Bulgarie a bien failli se qualifier pour l’Euro 92. L’effondrement du bloc soviétique en 1989-90 a permis à une nouvelle et talentueuse génération d’aller chercher fortune sportive et financière à l’Ouest. On trouve ainsi le milieu Krassimir Balakov au Sporting Lisbonne, un autre milieu, Iordan Letchkov, qui vient de signer à Hambourg, l’attaquant Emil Kostadinov au FC Porto, et surtout un autre attaquant de classe mondiale, le meilleur joueur bulgare de l’histoire, qui vient de remporter la C1 avec le Barça de Johan Cruyff : Hristo Stoitchkov.

Les Bleus ne sont pas vraiment démunis non plus avec les Boli, Sauzée, Ginola, Papin, ou autres Cantona. Mais ça ne tourne pas rond dans un groupe ébranlé par l’Euro et fissuré par une rivalité PSG-OM naissante que Canal Plus, nouveau propriétaire du club parisien et désireux d’aller chatouiller Bernard Tapie, a créée artificiellement et amplifie à tout va. On ne sait pas si Gérard Houllier est à la mesure de la situation. En plus d’être frappé du label PSG où il a officié pendant trois ans, il n’a pas le profil du meneur d’hommes qui assiérait d’entrée son autorité pour écraser la crise dans l’œuf.

C’est ainsi que l’équipe de France se retrouve à Vassil-Levski, le 9 septembre 1992, avec pour seule préparation un amical perdu au Parc (0-2) face au Brésil quinze jours plus tôt. Elle est composée de Martini – Roche, Boli, Casoni – Petit, Deschamps, Fournier, Sauzée – Vahirua, Papin, Ginola, dans un 3-4-3 inhabituel pour nos couleurs. En face, c’est un 4-4-2 bien classique avec Mikhaïlov – Kiriakov, N. Iliev, Ivanov, Tsvetanov – Kostadinov, Balakov, Yankov, Stoitchkov – Sirakov, Penev. Des 22 joueurs, Nasko Sirakov, qui vient de signer à Lens où il ne restera que quelques mois, est le seul rescapé du double duel de 1984-85.

À un mois près jour pour jour, on est seize ans après le match fondateur de la génération Hidalgo-Platini. Cette fois, pourtant, ce sont les mauvais scénarios de 1971 et 1961 qui vont se reproduire. Les Bulgares prennent d’entrée à la gorge une France apathique, acculée sur son but, incapable de construire et d’exploiter le potentiel de son attaque. Vingt minutes de jeu et Jean-Pierre Papin se met en tête de récupérer un ballon perdu par Emmanuel Petit au profit d’Emil Kostadinov. Il poursuit celui-ci jusque dans la surface, risque un tacle maladroit qui dégage le joueur au lieu de la balle, et le Hongrois Sándor Puhl siffle un penalty que Stoitchkov transforme sans trembler (1-0, 21e).

La faute de Krastev sur Platini en 1976 était presque au même endroit, mais cette fois-ci, l’arbitre a sifflé…

Même pas dix minutes plus tard, l’alerte rouge vire à l’écarlate. Après une première frayeur suite à une main de Petit sur la ligne non sifflée par l’arbitre, Stoitchkov déboule sur l’aile gauche et centre au second poteau. Kostadinov place une volée contrée par Petit, le ballon parvient à Balakov au point de penalty qui tente aussi sa chance, Petit revenu tente un tacle en catastrophe (le mot est bien choisi) qui transforme le tir tendu en joli lob sur Bruno Martini (2-0, 29e).

Un Petit peu de bol sur ce lob, est-on tenté d’écrire.

Une heure de jeu ne changera rien au score. Trois heures auraient-elles suffi, d’ailleurs, avec ces Bleus mal organisés, brouillons, précipités, qui ne savent pas comment s’y prendre pour percer un double rideau bulgare bien en place ? Là où le 2-2 de 1976 avait marqué la naissance d’une équipe et d’une épopée, le 2-0 de 1992 ne fait rien pour sortir ces Bleus de leur marasme de l’après-Euro. Le spectre d’une rechute dans le trou de 1986-90 hante les esprits.

