Plusieurs fois renommé et restructuré, le Renato-Dall’Ara est probablement un des derniers grands stades italiens, avec l’Artemio-Franchi de Florence, où l’influence fasciste demeure visible en dépit des tentatives d’effacement de l’après-guerre.
Cet édifice, dont la première pierre est posée en 1925, nait de la volonté de Leandro Arpinati, futur maire de Bologne et président de la Fédération. A ce propos, on ne sait s’il lance cette entreprise munificente pour doter le Bologna FC d’une enceinte digne de sa grandeur ou pour nourrir son propre prestige auprès de Mussolini dont il est encore très proche. Officiellement, le financement est assuré par la générosité de la population locale mais, selon des procédés allant de la persuasion à l’intimidation, les entreprises sont largement mises à contribution.
Un monument fasciste
Par ses dimensions, par ses références à l’Antiquité[1], le Stadio Littoriale est présenté comme « le premier amphithéâtre de la Révolution fasciste ». Certes le béton triomphant est bien au cœur du projet mais les murs de l’interminable portique de briques rouges ceignant le stade respectent l’identité bolognaise. Dédié au calcio et à l’athlétisme, le Littoriale est au cœur d’une cité sportive composée de deux piscines et quatre courts de tennis. La Torre di Maratona, trois cubes massifs superposés à la gloire des sportifs, est érigée en 1929 et apporte la dernière touche à un monument qui n’a que peu changé depuis.
Le 31 octobre 1926, alors que les travaux ne sont pas totalement achevés, Mussolini, vêtu de l’uniforme de la milice, célèbre le triomphe de la technologie et de l’architecture fascistes en visitant l’enceinte juché sur un cheval blanc, solennel et grotesque à la fois au milieu des gradins déserts. En soirée, alors qu’il défile dans les rues de Bologne pour fêter le quatrième anniversaire de la Marche sur Rome, il frôle la mort quand Anteo Zamboni, 15 ans, tire sur lui avant d’être immédiatement lynché à mort par les squadre d’azione[2] d’Arpinati.
La véritable inauguration du Littoriale a lieu le 29 mai 1927 à l’occasion d’une rencontre entre l’Italie et l’Espagne en présence du roi Vittorio Emmanuele III et de l’Infante Alfonso de Orléans y Borbón. Mussolini n’est pas absent puisque le public peut le voir statufié sur un cheval de bronze, comme s’il surveillait la foule depuis une alcôve créée en haut des gradins Distinti. La mise en scène de l’événement est telle qu’environ 60 000 spectateurs venus de toute l’Italie assistent à la victoire de la Nazionale au sein de laquelle évoluent quatre joueurs de Bologna[3].
En 1934, l’Italie obtient de la FIFA l’organisation de la Coupe du monde, une parenthèse dédiée à la promotion du Duce, un moyen de démontrer la supposée supériorité latine tout en renforçant une unité nationale encore fragile. Dans cette opération de séduction, les nouveaux stades, dont même les noms servent la cause fasciste, sont la preuve éclatante de la modernité et de la puissance de l’Italie[4]. Le Littoriale de Bologne fait évidemment partie des enceintes choisies et si le premier match entre la Suède et une équipe réserve de l’Argentine n’appelle aucun commentaire, le quart de finale entre l’Autriche et la Hongrie joué dans le souvenir douloureux du défunt Empire reste dans les mémoires pour sa violence. Sindelar, Bican, Horvath d’un côté, Sárosi, Szalay, Toldi de l’autre, ce qui doit être une réunion d’artistes se transforme en rixe sur une pelouse détrempée par des pluies diluviennes[5].
