En 1959, malade, Mario Bonnard cède la direction des Derniers Jours de Pompéi à Sergio Leone, un parfait inconnu. Sentant la fin approcher, Bonnard trouve encore la force de réaliser Gastone[1] avec Alberto Sordi, un film testamentaire dans lequel il restitue le milieu du spectacle romain des années 1920 et 1930 où régnaient en maîtres Ettore Petrolini ou Angelo Musco[2], un de ses interprètes fétiches de l’entre-deux-guerres.
Pionnier du septième art italien en tant qu’acteur et réalisateur, Bonnard survit à la crise du cinéma muet en s’exilant à Berlin puis à Paris. De retour en Italie en 1932, au moment où le pouvoir fasciste commence à s’intéresser à l’industrie cinématographique, il réalise Cinque a zero, une comédie avec Musco, l’idole de jeunesse de Sordi. Le temps fait son œuvre, la guerre efface les traces de ce film et plus personne ne s’en souvient quand vient le crépuscule de la carrière de Bonnard. Et pour cause : les bobines ont disparu. Aussi dommage cela soit-il, cela pourrait être anecdotique si Cinque a zero n’était pas le témoignage d’un grand exploit footballistique romain et le premier film italien ayant le football pour cadre.
Cinque a zero : comédie sans intérêt ou satire sociétale ?
Rénovés en 1931 pour y produire des films sonorisés, les studios Caesar[3] accueillent le tournage de Cinque a zero dont le scénario semble de prime abord aussi mince qu’une feuille de papier à cigarette. C’est ce que pense l’exigeant journaliste Federico Sacchi dans le Corriere della Sera du 4 novembre 1932. « Fait pour la personne de Musco, ce film est Musco. C’est souvent irrésistible mais peut être que le réalisateur aurait gagné à doser les mimiques selon les besoins de l’objectif. »
De son côté, le critique Raffaele Meale y voit bien plus qu’une désolante comédie sentimentale relatant naïvement les liens viscéraux d’un dirigeant pour son club ou l’amour d’un joueur vedette pour une chanteuse à succès. Selon lui, il s’agit d’une analyse du supporterisme et de la versatilité des tifosi, aussi prompts à élever au rang de demi-dieux des footballeurs qu’à les déchoir brusquement aux premiers vents contraires : « cette réflexion, édulcorée pour ne pas contrarier la machine d’état fasciste, s’apparente à une ridiculisation délibérée du phénomène footballistique et, plus encore, d’une société misérable, figée sur une conception simpliste de la vie, dépourvue de toute capacité réelle d’approfondissement. » Meale affirme en outre que le divertissement, plus profond qu’il n’y paraît, est servi par les influences ayant nourri Bonnard, une combinaison de la puissance de l’expressionnisme allemand et du rythme des comédies à la française.
Les protagonistes principaux sont interprétés par Angelo Musco[4], bien sûr, le président se faisant un sang d’encre pour sa società en raison de la liaison de son capitaine Osvaldo Valenti – future étoile du cinéma fasciste dont il épouse la cause jusqu’à en mourir[5] – avec la troublante chanteuse à laquelle Milly prête sa silhouette et sa voix[6]. Au sein des figurants, les joueurs de la l’AS Roma tiennent leur propre rôle. Parmi eux se trouvent quelques grands noms du calcio comme Guido Masetti (gardien champion du monde en 1934 et 1938 sans jouer), Attilio Ferraris (champion du monde 1934), Fulvio Bernardini ou Rodolfo Volk (capocannoniere 1931).
AS Roma – Juventus de mars 1931 : magie ou désolation ?
Le titre du film est une référence à une rencontre historique entre la Roma et la Juventus. L’événement a lieu le 15 mars 1931, un dimanche après-midi de fin d’hiver. Les Turinois, leaders du championnat, se déplacent à Rome avec la confiance d’une équipe invaincue depuis huit rencontres (dernière défaite face à la Lazio, déjà à Rome) alors que les Romanisti restent sur un cinglant revers 0-3 à Naples.
La Juventus est à l’aube de son quinquennio de oro, cinq titres consécutifs de 1931 à 1935, et propose probablement l’attelage le plus performant d’Italie sur le plan défensif : Giovanni Combi dans les buts, protégé par Virginio Rosetta et Umberto Caligaris, trois champions du monde en 1934. En attaque, Giovanni Ferrari (titré en 1934 et 1938) est associé aux Oriundi, Renato Cesarini et Mumo Orsi.
Pour ce sommet, 20 000 spectateurs s’entassent dans les tribunes du Campo Testaccio. Très agressifs, les Giallorossi ouvrent le score d’entrée. La rencontre s’équilibre puis la Juve s’effondre en seconde mi-temps, 0-5. Pour les tifosi de la Roma, le match ressemble à un acte fondateur, quatre ans après la naissance officielle du club. Nombre d’entre eux se persuadent – aujourd’hui encore – que Mario Bonnard célèbre le triomphe romain en réalisant Cinque a zero.
