Légende du football, buteur inarrêtable aux statistiques monstrueuses, Josef Bican n’a pourtant marqué qu’un seul but en Coupe du monde pendant sa carrière. D’où vient cette anomalie ?
Les statistiques officielles lui recensent 950 buts en match officiel. D’après la Rec(reational) Sport Soccer Statistics Foundation (RSSSF), il en aurait inscrit 1813 en comptant les matches amicaux, soit bien plus que Pelé. Josef Bican lui-même estimait avoir marqué au moins 5000 buts. Il est pourtant l’un des joueurs emblématiques les plus méconnus. Pour la gloire, il a manqué à Bican un exploit : un titre majeur ou un record à court terme. Les 13 buts en Coupe du monde de Just Fontaine lui ont par exemple permis d’entrer dans l’histoire du football.
Mais Bican a joué à une époque peu mise en avant, dans un club un peu moins prestigieux (le Slavia Prague) et son parcours en Coupe du monde se résume à une demi-finale en 1934 et un seul but. C’est, par exemple, autant de buts que Mathieu Valbuena. Ou encore trois fois moins que le total de l’attaquant du FC Rouen Jean Nicolas, qui a pourtant joué à la même époque que Bican.
Des débuts tonitruants en Autriche
Alors, surcoté, le Josef Bican ? Malchanceux, surtout. Dépassé par l’évolution politique de l’Europe dans les années 1930, principalement. Né à Vienne de parents tchèques en 1913, Josef Bican a la nationalité autrichienne par sa naissance au sein de l’empire austro-hongrois. Il débute sa carrière professionnelle au Rapid de Vienne où, déjà, il affole les statistiques. Ses performances lui valent d’être sélectionné avec l’Autriche pour disputer la Coupe du monde 1934. Il a 18 ans, marque le but décisif pour éliminer la France en prolongations en huitième de finale et perd en demi-finale contre l’Italie.
Et ensuite ? Plus rien.
En 1935, Bican se brouille avec le Rapid de Vienne et refuse de prolonger son contrat. Il porte ensuite le maillot de l’Admira Vienne jusqu’en 1937, avant d’aller vivre dans la patrie de ses parents, en Tchécoslovaquie. Quelque temps après ses débuts avec le Slavia Prague, il demande la nationalité tchécoslovaque. La Coupe du monde 1938 approche alors à grands pas et Bican ne peut pas jouer avec son pays.
Les papiers de l’attaquant seront prêts trop tard. La Reprezentace se rend en France sans lui et atteint les quarts de finale de l’épreuve. L’Autriche, pour laquelle Bican n’a plus joué depuis 1936, déclare forfait suite à l’Anschluss. L’Allemagne réquisitionne les meilleurs joueurs autrichiens. Parmi eux figure Matthias Sindelar, qui refuse la sélection allemande.
En 1938, une absence très politique
A cette époque, Josef Bican éclabousse les terrains de son talent. Intenable en championnat (26 buts inscrits en 19 rencontres), il mène le Slavia Prague à la victoire en Coupe Mitropa en finissant meilleur buteur de la compétition (10 buts). La logique voudrait que l’Allemagne se tourne vers l’attaquant autrichien pour augmenter ses chances de victoire lors de la Coupe du monde.
Mais Josef Bican, issu de deux familles tchécoslovaques pauvres, n’est pas d’un rang suffisant aux yeux des dirigeants du football germanique. Ils l’ignorent tout simplement et choisissent d’autres joueurs pour tenter de promouvoir le nazisme sur le pré.
Bican reste à quai et son pays brille sans lui. S’il continue de marquer après 1938 (il sera six fois champion de Tchécoslovaquie et 11 fois meilleur buteur du championnat), ses exploits sont méconnus. Son refus de sympathiser avec les dirigeants communistes après le coup d’Etat de 1948 lui a valu d’être mis au ban de la société, ce qui explique en partie que ses prouesses face au but soient aussi peu connues de nos jours. L’attaquant qui, enfant, jouait pieds nus faute d’avoir les moyens de se payer des chaussures, avait été désigné comme « bourgeois viennois » par le système communiste de l’époque.
Une fin de carrière dans l’ombre
Quand Bican obtient enfin la nationalité tchécoslovaque, il n’y a plus de Coupe du monde à disputer. L’édition 1942, un temps envisagée, est finalement annulée par la FIFA. La fédération internationale décide de repousser l’organisation du prochain Mondial à 1950. Autant dire une éternité à l’échelle d’une carrière.
A cette date, Josef Bican est toujours en activité. Mieux, il est toujours en pleine forme. Avec 22 buts, il est le meilleur buteur du championnat, où il porte désormais les couleurs de Vítkovice, un club d’Ostrava. Mais il n’est plus sélectionné avec la Tchécoslovaquie depuis un an et la Reprezentace ne participe même pas aux éliminatoires pour la Coupe du monde au Brésil.