On va pourtant y croire après une saison somme toute réussie qui voit les Tricolores battre l’Autriche deux fois (2-0 à Paris, 1-0 à Vienne), prendre deux points attendus contre la Finlande à domicile (2-1), et s’imposer en Israël (4-0) avant une victoire laborieuse mais méritée sur la Suède au Parc (2-1). Les Autrichiens, en fin de cycle après le Mondiale 90, décrochent vite. La Bulgarie, elle, avance tranquillement, un point seulement (9, victoire à deux points) derrière Français et Suédois (10) à l’été 1993.

Le 22 août, pour leur rentrée, les Bleus se font bêtement rejoindre à une minute de la fin à Stockholm (1-1) par une Suède qu’ils avaient bien en main jusque-là. On ne voit pas – on ne veut pas voir ? – que le malaise couve déjà. L’affaire VA-OM et la montée en puissance du PSG sur la scène européenne rebattent les cartes dans un groupe jusque-là dominé par les Marseillais, et les fronts se durcissent. On se parle à peine à table à Clairefontaine, on échange des tacles bien sentis à l’entraînement, on joue en clans plutôt qu’en équipe. Gérard Houllier, en bon professeur d’anglais qu’il a été, cherche à convaincre plutôt qu’à diriger. Didier Deschamps, le boss du vestiaire, porte le maillot de l’OM et n’est pas en mesure de fédérer les passions.

Le 8 septembre, l’équipe de France fait le job à Tampere face à la Finlande (2-0) pendant que Bulgares et Suédois se neutralisent à Sofia (1-1). Suède 14 points, France 13, Bulgarie 12, avec deux matchs à jouer chacun : il suffit de deux points pour y être. On connaît le chapitre suivant avec la défaite à Paris contre Israël (2-3), le 13 octobre, qui révèle au grand jour le malaise dans le groupe et un environnement déliquescent : l’influence aussi indue que néfaste du Variétés Club de France autour de la sélection, la suffisance généralisée d’avant-match punie par le but vainqueur de Reuven Atar à la dernière minute (encore… et déjà…), et un président de la FFF, Jean Fournet-Fayard, incapable de mettre de l’ordre dans ce bazar.

Le 17 novembre, à la dernière journée, c’est dans une ambiance de psychose nationale que les Bleus arrivent au Parc pour affronter la Bulgarie. David Ginola, déçu de ne pas être titulaire, n’a pas arrangé les choses en s’en ouvrant à la presse, sans que Gérard Houllier ne sanctionne l’écart comme il l’aurait fallu. Qu’elles sont loin, la ferveur et la fraîcheur du 16 novembre 1977…

Ce sont Lama – Desailly, Roche, Blanc, Petit – Deschamps, Le Guen, Sauzée, Pedros – Papin, Cantona qui doivent envoyer les Tricolores aux États-Unis. Côté bulgare, on mise sur Mikhaïlov – Kremenliev, Ivanov, Houbtchev, Tsvetanov – Yankov, Letchkov, Balakov, Kostadinov – Penev, Stoitchkov. On joue en 4-4-2 des deux côtés, avec cinq « rescapés » bleus du match aller contre huit blancs.

Que vouliez-vous qu’ils fissent avec des maillots pareils ?

Les Tricolores, tétanisés par l’enjeu, ne proposent pas grand-chose en début de match. Ce sont plutôt les Bulgares qui ont la main, sans beaucoup inquiéter Bernard Lama toutefois. Et puis, à la demi-heure, c’est l’explosion. Marcel Desailly, sur la droite, récupère une passe dans le vide de Tsvetanov et transmet à Didier Deschamps devant lui. Des 30 mètres, le capitaine de l’OM centre pour Papin dans l’axe, lequel remet de la tête sur sa droite pour Cantona lancé qui fusille Mikhaïlov aux six mètres (1-0, 32e).

Cinq minutes plus tard, sur un corner de Balakov, Kostadinov au premier poteau place une excellente tête pleine lucarne qui ne laisse aucune chance à qui que ce soit (1-1, 37e). Là, ce n’est plus du tout le scénario des matchs-couperets que les Bleus gagnaient autrefois sans trembler. Les ongles raccourcissent à vue d’œil dans les tribunes du Parc.

