Dans un sport qui encense prioritairement les talents offensifs, petit coup de projecteur sur les destructeurs, brutaux ou aériens. Sur leurs réussites et parfois leurs cagades. Car oui, bien défendre est un art qui mérite une plus belle exposition. Aujourd’hui République d’Irlande– Angleterre à Stuttgart. La parole est à la défense !
Enfin… Le match qui s’annonce à Stuttgart sonne comme une libération. Nous sommes le 12 juin 1988 et la République d’Irlande va jouer son premier match en phase finale d’une grande compétition. Face à l’Angleterre, signe du destin. Des Anglais qu’ils n’ont plus battus depuis 1949… Une rencontre entre ennemis séculaires autant qu’entre voisins de palier. Sur un effectif de 20 joueurs, ils sont 11 à être nés en Angleterre. Le coach irlandais depuis deux ans est Jackie Charlton. Nul besoin de présentation. Le divin chauve a réussi l’exploit de sortir la Belgique, récente demi-finaliste du Mondial mexicain, en qualifications. Les Boys in Green sont le Petit Poucet du groupe, le génial Liam Brady est absent. Si les observateurs neutres se délectent d’avance de la beauté de ses chants, peu imaginent l’Irlande jouer les trouble-fêtes.
La pression est forte du coté des troupes de Bobby Robson. Privé de joutes continentales depuis le Heysel, le pays n’a désormais plus que les Three Lions pour bomber un peu le torse. Le traumatisme Maradona est encore présent dans toutes les mémoires et force est de constater que la sélection a une sacrée gueule offensivement. Gary Lineker, John Barnes, Peter Beardsley, Bobby Robson. Hoddle et Hateley, couronnés en Principauté quelques jours auparavant. Un Chris Waddle qui n’attend que d’exploser définitivement. Dans une rencontre où l’on se connaît par cœur depuis des lustres, où l’on partage quotidiennement les vestiaires de Liverpool ou ceux de United, tout se jouera donc à la détermination. Qui saura faire taire les affinités. Qui osera le plus bousculer celui qu’il enlace habituellement…
Premier acte
Charlton a fait un choix fort dans sa composition. A la vitesse du héros d’Everton, Kevin Sheedy, il a préféré la discipline du vétéran Tony Galvin. La charnière centrale Moran-McCarthy est lourde mais experte dans le jeu aérien. Morris et Chris Hughton ont la délicate mission d’annihiler les virtuoses Barnes et Waddle sur leur côté respectif. Bobby Robson, aux yeux si clairs, sacrifie Hoddle sur l’autel de la stabilité. Le besogneux Neil Webb est aligné au centre du jeu. Dès le coup d’envoi, le ton est donné. Longues ouvertures vers la surface, combats de coudes en altitude, du kick and rush du plus bel effet ! Le novice, Tony Adams, est à la peine face à John Aldridge, l’Irlande met une pression d’enfer. Kevin Moran balance alors la gonfle vers le côté gauche anglais. Désordonnés, Gary Stevens et Mark Wright se percutent, Sansom dévisse complètement son dégagement pour l’ouverture du score de la tête de Ray Hougton dès la 6e minute ! Un but gaguesque qui surprend jusqu’à la calvitie de Charlton.
Les 20 premières minutes sont un calvaire pour les Anglais. Hougton et Paul McGrath étouffent le milieu adverse tandis que Mick McCarthy règne sans partage dans les airs. Les imprécisions se succèdent à la grande joie de la marée verte qui a pris le contrôle des tribunes. Toutefois, déjà largement entamée par ce début de rencontre tambour battant, l’Irlande se recroqueville inconsciemment et perd progressivement son emprise. Une mainmise sur les hostilités qu’elle ne retrouvera jamais par la suite. Une tête mollassonne de Stevens, une frappe trop enroulée de Waddle, l’Angleterre sort enfin de sa torpeur. Lineker, bouffé physiquement, joue dans le dos des centraux mais sa frappe manque de puissance. Si l’avantage irlandais à la pause ne souffre d’aucune contestation, Charlton serait bien avisé de réveiller ses ouailles.