Ils se fourvoient probablement car, comme le mentionne Raffaele Meale, Bonnard raille le pouvoir du football et les excès qu’il génère bien plus qu’il ne magnifie le succès teinté de violence des Giallorossi. Les extraits du match qui nous sont parvenus attestent d’ailleurs de l’âpreté des débats sur une aire de jeu où l’herbe est rare. Même s’il est difficile de se forger un avis sur la foi de ces quelques plans, la pauvreté technique est évidente, ce que confirme Vittorio Pozzo dans La Stampa après la victoire romaine. Outré par la faiblesse du spectacle proposé et les comportements observés, le sélectionneur de l’Italie titre « une partie chaotique et nauséabonde ». Puis il poursuit : « un environnement parmi les plus tendus : en dehors du terrain, des cris, des provocations, du désordre. Et sur le terrain, une bataille au lieu d’un match, une abondance d’actions avortées, individuelles, violentes, un joueur blessé, trois autres expulsés et une quantité d’incidents plus ou moins importants, désagréables et antisportifs. » Tout sauf un moment de gloire, n’en déplaise à la légende de la Roma.
Epilogue
Au fait, comment Raffaele Meale a-t-il pu rédiger une critique de Cinque a zero alors qu’il est un de nos contemporains ? Bonnard est mort depuis longtemps quand, en 2002, une copie originale de La Fameuse équipe (le titre dans sa version française) est retrouvée dans les archives du Centre national du cinéma et de l’image animée, en région parisienne. En 2002, alors qu’on le pensait définitivement perdu, le film est projeté pour les spectateurs du festival de cinéma de Marzamemi. Espérons que les dialogues en français et les sous-titres en italien n’ont pas gâché le plaisir de la découverte du premier long métrage italien consacré au football.
[1] Bonnard réalise encore Les Bandits en 1961 et meurt en 1965.
[2] Alberto Sordi tient le rôle de Gastone, personnage imaginé pour une de ses comédies par Ettore Petrolini, un scénariste, acteur et cabarettiste très célèbre.
[3] Un incendie en 1935 puis l’inauguration de Cinecittà en 1937 mettent fin à l’activité des studios Caesar.
[4] Grand tifoso de Catane et ami de Cocò Nicolosi croisé lors de la Saga de Catane sur ce site.
[5] En 1944, Osvaldo Valenti s’engage dans les troupes fidèles à la République de Salò. Il se rend de lui-même aux Partisans en avril 1945 mais est exécuté dans les jours suivants sa reddition.
[6] Le dernier film de Milly est Le Conformiste de Bernardo Bertolucci en 1970. Elle y incarne la mère de Jean-Louis Trintignant.
Un retour étonnant à l’histoire du cinéma ! On se demande quel autre potentiel créatif Bonnard aurait pu dévoiler. Si vous êtes passionné par l’histoire du cinéma, rendez-vous sur https://aviatorgamez.in/ !
Un peu androgyne, le Valenti, mais ça tenait peut-être aux canons de l’époque?
Ton épilogue règle les deux questions qui me turlupinaient à mesure que je progressais dans la lecture, bien joué 😉
Je ne connaissais rien de ce Mario Bonnard, ai voulu checker, me faire idée..et, au troisième film visionné à la hussarde : la bobine reconnaissable entre toutes de Michel Simon!
J’ai regardé la vidéo du match (merci!), le stade a de la gueule, j’adore………….. Les débats, autre chanson, c’est vrai : on dirait des mecs bourrés qui font du kung-fu, probablement pas leur meilleure soirée en effet.
En un mot , merci!
Je vais me le refaire un sacré paquet de fois cette article !
Giovanni Combi, tu le mettrais à quel ratio de gardiens italiens Verano ? Juste pour avoir une idée de sa place dans la hiérarchie.
Difficile sans images mais manifestement le meilleur gardien italien de l’entre deux guerres avec celui du Genoa, Giovanni de Prà.
On avait parlé des Gli eroi della domenica, avec Raf Vallone, Mastroianni et des membres du Milan AC des années 50. L’Espagne a sorti des films avec des footeux, tels Kubala et Di Stefano. Sans parler de l’Argentine ou du Mexique. Mais j’ignore si l’Allemagne a fait la même chose.
L’Allemagne? Plein! Par dizaines ces dernières décennies.
Mais +/- contemporain (antérieur, en fait) à ce que propose Verano, il y avait déjà eu ceci par exemple : https://www.imdb.com/title/tt0454860/
Basé sur un joueur réel, de Hambourg, quoique se déroulant du côté du Tivoli (Aix-la-Chapelle).
J’ai pas cherché mille ans, tout ce que j’en trouve fissa c’est ceci (mais déjà vu des images du film dans de meilleures conditions, ça existe), agrémenté d’un accompagnement électronique et de sous-titres en cyrillique 🙂
https://youtu.be/QPI4UhqsEqA?t=4667
Mais c’est sur Otto Harder, le criminel de guerre ! Alors oui, c’est peut-être la plus grande légende d’Hambourg apres Seeler mais ce mec était une pourriture. Bon, le film était antérieur à la prise de pouvoir nazi. Mais ça fait bizarre d’avoir un film qui s’inspire de lui.
