La parole est à la défense ! Brésil – Argentine 1990

Dans un sport qui encense prioritairement les talents offensifs, petit coup de projecteur sur les destructeurs, brutaux ou aériens. Sur leurs réussites et parfois leurs cagades. Car oui, bien défendre est un art qui mérite une plus belle exposition. Aujourd’hui Brésil – Argentine à Turin. La parole est à la défense !

Où sont passées les belles promesses de Sebastião Lazaroni ? Celles qui avaient réussi à briser la malédiction et remettre la Seleçao sur la voie du succès, 19 ans après le sacre mondial mexicain ? Alors oui, le bilan comptable de Sebastião est pour le moment parfait. Trois victoires en trois rencontres, face à des sélections faiblardes certes mais on peut parler d’une mise en jambes convenable. La défense est bien en place, la Seleçao a désormais un bon gardien en la personne de Taffarel. Le duo qui se connaît sur le bout des doigts depuis São Paulo, Careca-Muller, remplace efficacement la paire Bebeto-Romario mais les observateurs restent sur leur faim. Héritage oblige, on en attend toujours plus du Brésil. Elle vaut quoi réellement cette sélection ?

L’Argentine, quant à elle, ne suscite pas ce genre d’interrogations. On connaît déjà son niveau, il est tout bonnement pitoyable… Paranoïaque, vicieuse et calculatrice, elle est l’indéniable déception de ce Mondial. Maradona, comme quatre ans auparavant, est la cible préférée des apprentis-charcutiers de la Botte, a toujours cette capacité inhumaine à se relever mais le coup de rein est absent. La flamme intérieure, emprisonnée dans une rancune qui ne le lâchera pas de la compétition. Jorge Burruchaga a vieilli, Pumpido est out, Diego n’a comme soutien offensif que l’oisillon Caniggia. Il est sifflé dans tous les stades. Aucune raison que cela change au Stadio delle Alpi… Les deux mastodontes sud-américains s’affrontent en huitièmes de finale dans une atmosphère de défiance. L’Argentine n’est encore jamais sortie victorieuse d’une confrontation dans un Mondial. On doute d’elle jusqu’aux ruelles de Buenos Aires…

Premier acte

Si le Brésil de Lazaroni n’enchante pas les foules, c’est qu’il évolue dans un schéma résolument défensif. Du moins sur le papier. Trois centraux de métier, Mauro Galvão et les deux Ricardo, Gomes et Rocha, épaulé par Dunga. Armature musclée qui crée des maux de ventre chez les puristes. C’est négliger l’apport offensif des latéraux, Jorginho et Branco. Techniques, inventifs, véritables rampes de lancement de la Seleçao, ils ont les qualités requises pour déséquilibrer l’Albiceleste. Bilardo a, de son côté, sorti les barbelés. Ils sont huit à former la muraille. Cani, Diego et Jorge devront se contenter des miettes… Joël Quiniou libère les gladiateurs et le Brésil assiège immédiatement l’adversaire. L’invité surprise Sergio Goycochea comptabilise déjà quatre tirs dans sa direction en cinq minutes, l’après-midi s’annonce longue. Maradona, sous les huées à chaque touche de balle, est suivi comme son ombre par Dunga. Un Dunga bien proche d’ouvrir le score à la 18e minute, de la tête sur un centre venu de Branco. Le poteau en décide autrement. Un superbe Valdo et Branco le quaterback quadrillent le milieu de terrain, l’Argentine recule constamment mais ne cède pas.

Olarticoechea ressent le poids des ans face à Jorginho, Juan Simón est amorphe. Seul surnage Pedro Monzón. Dans son style bien caractéristique. De la sueur, des coups, des tripes et encore de la sueur… Néanmoins, passée la première demi-heure totalement à l’avantage du Brésil, l’inefficacité devant le but commence à monter au nez de la bande de Careca. Maradona et Troglio combinent aux milieux des jambes auriverdes ? Ricardo Rocha et Alemão sortent le sulfateuse ! Dans le duel des cappi qu’ils se disputent à distance, c’est le défenseur du Benfica, Ricardo Gomes qui l’emporte sur celui du Real, Oscar Ruggeri. Ricardo Gomes, capitaine du jour, a constamment un tour d’avance, aérien malgré son physique lourd. Quiniou envoie tout ce beau monde aux vestiaires sur un score vierge. La ville de Turin, elle, continue de conspuer Maradona…