Deuxième acte
La première mi-temps, après un départ canon, nous avait un peu laissé sur notre faim. Ce ne sera pas le cas de la deuxième. En grande partie grâce aux Anglais… Mark Wright a décidé de passer à la vitesse supérieure. Intraitable dans les airs, se permettant quelques montées bien senties, le central de Derby County est l’un des instigateurs du sursaut de son équipe. Les Anglais ont trouvé la faille au sein de la défense adverse. Un mauvais positionnement, nullement compensé par une lenteur rédhibitoire. Sansom lance superbement en profondeur Lineker qui oblige Patrick Bonner à un arrêt du pied. Suivent Beardsley et à nouveau Lineker sans toutefois trouver le cadre. L’étau se resserre dangereusement sur Dublin… Robson jette toutes ses forces dans la bataille et fait entrer Hoddle en lieu et place de Webb. L’ancienne idole des Spurs se distingue aussitôt sur un coup franc que Bonner a tout le mal du monde à contrôler.
Charlton ne devie néanmoins pas d’un iota de son plan de départ. Un Stapleton exténué est remplacé par la tour Niall Quinn. Ray Hougton, l’homme du match, place une tête qui frôle la poteau de Shilton. Avant que le vieux lion ne détourne magnifiquement une reprise de volée de Whelan ! Court répit pour l’Irlande tant l’Angleterre domine les débats. Lineker d’un souffle, Bryan Robson sur un Bonner bien placé avant que l’attaquant du Barça ne perde à nouveau son duel, seul à cinq mètres de la cage, face au gardien du Celtic. Dépité, Gary le gentleman a la mine et la mire des mauvais jours. Bonner est tout simplement infranchissable. Il le confirme une dernière fois pendant les arrêts de jeu lorsqu’il détourne sans trop savoir comment une tête claquée par ce même Lineker ! Ireland one, England zero…
Bilan
Peter Shilton, 38 ans, ne pouvait rien sur la tête à bout portant de Hougton. Ses vieilles articulations lui permirent néanmoins d’aller chercher une frappe rasante de Morris en première période et de sortir une superbe claquette sur la reprise de volée de Whelan par la suite. Le pauvre Chris Woods devra attendre encore un peu… Gary Stevens n’avait pas de peps. Vraisemblablement perturbé par l’activité de Galvin, l’arrière droit d’Everton a rendu une copie poussive, sans aucune velléité de rébellion. A l’opposé, Kenny Sansom était clairement le plus technique des défenseurs anglais. Coupable d’avoir complètement foiré son dégagement sur le but irlandais, il sut habilement jouer dans le dos des lourds centraux adverses pour libérer Lineker. La maladresse inhabituelle de l’attaquant du Barça lui coûte une évaluation positive. Le jeune Tony Adams a vécu un formation accélérée au cours de cette rencontre. En difficulté face aux grands gabarits verts, il n’avait pas la technique pour relancer proprement et a presque disparu des débats en seconde période. Pas le meilleur moyen de s’affirmer dans une sélection qui demeurera toujours un peu sceptique quant à son niveau. Mark Wright aurait pu vivre la même mésaventure mais s’est formidablement ressaisi. Éteindre Stapleton ou Quinn dans les airs n’est pas donné au premier venu. A cela, il a rajouté une belle vision de jeu et quelques débouchés qui en font incontestablement le meilleur défenseur de son équipe sur la rencontre. Celui qui choqua les conceptions stratégiques de son peuple en devenant le premier libéro des Three Lions a réalisé une belle performance.
