Un alignement des étoiles, propre aux destinées bénies, et qui verra plusieurs bourgeons éclore et former un bouquet aux senteurs enivrantes. Le fleuriste en chef, Sein Hlaing, choisira patiemment les fleurs qui composeront son tableau exquis, étant à la fois coach des équipes junior et senior. Articulant sa tactique autour d’un 4-2-4 résolument offensif, Sein Hlaing a tout le loisir de voir à l’œuvre les centaines de joueurs techniques foulant les pelouses birmanes. Dans chaque état, les écoles disputent des tournois interscolaires, et les meilleurs joueurs sont choisis pour représenter l’état-région (Kachin, Rakine, Mandalay, Karen…) lors du tournoi final à Yangon. De là, Sein Hlaing et son staff ont toute latitude de choisir les joueurs les plus adaptés à leur système.
Sous sa houlette, il faut absolument noter les incroyables succès de l’équipe U20. De 1961 à 1971, les jeunes pousses birmanes décrocheront sept titres continentaux, ainsi que deux médailles d’argent et une de bronze ! Dix médailles en onze participations, ça vous pose une nation. De ce terreau fertile, nombreuses étaient les tiges destinées à devenir de belles plantes aux formes élégantes.
L’ossature de l’équipe nationale se dessinera petit à petit autour d’une colonne vertébrale composée du gardien Tin Aung, du défenseur Myo Win Nyunt, du milieu Aye Maung Gyi et du plus grand joueur que la Birmanie n’ait jamais enfanté : Suk Bahadur Thapa.
Attention, on ne parle pas ici d’un simple joueur de football. Suk Bahadur est une icône à bien des niveaux en Birmanie. Jugez par vous-mêmes :
Né en 1935 à Kalaw, Suk Bahadur est un Gurkha, ethnie d’origine népalaise installée sur place depuis des siècles, mais dont l’occupation britannique a accéléré la migration depuis les hautes montagnes himalayennes. Les Gurkha ont formé des corps d’élite des armées de la Couronne anglaise, et feront partie de la première armée nationale à l’indépendance. Dans les traces de son père, Suk Bahadur servira comme major du 4e Bataillon d’Infanterie de l’armée birmane. Mais c’est surtout dans le sport que ces exploits resteront gravés dans le marbre. Figure locale dominante de tennis et de hockey sur gazon, il est également champion national du 100 mètres.
C’est cependant le football qui va accaparer tout son amour et son attention. Perçant rapidement à travers les rangs et les catégories, il éblouit de sa classe la finale nationale de 1952 à 17 ans et permet à l’état Shan de remporter la mise. Ses dribles, son accélération et son sens du but émerveillent les spectateurs et poussent les dirigeants à le convoquer en équipe nationale. Il sera d’ailleurs de l’aventure philippine aux Jeux Asiatiques de Manille 1954 d’où il ramènera une médaille de bronze.
Très vite, Suk Bahadur deviendra le leader de cette équipe nationale birmane. Son charisme, sa discipline et son dévouement rallieront tous les joueurs à sa cause et transformeront la Birmanie en adversaire redoutable abhorrant la défaite.
Peut-on dire que son nom l’avait prédestiné ? Certains tracent son origine du vieux persan baga (seigneur), d’autres de l’arabe bahdir, alors que des racines chinoises l’attribuent au turco-mongol bağatur. Peu importe. Bahadur est un mot qui a traversé les steppes et les montagnes d’Asie en suivant le vent, en portant sans cesse la notion d’héroïsme, de bravoure et de grandeur. Il chemina si loin, aussi loin que l’empire du grand Khan le permit, qu’on le retrouve encore aujourd’hui dans la langue polonaise (bohater) et hongroise (bátor).
Suk Bahadur accepta la charge incombant à son patronyme et entreprit de lancer la Birmanie sur la voie du succès.
Si le coup d’état de 1962 oblige la Birmanie à se retirer des Jeux Asiatiques de cette même année, la machine est lancée. 1965 voit la première médaille d’or (conjointement avec la Thaïlande) tomber dans l’escarcelle, avec la consécration au Championnat d’Asie du Sud-Est en Malaisie.
L’année d’après, ce sont les Jeux Asiatiques disputés en Thaïlande qui voit la Birmanie couronnée après un parcours impressionnant, battant la Corée du Sud, Singapour et l’Iran par deux fois.
Il faut croire que les terres thaïlandaises rappellent aux Birmans les plus grandes heures de l’histoire, car un an plus tard, c’est une nouvelle médaille d’or qui est glanée au Championnat d’Asie du Sud-Est. Les Birmans battent tout le monde et s’imposent contre le Vietnam du Sud à Bangkok.
