Le 1er avril 2001, Brescia Calcio se déplace au Stadio delle Alpi pour un banal match de championnat, contre la Juventus. Une action le fit pourtant passer à la postérité.
Le héros
Comment présenter convenablement un joueur que nous connaissons (idolâtrons ?) tous ici ?
Peut-être en essayant de faire du Verano ? Mais ce serait du Verano de supermarché, du Verano hard-discount. Un échec certain, qui passerait pour une tentative rigolote pour les moins exigeants d’entre-vous. Ou bien à la Calciocalabria ? Une fois de plus, ça serait comme tenter d’escalader l’Everest en tongs.
Finalement, comment présenter cet artiste, sans être soi-même Italien, ni ne l’avoir jamais vu en live, que ce soit au stade ou sur les écrans ? Les gouttes de sueur perlent en ce moment-même chez celui qui écrit ces lignes.
Alors, plutôt que de pomper Wikipédia ou de placer une ligne de stats (qui ne rendrait d’ailleurs pas justice au Divin Codino, tant aujourd’hui il semble normal de claquer 30 buts par saison, mais passons), évoquons un souvenir cuisant : une fameuse séance de tirs au but en finale de Coupe du Monde. Roberto Baggio, qui avait si magistralement porté l’Italie en finale (ne dit-on pas que Zidane en 2006, ce n’est qu’une copie par rapport à Baggio 1994 ?). Baggio donc, qui pourrait maintenir l’Italie à flot dans cette séance fatidique. Et le ballon qui s’envole dans le ciel. Baggio, mort debout, digne, au milieu de Brésiliens euphoriques. Un artiste au destin brisé ? Les blessures subies durant sa carrière et les passages en demi-teinte chez les trois grands d’Italie vont dans ce sens. Mais tout cela ne peut occulter un Ballon d’Or, de sublimes coups-francs et une capacité de dribble, de vision de jeu et d’enchantement hors du commun1.
Il a rayonné, il a souvent chuté, mais il s’est toujours relevé : Roberto Baggio.
Le contexte
A 33 ans, après deux saisons en dents de scie à l’Inter, Baggio arrive à Brescia, au nord-est de Milan, proche du Trentin-Haut Adige (ou du Tyrol du sud, diront les Autrichiens). Gardant les Alpes en toile de fond, il découvre une équipe vient de finir troisième de Série B et qui compte dans ses rangs Dario Hübner, 34 ans, 71 buts marqués avec le club, mais pas encore capocannoniere. Un artiste qui n’arrive donc pas dans une équipe de peintres, et qui sera renforcée en cours de saison par un petit jeune qui enchaîne les prêts avant de connaître la gloire future : Andrea Pirlo. Le club, qui ne s’était jamais maintenu en Série A plus de trois saisons, va alors enchaîner cinq campagnes dans l’élite, avec en prime, une participation à la coupe Intertoto à l’été 20012 !
Le but
Ni retourné acrobatique, ni frappe de 50 mètres, ni percée fantastique. Ces buts sont toujours très spectaculaires, mais trop souvent vus et répétés. Toujours très spectaculaires, mais qui requièrent une si grande dose d’énergie…. Relevant parfois du gaspillage, surtout quand ce genre d’action n’aboutit à rien (sans viser aucun joueur en particulier, et surtout pas un joueur parisien arrivé de Catalogne cette saison).
Le but que vous allez voir ici est unique dans sa conception et extraordinairement original. Regardez la vidéo, comptez le nombre de buts de cet acabit et comparez-le à ceux mentionnés précédemment. L’originalité, la rareté, la création. Voilà ce qui rend ce but si unique. Saupoudrez ça d’opposition relevée (la Juventus) et vous obtenez ce chef-d’œuvre :
https://www.youtube.com/watch?v=iwEenLgSRY4
Et quel chef d’œuvre : le contrôle-dribble©. Rien que ça. Une touche de balle, deux actions3 ! Quel joueur peut se targuer de réussir pareille prouesse ? Et dans la zone de vérité qui plus est ? Il n’y eut plus qu’à pousser le ballon au fond des filets d’un van der Sar médusé.