Deuxième acte

Le Brésil rejoue une partition identique après la pause. Ce qui convient totalement à Monzón qui ne maîtrise qu’un seul air d’harmonica… Excentré sur le côté gauche, Careca lobe habilement Goycochea qui est tout heureux de voir la gonfle s’empaler sur le poteau. Joie de courte durée tant il doit s’employer cinq secondes plus tard pour détourner de sa lucarne un missile venu d’Alemão ! La chaleur n’aidant pas, le collectif brésilien perd progressivement la main sur la rencontre. Il n’est pas dominé le moins du monde mais ses montées sont moins tranchantes, ses latéraux de plus en plus absents des débats. Un homme sort quant à lui peu à peu du formol, c’est Diego évidemment. Petits extérieurs subtils, regard concentré sur sa mission, on ne peut être qu’admiratif devant tant de résilience. Et pour causer crûment, qu’est-ce qu’il prend sur le râble à chaque contact…

L’entrée de Gabriel Calderón sur le côté gauche a déstabilisé l’arrière-garde de la Seleçao. Taffarel s’emploie pour la première fois de la rencontre sur une frappe vicieuse de Burruchaga et il faut toute la science de Ricardo Gomes pour stopper le Parisien Calderón d’un maître-tacle dans sa surface. Puissance et habilité, tout y est, superbe ! C’est pourtant à cet instant précis que tout déraille pour le Brésil. Une minute plus tard, à la 80e minute, Maradona nous rappelle pourquoi il est un joueur dont on reparlera dans 150 ans. Parti du milieu du terrain, il résiste aux charges d’Alemão et Dunga, glisse le ballon entre les pattes de Mauro Galvão pour Caniggia qui mystifie Taffarel ! Un hold-up digne des studios hollywoodiens ! Une chape de plomb s’abat alors sur Gomes qui, encore groggy, démonte un Basualdo parti seul dans une folle cavalcade. Son regard après son expulsion trahit l’abandon collectif. Maradona, encore lui, est proche d’inscrire un coup-franc magique sur sa première frappe cadrée de la compétition mais Taffarel est vigilent. Muller rate la cible à quelques secondes de la fin. Ce n’est pas le cas des Jorginho et Branco qui s’essuient sur le dos de Maradona. Le Brésil est éliminé…

Bilan

Nous connaissons déjà la suite et savons l’importance de Sergio Goycochea dans le parcours argentin au Mondial 1990. Sur cette rencontre, il est apparu anxieux dans les premières minutes, ratant quelques sorties aériennes. Une très belle claquette sur une frappe d’Alemão et une bonne dose de chance avec ses poteaux, le chômeur le plus célébré de cette édition n’avait pas encore imprimé son plus beau CV. Olarticoechea n’a jamais été un esthète et ce n’était clairement pas le jour pour le devenir. En galère face à Jorginho en première période, le Basque s’est principalement souligné par un tampon d’école sur Renato Gaucho en fin de match. Le défenseur argentin le plus en difficulté. Juan Simón était présent, plus par obligation qu’autre chose. Rétif à mettre le crampon ou le coude dans le nez de l’adversaire, l’ancien Monégasque et Strasbourgeois s’est retrouvé embarqué au milieu d’une baston qui ne le concernait visiblement pas. Un conseil Juan, choisis mieux tes compagnons de virée à l’avenir. Ruggeri était lui dans son élément. Parole, coup de genou, parole, le Cabezón n’a pas fait honte à sa réputation. Et s’est même permis une belle tête offensive en première période. Pas le plus grand millésime de sa carrière mais une prestation sérieuse. J’ignore si Carlos Monzón a vu la rencontre au fond de sa cellule. Mais si c’est le cas, il a certainement apprécié la prestation de son homonyme Pedro. Il y avait du combat face à Bouttier dans les mouvements de Pedro. C’était bestial, absolument pas académique et n’avait aucune prétention à l’être. Mais dans la lignée de son but face à la Roumanie, il s’est à nouveau montré décisif.

