Lectures 2 foot (épisode 10), spéciale JO

XXXIIIe olympiade oblige, Lectures 2 foot délaisse momentanément le football pour proposer une recension de quelques livres abordant les Jeux olympiques. Et c’est Darty mon kiki !

Fabien Archambault, Les légendes du siècle, Flammarion, 2024, 19€

En 2022, à l’occasion de la Coupe du monde au Qatar, les éditions Flammarion et Fabien Archambault avaient publié un petit livre d’environ 150 pages consacré à l’histoire du football : Coups de sifflet. L’occasion faisant à nouveau le larron, les mêmes proposent cette fois une « histoire des Jeux en douze médailles » : autrement dit, douze récits indépendants ayant pour cadre les Jeux olympiques et éclairant l’histoire politique du monde contemporain.

Projet profondément réactionnaire à l’origine, les Jeux olympiques ont réussi à se maintenir et à devenir un événement planétaire sous la poussée de trois forces majeures du XXe siècle : l’américanisation, l’affirmation du communisme soviétique et la décolonisation. Ainsi, bien qu’anachroniques au départ, ils s’inscrivent en fait pleinement dans l’histoire des XXe et XXIe siècles.

Le chapitre 1 revient sur la mise en place de l’olympisme coubertinien, enfin appliqué à Stockholm en 1912, et conjuguant épreuves sportives et concours artistiques (sur les modèles de l’Antiquité et du XIXe siècle). Elitiste, conservateur, anachronique à l’ère des masses, ce « projet rétrograde de restauration des hiérarchies traditionnelles sous couvert de modernité sportive » est donc l’opposé du processus de démocratisation alors en cours.

Le chapitre 2 s’intéresse à l’exclusion des femmes, particulièrement forte dans les sports en vogue parmi les catégories populaires (football, rugby) ou considérés comme brutaux et dangereux (haltérophilie, boxe). Au contraire, les progrès sont plus rapides dans les sports distinctifs des élites (voile, équitation).

Le chapitre 3 démonte les déterminismes biologiques ou sociaux-environnementaux qui feraient les champions, et montre que les succès des Finlandais dans l’entre-deux-guerres furent le résultat d’une politique sportive volontariste.

Le chapitre 4 explique l’échec des Jeux de Barcelone et le succès de ceux de Berlin. Il montre les mutations des Jeux à ce moment, notamment leur démocratisation et l’entrée des Jeux dans la culture de masse à compter de Los Angeles 1932 : « les Jeux olympiques s’américanisent, dans le sens où un événement sportif jusqu’alors relativement marginal et élitiste se transforme à Los Angeles en un spectacle plébiscité par les classes moyennes du lieu et en un divertissement d’ampleur mondiale. » Parallèlement, la YMCA entame une fructueuse collaboration avec le CIO qui lui permet d’imposer ses idées au mouvement olympique (c’est elle qui exclut Nurmi des Jeux de 1932, au motif de son professionnalisme) et de participer à sa diffusion.

Le chapitre 5 expose les raisons de l’émergence des coureurs de fonds éthiopiens et kényans. Comme pour les Finlandais, elle s’appuie sur une politique sportive volontariste. Elle met aussi en avant, dans le contexte de la guerre froide, l’émergence du tiers-monde et du mouvement des non-alignés. Elle symbolise enfin la revanche des colonisés, notamment à travers la victoire de Bikila à Rome en 1960 – dans la capitale de l’ancienne métropole et dans la ville du fascisme. A cette occasion, Fabien Archambault relate la préparation minutieuse de l’entraîneur suédois de Bikila et le choix de courir le marathon pieds nus.

Le chapitre 6, à travers l’étude de la victoire des volleyeuses japonaises à Tokyo en 1964, analyse le rôle de la YMCA dans la diffusion au Japon des sports originaires des Etats-Unis (baseball, volleyball). Il présente également le philhellénisme japonais qui favorisa l’implantation précoce de l’olympisme dans l’archipel.

Le chapitre 7 revient sur les cas bien connus de Tommie Smith et John Carlos, quand le chapitre 8 fait le récit de la finale du tournoi de basket de Munich 1972, construit de part et d’autre comme un élément majeur de la guerre froide culturelle.

Le chapitre 9 propose, à travers l’exemple de Teofilo Stevenson, une étude de la politique sportive cubaine censée montrer la réussite de la voie socialiste de développement dans le cadre de la guerre froide.

Le chapitre 10 revient sur les origines des Jeux paralympiques et la conception qu’il donne des athlètes handicapés, alors que le chapitre 11 s’intéresse à l’acrobatisation de la gymnastique artistique féminine dans les années 1960-1970.

Le chapitre 12, à partir de l’exemple de Caster Semenya, interroge la conception de la femme par le CIO et les tests mis au point pour la définir.

Au total, le livre de Fabien Archambault offre un panorama rapide mais roboratif de l’histoire des Jeux. Si certaines analyses sont anciennes et connues – notamment celles sur la guerre froide et la décolonisation – d’autres sont beaucoup plus stimulantes et neuves. Ainsi en est-il du rôle joué par la YMCA, du philhellénisme japonais ou de la préparation du marathon de Rome par Niskanen et Bikila. L’ensemble se lit avec beaucoup de plaisir et bénéficie d’une belle qualité d’écriture : ce sont des récits simples, précis, documentés.