La réputation de l’équipe est telle que certains y voient une bonne occasion de faire du bon vieux soft power à l’ancienne. 1967, la tension est à son maximum entre les Etats-Unis et la Birmanie, guerre du Vietnam oblige. Un an auparavant, un excentrique milliardaire américain, Lamar Hunt, avait regardé la finale de l’infâme Angleterre-Allemagne des étoiles plein les yeux. Déjà créateur du Super Bowl, le voilà avec des envies de promouvoir le soccer dans le pays et de se faire une équipe rien qu’à lui. Les Dallas Tornado sont nés. Voyant grand, Lamar lance son équipe dans une tournée mondiale, jouant plus de quarante matchs dans une vingtaine de pays, de l’Espagne à Tahiti avec la Birmanie comme dernière étape.
Bien que ne délivrant pas de visas aux citoyens américains, les autorités birmanes virent dans cette occasion une opportunité de faire un peu de politique informelle et accueillirent l’équipe à bras ouverts. Les joueurs furent traités en VIP, et logés au luxueux Strand Hotel. Humble, leur coach Bob Kap déclara : « Nous savons que vous êtes une puissance du football asiatique, nous sommes ici pour apprendre ». Deux défaites plus tard, les Américains repartaient chez l’Oncle Sam conquis par le style birman. Bob Kap milita ardamment auprès du US State Department pour financer une tournée de l’équipe birmane sur les terres américaines (avec une bonne dose d’ouverture politique derrière), mais le plan ne se matérialisa jamais. Les Dallas Tornado disparurent du paysage en 1981.
1968 marque l’apparition tant attendue de la Birmanie à la Coupe d’Asie. Absents lors des trois premières éditions, les Anges blancs font bonne figure mais doivent se contenter de la deuxième place face à l’hôte iranien lors de ce championnat organisé sous forme de poule.
Qu’à cela ne tienne, la Birmanie empoche encore trois médailles d’or au Championnat d’Asie du Sud-Est (1969, 1971, 1973) et une ultime consécration (conjointe avec la Corée du Sud) aux Jeux Asiatiques de 1970 (qui se tenaient à Bangkok, définitivement villégiature préférée des Birmans).
Ces Jeux 1970 marquent également la fin de l’aventure internationale de Suk Bahadur, après 18 ans de bons et loyaux services sous la vareuse birmane. Sa moisson de médailles est impressionnante : cinq or, deux argent et un bronze, ainsi que quatre nominations successives au Asian All Stars, de 65 à 68.
Suk ne le sait pas encore, mais les effets du coup d’état de 1962 commencent doucement à se faire ressentir… Dirigée par le général Ne Win, auteur du putsch, la Birmanie s’engage malgré elle sur la Burmese Road to Socialism, incluant nationalisation forcée et économie centralisée. Les terrains de foot, gras et nombreux dans le pays, sont petit à petit délaissés (voir carrément rasés pour faire de la place aux nouvelles constructions), et avec eux les moyens d’expression des apprentis footballeurs… Coupée de talents à la source, l’équipe nationale vivotera de ses anciennes gloires avant de s’éteindre lentement.
Mais l’apothéose de cette génération dorée est, sans conteste, la participation aux Jeux Olympiques de Munich en 1972. Les Anges Blancs n’ont aucun mal à se défaire de l’Inde, Ceylan, l’Indonésie et la Thaïlande pour composter facilement leur billet pour l’Allemagne. Assistée par l’ancienne gloire de Manchester City, le trouble Bert Trautmann, la Birmanie se retrouve dans une poule comprenant l’URSS, le Mexique et le Soudan. Deux grosses pointures du football mondial et le champion d’Afrique en titre, donc. Et si tout le monde s’attendait à des roustes mémorables, les Anges blancs vont faire plus que résister. A Regensburg, en Bavière orientale, les Soviétiques ne l’emportent que d’un petit but de Kolotov à la 51e – Soviétiques qui s’adjugeront la médaille de bronze, rappelons-le. Prochain adversaire, le Mexique, à Nuremberg. Le match est équilibré, et ce n’est qu’en fin de partie que la Tri trouve la faille par l’intermédiaire de Cuellar. La Birmanie est éliminée, mais il lui reste encore un match pour marquer l’Histoire. Ce sera chose faite en venant à bout du Soudan à Passau. Des réalisations de Soe Than (7e) et Aung Moe Thin (61e) gravent le nom de leur pays dans le grand livre du football, et la Birmanie sort du tournoi avec les honneurs, ayant en plus reçu le prix du Fair-play.