Au retour des vestiaires, ça va nettement mieux pendant un bon quart d’heure, puis l’équipe de France s’effrite à nouveau. David Ginola rentre à la place de Papin (69e), les occasions continuent à faire défaut des deux côtés, et l’on croit très longtemps que les Bleus vont tenir jusqu’au bout. Alors survient cette dernière minute…

Il y a des choses qu’on ne peut plus montrer de nos jours.

« Inqualifiable ! » titre L’Équipe pour la postérité. Plus qu’une lame de fond, plus qu’une déferlante, c’est un tsunami qui va balayer le football français jusqu’à ses fondations après cette ignoble élimination. Gérard Houllier, après avoir sulfaté Ginola en conférence de presse comme on le sait, refuse d’abord de démissionner puis se rend à l’évidence le 25 novembre. Quatre jours plus tard, c’est le tour de Jean Fournet-Fayard, fragilisé depuis longtemps (élimination de la Coupe du monde 1990, drame de Furiani, affaire VA-OM…) et dont la position est devenue intenable. Franck Sauzée, quant à lui, a déjà annoncé sa retraite internationale, à 28 ans seulement. La nomination d’Aimé Jacquet à la tête des Bleus, le 17 décembre, ne le fera pas revenir sur sa décision.

La Suède et la Bulgarie, qualifiées, iront toutes deux en demi-finale de la World Cup américaine. On a dit et redit que dans ce tournoi somme toute assez peu relevé, il y aurait eu la place pour les Bleus… La suite de l’histoire est connue, avec en point d’orgue un certain 12 juillet 1998 au Stade de France. Quoi qu’il en soit, la Bulgarie est désormais plus qu’une bête noire : elle a rejoint l’Allemagne dans le cercle restreint des tortionnaires immortels de l’équipe de France. C’était il y a trente ans, c’est comme si c’était hier pour ceux qui l’ont vécu. Reste un chapitre à écrire à ce grand duel pour arriver à l’époque actuelle… mais ceci, ami lecteur, est à venir dans la dernière partie d’une histoire aussi longue que douloureuse.

(Quatrième partie disponible ici à partir du 17 novembre)


[1] Le Danemark n’a pas encore acquis ses lettres de noblesse dans le domaine, quoique sa victoire en amical (3-1) sur les Bleus à Copenhague en septembre 1983 laisse présager un destin « glorieux ».

29 réflexions sur « Les grands duels : France-Bulgarie, la guerre de trente ans (3e partie) »

    1. Ah oui, j’ai mis le lien dans mes notes et j’ai oublié de l’insérer. Je corrigerai ça dans la nuit. Quant au Variétés, l’équipe de gens du showbiz, de journalistes, et d’anciens grands joueurs animée par Jacques Vendroux, elle faisait et défaisait les sélections et les carrières en coulisses, sans que ni Gérard Houllier, ni Jean Fournet-Fayard ne pipent mot. Le changement d’atmosphère après France-Bulgarie aidant, ça a vite cessé sous Jacquet.

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      1. ah le variété club, c’était thierry roland qui annonçait en fin de match, d’un ton bien intéressé, que le variétés club truc machin allait jouait à petaouchnok contre les guiguis de tataouine, tu parles avec le temps, on a vite compris qu ec’était pour renflouer les caisses de la 3F et payer le champagne !

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      2. Ah la la, le VCF… Souvenir des Multiplex de D1 sur France Inter dans les 80es avec Pierre Loctin et Jacques Vendroux aux commandes. Prosélytisme à gogo, copinage éhonté, traitement médiatique des clubs à géométrie variable (Bez et Couécou savaient y faire !)… Même ado, je percevais que tout était biaisé.

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      3. J’arrive plus à retrouver la compo mais le Variété avait eu droit à un grand match pour ses 20 ans en 91. Face à une sélection mondiale de renom. Beckenbauer, Krol, Neeskens dans mes souvenirs. Et plein d’autres stars… M’énerve de ne pas retrouver la compo. Ah si il y avait un certain Edu, celui de Santos

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      4. Merci déjà pour ces infos, mais question du candide encore : l’un ou l’autre noms de joueurs à apporter, à avoir été victimes de ces copinages??

        S’il y eut des favorisés, c’est donc qu’il y eut des lésés. Et ces favorisés, justement?