L’écrin du grand Bologna FC
Jusqu’à la guerre, le Littoriale est la « maison » du grand Bologna FC, celui qui conquiert cinq scudetti[6] et deux Mitropa Cup entre 1929 et 1941. Les héros rossoblù ont pour nom Della Valle, Schiavo (buteur décisif en finale de Coupe du monde 1934), Monzeglio, Biavati, Reguzzoni et une formidable filière d’oriundi venus d’Uruguay dont les plus connus sont Andreolo, Sansone, Fedullo et Puricelli, Testina d’Oro. Enfant puis adolescent, Pier Paolo Pasolini est un des témoins de cette période de rêve et bien plus tard, il se souvient : « J’ai presque une boule dans la gorge quand j’y pense. À cette époque, Bologne était la plus puissante de son histoire : celle de Biavati et de Sansone, de Reguzzoni et d’Andreolo (le roi du terrain), de Marchesi, de Fedullo et de Pagotto. Je n’ai jamais rien vu de plus beau que les passes entre Biavati et Sansone. Quels dimanches au Stadio ! »
Après le conflit, les symboles mussoliniens sont effacés : le Littoriale devient comme un peu partout dans la péninsule le Stadio Comunale, le bronze du Duce est fondu et réemployé pour honorer des martyrs partisans dans une ville résolument de gauche après avoir été un fief fasciste pendant deux décennies. Seuls quelques joueurs et Renato Dall’Ara sont toujours là. Dall’Ara ! Quand les lois raciales sont promulguées en 1938, il ne s’émeut pas, tant pis si son entraîneur juif et hongrois Árpád Weisz doit s’exiler après 15 années de vie en Italie, indifférent à son funeste sort[7]. Installé à la présidence par les fascistes locaux dès 1934, Dall’Ara survit à l’épuration et parvient à composer avec le maire communiste Giuseppe Dozza malgré des relations dignes de Peppone et Don Camillo.
Dall’Ara patiente jusqu’en 1961 pour que le Bologna FC s’adjuge une troisième Mitropa. Il meurt en juin 1964, trois jours avant que les Rossoblù ne remportent leur dernier scudetto[8], triomphe entaché par un évident recours au dopage. Janich, Bulgarelli, Nielsen, Haller et Pascutti sont alors les leaders d’une équipe entraînée par Fulvio Bernardini, un des joueurs de la Nazionale présent pour l’inauguration du Littoriale en 1927.
Le stade n’oublie pas sa fonction omnisport et est le théâtre d’une arrivée d’étape du Giro en 1948 et d’un championnat d’Europe de boxe des poids lourds en 1956. Un combat perdu par l’enfant du pays, Franco Cavicchi, « le nouveau Primo Carnera », contre Ingemar Johansson, puncheur suédois en route vers le titre mondial. Dans les années 1970, Sara Simeoni et Pietro Mennea, champions olympiques à Moscou, foulent la piste d’athlétisme lors de meetings estivaux dont ils sont les incontestables têtes d’affiche. Puis en 1990, la vieille enceinte est toilettée pour le Mondiale. Le public admire alors Stojković, Sušić, derniers solistes d’une Yougoslavie au bord du chaos, Valderrama, Higuita, Andrès Escobar, inconscient de sa destinée, Waddle, Lineker, Gascoigne, astre cramoisi, se brûlant déjà au feu de sa notoriété. Après un match âpre, houleux jusque dans les vestiaires, l’OM y arrache une qualification en finale de Coupe de l’UEFA en 1999, victoire à la Pyrrhus tant l’équipe est décimée par les suspensions contre Parme.
Rebaptisé Renato-Dall’Ara en 1983, ce stade est le témoin de près d’un siècle de calcio, tous les fuoriclasse y ont joué, absolument tous, depuis la naissance de la Serie A en 1929 à aujourd’hui. Consciente de sa dimension historique, la direction américaine du club envisage de le rénover pour en faire une enceinte résolument moderne et confortable. Le projet peine à se concrétiser mais le club communique toujours sur une finalisation des travaux pour le centenaire du lieu. Sur les plans des architectes, et c’est heureux, la Torre Maratona demeure la pièce maîtresse du Renato-Dall’Ara, témoin silencieux d’un riche passé, honteux ou prestigieux.