Note : 4/5

Sylvain Coher, Vaincre à Rome, Actes Sud, 2019, 7,20€ (poche)

Publié originellement en 2019, le roman de Sylvain Coher connaît aujourd’hui une nouvelle jeunesse à la faveur de son adaptation en pièce de théâtre. Déjà jouée à Marseille en janvier et labellisée Olympiade culturelle, celle-ci va connaître de nouvelles représentations en juin à Orléans et surtout en juillet à Avignon à l’occasion du festival. L’occasion de revenir sur ce texte aussi original que désarmant.

A quoi pensait Abebe Bikila au long des 2h 15’ 16’’ 2’’’ de son marathon victorieux dans les rues de Rome en 1960 ? Décédé tragiquement en 1973, il n’est plus là pour nous le dire. Alors, Sylvain Coher prend la plume et imagine le discours intérieur du champion éthiopien. Premier marathonien à remporter l’or olympique sous les couleurs d’un pays africain, Abebe Bikila se paie en plus le luxe de le faire dans la capitale de l’ancien colonisateur : « je n’ai que mes pieds pour soumettre le sol qui nous l’a confisqué », pense-t-il.

L’exploit de Bikila est donc une revanche éclatante, une sorte d’Adoua sportif : « que dire de Mussolini et de son million de soldats alors qu’un seul aura suffi pour conquérir Rome ? » Mais c’est aussi, en pleine époque des décolonisations, le symbole du renouveau de l’Afrique : « je m’appelle Abebe Bikila et je suis l’Afrique tout entière et l’Afrique tout entière s’envole avec moi. »

Ce faisant, Sylvain Coher élève la victoire de Bikila aux dimensions d’un événement dépassant allègrement le seul domaine sportif. C’est un texte malin que l’auteur livre, bien documenté, souvent lyrique – ainsi lorsqu’il affirme que « les départs sont toujours victorieux, seules les arrivées sont méprisables. » Mais c’est aussi un texte terriblement fastidieux ! L’idée de départ est bonne, l’exercice de style est intéressant, mais force est de constater que le résultat est fort peu emballant. Face à ce bref récit, le lecteur s’ennuie.

Note : 2/5

Jean Echenoz, Courir, Les éditions de Minuit, 2008, 15€

Sorti en 2008, année de l’Olympiade de Pékin, ce bref roman fait la biographie du célèbre coureur de fond Emil Zátopek. Armé d’un style désarmant, l’athlète tchécoslovaque accumule les médailles et fait tomber les records presque sans le vouloir et sans s’en rendre compte. Pour lui, tout se fait naturellement, sans se poser de questions excessives. Bien sûr, le style de l’écrivain est à l’unisson de celui du champion : simple, naturel, sans affectations. Ainsi lorsqu’il décrit la manière de courir de Zátopek :  »Emile, on dirait qu’il creuse ou qu’il se creuse, comme en transe ou comme un terrassier. Loin des canons académiques et de tout souci d’élégance, Emile progresse de façon lourde, heurtée, torturée, tout en à-coups. Il ne cache pas la violence de son effort qui se lit sur son visage crispé, tétanisé, grimaçant, continûment tordu par un rictus pénible à voir. Ses traits sont altérés, comme déchirés par une souffrance affreuse, langue tirée par intermittence, comme avec un scorpion logé dans chaque chaussure. Il a l’air absent quand il court, terriblement ailleurs, si concentré que même pas là sauf qu’il est là plus que personne et, ramassée entre ses épaules, sur son cou toujours penché du même côté, sa tête dodeline sans cesse, brinquebale et ballotte de droite à gauche. »

S’il court sans souci, sans se poser de questions, c’est sans doute parce que la course est son espace de liberté. Le seul, probablement. Car Zátopek, depuis ses 17 ans, fait l’épreuve des totalitarismes. En effet, le texte de Jean Echenoz construit en miroir les événements de 1939 et de 1968 : les deux sont des invasions. Ainsi le premier chapitre commence-t-il par  »les Allemands sont entrés en Moravie », et le dernier chapitre par  »les Soviétiques sont entrés en Tchécoslovaquie. » Entre les deux se déploie la vie de Zátopek, de sa formation à sa disgrâce en passant par sa gloire. La vie de l’homme éclaire donc son époque, mais elle n’est pas qu’un prétexte : le récit est documenté, et c’est par petites touches qu’il distille les considérations dépassant la seule vie de Zátopek. Bref, c’est très bien fait et fort agréable à lire.

Note : 4/5

26 réflexions sur « Lectures 2 foot (épisode 10), spéciale JO »

  1. Teofilo Stevenson, c’est l’énigme de l’histoire de la boxe. Le Triple champion olympique des lourds aurait-il pu dominer chez les pros ? Entre la fin de règne d’Ali et le début de celui de Larry Holmes… En tout cas, il avait un sacré style et un bon punch. Et quelle personnalité !
    Mais y a un monde entre les combats de 3 rounds amateurs et ceux de 15 comme à l’époque.