Singapour 1973 sera le chant du cygne pour cette incroyable équipe, qui s’adjugera son cinquième et dernier championnat d’Asie du Sud-Est. De pâles médailles de bronze aux deux tournois suivants, ainsi que des éliminations sans gloire lors des Jeux Asiatiques (qui voient également les premières participations des pays arabes, ce qui relève directement l’adversité d’un cran) font glisser inéluctablement l’équipe dans l’oubli. Le démantèlement de la pyramide footballistique locale par la junte – ou son désintérêt – plonge les Anges blancs dans un formol dont ils peinent à s’extirper aujourd’hui.
Çà et là, des bribes de talent scintillent, comme lorsque les juniors se qualifièrent pour la Coupe du Monde U20 de 2015. Mais le sol est devenu aride, les moussons qui inondent les régions ruissellent sans ambition, tandis que la terre ne produit plus que des fleurs fanées sans couleur. Suk Bahadur s’est éteint dans la misère et le dénuement, les souvenirs ne sont plus que vestiges et les photos jaunies se racornissent avec le temps. Parfois, des pétales brillent, rappelant le jeu léché d’antan, et les vieux en longyi sourient de toutes leurs dents en souvenir de ces beaux jours où la Birmanie trônait sur les cimes du continent.
Par Boris Ghanem
Ah tiens : ça parlait des Ecossais..et voici les Gurkhas, lesquels auront incontestablement compté parmi ce que l’Empire aura produit de plus impitoyable en fait de répression.
Lamar Hunt, c’est une figure majeur du sport US.
La tournée des Dallas Tornado est référencée sur RSSSF. Leur premier match a lieu contre Cordoba, alors pensionnaire de Liga (0-4). Leur aventure ne fut pas de tout repos, quelques sites en rendent compte. Merci pour la découverte.
Pas plus de commentaires que ça? C’est vrai que le sujet réclame des lectures, en tout cas pour moi tout est neuf..et j’ai des questions, donc!
Déjà ces Championnats d’Asie du Sud-Est, cet engouement manifeste.. ==> C’était insoupçonnable, merci.
Si je lis bien, la fédération et/ou cet entraîneur fédéral, Sein Hlaing, adopta/-èrent le 4-2-4 dès le tout début 60’s, voire..?? Tous les footballs européens ne pouvaient en dire autant..
L’Etat Shan, ça devait être particulièrement rural comme coin de la Birmanie, non?
Je viens de regarder la gueule de la tournée effectuée en 67 par ces Dallas Tornado : plus de 6 mois autour du monde, c’est pas rien..
Par contre, et malgré la présence de plusieurs joueurs anglais : je n’en reconnais pas le moindre, je crois comprendre qu’ils avaient au mieux le niveau D3-D4 anglaise?? Semblaient tous avoir la petite vingtaine voire moins??
Je connais un joueur de nom..mais depuis peu! : le NL Fons Stoffels, je me rappelle avoir vu passer son nom pour les besoins de mes papiers sur le Go Ahead. Mais pas un crack non plus..
Je ne comprends pas le qualificatif « trouble » accolé à Trautmann.
Peut-être une vidéo à proposer, de ces Birmans?
Me suis posé la même question à propos de Trautmann.
Salut Alex!
Alors :
Je pense que tous les états de Birmanie sont ruraux 😅 ou en tout cas, pauvres et peu développés.
Championnat d’Asie du sud-est c’est génial, c’est tous les deux ans, et c’est actuellement maintenant que ça se joue ! Les matchs sont sur YouTube gratuitement sur la chaîne ASEAN United. Je me suis fait un petit Laos-Vietnam hier en mode chips coca 😁
Concernant les Tornadoes, je t’avoue que j’ai pas regardé plus que ça. Mais en tout cas leur entraîneur était un Yougoslave ou Hongrois, j’imagine qu’il a fouillé les basses divisions européennes.
Pour Trautman, c’est surtout que c’est initialement un soldat de la Wehrmacht qui a été fait prisonnier en Angleterre et dont le talent de gardien de but lui a permis de devenir une légende à City.
Quelles étaient ses véritables intentions lors de son engagement dans les Jeunesses hitlériennes et la WM, je ne saurais dire ==> trouble 😄
Un Rudolf Hess en short, quoi !
Merci pour ces découvertes.
Hmm, la photo de la parade en Jeep me fait penser à une truc. N’est-ce pas au Myanmar que le volant est à droite et que l’on roule aussi à droite ? Avec une justification farfelue, me semble t-il.