Esforço, Dedicação, Devoção e Glória. Eis o Sporting[1]. Si vous demandez à un supporter du Sporting Clube de Portugal quel joueur représente le mieux la devise de son club de cœur, il y a de fortes chances pour qu’il vous cite Francisco Stromp. Mais comment expliquer que ce socio numéro 3[2] ait encore une telle aura, un siècle après son dernier match ?
Stromp life
Notre héros naît en 1892 dans une riche famille lisboète. Son père est un des docteurs en médecine les plus réputés de Lisbonne. Il est le troisième d’une fratrie de six enfants, coincé entre José et Antonio, deux autres membres éminents de l’histoire sportinguista.
Dès le plus jeune âge, il déménage vers le quartier plus verdoyant de Lumiar, futur emplacement du stade du Sporting, au nord de Lisbonne. C’est là que ses frères et lui se lient d’amitié avec le petit-fils du vicomte de Alvalade, José Alfredo Holtreman Roquette[3]. C’est lui qui va leur faire découvrir ce nouveau sport en vogue dans les élites portugaises : le football.
Au sein de Sport Club Belas qui devient le Campo Grande Football Clube, Francisco et ses frères se prennent de passion pour le ballon rond. Mais le club est multisports et surtout destiné à organiser des fêtes et bals. Cela va entraîner des tensions et, en 1906, 19 jeunes hommes [4] vont décider de quitter le Campo Grande pour créer un vrai club sportif. Le Vicomte de Alvalade va soutenir son petit-fils et lui trouver un terrain issu de ses propriétés. Ceux qui resteront dans l’histoire comme les Dissidentes fondent ainsi le Sporting Clube de Portugal. Parmi ces 19 premiers socios figurent Francisco, son grand frère José comme Sócio Protector, mais aussi le jeune Antonio.
L’âme des Lions
« Tout ce que je sais de plus sûr à propos de la moralité et des obligations des hommes, c’est au football que je le dois. » Si cette illustre citation d’Albert Camus peut paraître anachronique aujourd’hui à la vue des comportements des footballeurs sur le terrain et en dehors, il fut une époque où ces mots avaient une légitimité toute autre. Et si un joueur illustre bien cette vision du foot, c’est Stromp.
Dès ses 16 ans, Francisco devient le leader de son équipe. S’il joue principalement milieu droit ou avant-centre, il est capable d’occuper tous les postes. Il dépanne même pour un match en tant que gardien de but. Techniquement et physiquement, il est le plus doué de cette jeune équipe, mais il est surtout l’âme du club. Il se dévoue pleinement au Sporting, prône l’effort et la camaraderie ; son amour pour le club frôle la dévotion. Il est la parfaite illustration de la devise des Lions de Lisbonne.
Dans un sport où le rôle d’entraîneur n’existe pas encore réellement, Francisco est celui qui place ses collègues, élabore les stratégies, mais surtout prononce des discours mémorables dans les vestiaires. Les larmes aux yeux, il harangue ses coéquipiers avant chaque match ; il est le principal artisan de la montée en puissance du club.
La lettre qu’il a écrite de sa propre main après la victoire mythique de 1923 face à l’éternel rival du Benfica est célèbre et illustre l’importance du capitaine dans l’histoire du club :
« Nous avons remporté le championnat de Lisbonne sans contestation, nos adversaires nous ont même tous applaudis. C’est l’un des fruits les plus savoureux de notre travail. Nous n’avons pas encore atteint la fin. Nous allons maintenant participer au championnat du Portugal. Nous avons l’intention de le gagner de la même manière, sans contestation. Notre victoire au championnat de Lisbonne n’est pas due à la valeur individuelle des membres de notre équipe. Elle est surtout due à la correction que nous avons tous su maintenir dans tous les matchs que nous avons joués, à l’assiduité à l’entraînement que chacun a compris être nécessaire pour gagner et à la discipline que je suis fier d’avoir su maintenir, cela avec pour seule motivation l’amitié qui nous lie et notre amour commun du Sporting Clube de Portugal. Je fais à nouveau confiance à la volonté de tous pour pouvoir triompher. Nous continuerons à travailler sans relâche. Nous devons honorer notre titre de champion de Lisbonne en y ajoutant celui de Portugal, nous devons confirmer les belles dispositions entrevues lors de la défaite de la saison dernière, nous devons rendre effective le dernier rêve de la vie sportive du capitaine de l’équipe première : décrocher le titre de champion du Portugal. »[5]
Un palmarès naissant
Jusqu’en 1922, le championnat portugais n’existe pas encore, les clubs se rencontrent dans des championnats régionaux. Le Sporting évolue dans celui de Lisbonne avec des clubs comme Carcavelos (qui gagne les trois premiers titres), le CIF, Belenenses, Imperio, le Vitoria, et surtout l’ennemi de toujours, les Aigles du Benfica. Les deux clubs deviennent rapidement les plus grands de la ville et leur rivalité sportive grandit, notamment après la mise en place de la Ière République en 1910.