Ce qui rend également ce but si légendaire, ce sont les deux protagonistes : Pirlo et Baggio, réunis cet après-midi-là, tels deux astres en conjonction, voués à ne plus jamais se rencontrer. Un but à l’économie : passe, contrôle, but. Toute cette énergie physique sauvée par de l’énergie cérébrale… En d’autres termes, par de l’intelligence de jeu, aidée il est vrai par une qualité technique exceptionnelle de la part des deux joueurs4.
La suite
Le match se termina sur le score de 1-1. La Juventus échoua à 2 points du titre de champion et van der Sar fut transféré à Fulham avant de connaître le succès à Manchester United. Il fut remplacé par un certain Gianluigi Buffon (qui aura donc été co-équipier de Zidane pendant cinq jours). Quant à Brescia, le club termina la saison à la huitième place, grâce à 10 buts de Baggio. Celui-ci régala encore les fans trois saisons supplémentaires – dont une passée aux côtés de Guardiola – avant de tirer sa révérence sous les applaudissements de San Siro5, où se trouvait Pirlo, dans le camp d’en face6, commençant à remplir son armoire à trophées. Brescia ne survécut pas au départ de son maître à jouer et retomba illico en Serie B.
Compositions d’équipes7 :
Brescia : Srnieck, Calori, Bonera, Galli (Kozminski, 51e), Bachini (Tare, 79e), A. Philippini, E. Philippini, Pirlo, Diana (Esposito, 64e), Hübner, Baggio (c). Entraîneur : Carlo Mazzone (voir l’article de Verano sur Ascoli).
Juventus : van der Sar, Pessotto, Ferrara, Iuliano (Tudor, 82e), Birindelli (Paramatti, 67e), Zambrotta, Tacchinardi, Conte (c), Zidane (Athirson, 73e), Inzaghi, Del Piero. Entraîneur : Carlo Ancelotti.
Ed Kalish pour Pinte de Foot
Notes :
1 : Illustrée par cette vidéo (entre autres) : https://www.youtube.com/watch?v=8LOsI7fg0Cc
2 : finale perdue face au PSG 0-0, 1-1. Brescia ne joua donc pas la Coupe UEFA : https://web.archive.org/web/20010923223005/http://www.uefa.com/competitions/IntertotoCup/news/Kind=128/newsId=3975.html
3 : pour parodier une discussion en 2013 entre Zlatan et Bahebeck, à propos de son prêt à Troyes : « Bahebeck, 21 matches, 2 buts !?! Zlatan, 2 matches, 21 buts ! »
4 : pour comparaison, une action qui aurait pu bien terminer, mais dont la qualité technique a manqué : https://www.youtube.com/shorts/2RVOO1QCuAY
Il me semble que Kaboré (ou un autre) avait fait une chevauchée fantastique avec l’OM, conclue par un tir en tribunes, voir hors-tribunes ? (si vous retrouvez la vidéo…)
5 : Le dernier match de Baggio : https://www.youtube.com/watch?v=Lns1RzovEuU
6 : Les compositions d’équipe pour la dernière de Baggio : https://www.footballdatabase.eu/fr/match/resume/4293-ac_milan-brescia
7 : lien vers les compos d’équipe : https://www.transfermarkt.com/juventus-fc_brescia-calcio/index/spielbericht/2217473
Ed Kalish l’auteur c’est ça ? 10 sur 10! Rien que pour le sujet choisi…
Un chef d’œuvre effectivement et toute la symbolique qui va derrière: Pirlo, Baggio… l’assist… le témoin, le relais, l’héritage… sans oublier bien sûr Mazzone sur le banc… C’est le romantisme à l’état pure du football italien.
« deux astres en conjonction, voués à ne plus jamais se rencontrer »… Joliment magnifique!