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  1. Dans l’équipe bulgare 86, quelques joueurs passés par la France. Georgi Dimitrov le défenseur à Sainté. Markov à Metz. Et Sirakov à Lens. Sirakov, même si il n’a pas réellement percé à l’étranger, Saragosse ou Espanyol, est une vraie gloire du Levski et du foot bulgare de l’époque.

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    1. Huitième de finale en 1986, je pense au contraire que la Bulgarie était à son niveau. La génération d’après, celle de 1994, en revanche, c’est vraiment du lourd. J’ai revu le France-Bulgarie de 1996 pour la dernière partie du grand duel qui sort demain. On ne présente plus Stoitchkov, mais ce milieu Letchkov-Balakov qui se sort tranquillement du pressing des Bleus rien que sur la technique individuelle, c’est du bon. Mikhaïlov dans le but, pas mal du tout ce jour-là, Trifon Ivanov égal à lui-même, etc. Un parcours 1994 mérité, même si les Bleus auraient dû leur griller la politesse pour y être.

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      1. Je me rappelle avoir trouvé leur accession au second tour encore plus lunaire que celle des Uruguayens – lesquels offrirent du répondant à l’Argentine au moins alors que la Bulgarie, dans ce Mondial?? Pour ma part je n’en retins rien, mais je vais revisionner cela un de ces 4, ça marche.

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  2. Merci d’avoir censuré la photo de l’homme dont je ne prononce pas le nom.

    J’ai depuis cette funeste soirée « L’Amérique » » de Joe Dassin en boucle dans la tête .
    C’est un calvaire ^^

    Seul le bon parcours des Bulgares m’a redonné un relatif réconfort …

    On aurait pu tellement performer …

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  3. sinon il y avait eu cette rumeur de la fédé bulgare d’une tentative de corruption de la 3F, je sais plus trop si c’était un poil fondé. mais il y avait un beau nid d’escrocs au sein du football français dans les 90..

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  4. Je ne sais si c’est un effet du temps mais je n’ai pas de souvenir d’un traumatisme personnel lié à l’élimination de l’EDF en 1993. Je crois que j’étais déjà dans la nostalgie d’une équipe morte en 1986, tout ce qui a suivi après était déjà laid. La qualif à l’Euro 92 avec Platini sélectionneur était un trompe l’œil. Un parcours parfait mais aucun fond de jeu. Et la suite, malgré les triomphes Jacquet-Deschamps, rien ne m’a jamais plus enthousiasmé. C’était le post du vieux con eh eh

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    1. Avec Papin, Cantona en confiance, ça suffisait contre des petites nations. Mais laisser l’animation à Christian Perez ou Pascal Vahirua (rien contre eux, y’avait vraiment rien de mieux en stock à l’époque), ça pouvait pas fonctionner contre des vraies équipes. Me souviens que les anglais dans le même groupe étaient aussi nuls que nous. Le France-Angleterre étant d’ailleurs une purge sans nom.

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    2. Le 1/4 face au Brésil comme chant du cygne, Verano? En demi il y a de l’impuissance..autant qu’un match orienté par l’arbitrage pour ma part. Dans le match des coiffeurs, match jamais revu depuis lors (car sans intérêt), les Belges sont cramés mais la France des remplaçants est pas mal du tout dans mes souvenirs.

      Et sinon? Tu ne vois vraiment rien à sauver dans la foulée, pas même un match? Platini (physiquement amorti) et Tigana (sinon une pige, ai-je lu??) prennent congé de la sélection en 87, Giresse dès le terme de la WC86.. De ce trio alchimique, Tigana dut être bien seul.. Je présume que Ferreri lui fut associé? Touré était encore +/- un joueur de foot, non? Vercruysse était un beau joueur et je ne sais pas trop ce que valait Blanc comme meneur de jeu à l’international mais, en général, quand on redescend de plusieurs strates sur la pelouse un attaquant ou un meneur de jeu..

      Au-delà de la question/carence des talents intrinsèques, la fin du football à la Hidalgo procéda-t-elle d’un choix délibéré? Peut-être un choix radical suite au fiasco des qualifs d’Euro88 (dont je n’ai aucun souvenir vous concernant)??

