Samedi 14 juin 1986. Belgrade.
Sur RTV Beograd la veille, on a vu la fin de la phase de poules du Mondial mexicain, l’élimination portugaise comme seule surprise. Le problème de la dette extérieure devrait être traité lors du Treizième Congrès de la Ligue des communistes de Yougoslavie. Et les jeunes cinéphiles attendent avec impatience la sortie de La Forêt enchantée pour jeudi prochain.
Mais c’est aussi la conclusion de la saison pour tous les amoureux de football à travers le pays, et à tous les niveaux, rien n’est encore joué, la victoire valant deux points et les écarts étant plus que serrés.
En haut du tableau, les deux rivaux belgradois ont le même nombre de points mais le Partizan a une meilleure différence de but, un de plus que l’Etoile rouge. Juste derrière, Velež Mostar n’a plus rien à jouer, ayant gagné la Coupe du Maréchal Tito un mois plus tôt et étant donc qualifié d’office pour la Coupe d’Europe des vainqueurs de coupe.
Plus bas, quatre équipes se battent pour deux billets en Coupe de l’UEFA : Hajduk Split, HNK Rijeka, Dinamo Zagreb et Željezničar Sarajevo. Entre Rijeka quatrième et le Dinamo septième, il n’y a que deux points.
La lutte pour le maintien voit l’OFK Belgrade, 28 points, le Čelik Zenica et le Budućnost Titograd, 29 points, se battre pour ne pas rejoindre le FK Vojvodina Novi Sad, déjà assuré de descendre en deuxième division.
Cette dernière journée voit alors des résultats improbables, faisant planer le doute sur la sportivité de cette ultime journée :
Le Sutjeska Nikšić, qui n’a plus rien à jouer, encaisse cinq buts dans un épique duel monténégrin contre le Budućnost Titograd, assurant le maintien pour ces derniers.
Le Velež fait un non-match chez lui et perd 3-2 contre l’OFK, offrant un espoir, hélas inutile, de maintien aux Belgradois.
Le Dinamo démolit le Vojvodina 7-1 à Novi Sad, maximisant les chances des Croates de voir l’Europe.
Le Čelik Zenica et l’HNK font un triste match nul un partout, assurant le maintien aux locaux et l’UEFA aux visiteurs.
L’Hajduk gagne 5-3 contre le Dinamo Vinkovci, permettant aux joueurs de Split de jouer la Coupe de l’UEFA et d’offrir à Davor Čop, buteur de Vinkovci, le titre de meilleur buteur grâce à un triplé, sécurisant ainsi un futur transfert à Empoli.
Mais le clou du spectacle se trouve à Belgrade, où le match du Partizan commence avec plusieurs dizaines de minutes de retard. En effet, Zvonko Živkovic et Zvonko Varga sont célébrés pour leurs adieux aux Crno-beli, le premier rejoignant le Benfica et le second le Standard.
Lorsque le match entre le Partizan et le Željezničar Sarajevo commence, l’Etoile rouge mène déjà 2-0 contre le FK Sarajevo. Le Partizan ouvre le score et l’Etoile rouge en met un autre avant la mi-temps. Pendant la pause dans le premier match, le Partizan marque deux buts. Par son seul talent, Radmilo Mihajlović marque un but pour le Željezničar, refusé pour hors-jeu… L’Etoile rouge marque un quatrième et dernier but en seconde mi-temps mais lorsque le match se termine, il reste encore un quart d’heure de jeu pour le Partizan et les Crno-beli marquent un quatrième but. Le score ne bougera plus, 4-0 de chaque côté, le Partizan est champion de Yougoslavie mais tout le monde sait que cette dernière journée n’a rien de normal…
Six jours après, un communiqué de la Fédération Yougoslave de Football (FSJ), annonce que “toutes les rencontres suspicieuses de la dernière journée seront rejouées et tous les clubs pour lesquels il existe des indices montrant qu’ils sont impliqués dans des activités malhonnêtes débuteront le prochain exercice avec six points de pénalité.”
Tous les clubs acceptent la décision du président Slavko Šajber, sauf le Dinamo Zagreb et le Partizan Belgrade. Šajber campe sur ses positions et menace les deux clubs opposés à sa décision d’être exclus du championnat si ils n’acceptent pas les conditions de la FSJ, les Croates cèdent mais pas les Serbes, justifiant qu’en rejouant la rencontre, ils admettraient que le premier match était arrangé et annoncent qu’ils porteront plainte contre le président de la FSJ. Le match est donc gagné 3-0 sur tapis vert par le Željezničar.