[1] Arpinati demande à l’architecte Ulisse Arata de s’inspirer des Thermes de Caracalla à Rome.
[2] Forces paramilitaires chargées de lutter contre le communisme. Le père de Pasolini commande une compagnie assurant la sécurité du Duce au moment de l’attentat manqué.
[3] Italie : Gianni (Bologna), Bellini (Inter), Caligaris (Casale), Genovesi (Bologna), Bernardini (Inter), Giordani (Bologna), Munerati (Juventus), Baloncieri (Torino) (cap.), Libonatti (Torino), Della Valle (Bologna), Levratto (Genoa)
Espagne : Zamora (Español), A. Olaso (Atlético Madrid), Zaldúa (Real Sociedad), Prats (Murcia), Gamborena (Real Unión), Peña (Real Madrid), Sagarzazu (Real Unión), Uribarri (Arenas de Getxo), Yermo (Arenas de Getxo), Echeveste (Real Unión), L. Olaso (Atlético Madrid)
Buts de Baloncieri et Prats (CSC). Arbitre : Stanley Rous.
[4] Quatre stades dont la naissance est due au régime fasciste, directement ou indirectement : Turin (Stadio Benito- Mussolini, l’actuel Olimpico Grande Torino), Trieste (Stadio Littorio renommé Giuseppe-Grezar), Florence (Stadio Giovanni-Berta, l’actuel Artemio-Franchi) et Bologna. A Milan, San Siro naît d’une initiative privée, de même que le Stadio Partenopeo de Naples selon la volonté de l’ancien président juif du Napoli Giorgio Ascarelli.
[5] L’Autriche s’impose 2-1 (buts de Horvath et Zischek pour l’Autriche contre un pénalty de Sárosi). La Hongrie joue en infériorité numérique durant une demi-heure après l’expulsion de Markos. Après le match, Hugo Meisl, sélectionneur du Wunderteam affirme qu’il s’agissait d’« une bagarre et non une exhibition de football. »
[6] Bologna gagne un premier titre dans la controverse en 1925 mais joue alors au Stadio Sterlino.
[7] Arrêté aux Pays-Bas en 1942, Weisz meurt à Auschwitz en 1944. Il faut attendre 2009 pour qu’une plaque soit installée dans le stade Dall’Ara en hommage à l’ancien coach et sa famille.
[8] Il faut un match d’appui à Rome pour départager Bologna et l’Inter.
Grazie Verano.
Me concernant, Bologne et son stade son surtout le théâtre de la première union du tandem, que dis-je du tandem… du poème « Baggio-Mazzone »!
Merci Verano ! Un copain marseillais était de ce fameux déplacement à Bologne. Chaud dans les tribunes et sur le terrain avec le fameux coup de boule de Blondeau à un carabiniere.
Tiens un petit debat.
Quelle est la plus grande equipe de la Mitropa, de son inauguration au debut de la seconde guerre mondiale?
J’avoue avoir un faible pour le Sparta de Braine et Nejedly.
Je fais des coquillettes aux enfants en l honneur de cet article sur Bologne.
On fera un article sur le Stade Malherbe le week-end prochain. Tu pourras leurs faire des tripes. Ils seront contents tes gosses.
Ahah le cauchemar pour mon fils.
Beau bébé le Franco Cavicchi. Je vois qu’il fut champion d’Europe des lourds. Un titre qu’il perd face au futur champion du Monde, Ingémar Johansson, le vainqueur de Floyd Patterson.
En fait, tu l’avais déjà écrit dans le texte. Héhé
Fameux bébé, c’est vrai.. mais cette espèce de jupette casse tout.
Peut-on considérer la carrière de Schiavo comme plus aboutie que celle de Piola? Ce dernier a pour lui sa longévité mais n’a pas les accomplissements en club de Schiavo.
Et surtout lequel des deux etait le plus compatible avec Meazza?