Eh, sûrement pas moi qui t’objecterai qu’on a combien mis de fumeuses pourritures à l’honneur! 🙂
Tu te rappelles que je te parlai jadis de certain Rudolf Noack?
https://www.spherasports.com/la-leyenda-de-rudi-noack/
Ce fut le successeur de Harder à Hambourg, peut-être leur plus grand joueur……….mais situé aux antipodes politiques de son prédécesseur, une figure encombrante sous le nazisme (il fut ostracisé), et même voire surtout après……….
Ainsi vont les choses, éh..
Noack, c’était l’idole de Happel. « Plus grand que le moindre joueur de la WunderTeam », ça situe l’admiration du bouledogue viennois..
Mais c’est limite s’il n’eut pas mieux valu, pour sa postérité, qu’il fût sympathisant nazi! Ou mieux : qu’il fermât sa gueule et suivît docilement l’inflexion générale..
Le fait est qu’il ne cocha manifestement pas les bonnes cases pour être reconnu après-guerre, par Hambourg ou par qui que ce soit à la fédé ouest-allemande (pour mémoire encombrée d’ex-nazi voire -SS jusqu’aux 80’s) ==> Tombé dans un oubli..des plus impressionnants!
Oui, je me souviens. Le HSV avait fait une brochure, avant le Mondial 74, où il mettait en lumière le parcours de Seeler, Posipal et Harder… Ça avait créé un tel tollé qu’ils avaient été obligés de foutre à la poubelle des milliers de brochures.
Attends 😀
Attendre, pourquoi pas. Mais attendre quoi Claudio ? Énigmatique ton message… Hehe
Bon, ben l’espace commentaire ne le permet pas mais j’ai été retrouver l’annonce du film tel que fait par Le Petit Matin de Tunis le 10 février 1932, j’eûs été heureux d’apporter ma pierre au schmilblik et de faire avancer l’édifice mais las !
je suis une bille en informatique (et ce foutu programme ne prend pas les photos)
Envoie sur le Discord, ça passera peut-être…
1933 voulais-je dire
Dommage, l’édition du 10 février 1933 n’est pas dispo sur gallica.
Eh je le sais bien j’ai pensé à la Pinte de Foot au fin fond du Centre de Documentation Nationale à Tunis -un endroit splendide, comme sorti d’un roman de Ala el Aswany 🙂
Je vais tenter sur Discord
L’apport des Oriundi dans le football italien est vraiment intéressant. Est-ce que parmi toutes les équipes d’Italie championnes du monde (1934, 1938, 1982 et 2006) et vainqueurs de l’Euro (1968 et 2020), seule celle de 1968 n’avait que des joueurs nés en Italie (il y a une petite ruse avec celle de 82) ?
La France peut également dire un grand merci à l’Italie comme le démontre le fait que les deux buteurs de la finale de l’Euro 84 (Platini et Bellone) sont d’origine italienne.
Question : qui est probablement le premier joueur d’origine italienne à avoir porté le maillot de l’équipe de France ?
Je n’aurais pas trouvé donc j’ai cherché sur les listes et je vois un mec en 1910 qui a le même nom qu’un buteur contre la France lors d’une grande finale. Tu pensais à lui?
Je pensais à Laurent le magnifique car j’avais lu une fois que c’était probablement lui mais l’auteur n’en était pas sûr.
https://www.calciomio.fr/dossier-la-diaspora-italienne-di-lorto-lenfant-de-provence-id-98103
Je t’avoue que j’avais jamais entendu parler de Joseph Delvecchio. D’ailleurs, il n’a qu’une cape. Mais Di Lorto est peut-être le premier français d’origine italienne à avoir été une star du foot français
Pour les Espagnols d’origine, je dirais que le premier à avoir compté dans le foot français est Joseph Alcazar. Dont on ne sait pas si il est né en Espagne ou à Oran. J’ignorais qu’il était gitan.
https://www.chroniquesbleues.fr/Le-mystere-Alcazar
Pour 1982 si tu penses à moi, je n’ai fait que naître à Tripoli 🙂
C’était en effet la ruse.
Le Carrasco du Barça et qui a joué à Sochaux après n’était-il pas aussi gitan ?
C’est possible. Vu l’importance de la communauté gitane et les différentes unions, y en a un paquet qui ont des ascendances gitanes. Certains pensent que Telmo Zarra, le grand buteur de l’Athletic avait des origines gitanes par sa mère qui avait un nom, Montoya, fréquent chez les Gitans. Mais sans plus de précision.
« Lobo » Carrasco n’est pas gitan, que je sache. Quique Sánchez Flores, l’ancien latéral de Valence et du Real et futur ex-entraîneur de Séville (il vient de démissionner), oui. Il est le neveu de la (très) grande Lola Flores.
Super sujet!
Bravo M. Verano!
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