Lorsque la 34e journée est rejouée, rien ne change à part la première place, Sarajevo battant l’Etoile rouge deux buts à un et permettant aux Crveno-beli d’être champions de Yougoslavie. Pour le moment. Ce sont néanmoins les Rouges et Blancs qui iront jouer la Coupe des Clubs Champions européens 1986-1987.
Toute la saison 1986-1987 est assombrie par la procédure judiciaire du Partizan contre Slavko Šajber. Malgré les menaces de ce dernier, le Partizan n’est pas exclu du championnat, néanmoins 10 des 18 clubs de Prva Liga ont une pénalité de six points.
Cette saison voit le seul titre d’un club macédonien dans l’histoire du football yougoslave, le Vardar Skopje de Darko Pančev, Ilija Najdoski et Čedomir Janevski gagnant le titre avec un point d’avance sur le Partizan Belgrade. Encore une fois, pour le moment. Néanmoins, comme l’Etoile rouge l’année précédente, les Macédoniens sont qualifiés pour la plus grande des Coupes d’Europe.
Mais durant l’été, la Cour Constitutionnelle de Yougoslavie renverse les décisions prises par Slavko Šajber, à cause d’un “manque de preuves”. Le Partizan remporte donc son dixième titre de champion, puisque la dernière journée de 1986 rejouée est alors annulée. De plus, les six points de pénalité de la saison 1986-1987 étant aussi annulés, le Partizan passe premier et gagne ainsi un onzième titre.
A la suite de cette décision, Slavko Šajber démissionne de son poste de président de la FSJ et quelques semaines plus tard, une nouvelle affaire explose : Šajber est arrêté à Vienne, vendant illégalement des pièces d’or appartenant à son père décédé à Auschwitz. Cette affaire, couplée au renversement de ses décisions et de son opposition à une domination serbe et à Franjo Tuđman, ostracise totalement l’homme qui devient un anonyme au sein de la société yougoslave. Il meurt le 3 novembre 2003 à Zagreb d’une longue maladie.
Cette affaire montre très bien toute la complexité et la fragilité du système yougoslave durant les années 1980. Celui-ci aboutit, dans le sang et les larmes, à l’éclatement définitif de la Yougoslavie communiste, le football n’y jouant que le rôle d’excuse permettant de justifier les rancœurs.
Alphabet merci, encore une fois tu nous offre ici un article qui transporte facilement tout en restant pourtant très simple, clair, direct… Et comme toujours cette ambiance yougoslave qui accompagne et enrobe le tout. Top !
À tout hasard, connaitrais-tu (très certainement j’imagine) le club de NK Zvijezda Gradacac, province de Tuzla dans le nord de la Bosnie (je pense encore en deuxième division)? Si oui une anecdote à son sujet ? Une petite histoire parfumée comme tu sais les raconter ? À moindre mesure le club de Derventa (toujours en Bosnie juste à la frontière croate)? J’avais fait un petit projet dans le coin il y a quelques années et j’avais adoré les gens et la région.
Malheureusement je ne connais pas, je suis donc désolé de ne pas pouvoir donner d’anecdotes 🙁
(Mon plus gros souci étant d’être hors-sol par rapport aux sujets que je traite, même si j’aimerais faire un pèlerinage footballistique dans les Balkans)
Je te le souhaite, c’est un vrai voyage, un autre temps, un autre monde
Merci Alpha. Dans cette equipe du Vardar Skopje 1987, on trouvait Toni Savevski qui fit un brillant passage d’une décennie à l’AEK mais évidemment Darko Pancev, ballon d’argent en 91.
Me suis toujours demandé pourquoi il avait échoué à l’Inter et quel était son réel niveau.
Son parcours à l’étranger ressemble un peu à celui de Belanov qui ne fit pas grand chose à Gladbach.
Deux hommes à l’aise et brillant dans un système mais inadaptés au foot de l’Ouest?
Pancev a déjà évoqué ce sujet en expliquant qu’il était peu à l’aise en Italie ou il se sentait « étranger » mais également dans le dispositif tactique intériste qui ne lui convenait pas du tout. En plus de ça, il a eu des pépins physiques qui ont amplifié les soucis évoqués plus haut.