Buona sera a tutti,
Pas simple ta question ! De ce que j’ai lu, le jeu de Schiavo était assez similaire à celui de Meazza, un ton en dessous sans doute, alors que Piola était un pur bomber, moins technique que des deux aînés. Plus jeune, plus buteur et sans doute plus complémentaire, Piola supplante Schiavo auprès de Meazza après le titre 34.
Merci
Schiavo n’apparaît plus apres 34. Sur la pente descendante peut-être…
Ah zut, il sortait déjà ce weekend, donc.. Eh bien, Verano : je n’ai donc pu t’envoyer ce que tu sais, désolé.
De toute façon l’article est très bon. Et merci d’honorer ce stade que j’aime bien, même s’il me rappelle toujours ce très bon mais douloureux Angleterre-Belgique 90.
Le projet de rénovation semble plutôt séduisant.
On a un peu avancé la date. Ah le but de Platt qui m’avait peiné en tant que fan de Scifo…
Il n’y a rien à redire sur ce match : les Anglais l’emportent à la régulière, se voient même refuser un but valide dans le temps règlementaire.. Les Belges jouaient mieux, Anglais enfoncés et attentistes.. mais victoire absolument légitime..qui me fit mal au cul tout de même 🙂
Scifo était en larmes oui, il méritait tellement mieux qu’un « bête » 1/8ème, son tournoi est anthologique mais voilà..!
Tu sais, la seule fois où j’ai regretté un peno raté face à l’Espagne, c’était lors de l’echec d’Enzo face à Zubi au premier tour. On n’était pas dans le même pays, cher Alex, mais l’élimination de la Belgique face aux anglais m’a également niqué mon tournoi à l’époque! Hehe
Moi c’est le match qui m’a rendu supporter des.. Diables Rouges!, comme quoi.. 🙂
Jusqu’alors et tout au long des 80’s, je trouvais l’Angleterre tellement classe….. C’étaient mes couleurs! : ils avaient un supplément à peu près permanent de correction dans l’attitude, même dans le jeu.. mais sur ce match ils furent loin d’être chevaleresques, tandis que la Belgique était enfin ambitieuse……… C’est là que mon coeur d' »apatride » bascula pour de bon pour les DR (le tournoi 86 des Belges, par exemple, m’avait laissé complètement froid).
Et je ne suis vraiment pas fan de Scifo, mais dans ces années-là il est constamment de classe mondiale.. Je suis triste encore pour lui.. De manière générale, Bologne est devenu un mot un peu tabou pour le foot belge 🙂
No problem. Mais j’essaierai encore de comprendre comment Dall’Ara a pu rester en poste après guerre.
Je tiens encore à m’en excuser mais tu auras ces pages, malheureusement c’était chaud boulette.
Super article. J’avais lu sur « We are football » un article sur la violence dans les stades en Italie à cette époque. Sinon, pour l’équipe d’Espagne dans la note (3), il y avait 6 joueurs de clubs basques dont 0 de l’Athletic mais 2 de l’Arenas Getxo! Pour la Real Union (Irun, nom qui ne change ni en français ni en euskara), pas étonnant vu que c’était un des grands clubs avant la guerre civile (qui joue en RFEF1 actuellement, équivalent du National en France).
« cette époque ».. Années 30, tu veux dire? Et, si oui : tu peux développer?
Années 20 plutôt du fait de l’après-guerre, la montée du fascisme, la naissance du PC d’Italie en 1921 à Livourne, le syndicalisme en développement, l’anarchisme encore présent. Les tribunes se politisent évidemment aussi. Ci-joint un lien: http://www.wearefootball.org/un-jour-un-match/140/lire/les-coups-de-feu-de-la-gare-porta-nuova/ Pas retrouvé des articles et extraits de presse sur l’US Livorno notamment sur des derbys régionaux. Mais ça reflétait la tension politique dans l’Italie de l’époque.
@comeonhufc : super interessant l’article que t’as partagé, c’est dingue le coup du but où la balle est sortie et renvoyée à l’attaquant par les supporters, et c’est validé !!