En effet même si les Alvalade, José et son vicomte de grand-père, n’ont jamais lié le club à la politique, le fait qu’il ait été fondé par des jeunes issus de l’aristocratie, ou que son écusson soit un lion blanc, symbole qui se réfère plutôt à l’aristocratie[6], a fait du Sporting un club étiqueté « aristocratique» par un Benfica issu de milieux moins favorisés. De plus de nombreux Aigles vont rejoindre les Lions lors des transferts déjà polémiques dès l’entre-deux-guerres.
Benfica remporte en 1910 son premier titre ; en 1914, il en est déjà à son quatrième. Le Sporting veut concurrencer son rival, pour cela il faut battre l’ennemi et remporter un titre. Stromp et ses deux frères[7], vont finir par gagner leur premier titre en 1915 (le seul que verra José Alvalade) [8] puis le deuxième en 1919. Si le Benfica gagne quatre nouveaux titres, la jeune Fédération portugaise offre au Sporting une opportunité de devancer son ennemi lisboète en 1922.
En effet, un trophée national va être organisé pour la première fois, le Campeonato de Portugal. Celui-ci est un tournoi entre les différents vainqueurs régionaux, la première édition étant toutefois limitée à Lisbonne et Porto. Le Sporting gagnera le championnat régional en battant Benfica, mais perd contre Porto pour le titre national.
En 1923, pour sa dernière saison, Stromp bat à nouveau le Benfica, écrit sa fameuse lettre, et mène son club en Campeonato do Portugal. En demi-finale, il lave l’affront de 1922 et marque un doublé face au FC Porto à Coïmbre, score final 3-0. En finale face au club de cette ville, l’Académica, il ouvre le score et son Sporting devient champion du Portugal en gagnant de nouveau 3-0 dans le stade de Faro. Il peut partir le cœur léger, son club est devenu un poids lourd national.
Légende parmi les légendes
Rares sont les joueurs de cette époque qui sont encore autant présents dans la vie d’un club du niveau du Sporting. En effet, en plus du nom d’une rue à Lisbonne ou d’une tribune du nouveau stade Alvalade, il existe aussi un « Groupe Stromp » constitué de socios du club et fondé en 1940 qui décerne chaque année depuis 1963 des « Prix Stromp[9] » qui récompensent des footballeurs mais aussi d’autres sportifs de ce club omnisports, des dirigeants, des entraîneurs, les socios, etc. Stromp est considéré par les Leões comme le symbole ultime de l’esprit sportinguista, celui qui a permis au club d’exister et d’être ce qu’il est aujourd’hui. Comme dans toute histoire, cette figure fédératrice a été idéalisée et réhabilitée au fil des années. Comme beaucoup d’équipes, le Sporting s’est créé une mythologie, notamment par l’intermédiaire de ses supporters, et Stromp a tout de la figure modèle. Il peut ainsi être considéré comme le pendant de Cosme Damião, figure mythique du Benfica, lui aussi membre fondateur et grand sportif.
Sa mort est moins glorieuse même si elle illustre bien qui était Stromp. Atteint de la syphilis (très courante chez les prostituées de l’époque), il est très diminué. Il « mange la soupe avec une fourchette », ce qui permet à son père médecin de comprendre qu’il est malade. N’acceptant pas ce sort, Francisco se suicide, le 1er juillet 1930, 24 ans exactement après la création officielle de « son » club. Depuis presque un siècle, il reste ce lion dans le ciel qui montre la voie aux plus jeunes !
[1] L’effort, le dévouement, la dévotion et la gloire. C’est cela le Sporting !
[2] Le numéro de socio de Stromp, le 3, a été « retiré » et fait partie du mythe du club et du joueur.
[3] Le stade, situé à Lumiar, porte le nom de José de Alvalade.
[4] En réalité on considère qu’il y a 10 fondateurs, les « socios protecteurs », 9 autres qui étaient là dès le début, plus 17 autres qui se joignent à ces 19 premiers socios avant la fondation du club. 9 autres socios rejoignent le club en août.