Packie Bonner n’a pas le style acrobatique de Guillermo Ochoa. Passée cette comparaison farfelue, il sait, comme son homologue aztèque, se sublimer lors des grands rendez-vous. Décisif à de nombreuses reprises, dont pas moins de cinq fois face au grand Lineker, le gardien du Celtic a dégoûté l’Angleterre. Les pieds cloués au sol mais toujours dans la direction adéquate. Aucun doute, l’Irlande lui doit cette victoire un brin chanceuse à l’aune de la physionomie de la partie. Son coéquipier au Celtic, Chris Morris a délivré une prestation sérieuse. Appliqué face à un Barnes qui n’a réellement pris le dessus qu’en fin de rencontre, Morris a bloqué son côté droit et épaulé ses centraux face à la vivacité de Beardsley. Bilan similaire pour Hugton du côté gauche. Si Waddle a régulièrement dezoné et raté son match, la ténacité de son coéquipier aux Spurs n’y est pas étrangère. Hughton est un teigneux qui n’hésite jamais à jouer des coudes. Charlton peut être satisfait de la performance de ses latéraux. Le futur défenseur lyonnnais, Mick McCarthy a soufflé le chaud et le froid. Dur et conquérant en première période, il a été régulièrement pris en défaut dans sa couverture par la suite. Mick a fait ce qu’il sait ou visiblement peut uniquement faire. Mettre des tampons et des coups de casque. Kevin Moran a certainement eu une pensée pour Liam Brady ou Steve Heighway avant d’entrer en scène. Que de combats valeureux mais perdus avant de vivre cette apothéose. Moins en vue que McCarthy, il s’est néanmoins distingué par quelques dribbles audacieux qui ont du accélérer la tension nerveuse de Charlton. Petite aparté pour finir sur Paul McGrath. Alors oui, McGrath n’est pas positionné en défenseur sur ce match, bien qu’il soit primordial pour maintenir l’assise de son équipe. Non, ce qui m’intéresse, c’est ce qu’il représente personnellement. L’Euro 1988 est la première compétition à laquelle j’ai assistée en tant que spectateur. J’avais huit ans, les souvenirs sont donc forcément flous et succincts. Je sais que je soutenais l’URSS. Je me remémore les buts de Gullit et Van Basten en finale. Et je me souviens de Paul McGrath. Il n’y a rien avant, tout a commencé à cet instant precis… Donc en forme d’hommage pour ce roc qui malmena tant d’adversaires, je reprendrais ces lignes des Chroniques de l’Équipe qui m’avait marqué, sans que je n’en comprenne réellement le sens à l’époque :« Face à Paul McGrath, lors de cet Euro allemand, personne ne s’est offert une ballade irlandaise… »
Les dribbles de Moran qui font monter la pression de Charlton, éh éh..
88 passe chez eux quasi-unanimement, en termes de tournoi, pour pire souvenir du dernier demi-siecle de football anglais. Pourtant tout n’en fut pas mauvais, ils jouent par exemple de malchance face aux Pays-Bas.
Robson manqua d’ailleurs de peu d’y laisser sa tete, au retour au pays. Et cependant, 2 ans plus tard et au terme d’un tournoi longtemps des plus poussifs : il est un heros, le capitaine d’un navire qui, dans leur inconscient collectif (dopé au mirage de leur demi face à l’Allemagne, car pour le reste..), eût dû gagner la wc italienne. A quoi ca tient.
Sur cette rencontre, l’Angleterre mérite largement le nul, voire plus. Y avait quand même du matos offensivement.
Neil Webb fut l’un des grands talents anglais de la seconde moitié des 80’s, mais c’est vrai qu’au final.. Jamais remis d’une blessure. Et il est devenu facteur ensuite, livreur de courrier dans l’arriere-pays.
Mark Wright serait 2 ans plus tard l’un des si pas l’homme-clé des 3 Lions…..à une epoque où, avec Shilton d’ailleurs si je me rappelle bien, il evoluait peu ou prou dans une equipe tres faible de Derby, qui descendrait d’ailleurs spectaculairement..
Et Wright n’est rappelé dans l’equipe qu’en catastrophe pour 90, par un Robson resigné à ne pouvoir resoudre autrement les problemes defensifs de sa selection!, c’etait la cata!
Quand je vois un Tony Adams etre regulierement cité parmi les defenseurs anglais de legende, creme de la creme, euh?? Le niveau en etait devenu vraiment faiblard à l’epoque, les Anglais se contenterent de bien peu…..et les attaquants continentaux s’y promenerent comme dans du beurre.
En Angleterre, malgré sa pleine decennie sur le flanc gauche des 3 Lions, Sansom ne faisait vraiment pas l’unanimité, la majorité affirmant que Statham (jamais selectionné, je crois) lui etait superieur.
J’ai regardé ce match pour la première fois il y a quelques mois à peine. Le but irlandais est totalement improbable dans sa (non) construction mais révélateur de l’engagement physique et du kick and rush des Green Boys.
Pat Bonner et ses énormes chandelles façon missile, c’était quelque chose tout de même ! La modification de la règle sur la passe en retrait, entrée en vigueur quelques années plus tard, a tellement bouleversé le jeu des défenses et des portiers que je prends plaisir a analyser les matchs des années 80.
Les Irlandais avaient réalisé un tournoi très correct pour leur première, finissant à la 3ème place avec une victoire, un nul et une défaite.