Je connais moins bien le cas de Belanov mais je pense qu’il doit être extrêmement difficile de sortir d’un moule tactique qu’on a connu toute sa carrière en particulier quand ce dernier est le moule particulièrement fermé de Lobanovskiy !
Belanov, ce fut (en vrac) : préparation ratée (la saison avait déjà commencé quand il arriva en Allemagne), blessure aussi sec, accusations de vol (« vol » hein, pas « viol »), peine criminelle….. Il fut finalement prêté en D2 ou D3, où il rongea son frein et son ennui……….avant de rentrer dès que possible en Ukraine, une fuite!
De cette génération soviétique, ils ont quasiment tous sous performé à l’etranger. Zavarov, Aleinikov, Dassaev, Rats, Mikhailitchenko, Tcherenkov …
Visiblement le changement de vie était trop brute.
Le nombre d’intellectuels, parfois brillants, que j’ai côtoyés en Pologne..mais qui ont bien souvent très mal fini de n’avoir pu/su gérer le passage au libéralisme..
A moins d’être un requin, c’était extrêmement compliqué, oui : individualisme-roi, lutte permanente, les codes sociétaux et médiatiques, les rapports de force.. Du temps de Belanov tout l’eurofoot de l’Ouest était gagné déjà à la culture/gestion d’entreprise, tu parles d’un changement de paradigme.. C’est violent.
Mikhailitchenko, par contre et sur un plan disons « comptable » : réussites exceptionnelles, partout. Aux Rangers c’est même tout bonnement un dieu (ailleurs je sais pas).
Mikhailitchenko fait un joli passage en Ecosse, c’est vrai. Et est du titre de la Samp en 91. Mais ne fait qu’une saison en Italie.
Je remarque que la génération suivante, celle de l’URSS championne d’Europe espoir en 90, a mieux réussi à faire carrière à l’eteanger. Les Mostovoi, Karpin, Shalimov ou Kanchelskis.
Peut-être ont ils su éviter les erreurs de la génération précédente.
Grand merci pour cet article, cette histoire de fous, hélas typique du football yougoslave..
A noter que ces arrangements et situations abracadabrantesques, et ataviques, occasionnaient parfois des victimes collatérales, un exemple : certes plus rien à voir avec l’ère yougo, mais au tournant du XXIème siècle, le sacre ubuesque de Obilic………..et pensée émue pour tous ces clubs d’Europe de l’Ouest qui crurent d’autant faire des affaires en or en allant y faire leurs emplettes, en y contractant des joueurs certes champions de Serbie, mais moins au prix de leur talent collectif ou individuel, que des invraisemblables combines qui leur avaient permis d’être champions..et de voir leur valeur marchande grimper d’autant..
Au FC Bruges par exemple, ils ont traîné comme un boulet l’achat, pour eux faramineux, du défenseur Lesnjak ; il leur fallut certain temps pour comprendre où était le problème avec ce joueur annoncé comme un crack mais qui ne valait pas plus qu’un joueur de fin de tableau.
Le cas de l’Obilic garde un lien avec la Yougoslavie et la guerre à cause de son tristement célèbre président Željko Ražnatović aka Arkan.
Les joueurs du club avait l’avantage de jouer dans un club archi-protégé (plus que les deux monstres sacrés de Belgrade qui sont pourtant déjà bien servis) dû à un président pouvant se permettre de menacer quiconque tente de gagner légitimement face à son club… Sûrement que certains clubs, en voyant un club serbe capable de battre les deux mastodontes belgradois, se sont dit que l’Obilic comportait des cracks…
Les déboires de l’OFK n’ont pas fait que des malheureux. L’Admiral Wacker a récupéré Zoran Stojadinovic et l’année suivante, il est devenu meilleur buteur du championnat avec le Rapid.
Merci alphabet’ d artcile!
Juste un micro-bémol à apporter à cet excellent article : le dénommé (et excellent attaquant) Zvonko Varga ne partait pas au Standard mais au FC Liège.
C’était typiquement le genre de joueur brin sous-coté parce que, à l’instar peut-être d’un Völler, il ne ressemblait à..rien!……mais quel poison pour les défenses : toujours en mouvement, en sus de qualités très prononcées de renard des surfaces, complet, mentalité au top.. Comme qui dirait le concessionnaire qui m’a vendu mon break Skoda (j’y connais rien et j’espère que c’est vrai) : un maître-achat!, toujours à ça que me fait penser Zvonko Varga.