[5] Ganhámos o Campeonato de Lisboa sem contestação dos nossos adversários e, até, com aplausos de todos eles. É isto um dos mais saborosos frutos do nosso trabalho. Ainda não chegámos ao fim. Agora vamos disputar o Campeonato de Portugal. Pretendemos ganhá-lo da mesma forma, sem contestação. A nossa vitória no Campeonato de Lisboa não se deve ao valor individual dos componentes da nossa equipa. Deve-se principalmente à correcção que todos soubemos manter em todos os jogos que fizemos, à assiduidade aos treinos que todos compreenderam serem necessários para vencer e à disciplina que me orgulho de ter sabido manter, não usando outros meios que não fossem a evocação da amizade que por todos tenho e aquela que todos temos pelo Sporting Clube de Portugal. Confio novamente na vontade de todos para poder triunfar. Continuaremos a trabalhar sem um desfalecimento. Precisamos de honrar o nosso título de Campeão de Lisboa, juntando-lhe o de Portugal, precisamos confirmar a contestação da derrota da época passada, precisamos de efectivar a última aspiração da vida desportiva do capitão da primeira equipa: entregar o título de Campeão de Portugal
[6] Lors de la création du club, le blason de la famille Fernando Castelo Branco, un lion sur un fond bleu a été choisi. Les quatre jeunes remplaceront le fond bleu par un fond vert, symbole de l’espoir de voir leur club grandir et gagner. C’est Hugo Morais Sarmento, gardien de but qui arrivait d’Allemagne qui va inspirer le blason actuel. Ces coéquipiers voit sa veste bleue dont le revers est orné de quatre emblèmes allemands alignés. C’est de là qu’est née l’idée de faire fabriquer de nouveaux emblèmes dans ce pays pour le club. C’est Sarmento lui-même qui va le dessiner et le commander en Allemagne.
[7] Son jeune frère Antonio fait partie des six premiers athlètes portugais ayant participé aux JO de 1912 (100m et 200m) et José est un des fondateurs du club. Les deux sont également bons footballeurs et brillent sur les terrains.
[8] José Alvalade meurt en 1918 de la fièvre typhoïde, après avoir été président jusqu’en 1916. Avant sa mort il quitte le club suite à des tensions.
[9] https://www.wikisporting.com/index.php?title=Pr%C3%A9mios_Stromp
Très beau texte, Rui ! Stromp ? Ce nom est-il une conséquence de l’étroitesse des liens historiques entre le Portugal et l’Angleterre ?
Ce mois de septembre aura une forte coloration portugaise…
J’avais fait des recherches sur le nom mais c’est une vieille famille portugaise, qui vient d’Algarve et même si ils auraient des origines hollandaises, celles-ci ne sont pas prouvées.
Bizarre ce nom, en effet. De forts accents d’entre Bruxelles et Rotterdam pour moi : le grand amiral NL Tromp? le stoemp?
Le genre de patronyme qui sent les avanies, l’accident de graphie ou d’oreille.
Tiens, il serait pas d’ascendance NL, Trump? Complètement le genre.
Perdu : bavarois!
Exista aussi sous la graphie « Trumpff » apparemment, ké bazar..
Merci Rui. Superbe texte pour un superbe club. La tenue de Cosme Damiao du Benfica est assez pittoresque!
Suis allé quelques fois à Lisbonne mais je pense n’etre jamais passé dans le quartier de Lumiar. C’est quoi l’ambiance?
« Quelques fois ».. Pour moi qui aimerais tant y aller ne fût-ce qu’une seule fois, ce « quelques fois » a un je ne sais quoi de nonchalant, lol.. Ca me paraît tellement « loin », personnellement!
Avec Cadix pour port d’attache, forcément, la destination est déjà moins « exotique » probablement.
Lisbonne est ma grande ville européenne préférée. En mettant un peu à part Istanbul. Et je n y suis allé que 3 fois.
Lumiar je n’y suis allé que pour voir les deux stades, celui de Benfica n’est pas très loin (un peu plus de 2 km) mais je n’ai pas de souvenir marquant. Lisbonne j’adorais mais depuis 10 ans j’ai vraiment du mal, c’est devenu un petit Paris, les portugais ont presque déserté le centre et le tourisme a détruit authenticité qui persistait encore dans cette ville. J’ai été à Porto cet été et c’est la même. La décision de débile du gouvernement précédent d’offrir 10 ans sans impôt aux riches européens a fait de Lisbonne un havre d’évadés fiscaux, j’espère que la fin de la mesure rendra la ville un peu plus portugaise.
Ce qui m’avait marqué à Porto, c’est le nombre d’immeubles laissés à l’abandon dans le centre. Je te parle de 10 ans en arrière . J’avais cru comprendre que pendant de longues années, les locations étaient très peu excessives et que les propriétaires, plutôt que réhabiliter les lieux, les avaient laissé complètement dépérir. Ça donnait l’impression de quartiers ou rues fantômes parfois.
Maintenant c’est plus la même ville, comme Lisbonne la gentrification s’est fait en mode accéléré! Il reste encore quelques vieux immeubles bien pourris mais c’est incomparable avec le passé.
Porto est également magnifique. Quand tu traverses ces vieux quartiers en direction du Douro… Un petit verre en face du pont Eiffel, c’est toujours agréable!