Le théâtre du coq

« Mais vale asno que me carregue que cavalo que me derrube. Mieux vaut un âne qui me transporte qu’un cheval qui me renverse »

Gil Vicente, Farsa de Inês Pereira, 1523

Sur la scène footballistique, quelques équipes se distinguent moins par leurs prestigieux trophées que par la singularité de leur nom, qui évoquent instantanément des images et des histoires fascinantes, propres à capturer l’imagination des foules. Tandis que la majorité des équipes adoptent des dénominations familières telles que Racing, FC ou AS, une minorité distincte se caractérise par des patronymes plus extraordinaires, puisant leur source dans des figures historiques, mythes et légendes. Des dieux grecs antiques tels qu’Apollon, Arès, Ajax et Atalante côtoient des explorateurs, chefs d’Etat ou héros locaux tels que Vasco de Gama, Simon Bolívar, Spartacus,Vasil Levski, Miloš Obilić, Max Abegglen ou Willem II, tous ayant donné leur nom à des clubs iconiques. Ces appellations originales transportent avec elles des fragments d’histoire, de culture et de fascination collective, participant activement à façonner les singularités de ces clubs et captivant l’attention des supporters et observateurs du monde entier.

S’il y a un club portugais qui rentre dans cette famille c’est bien le club du Gil Vicente Futebol Clube. Avant de revenir à la genèse du club de foot, il est important d’expliquer qui est à l’origine de ce nom. Gil Vicente est un écrivain, un homme de théâtre du début du XVIe siècle, considéré comme le premier dramaturge portugais. Un siècle avant Corneille ou Racine, celui que l’on considère comme le « père du théâtre ibérique » avec l’Espagnol Juan del Encina devient rapidement le metteur en scène de la cour royale de Manuel 1er où il fera jouer de nombreuses pièces (Ses « Autos ») comme son triptyque « la Barque de l’Enfer », « la Barque de la Gloire » et « la Barque du Purgatoire ». À l’instar de William Shakespeare en Angleterre ou de Molière en France, Gil Vicente occupe une place privilégiée dans le cœur des Lusitaniens, qui le considèrent comme l’un des piliers du Renouveau portugais, aux côtés de Camões. Grâce à son immense contribution à la littérature et au théâtre, son nom s’est propagé dans les rues et places publiques, où il habite toujours des monuments et théâtres qui témoignent de sa persistance dans la mémoire collective.

La barque du purgatoire

En 2021 le club change son logo pour y intégrer le fameux coq de la légende

L’origine de Gil Vicente est entourée de mystère et de spéculations, alimentant un débat historiographique persistant quant à son lieu de naissance. Malgré la prédominance actuelle de l’hypothèse situant sa venue au monde dans la ville de Guimarães, d’autres cités telles que Lisbonne ou Barcelos ont été avancées comme alternatives plausibles. La ville du Minho, voisine de Braga et aujourd’hui faisant partie de la grande banlieue de Port est notamment célèbre pour son emblématique Coq. Cette légende raconte qu’un pèlerin accusé à tort proclamera au moment de son procès « C’est tout aussi vrai que je suis innocent que votre poulet cuit se lèvera et chantera au moment où je serai pendu ! » Le gallinacé braisé dans un plat la veille, chantera le lendemain et le pendu sera sauvé par miracle. Les rois portugais, fervents promoteurs de la foi et de la justice en tant que socles de leur gouvernance, ont rapidement adopté et mis en valeur cette fable, transformant le gallinacé en symbole de l’équité et de la spiritualité, intimement lié à l’identité de la ville.

Le premier vestiaire du club

C’est dans cette ville que le club de foot du Gil Vicente FC est né il y a 100 ans. Introduit au début du XXe siècle par des visiteurs en provenance de Lisbonne et de Porto, le football conquit rapidement le cœur des habitants locaux, engendrant la constitution d’équipes regroupant les jeunes de la ville. Parmi celles-ci émergèrent le Barcellos Sporting Club et l’União Football Club Barcellense, témoignant de l’engouement croissant pour ce sport encore réservé à une élite. Cependant, c’est un cercle de jeunes amateurs, affectionnant particulièrement les parties de football disputées sur la Place du Dr Martins Lima – également appelée Place du Théâtre en raison de la présence d’une salle de spectacle emblématique –, qui allait poser les fondations de l’actuel club de Barcelos. En hommage à Gil Vicente, qui donnait son nom au théâtre et qui demeurait une forte figure locale, ils décidèrent d’appeler leur nouveau bastion « Gil Vicente Football Barcelense». Ce choix de dénomination, à la fois original et évocateur, permit d’ancrer solidement le club dans l’histoire et la culture de Barcelos et de l’associer durablement au célèbre dramaturge.

