Le football moderne fascine par ses technologies de pointe, ses superstars aux contrats mirobolants, et ses stades futuristes. Pourtant, nombreux sont ceux qui murmurent avec nostalgie : « Le football, c’était mieux avant. » Avant les caméras ultra-HD, avant les réseaux sociaux omniprésents, avant la domination des sponsors sur les maillots. Était-ce vraiment mieux ? Oui, diront les passionnés qui ont vibré devant des héros imparfaits, des matches épiques sur des terrains bosselés, et des histoires de rivalité qui se racontaient autour d’une bière plutôt que sur X ou Bluesky. Plongeons dans cette époque dorée du football où l’authenticité l’emportait sur le spectaculaire et où chaque moment semblait gravé dans la légende.
Les héros de quartier : des légendes humaines
Avant l’avènement des centres de formation ultra-professionnels, les stars du football naissaient dans les ruelles, sur les plages, ou dans les champs. Pelé jonglait avec des chaussettes remplies de chiffons à Bauru, au Brésil. Diego Maradona, lui, affûtait ses dribbles sur des terrains poussiéreux de Villa Fiorito, un bidonville de Buenos Aires. Un Ferenc Puskas ou un Franz Beckenbauer parfaisaient leur technique dans les squares ou sur les terrains vagues de villes pas toujours prospères.
Ces joueurs étaient des produits de leur environnement, incarnant l’espoir des quartiers populaires. Ils n’étaient pas des machines athlétiques calibrées pour la perfection mais des artistes du ballon, forgés par les contraintes de la vie. À une époque où certains grands pays de football (Pays-Bas jusqu’en 1954, Allemagne de l’Ouest jusqu’en 1963, Belgique jusqu’en 1973…) n’avaient pas encore instauré le professionnalisme, les joueurs faisaient leur apprentissage et pointaient au travail comme tout un chacun – ainsi Fritz Walter, capitaine des champions du monde 1954 et propriétaire-exploitant d’une blanchisserie à Kaiserslautern… La simplicité de leur parcours les rendait profondément humains, accessibles, et inspirants, même dans leurs excès. Les soirées déjantées de George Best, le génie nord-irlandais, n’étaient pas si éloignées d’une bonne murge dans un pub de Belfast, à mille lieues des escapades jet-set à Miami ou à Dubaï soigneusement mises en scène sur Instagram à notre siècle.

Des matches légendaires sur des terrains hostiles
Le football d’autrefois se jouait souvent sur des pelouses en piteux état. « The mud, the glorious mud » du Molineux Stadium était un atout maître du Wolverhampton champion d’Angleterre 1953-54, dans le cœur industriel d’un pays qui se remettait encore des blessures et des privations de la guerre. En Bundesliga, on jouait occasionnellement sur la neige jusqu’à ce que les pelouses chauffées deviennent obligatoires dans les années 2000. Même dans un lieu saint tel que Highbury, le stade historique d’Arsenal, le terrain devenait bien lourd en hiver, mais cela n’empêchait pas des artistes comme Dennis Bergkamp ou Liam Brady de créer de la magie. Sans parler des bourbiers d’Europe de l’Est, comme celui de Zwickau où un photographe anonyme a immortalisé la scène vintage préférée de l’un de nos rédacteurs…
De grands moments de football ont eu lieu dans des conditions extrêmes. Les fans du FC Sochaux ont encore en mémoire la victoire héroïque de leurs Lionceaux sur l’Eintracht Francfort, en 1980, sur la neige de Bonal. L’épopée de Saint-Étienne en Coupe d’Europe en 1976, avec ses fameux poteaux carrés à Glasgow, est passée par un sinistre quart de finale aller face au Dynamo Kiev à Simferopol, en Crimée, où des réacteurs de chasseurs MiG montés sur camions avaient déneigé le terrain de manière expéditive deux heures avant le coup d’envoi. Et qui a oublié le légendaire RFA-Pologne de 1974, le match le plus humide de l’histoire de la Coupe du monde, décisif pour l’accès à la finale? Ça, mon gars, c’étaient des matchs d’hommes, des vrais !

