Ils ont fait la légende des compétitions internationales. Ils ont déchaîné les passions et déchiré les familles. Ils ont rythmé les règnes et ponctué les changements d’époque. Chaque mois, P2F évoque pour vous l’un des grands duels à répétition de l’histoire du football. Aujourd’hui, suite et fin d’un temps fort de la légende des Verts : la triple confrontation entre l’AS Saint-Étienne et le PSV Eindhoven.
(Première partie disponible ici)
Automne 1976 : la bouillie du Brabant
Quand les joueurs du PSV entrent sur le terrain de Geoffroy-Guichard pour leur huitième de finale aller de la Coupe des champions, le 20 octobre 1976, leurs souvenirs du printemps sont encore frais. Neuf d’entre eux étaient déjà là pour disputer à l’AS Saint-Étienne une place en finale de C1. Les Verts aussi alignent neuf des joueurs d’une demi-finale remportée de haute lutte (1-0, 0-0) après un combat de tous les instants. Au tirage au sort, les deux camps ont fait la grimace : ils auraient préféré que la rude bataille qui s’annonce survienne bien plus tard dans la compétition.
Les effectifs sont quasiment les mêmes, mais la dynamique a changé. Depuis leur finale européenne perdue à Glasgow face au Bayern Munich, les Stéphanois semblent avoir perdu le fil, déjà distancés en Division 1 après trois titres consécutifs. Certes, Robert Herbin tient toujours solidement la barre d’un groupe encore redoutable. Mais quelques fissures sont apparues : Jean-Michel Larqué, blessé au genou en septembre avec l’équipe de France, est absent, certains cadres tels qu’Hervé Revelli ou Gérard Farison sont sur la pente descendante, et le début de la saison a mis en évidence des carences à la finition de plus en plus criantes dans l’attaque des Verts. Au premier tour retour de C1 contre le CSKA Sofia, c’est le stoppeur Oswaldo Piazza qui a ainsi dû débloquer la situation d’une de ces charges de buffle dont il a le secret (0-0, 1-0).
Le PSV, lui, semble au contraire s’être bonifié. Le buteur Ralf Edström, qui joue sa dernière saison au club, est au sommet de son art. Le reste du groupe est un mélange à peu près idéal de jeunes pousses qui montent et de cadres pas encore sur le déclin. Les hommes de Kees Rijvers sont en course pour un troisième titre consécutif en Eredivisie, même s’ils cèderont finalement face à l’Ajax. En C1, ils ont lessivé les Irlandais de Dundalk dans leur style habituel (1-1, 6-0) avant d’affronter Saint-Étienne. On s’attend donc à un duel encore plus serré qu’au printemps, et seul l’optimisme cocardier des médias français parvient à masquer l’appréhension qui règne dans le camp stéphanois.
La première mi-temps du match aller ne rassure qu’en partie. Les Verts maîtrisent le jeu une bonne part du temps, s’approchent fréquemment du but de van Beveren, mais vendangent trop souvent le dernier geste. Quand le ballon est cadré, il ne force pas le gardien néerlandais à s’employer aussi activement qu’au mois de mars. Plus inquiétant, le PSV connaît un vrai temps fort d’une quinzaine de minutes pendant lequel c’est lui qui presse sur le but de Ćurković. Mais là aussi, les passes sont trop imprécises, les frappes sont trop hésitantes, les têtes sont trop molles. Au retour des vestiaires, c’est encore le PSV qui domine avant que les Verts ne redressent la tête un peu avant l’heure de jeu. Comme au tour précédent, c’est d’Oswaldo Piazza que va venir la délivrance à la 62e minute. Servi par Janvion depuis l’aile droite, l’Argentin trouve un bon une-deux avec Hervé Revelli à l’entrée de la surface, s’avance en mode char d’assaut et canarde van Beveren à huit mètres. Ce sera le seul coup d’éclat d’un match qui retombe dans les approximations des deux côtés pour se terminer sur le même 1-0 étriqué qu’au printemps.