La barque de l’enfer

Durant ses premières années d’existence, le Gil Vicente Futebol Clube dut affronter maintes difficultés, confronté à un cruel déficit en matière d’installations, de joueurs et même de ballons. L’absence de terrain adapté à la pratique du football compliqua encore davantage les efforts consentis par les membres du club, qui compensèrent temporairement ces carences en investissant le Campo da Estação, propriété du Triunfo Sport Clube voisin. Il fallut attendre 1933 pour que le club pose enfin ses valises au Campo da Granja, un stade inauguré dans le quartier du même nom, à Barcelos. Une fois installé, les Galos[1] vont mettre une décennie à atteindre pour la première fois la deuxième division, consolidant progressivement leur position de club important du football régional dans le Minho, cette province du Nord du Portugal.

L’équipe qui va monter pour la première fois en deuxième division en 1943.

Un des premiers évènements marquants de l’histoire du club sera malheureusement tragique. Le 16 septembre 1946, Gil Vicente, qui évoluait alors en troisième division portugaise, accueillait le Desportivo Aves dans le cadre d’un match amical, disputé à l’ancien Campo da Granja, siège des Gilistas. Le drame s’est produit aux alentours de la dixième minute, lorsque le gardien Adelino Ribeiro Novo est sorti dans les pieds de l’attaquant d’Aves, Armando Moreira de Sá. Celui-ci ne peut pas éviter la collision avec le gardien. Après avoir reçu une assistance médicale alors qu’il était encore sur le terrain, le jeune gardien n’a pas pu résister à l’hémorragie interne provoquée par le choc. Celui qui était considéré comme un des gardiens les plus prometteurs du pays était alors âgé de 24 ans. Le chagrin engendré par ce drame sera si intense qu’il gravera durablement son empreinte dans l’histoire du club. La plus belle preuve étant que 42 ans plus tard le stade de Barcelos sera renommé en son honneur. Et même si en 2004, Gil Vicente a quitté son ancien stade l’ombre du jeune gardien plane toujours au-dessus des stades de Barcelos, rappelant que le sport peut aussi être dramatique.

L’icône d’un club, décédé tragiquement en 1946 .

La barque de la gloire

Le club poursuit sa construction, graduelle et plutôt laborieuse. Il va cependant écrire sa première page glorieuse en atteignant les demi-finales de la coupe du Portugal en 1977. Seulement battus en match d’appui contre le voisin Braga (qui finira par perdre en finale sur un but de Fernando Gomes). L’année suivante ils atteignent les quarts, battus par le tenant du titre, le FC Porto. Lors des années 80 le club se rapproche chaque saison de la montée et finira par atteindre la première division en 1990, dans leur stade tout juste renommé Adelino Ribeiro Novo. 24 des 34 saisons suivantes seront en première division. Comme beaucoup de petits clubs portugais, Gil Vicente vit avec très peu de moyens. Dans les années 90 le club attire des anciens internationaux comme Antonio Sousa, Dito, Morato et même Peter Rufai pour sa dernière saison. Il se base également sur des jeunes, qu’ils sortent de son centre de formation (le plus connu étant surement Capucho, qui fera les belles heures du voisin de Porto) ou qu’ils soient en prêt ou au club pour se lancer. Des futurs grands noms du foot portugais comme Folha, Secretario, Paulo Alves, Petit ou plus tard Joao Pereira et Jorge Ribeiro vont ainsi passer au club.

Rufai n’aura pas joué une minute.

Et c’est Petit, un de ces jeunes qui sera un des grands hommes de la meilleure saison de Gil Vicente, en 1999-2000. Longtemps en course pour l’Europe (Réservé aux quatre premiers), les gillistas finiront cinquième à deux petits points de Boavista. En 2012, le club joue la seule finale de son histoire, en Coupe de la Ligue où ils seront battus 2 buts à 1 par le Benfica. En 2021-2022 ils réussissent une excellente saison, portés par leur duo Fran Navarro et Samuel Lino[2], servi en ballon par Pedrinho (joueur du championnat au mois de février) ou le Japonais Fujimoto.  Ils finiront encore une fois cinquième, même si cette année-là le quatrième, Braga, est très loin, à 15 points des Barcelenses. Cependant l’UEFA ayant ouvert les coupes d’Europe à davantage de club, Gil Vicente va jouer pour la première fois de son histoire, un siècle après sa création, une coupe européenne, en l’occurrence la nouvelle Conference League.

La finale de la coupe de la Ligue, perdue 2-1 sur un but de Saviola à la 84mn. En face un gros Benfica (WItsel, Aimar, Garay, Saviola, Gaitan et Jorge Jesus comme coach)

Mais comme il était écrit que l’histoire de Gil Vicente serait jalonnée d’histoires improbables, le club s’est retrouvé mêlé à un des plus gros imbroglios du foot portugais. « L’affaire Mateus » du nom d’un international Angolais arrivé au club après avoir eu un contrat amateur douteux avec son club précédent de Lixa. Cette histoire, symptomatique des problèmes de gouvernance de la fédération portugaise mérite à elle seule un article, qui sera à lire un autre jour sur votre site bien-aimé, tant les rebondissements auront été nombreux. Pour la résumer celle-ci va concerner les tribunaux du civil, la fédération, Gil Vicente, Belenenses, Leixões, la FIFA et a même failli entraîner la suspension de la FPF par la FIFA (et suspendre la sélection et les clubs engagés en coupe d’Europe).  Pour le club de Barcelos il aura pour conséquence une rétrogradation administrative en 2006 et une réintégration en première division en 2019 une fois que les défaillances de la fédération aient été reconnues par les tribunaux (Alors que le club était déjà remonté et redescendu par son classement).