Un jeu plus brut, moins codifié
Le football d’hier était un sport où les erreurs humaines faisaient partie de la beauté du jeu. Pas de VAR pour revoir un hors-jeu millimétré, pas de capteurs pour mesurer la puissance d’une frappe. Les arbitres étaient seuls, armés d’un sifflet et de leur instinct, pour prendre des décisions parfois controversées et parfois acceptées avec fatalisme… mais pas toujours.
Avec la goal-line technology, le fameux troisième but de la finale de la Coupe du monde 1966 n’aurait peut-être pas été validé, et qui sait si les Anglais se seraient imposés face aux Allemands de l’Ouest ? 44 ans plus tard, en Afrique du Sud, la même technologie aurait réparé l’erreur de l’arbitre uruguayen Jorge Larrionda, validé le tir de Frank Lampard qui aurait égalisé à 2-2 contre l’Allemagne, et effacé la « revanche allemande sur Wembley » de l’histoire du football. Mais celle-ci ne serait-elle pas plus pauvre sans ces deux controverses ? C’est encore plus vrai pour la plus célèbre de toutes les erreurs : la « main de Dieu » de Diego Maradona en 1986. Ce geste, suivi d’un but solo phénoménal cinq minutes plus tard, est entré droit dans la légende. Aujourd’hui, ce moment aurait été annulé par la VAR, privant les amateurs de l’un des épisodes les plus iconiques de tout le sport. Qu’est-ce qu’ils trouveraient comme sujets, les Roberto, les Nigel, ou les Moritz, pour débattre sans fin sur Internet ou autour d’une bonne pinte ?

Les maillots et les logos : simplicité et identité
Les maillots d’antan étaient souvent dépourvus de sponsor ou ne portaient qu’un logo discret. Ceux de l’Ajax des années 70, de la Juventus, ou de Santos étaient reconnaissables au premier coup d’œil. Ils symbolisaient une époque où l’identité d’un club passait par ses couleurs, pas par des contrats marketing. Pas de maillots spéciaux Ligue des Champions, d’éditions collector ceci cela, de « third » ou parfois même « fourth » portés sur le terrain sans autre raison que de booster les ventes. On portait son maillot domicile à la maison, c’était au visiteur de s’adapter, point barre. Pas de bêtises avec les couleurs ou les motifs non plus. La Juve ne jouait pas en rose, l’OM ne jouait pas en noir à bande tricolore afro, le Bayern ne mettait pas de bleu dans sa tenue. Le Barça ne quittait pas ses rayures, la Juve (encore elle !) ne pixellisait pas les siennes, l’Inter ne commettait pas le blasphème de les rendre horizontales. Même les équipes nationales sont touchées de nos jours : l’Allemagne en rouge et noir ? La France en rouge ? L’Espagne en jaune ?
Les Anglais sont en général ceux qui ont le mieux résisté. Malheur à qui oserait toucher au rouge de Liverpool ou au bordeaux et bleu ciel de West Ham. Un bel exemple est Nottingham Forest, qui remporta deux Coupes d’Europe consécutives (1979 et 1980) avec un autre maillot rouge, simple et élégant. Aujourd’hui, ce modèle vintage est recherché par les collectionneurs, preuve de son intemporalité. Question maillots, donc, il n’y a pas à discuter : c’était vraiment mieux avant.


Les supporters : une passion authentique, mais…
Les tribunes des années 70 et 80 étaient des lieux d’effervescence où la passion se vivait à 200%. Les chants, les tifos improvisés, et les fumigènes donnaient une âme aux stades. En Angleterre, les end stands étaient célèbres pour leur ferveur, notamment le Kop d’Anfield où le chant You’ll Never Walk Alone résonne encore comme un hymne éternel. Les supporters n’étaient pas des consommateurs, mais des membres actifs d’une communauté. Loin des abonnements hors de prix d’aujourd’hui, un billet pour un match coûtait peu, permettant à tous les amoureux du ballon rond de vivre leur passion.
Tout cela avait sa face sombre : attitudes déplacées envers les rares femmes qui osaient s’aventurer au match, racisme et homophobie éhontés, hooliganisme, voire liens avec le crime organisé… Les stades faisaient dans le primitif : les très anciens supporters nantais qui ont connu « Malakoff » avant qu’il ne s’appelle Marcel-Saupin n’avaient souvent que le mur extérieur de la tribune Loire pour assurer l’essentiel à la mi-temps. Les tragédies du Heysel et de Hillsborough ont forcé le monde du football à des révisions déchirantes. On a gardé beaucoup du meilleur (les chants en Angleterre, les prix modérés en Allemagne où les tribunes debout sont revenues il y a quelques années), on a encadré l’acceptable (banderoles, fumis), et on combat le pire, parfois avec effet (racisme, homophobie) mais pas toujours (les barras bravas d’Argentine). Les stades, eux, ont fait d’énormes progrès en confort et en sécurité. Alors, mieux avant ? Sur ce point, et peut-être sur lui seul, on est tenté de répondre : pas vraiment.