Tu peux sortir ta paire de tongs et tenter ton « Everest littéraire » avec t’es plus que prêt…
… À deux jours prêts, cet article aurait clairement pu répondre aux critères de la St Valentin, chasser le caractère commercial de cette dernière pour enfin venir lui redonner l’atmosphère initiale de sa création: les flèches, les cœurs, Aphrodite… Cupidon, Eros ou que sais-je encore bref… la fête de l’Amour !
Top, Ed ! Et merci pour le clin d’œil eh eh
Ce Brescia, Mazzone l’avait conçu pour Baggio avec la plupart du temps un système en 3-5-1-1, Hübner seul en pointe et Baggio totalement libre en soutien. Peu ou prou ce que Bilardo avait mis en place pour Diego en 1986.
Il est amusant de constater que ce sont des coachs connus pour leur rigueur et leur frilosité tactique qui ont le mieux su exploiter les qualités de joueurs géniaux mais difficiles à faire entrer dans des schémas stricts.
Avant Brescia, Baggio aurait déjà pu croiser Mazzone à Bologne. Mais quand Carletto arrive, Baggio a cédé aux envies de Moratti et l’Inter. Bologne avait d’ailleurs tout perdu durant l’été 1998 : Baggio donc, mais aussi le coach Renzo Ulivieri sacrifié pour sa mésentente avec le Divin Codino (il avait déjà eu des problèmes avec le jeune Mancini à la Samp, un autre casse tête pour les entraîneurs).
Avant Brescia toujours mais sans Mazzone cela dit, Baggio avait été approché et, selon certaines sources et les légendes urbaines, était assez proche de s’engager avec la Reggina (l’été où il signe finalement à Brescia).
Si l’on en croit les rumeurs, ragots, bruits de couloirs et autres commérages de quartiers (ou ici plutôt de villages), c’est le réel contact de Lilo Foti (magnifique président du club calabrais) et le non moins donc réel intérêt du Divin Codino… qui auraient stimulé et accéléré la volonté de Mazzone de proposer Brescia à Baggio.
Du coup, ce mariage de génie entre Pirlo et Baggio, accouchant de cette action et de ce but iconiques, aurait tout à fait pu se passer dans le merveilleux « Mezzogiorno », sous les couleurs des « Amaranti » de Reggio de Calabre… sponsor « Caffè Mauro » floqué sur maillot pour insister d’avantage, comme si cela était vraiment nécessaire, sur le côté « Dolce Vita » de l’histoire, que dis-je l’histoire… la véritable romance manquée…
Dommage car les pas de danse de Baggio éclairés par la lumière de la Calabre, ça aurait eu une autre gueule que les brouillards de la tristounette Brescia.
Merci Ed! Baggio a réussi sa sortie. Aider un club modeste à se maintenir, prouver encore une fois l’étendue de son talent, servir de mentor…
Une belle fin, comme celle de Zola avec Cagliari.
Baggio aurait pu être du voyage au Mondial 2002. Il n’était pas si vieux et restait performant.
Et pourtant Dieu sait que les supporters poussaient et solicitaient le Trap chaque weekend à travers des banderoles da’s les stades (on savait que Trapattoni ne souhaitait pas le convoquer)… d’ailleurs, une autre banderole, déployée celle-ci lors de son jubilé (un match amical organisé contre l’Espagne spécialement pour l’occasion) résumera très bien ce regret: « Trap, bella l’idea ma Baggio ci voleva in Corea » (Trap, belle idée mais Baggio il le fallait en Corée)
PS j’ai toujours vu, directement après la défaite face à la Corée du Sud d’ailleurs malgré mon jeune âge (12 ans), un signe du « destin qui se vengerait » dans la suite de numéro 18 (le second numéro de Baggio en carrière (Milan AC et Mondial 98) se succédant dans l’élimination de la Squadra: 118eme minute, numéro 18 (Ahn), 18 juin (je dis ça de tête je ne me rappelle pas de tout précisément)
Je me rappelle d’un France Football de l’époque qui relatait le fait que toute l’Italie poussait pour que Baggio fasse partie des 23 pour le mondial 2002. Sait-on quelles sont les motivations qui ont poussé le Trap à ne pas le sélectionner ?
