Le lecteur

Le gardien adossé confortablement à son poteau est Jaime Tubo Gómez. Nous sommes le 24 avril 1955 et se dispute, loin de son regard distrait, le derby Tapatío de Guadalajara, entre Chivas et Atlas. Ce n’est pas une rivalité quelconque, elle est la plus ancienne du pays. Depuis 1916, les « bourgeois » de l’Atlas défient les populaires Chivas lors de rencontres à couteaux tirés, rarement avares en polémiques, comme lors de la saison 1951 qui vit Atlas gagner son premier titre sur un penalty imaginaire concédé par son encombrant voisin.

En 1955, les pronostics sont clairement en faveur de Chivas. L’Atlas retrouve péniblement la lumière de l’élite et le score est déjà de trois à zéro pour les rayés lorsque Adalberto « Dumbo » López marque le quatrième pour le Campeonísimo. Dépités et furieux, les fans de l’Atlas n’ont plus que projectiles, quolibets et insultes à offrir. Leur cible est toute trouvée, le gardien adverse, Jaime Gómez. Gómez n’est pas le premier venu. Athlète touche-à-tout, il excellait au basket-ball et au volley-ball, avant d’utiliser sa superbe détente pour couvrir la largeur des cages. Jeune et ambitieux, il tenta de rejoindre l’Atlas, sans succès, l’entraîneur de l’époque, Eduardo Che Valdatti, le jugeant pataud et peu fiable. Gómez en gardera une rancune tenace… Il signe par conséquent pour les rivaux de Chivas en 1949, un bail de 15 ans, au sein de l’équipe la plus dominante de l’histoire du foot mexicain.

La naissance d’un mythe

Le Rebaño Sagrado n’est pas encore le club le plus populaire du pays. Dans une ligue qui s’ouvre progressivement au professionnalisme, Chivas fait figure de poil à gratter enthousiasmant mais diablement poissard. En cinq occasions, dans la première moitié des années 50, Chivas dut se contenter de la place de dauphin. Néanmoins, tous les observateurs le pressentent, le succès est proche et le surnom que ses fans lui octroient affectueusement, « Ya merito » , ne fait que confirmer cette intuition. L’assise stratégique et les automatismes sont là, le talent également.

Gómez dans les buts, el Tigre Sepulveda en défense, Tomás Balcázar, le grand-père de Chicharito, au milieu et l’implacable Chava Reyes à la finition. Le tout chapeauté par le Hongrois Árpád Fekete et Javier de la Torre, jeune retraité, qui vont transfigurer le jeu du club. De 1956 à 1965, Chivas sera sacré sept fois champion du Mexique. Sept consécrations et un jeu électrisant, dynamique qui marquera plus qu’une révolution sportive. On tourne un film sur leur épopée, « Los reyes del futbol », le club, à l’instar de Coppi, devient le Campeonísimo. Mais ce qui touche profondément et durablement les Mexicains, c’est le coeur de ce groupe, uniquement composé de locaux. Le symbole d’une province qui lutte contre la mainmise de la Capitale Fédérale grâce à un football de sang, terrien et poussiéreux dans lequel chacun peut y retrouver un bout de sa condition…

Prendre le temps…

Retournons à notre derby face à l’Atlas. Comme nous venons de le voir, Chivas et Gómez ne sont pas encore, en 1955, l’ogre qui dévorera tout sur son passage. Néanmoins, celui qui eut la malchance d’évoluer en même temps que le légende Antonio Carbajal, est d’humeur taquine aujourd’hui. Conspué de toutes parts, il se dirige nonchalamment vers la tribune, demande à un supporteur son journal et s’assoit en pleine rencontre pour lire les aventures de Memín Pingüín, héros de bandes dessinées populaire de l’époque! La scène ne dure pas plus d’une quinzaine de secondes, le temps d’être immortalisée par les photographes. L’affront est total pour les fans de l’Atlas, l’arbitre, qui n’a rien vu, sifflera bientôt la mi-temps sur le large avantage de Chivas.

Memín Pingüín, personnage célèbre des années 40 à 60. Régulièrement
critiqué de nos jours pour sa diffusion de stéréotypes racistes sur la communauté afro-mexicaine. Ses défenseurs y voient une retranscription fidèle du mode de vie des classes populaires de son temps.

La rumeur se propage dans le stade et arrive jusqu’aux oreilles de l’arbitre, Felipe Buergo, qui menace d’expulser Gómez ! « Tu n’as rien vu, oublie ça » , lui rétorque goguenard le gardien de Chivas. L’Atlas perdra finalement la rencontre cinq à zero et Gómez reçoit les accolades complices de ses dirigeants mais l’histoire ne s’arrête pas là. Le lendemain, l’inventif chambrage de Tubo est sur toutes les lèvres, la photographie largement diffusée de Bartolomé Ornelas, du journal El Occidental, scellant définitivement la haine réciproque que se vouent les deux institutions de Guadalajara.