Josef Bican poursuit sa carrière professionnelle jusqu’en 1955 et continue de faire trembler les filets de Tchécoslovaquie de manière régulière. Mais jamais plus il n’aura l’occasion de marquer en Coupe du monde.
Bel article, mais trop court.
Si vous passez par Vienne, prenez le metro ou le tram direction Reumannplatz à Favoriten. Cherchez la Quellenstraße. De mémoire, au 24, se trouvait le stade du Hertha, au 75, vivait Sindelar, et au 101 a grandi Bican.
On associe souvent Favoriten et le Hertha, parce que l’Austria s’est installé dans le coin et que Sindelar a joué dans les deux clubs, mais l’arrondissement a fourni pas mal de joueurs au Rapid et autres clubs viennois. Il faut dire que Favoriten comptait de nombreux clubs au premier ou second échelon (Hertha, Slovan, Rudolfshügel, FC Nicholson, Vorwärts 06). C’est d’ailleurs le Rapidler Roman Schramseis, ancien de l’Hertha et membre du Wunderteam, qui a repéré Bican, du temps où celui-ci jouait dans le club de son entreprise, et est à l’origine de sa venue à Hütteldorf.
Le football international de l’entre-deux-guerres est rempli de destins brisés, de carrières contrariées et de fins parfois tragiques. Merci pour cet article 😉
@Pig Benis : le premier à qui je pense en parlant de fin tragique est Matthias Sindelar, le Mozart du football, qui était juif dans une Autriche annexée par le IIIème Reich, et qui est mort avec sa compagne en 1939 dans des conditions obscures (suicide ou assassinat par les nazis)
Je me demande aussi ce qu’aurait donné l’équipe de France des années 40, car elle avait progressé depuis l’instauration du professionnalisme en 1932 et avait quelques arguments à revendre, avec un gardien exceptionnel (Darui), des jeunes talentueux (Ben Barek, Batteux, Barratte, Vaast) qui auraient été accompagnés par quelques anciens (Aston, Heisserer… Mattler aurait peut-être même pu disputer une 4ème Coupe du Monde en 1942) et plusieurs naturalisés (Jordan, Koranyi)
Salut le Barbant! On a repondu à ton message sur le forum. Avec du retard. Désolé!
@Khiadiatoulin : j’ai vu, merci. Ca reste dans les cartons, faut que je trouve le temps de le rédiger
Il me semble qu’en 1934, Bican n’est pas l’avant-centre de l’Autriche et que le poste est confié à Horvath ou Sindelar selon les matchs. Positionné à l’aile droite, il a peu d’occasions pour démontrer son aisance face au but.
En 34, c’est Sindelar l’avant-centre et Zischek l’ailier droit. Bican joue inter, sauf pour le match de la 3ème place. Horvarth est l’autre inter, titulaire à la place de Schall. Rudi Viertl complète l’attaque à gauche. La ligne de l’époque Wunderteam entre 31 et 33 est Zischek, Gschweidl, Sindelar, Schall, A. Vogel.
Au Rapid, Bican avait la concurrence de de Weselik, Binder et Kaburek. Les deux premiers étaient des joueurs plutôt lents et puissants et le jeu s’en ressentait. Et d’ailleurs, Bican a vraiment explosé la saison où Weselik (sa dernière) jouait les utilités. Le football de l’Admira lui convenait mieux et était plus représentatif de l’école viennoise. L’avant-centre Stoiber était un animateur capable de bien faire jouer les deux bombes qu’étaient Schall et Bican.
Guybrush, que dit-on de ce match face à la France en 34?
De tête les Français n’avaient pas été vernis : un joueur rapidement diminué (ce qui pardonnait rarement), un second but autrichien dit-on probablement hors-jeu..??
Que la victoire était chanceuse, en effet (un journal affirme que le hors-jeu a été la seule erreur de l’arbitre). Mais surtout, pour les journalistes autrichiens, les joueurs semblaient totalement hors de forme. Le Bican a raté un inmanquable. Seuls Platzer et Smistik ont semblé évolué à leur niveau. Le championnat s’était terminé 15 jours avant le début de la compet’ et d’après ce que j’ai pu lire, l’équipe ne semblait pas très bien préparé.
Au demeurant, me suis toujours demandé comment Meisl construisait son équipe. À la différence de la Hongrie ou de la Tchécoslovaquie où l’on retrouvait souvent des joueurs issus des deux ou trois grands clubs, le XI autrichien représentait toute la diversité du football viennois. Probablement plus concurrentiel que ses voisins. Me demande parfois si Meisl me cherchait pas à ménager un peu tout le monde.
Merci Modro. Bican, Peyrotoeo ou Moreno, une multitude de talentueux ayant sevi dans les années 40 sevrés de compétition mondiale.
Toujours bien aimé cette photo en port-folio : puissance manifeste dans les membres inférieurs..et puis à côté de ça il y a ces petits doigts délicats et déliés, au bout de ce bras frêle..
Je réalise n’avoir peut-être jamais vu la moindre vidéo de Bican, des liens à recommander?