Le retour, le 3 novembre, est encore plus décevant sur le plan du jeu. Le PSV tente bien de mettre la pression dès le coup d’envoi et Lubse, de la tête sur corner, force Ćurković à un bel arrêt dès la 2e minute. Ce sera la seule occasion franche de toute la première période : les Verts et le PSV ont peut-être oublié comment attaquer mais savent toujours défendre. Leurs doubles rideaux respectifs confinent le ballon loin des buts, neutralisent les ailiers, et contraignent l’adversaire à jouer le contre ou tenter vainement des exploits individuels. Le match ne gagne pas en qualité après le repos. Un coup franc à 20 mètres de van der Kuylen dans les tribunes (64e), une frappe des 16 mètres de Santini qui frôle le poteau de van Beveren (82e), et un tir de Hervé Revelli droit sur le gardien au bout d’un raid dans la surface (88e) sont les seuls points forts d’une seconde période intense mais brouillonne, loin du spectacle de haut niveau qu’avait offert la demi-finale d’avril. Pour la deuxième fois de l’année, Saint-Étienne élimine ainsi le PSV et prend des allures de bête noire pour les hommes de Rijvers, même si l’Europe sait désormais que ces Verts commencent à montrer des signes d’usure. On ne le sait pas encore, mais cette rivalité qui se forme connaîtra un dernier acte autrement plus spectaculaire.
Automne 1979 : Six pruneaux dans le Chaudron
Beaucoup de choses ont changé quand les deux clubs se retrouvent face à face fin 1979, pour la troisième fois en trois ans. Ce coup-ci, c’est en UEFA et non en Coupe des Champions que l’affrontement a lieu. Le PSV a abandonné le rouge uni d’une décennie 70 triste pour les maillots et a retrouvé ses célèbres rayures rouges et blanches. Il a agrandi son Philips Stadion à 27 000 places pour répondre à sa popularité croissante. Enfin, contrairement aux deux précédentes confrontations, le match aller a lieu aux Pays-Bas.
Sur le terrain aussi, il s’est passé des choses. Vainqueur de la C3 deux saisons plus tôt face à Bastia (0-0, 3-0), le PSV est entré dans l’aristocratie européenne. Kees Rijvers tient toujours la barre et a su rajeunir son groupe sans changer son style de jeu. Van Beveren, Lubse, van der Kuylen, et les frères van de Kerkhof sont toujours solides au poste, mais les Brandts, Wildschut, ou autres Valke sont venus remplacer un Deijkers ou un Edström. Les résultats n’ont que peu souffert, mais le vestiaire est loin d’avoir la même cohésion qu’en 1976 et une certaine usure du pouvoir se fait sentir sur le banc.
À Saint-Étienne, la rupture a été plus brutale. Après le gros coup de mou de 1977-1978 (septième), Roger Rocher a décidé un changement de politique sportive. Robert Herbin est resté en poste mais un recrutement de gros calibre est venu aérer un groupe un peu trop fermé sur lui-même. Jean-Marie Élie, Bernard Lacombe, Johnny Rep, et surtout Michel Platini ont ainsi rejoint l’effectif, de même que Jean-François Larios qui a éclaté durant son prêt à Bastia. Herbin a réorienté l’animation offensive autour de son numéro 10 de classe mondiale, les résultats sont revenus, et l’ASSE, troisième en 1978-1979, a retrouvé l’Europe.
En conférence de presse après l’aller, le 24 octobre 1979, l’entraîneur des Verts est furieux. Lui qui parle peu et ne critique presque jamais les arbitres sort le lance-flammes contre la prestation du Suédois Rolf Eriksson au sifflet. Il est vrai que celui-ci a fermé les yeux sur le traitement « vivifiant » réservé par le PSV à Johnny Rep, ancien de l’Ajax donc ennemi à punir par tous les moyens, et sur un chapelet d’autres fautes des Néerlandais. Il est également vrai qu’il a accordé à Willy van de Kerkhof un premier but (12e) très discutable en raison du hors-jeu de position d’un coéquipier trop près de Ćurković pour être ignoré. Il est toutefois non moins vrai que les Verts, finalement battus 2-0 (Koster, 63e), ont affiché trop de lacunes pour prétendre à mieux. Leur défense, régulièrement prise de vitesse et vulnérable sur les ballons piqués comme on l’a déjà vu en Division 1, n’a plus rien de la forteresse de 1976. En l’absence de Platini blessé, ils ont bafouillé leurs attaques et ne se sont créé qu’une seule vraie occasion – quand Poortvliet, mal inspiré sur un centre de Larios, a expédié la balle sur le montant de son propre but (45e). Pour la première fois, le PSV les a non seulement vaincus, mais les a aussi nettement dominés et se trouve en position de force avant le match retour.