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      1. En 1986, 1987, il me semble me souvenir qu’il existe une sorte de consensus autour de l’idée que la relève est là. Le match France – Argentine de l’hiver 1986 entretient cette idée : sans Platini mais avec Ferreri et Vercruysse, la France surclasse l’Argentine de Maradona. Et quelques mois plus tard, l’Argentine est championne du monde. Donc pas de soucis, la France a les talents de demain.
        Sauf que tu ne remplaces pas Platini comme ça, encore moins un duo Platini – Giresse ! Les espoirs d’hier ne confirment jamais en EDF, beaucoup de blessures jalonnent leurs parcours, Touré notamment, mais d’autres comme Amoros qui décline vite alors qu’il est encore jeune.

        Je n’ai pas le souvenir de matchs notables après 1986 durant des années… La victoire en Espagne lors des qualifs 92 avec le but du renégat Fernandez ?

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      2. Me suis éveillé au foot avec cette génération. L’absence à l’Euro 88. Mo Jonhston qui fait la misère à Bats. L’Euro 92 raté. Israël et la Bulgarie. Une France à la ramasse. La demi-finale à l’Euro 96 ne m’avait pas laissé un grand souvenir. C’est pour ça que je n’aurais jamais envisagé le sacre en 98.

        De l’époque Papin, quelques souvenirs malgré tout. Fernandez qui réalise la même reprise de volée au Villamarin que 3 ans plus tôt à Bordeaux. La grande victoire à Bratislava.
        Le but de Fernandez à Lescure. Copie conforme à celui de Villamarin !
        https://youtu.be/ShEOcLSPJE8?feature=shared

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      3. J’adore ce genre de buts, car je ne vois jamais trop ce qu’apporte leur aspect « karaté kid »?? Comme un dépassement du fonctionnalisme pur ; de l’excessif qui n’est pas insignifiant.

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      4. France-Brésil 1986, chant du cygne peut-être… Pas le souvenir d’un arbitrage orienté en demi-finale contre la RFA, juste la recette classique d’un physique et d’un mental inférieurs. La relance de 40 m à la main de Schumacher, en mode quarterback, sur l’action du 2-0 se laisse voir. Le vrai adieu aux armes de cette génération, pour moi, c’est le France-URSS perdu 0-2 au Parc en octobre 1986, première défaite à domicile en match officiel depuis 1971. Là, on a vraiment vu que ce qui restait de la génération Hidalgo était fini et que les nouveaux n’avaient pas les armes pour prendre la relève.

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      5. J’ai le souvenir du France-Espagne de ces qualifs (3-1) comme d’un match-référence pour cette équipe. Aussi la papinade de JPP pour marquer le but vainqueur en Tchécoslovaquie (2-1). De mémoire, c’était la première fois que la France y gagnait, et c’était un nom qui faisait presque aussi peur que la Bulgarie à l’époque. Là, on s’est dit que ces Bleus pouvaient faire quelque chose…

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      6. « Match orienté par l’arbitrage » ai-je écrit, y a une nuance! 😉

        La « faute » qui amène le but de Brehme est tout, tout, tout sauf évidente, ceci dit : ça ne justifie absolument pas l’erreur coupable de Bats dans la foulée. Et les Allemands ne peuvent être blâmés pour les (quelques) très solides occasions françaises galvaudées.

        Mais j’avais été et reste marqué par la multiplication de gestes d’antijeu allemand, les petites fautes qui cassent la rencontre.. « Ca fait partie du jeu » dit-on, ou plutôt de sa variante intéressée et calculatrice, soit. Mais à l’époque, il venait un moment où l’arbitre intervenait, durcissait ses décisions, finissait par jaunir ce genre de comiques. Et dans ce match ce moment ne vint pas.

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  5. Je lisais France Football à l’époque. J’avais encore jamais vu des notes aussi basses. 1 ou 2 (sur 5) pour tout le monde. Ginola avait servi de bouc émissaire mais sur l’ensemble du match c’est Laurent Blanc qui avait le plus ramassé. « Ce sera jamais un vrai défenseur » (il jouait encore 10 à Montpellier à peine deux ans avant ce match fatidique). Il a d’ailleurs connu une traversée du désert suite à ce match et mis plusieurs années à retrouver sa place.

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    1. À propos de Laurent Blanc, les Italiens avaient le même avis. Sa saison au Napoli de Ranieri, à la fin de l’ère Maradona, avait été jalonnée de quelques buts de la tête mais que de courants d’air en défense.

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