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    1. Dana Zátopková a malheureusement dû rester en partie dans l’ombre de son mari. Sa médaille d’or à Helsinki, c’est son unique moment de gloire, et il se fait bouffer par le triplé de Zátopek à la course.

      Anecdote rigolote : son javelot a fini par servir de manche à balai.

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  2. Ah, le lecteur de foot (qui ne lit pas que du foot) est de retour !
    J’ai eu un instant de doute en lisant ce que tu évoques dans le bouquin d’Archambault « l’échec des Jeux de Barcelone et le succès de ceux de Berlin ». Tu aurais dû préciser que le gouvernement républicain espagnol avait organisé des « contre jeux » durant l’été 1936. Et que la guerre civile a éclaté durant l’événement, l’interrompant définitivement.

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  3. Zátopek qui gagne et fait tomber des records presque sans le vouloir, c’est aussi faux que de dire que les clubs français sont super forts en coupe d’Europe.

    D’une part, Zátopek est connu pour être parmi les premiers (a priori il n’est pas le tout premier, mais il est le premier coureur connu) à s’être entraîné selon la méthode des fractionnés. Il a répété des milliers de séries de 400 mètres et courait facilement 30 km par jour, parfois plus, pour gagner quelques secondes sur un 10 000 mètres. Il s’entraînait presque par tous les temps et, si la météo était vraiment trop mauvaise, il courait sur place chez lui, sur un matelas posé par terre pour ne pas déranger ses voisins.

    D’autre part, le régime communiste lui imposait une pression permanente. A plusieurs reprises, on lui a fait comprendre que sa carrière d’athlète pourrait rapidement prendre fin s’il ne battait pas le record du 10 000 mètres, qu’il s’est fait reprendre plusieurs fois.

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    1. Echenoz l’écrit, tout ça. Le fractionné, la multitude des entraînements, la pression des autorités…
      Mais ce qu’il dit c’est que Zatopek court de façon naturelle, sans se prendre la tête, sans travailler son style, sans tenir compte de la pression.
      Faut que tu lises ce bref roman pour t’en faire une idée : pas même 150 pages.

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      1. Je lirai alors. Même si c’est risqué de lire un roman alors que j’ai lu une super biographie il n’y a pas longtemps.

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  4. Si Bikila fut effectivement le premier marathonien (et premier athlète tout court), à remporter l’or olympique sous les couleurs d’un pays africain, avant lui deux athlétes français d’origine africaine ont remporté l’or olympique, également au marathon: El Ouafi en 1928 et Alain Mimoun en 1956.
    Le premier africain médaillé en sprint fut le Sénégalais Abdou Seye qui courrait encore sous les couleurs françaises: il obtint le bronze sur 200m à Rome en 1960. Seye était favori, mais (la pression ? le mental ?), c’est l’Italien Livio Berruti qui remporta l’épreuve devant une foule en délire. Ceux qui ont vu la course en direct s’en souviennent encore.
    On attend toujours un champion olympique sur du sprint plat masculin. Pas demain la veille !

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    1. Ca pourrait arriver dès cet été. Letsile Tebogo est l’un des hommes en forme cette saison et il ne vise rien de moins que l’or sur 100 mètres et 200 mètres. Il a déjà d’assez bonnes références et des bons résultats sur ces distances.

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  5. On pourrait penser que les éthiopiens adorent l’athlétisme et les longues distances. Ce n’est pas le cas. Ce qui a motivé des éthiopiens à courir est la récompense du gouvernement pour les vainqueurs, comme de l’argent et des maisons.

    Pour les JO à venir, espérons que certains succès des JO 1984 de Los Angeles se reproduiront, comme les médailles d’or des footeux de la bande à Monsieur Xu ou d’athlètes avec un Pierre Quinon qui gagne une médaille d’or dans un concours où Thierry Vigneron gagne le bronze. Après tout, certaines épreuves auront lieu dans la Californie française.

    Mais les JO les plus insolites sont probablement ceux de 1906. Cette année n’était pas bissextile et le baron n’avait pas daigné venir. La France était le pays qui avait remporté le plus de médailles. Et comment oublier des sports passionnants comme le jeu de paume et surtout le duel au pistolet (où là encore un français avait gagné une médaille d’or et un autre français une médaille de bronze).

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      1. Le frisé Cubaynes, en effet. Saison 1985-1986, quand le Sporting termine dernier de D1 malgré le retour de Jean-Antoine (et non Antoine) Redin comme entraineur. Cubaynes est l’une des premières recrues de Bernard Tapie à l’OM.

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      2. Le depart de Tarantini de Bastia, c’était folklo, non ? Tu as certainement vu une des idoles de Verano, Solsona…

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      3. Tarantini est un exemple d’un joueur ayant disputé une finale de coupe du monde et ayant porté le maillot du Sporting. D’autres exemples sont Karembeu, Johnny Rep bien sûr mais également le blondinet Wim Rijsbergen.
        Solsona, lui, avait joué avec le Matador à Valence.

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