Des clubs à taille humaine
À l’époque, les clubs n’étaient pas des multinationales cotées en Bourse, mais des institutions locales profondément ancrées dans leur communauté. Les joueurs, eux-mêmes issus de ces régions, incarnaient ces valeurs. Le FC Barcelone, avant l’ère Messi, était davantage un symbole culturel qu’une marque mondiale. Les fils de mineurs du RC Lens ou de Schalke 04, qui faisaient parfois eux-mêmes leur apprentissage « au fond » avant de passer pro, tissaient un lien indestructible avec leurs supporters. L’Athletic Bilbao, fidèle à sa tradition de ne recruter que des joueurs basques, est un vestige de cette époque révolue.
Des anecdotes illustrent cet attachement. En Italie, les supporters de la Roma se souviennent encore de Francesco Totti, resté fidèle à son club de cœur malgré des offres mirobolantes de clubs plus riches. Il y a aussi Paolo Maldini, défenseur de légende et deuxième d’une tradition familiale au Milan, qui n’a jamais porté d’autre maillot. Et Giacinto Facchetti à l’Inter, Bobby McNeill au Celtic, et tant d’autres… Et ce même Celtic de 1967 ou le FC Magdebourg de 1974, vainqueurs de Coupes d’Europe avec des équipes entièrement formées de joueurs de leur région… À l’ère d’un Manchester United qui emploie 1000 personnes, de la mondialisation, et des fins de carrière juteuses en Arabie saoudite, tout cela est bien loin, et c’est dommage.

Des commentateurs qui faisaient rêver
Qui dans l’Hexagone n’a pas vibré en écoutant les commentaires passionnés de Jacques Vendroux, d’Eugène Saccomano, ou de Thierry Roland ? Avant l’ère des analyses froides et des statistiques omniprésentes, les commentateurs étaient des conteurs, des poètes capables de transformer un match moyen en épopée. Et avant la retransmission TV omniprésente, il y avait la radio. Dépeindre une ambiance en tribunes et une dynamique sur le terrain sans l’aide de l’image était tout un art, dans lequel des Sud-Américains tels que José María Muñoz ont peut-être été les plus grands. Ils ont fait des émules sur le petit écran : P2F a tracé il y a quelques mois le portrait de l’Argentin Andrés Cantor, la grande voix footballistique de la TV hispanophone aux USA , qui perpétue brillamment la tradition depuis plus de 30 ans.
De « Monsieur Foote, vous êtes un salaud ! » pendant Bulgarie-France 1976 à « Je crois qu’après avoir vu ça, on peut mourir tranquille » lors du premier titre mondial de la France en 1998, Thierry Roland illustre à la perfection cette époque où les émotions brutes dominaient. Aujourd’hui, la parole est formatée, le propos filtré pour ne pas offenser qui que ce soit, les voix domptées sur un modèle anglo-saxon qui ne parvient pas à convaincre sous nos latitudes latines. On ne regrette certes pas la profusion d’images TV, ni d’ailleurs leur qualité grâce aux grands écrans et aux plans larges qui permettent de saisir instantanément les schémas de jeu, mais quelque chose s’est effectivement perdu au XXIe siècle.