Les clubs portugais comme Gil Vicente sont depuis une dizaine d’années contraint de renouveler une grande partie de leur effectif chaque été, alternant les prêts et les coups[3]. Les barrages de cette « C4 » sont abordés avec une équipe en reconstruction, privé de Lino et Pedrinho. Si cela suffit à éliminer les Lettons du Riga FC, cela ne suffira pas face aux Hollandais de Alkmaar qui vont écraser les novices portugais[4]. Cette saison le club minhoto lutte pour rester en première division avec pour objectif de se maintenir dans le ventre mou. Même la venue d’AZ pour cette première n’aura pas déplacé les foules, 4000 spectateurs seulement venant au stade. Celui-ci ne se remplissant que trois fois par saison, pour la venue des grands clubs[5].

Telle une danse éternelle, Gil Vicente FC poursuivra la saison suivante son ballet d’espoirs et d’incertitudes, valsant entre la quête d’une improbable pépite et la nécessité d’assembler un effectif assez robuste pour se maintenir et pourquoi pas rêver à une nouvelle place en Europe. Embrassant un destin légué par son illustre nom, oscillant entre tragique et comique, le club de Barcelos persiste à caresser les songes d’une gloire éphémère et fuyante. Au sein de son stade parfois moins rempli qu’une salle de théâtre,le Gil Vicente FC écrit chaque week-end une nouvelle page de sa tragi-comédie.


[1] Les Coqs, en référence au coq de Barcelos

[2] Fran Navarro partira pour Porto, aujourd’hui il joue à l’Olympiakos. Lino lui rejoindra à l’Atlético où il a marqué en quarts de finale contre Dortmund. Les deux sont les meilleures ventes de l’histoire du club (7 millions) Pedrinho partira lui en Turquie.

[3] Par exemple Navarro jouait en réserve à Valence, et revenait d’un prêt à Lokeren qui allait tomber en faillite en fin de saison. Samuel Lino jouait en championnat régional au Brésil.

[4] Deux victoires, 4-0 aux Pays-Bas et 2-1 sur le terrain de Gil Vicente

[5] D’une capacité de 12 568 places, le record est de 11 792 contre Benfica.

16 réflexions sur « Le théâtre du coq »

    1. Chevalier serbe qui tua le sultan ottoman durant la Bataille de Kosovo Polje, devenu un symbole de la lutte des chrétiens contre les musulmans et du sacrifice héroïque.

      Et son nom fût donné à un club dont on parlera en août…

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    1. Oui c’est assez incroyable de voir à quel point il est difficile voire impossible de parler de foot portugais sans évoquer un des 3 gros. Tant ils sont l’alpha et l’oméga du foot portugais. Pour tous ces petits clubs, l »histoire s’écrit dans les duels contre eux, tous les joueurs finissent par y passer et pire rare sont les portugais qui ne supportent pas un des 3 gros.

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  1. Merci Rui Costa pour cette découverte … Petite question : pourquoi le stade ne fait il pas le plein ? Trop de concurrence avec d’autres clubs dans le coin ? Pour une population raide dingue de foot c’est surprenant …
    Quoique penchant plutôt pour le Benfica , j’ai une pensée émue pour Coimbra , superbe ville estudiantine et petit club essayant de survivre .
    Quant au Milos Obilic , il me semble avoir vu ce club de Belgrade durant un reportage sur le derby Étoile Rouge/Partizan. Club au stade en lambeaux qui a été champion de Serbie en 1998 (?) mené par un seigneur de guerre serbe … Il semblerait que ce club soit encore plus nationaliste que l’étoile Rouge ou le Partizan … froid dans le dos !

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    1. Finalement les stades ont beaucoup de mal à se remplir au Portugal. Il y a les 3 gros qui remplissent toujours les stades à l’extérieur. Surtout le Benfica (Porto selon les cuvées). Un peu comme Marseille en France, dans la plupart des stades des « petits clubs » il y a pas mal de supporter qui viennent encourager l’équipe « extérieure ». Mais chez nous il y a beaucoup plus de clubs avec une grosse base de supporter.
      Il est très rare de trouver un amateur de foot qui ne supporte pas un des 3. En général tu aimes Gil Vicente et Benfica par exemple.
      Même Braga a longtemps été une terre de supporter du Benfica. Depuis quelques années ça change, ils essayent d’avoir des vrais ultras mais on en
      Le Vitoria Guimaraes est peut-être l’exception , souvent considéré comme le quatrième club avec le plus de supporter exclusif.
      Mais la majorité des stades sont moins remplis qu’en National.

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  2. Eh bien merci : ce nom de club m’avait toujours intrigué, voilà une lacune de comblee!

    Le gout des NL pour les figures mythologiques martiales grecques, j’en sus jadis le fin mot, mais..??

    En tout cas absolument rien de tel en Belgique, ni ailleurs avec telle frequence.. On peut parler de specificite NL.

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