Le 7 novembre, Geoffroy-Guichard a sorti l’ambiance des grands soirs et toute la France y croit : après tout, il y a déjà eu Split et Kiev… Les entraîneurs ont chacun fait leur bluff avant le coup d’envoi : Rijvers a minaudé pendant des jours sur l’état de santé de quatre ou cinq de ses titulaires avant de les aligner tous, tandis qu’Herbin, privé de Rocheteau blessé, a tenté un coup de poker tactique. Jean-Marie Élie, 6 de métier, porte le numéro 7 ; Larios, 8 d’origine, porte le 9 ; Zimako, 7 dans l’âme, porte le 8 ; Santini, hybride entre 6 et 8, porte le 10 de Platini, et le maître a quant à lui endossé le 6. Plus fort, ces joueurs évoluent au coup d’envoi aux postes de leurs numéros. Le temps que les Néerlandais comprennent et s’adaptent, la foudre a frappé.
2e minute : Élie gratte un ballon dans le rond central, prolonge dans l’axe pour Larios, démarqué, qui entre dans la surface et loge un plat du pied hors de portée de van Beveren sorti à sa rencontre. 4e minute : Rep charge vers la surface depuis l’aile gauche, sert Larios au point de penalty, la défense du PSV cafouille son dégagement, et Platini arrivé comme un missile envoie une sacoche au ras du poteau. 5e minute : Élie prend une nouvelle fois le côté gauche, veut donner à Platini dans l’axe aux 16 mètres, le ballon est dégagé mollement sur Santini, lancé, qui place sans contrôle une mine de 20 mètres au même endroit que Platoche. 3-0 et Jacques Vendroux, au micro de France Inter (pas de TV ce soir-là), n’a déjà plus de voix.
Et les Verts poussent toujours pour se mettre à l’abri du but à l’extérieur qui les éliminerait de nouveau… Ćurković n’a quasiment rien à faire de toute la première mi-temps alors que van Beveren doit sortir trois bons arrêts. Après le repos, le PSV pointe un peu le nez mais se paie une de ces fautes tactiques typiquement bataves à 20 mètres devant son but sous le nez de l’arbitre. Pas besoin de le dire deux fois à Platini : le coup franc est somptueux et atterrit dans la lucarne de van Beveren (58e). Il faudrait deux buts aux hommes de Rijvers, mais les Verts ne leur en laissent pas la chance et continuent à pilonner leur cage. Les Néerlandais tentent le tout pour le tout en fin de match mais se font piéger sur un contre d’école : Janvion balance une chandelle vers le rond central, Larios dévie de la tête sur sa gauche vers Laurent Roussey entré en jeu un peu auparavant, et le petit prodige juste revenu d’une grave blessure au genou s’en va ajuster van Beveren en un contre un (89e). Soixante secondes plus tard, c’est la cerise sur le gâteau : Johnny Rep arrive au coin de la surface, est descendu dans les formes, et transforme lui-même le penalty en finesse (90e). 6-0, jeu, set, et match. L’ASSE n’a jamais fait mieux contre un adversaire de marque en Coupe d’Europe, le PSV n’a jamais fait pire. C’est même sa plus lourde défaite toutes compétitions confondues, ex aequo avec un 7-1 infligé par le GVAV Groningue en Eredivisie en 1957-1958.
Épilogue
Il est des grands duels entre rivaux de force éternellement comparable qui rythment des décennies de tradition. Il en est d’autres, comme celui-ci, qui marquent le croisement de deux destins lancés sur des trajectoires opposées. La France du football ne sait pas encore qu’elle vient de vivre l’avant-dernier chapitre de la légende des Verts. Ceux-ci laisseront dans leur grand livre un ultime exploit la saison suivante en allant gagner 5-0 à Hambourg, finaliste sortant de la C1. Mais cette fois-là, comme contre Mönchengladbach après le PSV, ils exploseront en vol en quart de finale contre un Ipswich Town aux airs de version 2.0 des finalistes de Glasgow. Ensuite, ce sera le déchirement de l’« affaire de la caisse noire », une descente en D2 en 1984 que personne n’aurait crue possible, et la retombée dans un anonymat quasi-permanent entrecoupé de fugaces retours en Europe. Le PSV, lui, se séparera de Rijvers après le match mais continuera vers les sommets, décrochant finalement la couronne suprême face à Benfica en 1988. À ce jour, il n’a tout simplement pas manqué une qualification européenne depuis 1974, même s’il ne peut plus prétendre à mieux que la phase de poules de la C1 depuis l’arrêt Bosman. Sur le plan des résultats et du prestige, il a sans nul doute gagné la guerre contre l’AS Saint-Étienne, mais ce sont bien les Verts qui ont remporté leur grand duel, l’un de ceux qui ont marqué l’histoire du football français.