La nostalgie comme héritage ?
Dire que le football était mieux avant n’est pas un rejet du présent, mais une reconnaissance des émotions pures et des souvenirs inoubliables qu’il a offerts. Ce n’était pas un sport parfait, mais c’est justement dans ses imperfections que résidait sa beauté. Chaque époque a ses héros et ses histoires, mais celles d’hier semblent plus humaines, plus vraies. Peut-être est-ce le souvenir d’un temps où tout semblait moins calculé, où l’on jouait d’abord pour la gloire et non pour les contrats. Alors, que reste-t-il à faire ? Garder vivants ces souvenirs, les transmettre aux générations futures, et espérer qu’un jour, dans un stade ou devant un écran, une action, un joueur ou une équipe nous rappellera que le football, dans le fond, n’a jamais cessé d’être magique.
XL, bobbyschanno, et g-g-g pour Pinte de Foot
Oui, le football était mieux avant pas pour les raisons plausibles évoquées dans ce beau papier. Les joueurs sont beaucoup moins techniques et moins imprévisibles qu’avant, l’aspect physique a tué la créativité. Mise à part quelques rares exceptions, la plupart des joueurs modernes issus des centres de formations sont des monstres athlétiques formatés avec le même logiciel, des va-tout-droit au jeu très prévisible. Les ailiers ne savent plus déborder et centrer bien qu’ils courent plus vite, les coups-francs directs et les tirs de loin se rarifient. La relance est désormais désormais le critère le plus déterminant pour un gardien de but, il n’y a plus de gardiens gracieux la plupart des portiers sont des colosses de 1m90 qui ne savent plus tenir le ballon entre les gants et dégagent systématismes tous les ballons.
L’identité de jeu des grandes nations footballistique est définitivement perdue, il n’y a plus vraiment d’opposition de styles techniques et tactiques si distinctifs et qui rendaient les compétitions de sélections et de clubs si passionnantes. Le Brésil a sacrifié son beau jeu à l’autel de la rigueur tactique européenne, son audacieux joga bonito porté vers l’attaque qui a ébloui la planète en 70 avec pas moins de 4 meneurs de jeu couchés sur une feuille de match est inimaginable de nos jours à l’ère ou le stéréotypé 4-2-3-1 est devenu le schéma tactique prédominant. L’Allemagne a troqué son jeu physique et vertical si redoutable contre un jeu de possession stérile et ennuyeux, et même l’Italie ne sait plus défendre.
Et puis il n’y a plus de véritables numéros 10, le poste le plus romantique qui faisait le plus rêver.
Suis d’accord avec toi : ce que nous avons perdu, c’est la diversité, un comble avec le mondialisme. Car pour le reste, le foot a pratiquement toujours été le reflet des biais sociétaux, violence, corruption, attrait pour l’argent… et n’est certainement pas pire qu’autrefois.
Le foot a suivi le reste, standardisation à tous les étages.
* Oui, le football était mieux avant pas que pour les raisons plausibles évoquées dans ce beau papier.
Le football a tellement changé, et sur tant de points…
Spontanément, c’est peut-être sa dimension de « produit » qui me marque le plus. Elle n’est pas si récente que ça, ainsi que pourraient en attester ces supporters qui, dans les 60’s, entreprirent de se déguiser avec des casquettes et des écharpes aux couleurs du club de cœur… Sur ce point-là par exemple, le public d’Europe de l’Ouest avait déjà fort changé d’entre années 50 et 70, c’est patent sur les vidéos d’archives. Et ce n’était pas rien, il y a un gouffre entre payer pour assister à un spectacle, d’une part…et d’autre part se faire happer par le merchandising ; passé ce stade, le football n’était déjà plus un divertissement comme un autre.
Bref : l’abatardissement du football moderne me paraît vieux déjà, ça fait des décennies que ça part en couilles. Et ce n’est pas moi qui regretterai ses instrumentalisations et magouilles passées, ni ce que furent longtemps les statuts des joueurs. Y a à boire et à manger.
L’un dans l’autre toutefois il ne m’étonne (ni donc ne m’émerveille) plus depuis des lustres. Sa standardisation l’a déshumanisé.
En parlant de héros de quartier, dans le nôtre il s’appelait Francis. Un Guinéen. Doué pour absolument tous les sports. Incroyable… Mais un coté je-m’en-foutiste et casanier qui l’a empêché d’aller voir plus haut. Mais il n’en a jamais eu envie. Ce qu’il aimait, c’était être avec ses amis de toujours, coller des quintuplés dans des niveaux où il survolait la concurrence et faire la fête après la rencontre…
Ce maillot Fumiex est légendaire. Il aurait sa place dans un sketch des Inconnus. Je n’aurais pas osé le porter, j’aurais fait jouer la clause « superstition » et enfilé mon maillot rouge perso à bandes diagonales type Schumacher 1986 avant d’aller me placer dans la cage.
Je ne vois absolument pas de quelle équipe il s’agit!..??