Jaime Gómez ne se lassera jamais de narrer aux curieux cet épisode. Et sa place dans le panthéon de Chivas doit autant à ses exploits sur le terrain qu’à son humour irrévérencieux lors de ce match. Les suiveurs de l’Atlas ne l’oublieront pas. Au derby suivant, qui vit la revanche des Zorros, un de leurs fans bondira sur la pelouse, journal à la main, et se dirigera illico vers Gómez. « Tiens ! Pour que tu puisses continuer ta lecture ! » Mauvais joueurs, Gómez et el Tigre Sepúlveda furent bien proches d’arracher la tête à cet impétueux. On découvrira bien plus tard que le fan en question est l’oncle de Paulo César « el Tilón » Chávez, qui sera champion avec Chivas à l’été 1997…

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16 réflexions sur « Le lecteur »

    1. Ah, tu la connaissais? J’espérais que vous me sortiez une anecdote équivalente. Je garde ça en tête mais Chivas a été fondé par deux amis, un Belge et un Français. Edgar Everaert, un entrepreneur de Bruges, et Calixto Gas, des Alpes-de-Haute-Provence. Leurs parcours sont intéressants mais ça demande un véritable travail d’archive pour faire un papier.

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    2. Connaître de visu une photo, c’est une chose, bien peu de chose même..mais l’histoire derrière celle-ci : j’étais vraiment loin du compte!

      Les gardiens / cowboys solitaires font un bon public, je crois, pour des photos assez WTF : le GK qui fume quand l’action est dans le camp adverse (y en a eu un paquet), qui fait grève assis dans sa cage (Southall), qu’on oublie de prévenir dans le brouillard alors que les joueurs de champ sont rentrés aux vestiaires (je ne sais plus quel club.. Chelsea??), et céleri et scélérat………….mais l’histoire derrière ce cliché-ci : je ne connaissais pas, non!

      C’est pas vraiment équivalent..mais c’est des gardiens 🙂

      Edgar Everaert? Jamais entendu parler, ce Calixto Gas non plus…….. Ca m’intrigue, je connais la perle rare pour ce genre de spécimens..vais m’en enquérir, merci pour ces noms inconnus.

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      1. Si tu t’attendais à un aparté belge (vilaine habitude, certes mais, éh : pour ça qu’on m’a jadis proposé de vous rejoindre!), ben……….???

        Un drôle de Belge alors, curieusement exilé de longue date en Afrique du Sud alors qu’il fut présenté comme un fort gros talent y a bien 15 ans, l’ex-Brugeois Glen Verbauwhede……

        Les photos seraient moins-disantes, privilégier si possible des vidéos.. BCP de vidéos!, le type a une spécialité, euh..pour le moins particulière, check it 😉

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      2. Merci, de prime abord ça fait bizarre d’entendre parler de Belges au Mexique au tout début du XXème siècle.

        Ce Everaert n’y fut assurément pas le seul de son acabit, on trouve toujours un peu partout et à toutes époques des aventuriers du genre, mais le Mexique avait été l’objet d’une couverture (et donc d’une réputation) à ce point désastreuse dans la presse conservatrice belge, dans la foulée de l’exécution de l’Empereur Maximilien et, surtout, de la folie concomitante de son épouse Charlotte, fille du roi Léopold Ier………………..

        Deux générations à peine, hum : c’était assurément frais encore dans les mémoires, quand ce jeune Brugeois y tenta sa chance. Et à l’époque les Belges tentaient plutôt leur chance du côté des grands lacs nord-américains, en Russie, Egypte……. Mais bon : je lis qu’on lui proposa une aventure et qu’il la saisit au bond, ah si j’avais encore 20 ans..!

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    1. Cette periode de Chivas doit beaucoup au travail d’Arpad Fakete, un Hongrois qui arriva au Mexique dans les années 50, pour ne plus jamais le quitter. Fekete avait gagné la Mittopa aux côtés de Zsengeller et a pas mal bourlingué en Italie, en tant que joueur, dans les années fin 40début 50. Come, Spal ou Cagliari.
      Au Mexique, il sera champion en tant que coach avec deux clubs mais etait surtout spécialisé en fin de carrière dans les opérations sauvetages. L’ecole danubienne toujours.

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    1. Oui, c’est toujours le cas. Par contre, j’ignore quand le club a décidé de cette politique. Le foot mexicain commence à recruter des stars internationales comme Langara ou Moreno dès le début des années 40.

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    2. Chez les rivaux de l’Atlas, qui ne connurent aucun titre de champion de 1951 à 2021, on trouve les beaux passages de mecs du calibre de Rafael Albrecht ou Chumpitaz. Le Péruvien ayant remplacé l’Argentin dans les années 70. Pas mal!

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  1. effectivement je connais pas grand chose au Mexique à part justement dans ces années là le gardien Carbajal qui jouera 5 coupes du monde avant d’être égalé par Matthaus , dans ce fameux livre introuvable de l’histoire des coupes du monde chopé en 86 il y a une superbe photo de Carbajal qui fait un arrêt au sol
    je connaissais aucun détail même si la photo me parle peut être vu sur un article de lucarne opposée mais rien de moins sur
    très sympa cet article

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