Je ne connais pas ce match-aller de 79 mais, si les joueurs de Rijvers ne ménagèrent apparemment pas les Stéphanois, ne serait-ce peut-être au souvenir de la manche-retour de 76..du moins si c’est bien pour ce match de 76 que Curkovic blessa délibérément Edstroem?? (il me semble que oui, car c’est le match où il est remplacé à la pause, complètement sonné).
Je ne sais plus quand exactement, tout cela mériterait d’être recoupé, mais Curkovic suggéra d’abord à un Rijvers fou de rage qu’il avait délibérément blessé Edstroem. Et, des années plus tard me semble-t-il, c’est cette fois Edstroem qui rapportait les aveux que lui aurait faits Curkovic (lequel eût agi sur ordre de Herbin).
Ca ne veut pas dire charrette! Mais ça joua peut-être dans ce traitement peu affable réservé aux Rep & Co.
Il n’est pas impossible du tout que le contact entre Curkovic et Edström ait été volontaire. Les images ne permettent pas de juger avec certitude, mais le doute est permis sachant que le gardien stéphanois savait se faire respecter. Face à Edström, un superbe 9 à l’anglaise pas avare du tout de l’engagement physique, la tentation a sans doute été forte…
Concernant le match aller de 1979, souvenons-nous qu’il y a eu les deux matchs de l’automne 1976 entre celui-là et la demi-finale retour 1975-76. Les comptes se seraient sans doute réglés lors de ceux-là. Je ne suis pas un grand connaisseur du foot NL, mais j’ai le souvenir qu’il a pris un tour assez nettement plus brutal et plus cynique (fautes tactiques et attentats genre Gillhaus sur Tigana assumés) à la fin des années 70. L’ambiance du match de 1979 serait à mettre dans ce contexte-là. Me trompé-je ?
Oui, j’avais les mêmes réserves en termes de séquence, ils auraient pu solder leurs comptes avant. Reste cependant à savoir quand sortent ces « révélations »?? En tout cas Rijvers n’était pas le genre à mythomaner.
Dans sa grande acception, le foot NL a toujours été violent, brutal. A quoi s’ajoute un cynisme grandissant et parfois épouvantable à compter, disons, de sa professionnalisation..puis surtout de la maturation dudit football total. Les contrats furent alors légion, faisaient partie du paysage.
Avec le temps c’est même devenu un objet culturel chez eux, le foot s’est certes féminisé un peu partout mais le sale geste pour blesser reste pleinement intégré dans le fait footballistique local.
Déjà pensé plusieurs fois à y consacrer un article mais, sous d’autres latitudes (voire ici à la longue ;), on me taxerait de batavophobe – et pourtant..
Sinon, oui : des destins croisés. Avec un PSV en fait hyper-stable, particulièrement bien géré, toujours là, à l’affût..
Tiens, je parlais d’un certain van Rooij, très grand et génial espoir NL des mid 80’s : il est tout, tout bon durant la saison qui voit, contrairement donc à Saint-Etienne, le PSV renouer avec le titre, en 86 – premier sacre donc depuis la fin de l’ère Rijvers..et le premier avant beaucoup d’autres.
Je me demande même si, à compter de l’ère Gerets disons, le PSV n’est pas devenu, devant Ajax, le club étant le moins souvent sorti du top3 NL?? A vérifier!
En fouinant un peu dans le foot hollandais, suis tombé sur le gardien Pim Doesburg, quelques capes internationales, et surtout celui qui a le plus de matchs joués en d1 hollandaise. Ce qui est marrant, c’est qu’il joue au PSV vers la fin des 60′, pour ensuite revenir en 80. Et tenir jusqu’en 87 au club.
Son depart du PSV correspond à la prise de poste de Van Beveren, j’imagine.
Et autre fait étonnant, sa carrière internationale s’étire de 67 à 81, pour huit petites sélections. Pas bezef pour une si longue période.
Brandts, super central.
Merci Triple G! Cette génération 70′ du PSV était-elle meilleure que celle de 88? Elle me semble pluq talentueuse mais moins cynique que celle de Gerets, Lerby ou Koeman.
Superbe photo de garde!