Et en 1990, ils referont le coup lors du 1-1 face à ces mêmes Anglais, dans ce groupe F indécis et très serré jusqu’au bout.
Belles photos au passage 😉
À la 3ème place du groupe 2*
Inconstablement leur génération la plus dense. Whelan était également un bon milieu
Gros faible pour Sheedy, joueur electrique et vraiment doué. Mais Whelan etait pas mal du tout aussi, deux joueurs qui auraient fait le spectacle en coupes d’Europe.
Ceci dit, le plus impactant fut peut-etre bien au final Houghton.
Hougton, sur la rencontre, est le meilleur joueur de champ.
On ne peut pas dire que la génération actuelle fasse rêver. À défaut d’avoir été très talentueuse, la génération de 2002, celle-ci était disciplinée et difficile à manœuvrer. Aujourd’hui, on en est bien loin…
Je me souviens de ce match, c’est la première fois que je voyais que les mots Eire et Football associés. Pour moi, ils savaient qu’au rugby!
Souvenir de l’Irlande du Nord au mondial 86 mais jamais de leur voisin du sud. Les tauliers jouaient à Liverpool je crois (Houghton, Whelan) donc pas des manches. Bonner était un bon gardien. Me souviens plus si y avait Cascarino en 1988.
2002 si je me souviens bien c’est l’année où Roy Keane boycotte la sélection. Malgré ça ils font un bon tournoi. Y avait l’autre Keane (Robbie). Encore un joueur en échec à l’Inter à cette époque, qui réalise une carrière très honnête une fois parti.
Comme l’indique Khia, la précédente victoire irlandaise remontait à 1949 (on en parlera dans le top consacré aux défenseurs des années 40). Déjà un moment de bravoure, de surcroît à Livepool, ce succès avait été rehaussé par un fait politique : le roi d’Angleterre venait de perdre le titre de chef d’état irlandais qu’il partageait encore avec le président de l’Irlande. Une victoire symbolique de l’émancipation totale de l’Irlande.
Comme je l’écrivais, ils sont 11 sur 20 à être nés en Angleterre. Sans compter Hougton né en Écosse et Sheedy au Pays de Galles. Un tel pourcentage n’était pas commun à l’époque.
Si il y avait un match équipe de tous les temps Irlande du Nord contre Eire de tous les temps ?
Je pense que le nord l’emporterait : Pat Jennings ,Whiteside, Georges Best ..contre Brady, Stapleton, Bonner
Un beau match par contre
Les deux légendes de chaque nation, Keane et Best, ont un point commun: avoir toujours privilégié United au détriment de leur sélection. Ce serait assez équilibré comme « match » je pense.
Le pire c’est Cascarino. Le lascar sorti des pires coupe gorges du sud est de Londres du côté de Millwall. Ascendance moitié italienne. Rien le prédisposait à devenir international irlandais.
L’Irlande aligne des binationaux dans d’autres sports. Le rugby est un cas à part, toutes les grandes sélections appellent des joueurs étrangers. En vélo aussi, ils ont des binationaux nés en GB et… pas les plus mauvais: Dan Martin et Ben Healy. Sam Bennett est né en Belgique (père footeux là-bas). Nicolas Roche, le fils de Stephen est franco-irlandais né région parisienne. On parle des 4 meilleurs coureurs irlandais des 20 dernières années!
Cascarino avoua plus tard qu’il n’avait rien d’irlandais. J’ignore comment il a pu être sélectionné. A Milwall, avec Sheringham que j’appréciais énormément. Mec complet, intelligent sur un terrain.
Dan Martin, j’aimais bien ce cyclisme. Pas avare d’efforts et deux monuments dans la besace.
La mère de Cascarino a été adoptée par des irlandais sans l’être de naissance, donc oui il avait pas une goutte de « sang » irish mais la fédé le savait et ça leur posait pas problème. C’est typique d’un de ces nations qui sont à un stade où ils veulent absolument progresser dans un sport (pas seulement le foot) et sont hyper souples sur les règles de sélections. Premier exemple qui me vient en tête, notre fédération de hockey qui a tendance à croire
que le Québec est encore français.
Dan Martin, oui une espèce de puncher grimpeur en voie de disparition (le dernier étant Alaphilippe) avec l’avènement des mutants. L’héritier pourrait être Hirschi mais on voit le gap hallucinant avec Pogi ou Remco.