Bah, le Trap ou un autre.. La psyché des décideurs (dont médiatiques) du foot italien est d’essence artisto-phobe, et au mieux -sceptique.
Baggio en bava déjà sous Sacchi, comme Zola et Giannini.. Ceux que l’on érigea en totems de ce football, dont l’on fit parfois même les hérauts d’un football dit offensif et généreux (Sacchi), ont toujours eu horreur du pouvoir créatif, de la liberté..
Trapattoni, Valcareggi, Sacchi.. : des castrateurs, ces types ne valent pas mieux que ces intégristes qu’effraie la capacité de création du sexe féminin, juste bons à couper ce qui les dépasse.
Et pour finir, j’ai du mal à définir quel est le plus grand joueur italien de l’histoire. Vous prendriez qui?
J’aurais pensé que Meazza mettrait tout le monde d’accord?
Perso, je mettrais Meazza ou Maldini mais j’ai deja vu des classements où Baggio était premier. Je l’aime beaucoup Baggio mais par rapport aux deux, il me semble derrière. Sofoot le mettait premier par exemple.
Pour la médiasphere-marchande, rien n’existe avant les années 70.
Il a été évoqué : je préfère Zola à Baggio. Plus « raw » et je trouve qu’il n’avait rien à lui envier. Mais chacun dans son style, je trouve qu’ils illustrent tous deux assez bien le malentendu/désaveu cultivé par certain institutionnalisme transalpin à l’endroit de ses artistes – le cas Zola étant le plus cruel peut-être.
Et il n’est pas pour me déplaire que Sacchi ait publiquement joué sa partition dans la mégestion systémique de ce genre de profils : ça fait ressortir le côté vérolé, pourri et tordu, de certain discours dominant.
De ceux que j’ai vu: Pirlo devant Maldini
De ceux que j’ai jamais vu: Rivera, Riva ou Meazza ?
Après le foot italien, ça ne m’a jamais fait vibrer, donc c’est un avis désintéressé.
Je pense être exempté de réponse
Je ne sais pas répondre à la question, les profils sont tellement différents…
J’avais prof de physique-chimie au collège, dans les années 90. Un mec vieille école, le roi du jet de craie dans la tronche. Il visait bien, l’enfoiré… Mais c’était également un fan de foot. Il finissait toujours ses expérimentations ainsi : « Démonstration imparable. Comme le coup franc de Baggio…:
J’aime bien ce genre d’allégories.
Dans le genre, je garde souvenir d’un directeur, jadis, qui parlait de « panique-football » quand ça tournait à la confusion, pas mal.
Les adeptes des tracasseries systémiques? Dans mon jargon, ce sont ceux qui « visent la jambe ».
Ça vaut parfois tous les discours! 🙂
Merci pour les commentaires. La première fois que j’ai vu ce but, j’ai halluciné.
Tellement simple, tellement évident, indécent même.
« Outrageous » comme diraient les anglophones
Une image n’est pas passée dans l’article (imaginez-la placée juste au-dessus du paragraphe « Le contexte ») :
C’était deux captures d’écran côte à côte avec le penalty de 1994 à gauche, et celui de Trezeguet en 2006 à droite, avec la légende suivante : « pour essayer de comprendre le traumatisme italien de 1994, l’auteur (français) s’est volontairement infligé ces deux séances de tirs au but »
Athirson du côté de la Juve? Inconnu pour ma part. Je vois qu’il a 5 sélections avec le Brésil…
Moi c’est Paramatti : aucun souvenir, je crois bien n’avoir jamais entendu ce nom-là.
Côté Brescia, souvenirs plutôt favorables de Srnicek à Newcastle. Et Bonera était un défenseur de qualité.
Galli, c’est l’ancien du Milan?? Diana et Kozminski me disent quelque chose. L’un dans l’autre : belle petite équipe sur papier, il me semble.