Claudio Taffarel sera titulaire lors des trois Mondiaux de la décennie 1990. Et aura toujours son petit lot de détracteurs. Je n’en fais pas parti. Impeccable sur la frappe rasante de Burruchaga, acrobatique sur le coup franc de Maradona en fin de match, il est impuissant face à la feinte de Caniggia. D’autres auraient vécu une mésaventure similaire. Jorginho a fait un début de match correct, avant de s’éteindre progressivement et sombrer psychologiquement. Infiniment supérieur à son adversaire Olarticoechea, on pouvait légitimement en attendre plus. Nous serons rassasiés quatre ans plus tard… Difficile de dissocier le duo Ricardo Rocha-Mauro Galvão. Tant par leur look déguindé, leur mulet et ce physique poids plume au sein d’une défense centrale. Rocha, le plus volcanique, a compensé son manque de technique par un courage dénué de scrupule. On ne pas dire qu’il se soit caché. Pas suffisant néanmoins pour en faire une assurance tout risque. Galvão, plus cérébral, a cherché à relancer proprement mais il regrettera amèrement de ne pas avoir serrer les jambes lors de la contre-attaque de Maradona. Ricardo Gomes a été majestueux, jusqu’à la 80e minute… Gaucher, ours léger dans ses ballerines, l’ancien joueur de Fluminense a montré au monde de quel bois il se chauffait. Exemplaire lors de son intervention dans la surface face à Calderón, il n’est nullement responsable lors de l’ouverture du score argentine mais semble seul en porter la croix. Jusqu’à son expulsion au combien méritée une minute plus tard, geste de boucher qui acta sa reddition. Branco enfin. Cas intéressant que celui du latéral gauche brésilien. Branco avait carte blanche et s’est comporté en second meneur de jeu, derrière Valdo. Usant de ballons en profondeur, pas toujours à bon escient, il fit des coups francs et corners son domaine privé, sans réussite toutefois. A l’instar de son équipe, il disparut peu à peu à partir de la 70e minute. Il racontera des années après avoir bu dans une bouteille argentine et s’être senti immédiatement très mal. Comme assiégé par les hallucinations. Maradona confirmera qu’il y avait des somnifères à l’intérieur…

28 réflexions sur « La parole est à la défense ! Brésil – Argentine 1990 »

  1. J’aime bien l’idée ; combien de volets prévus, Khiadia?

    Peu ou prou à la même époque, Aldaïr entreprendrait un parcours remarquable en Europe avec la Roma, et puis il y avait Mozer aussi, alors à son top.. C’est assurément trop eurocentré de ma part, mais ça me fait quand même bizarre qu’aucun de ces deux-là n’ait été aligné. D’autant qu’un Ricardo Rocha, par exemple, je n’en ai pas un souvenir transcendant, mais?? Tu as dû le voir avec le Real, Khiadia?

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    1. Rocha, un des choix étranges du Real au poste de central après Ruggeri. Spasic, Rocha… A une époque où les places d’étrangers étaient convoitées. De Rocha au Real, je me souviens de sa pauvre partition lors du match face à Tenerife en 92 et de son air-défence face à Valdo lors de la déroute face au PSG la saison suivante.

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  2. Et je confirme que l’affaire semblait pliée pour tout le monde avant les trois coups, vraiment un de ces matchs où l’on ne donna aucune chance à l’un des deux protagonistes, et cependant..

    Je garde mauvaise idée de ce que la scène brésilienne gardait éventuellement en rayon, Valdo était certes un super joueur..mais rayon demis créatifs et vu d’Europe ça semblait moins exubérant qu’avant – juste une impression?

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    1. Dunga-Alemão-Valdo, ce n’est pas Cerezo-Falcão-Zico-Sócrates… il aurait d’ailleurs fait du bien le vieux Cerezo, encore au top avec la Samp. C’est pourtant avec ce milieu de terrain et ce 5-3-2 que le Brésil de Lazaroni gagne la Copa 1989 en jouant plutôt bien. Mais en 1989, le duo d’attaque s’appelle Bebeto-Romario…

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      1. Mais ils n’avaient vraiment rien d’autre en stock, au pays?? Choix par defaut de Lazaroni..ou snoba-t-il plutôt des profils plus ole-ole (auquel cas : lesquels?)?

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      2. Pas une période faste en termes de talents. Renato Gaúcho n’a jamais réussi à s’imposer durablement en milieu ou l’ailier droit. Raí ? Personnage intéressant mais pour ma part, je ne l’ai jamais considéré comme un crack. Qui d’autre sur cette période ? Neto, peut être, que Lazaroni n’a pas appelé en 1990.

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      3. Dunga, nom accolé au jeu plus pragmatique et restrictif de 94. Un peu injuste car en 90, il prend pas mal d’initiatives ou de tirs. C’était un milieu qui pouvait mettre du bois mais assez technique, avec une bonne lecture du jeu.

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      4. Ils avaient Geovani, un des tauliers du Vasco de Lazaroni, qu’il retient ensuite pour la copa america 89, mais il a la mauvaise idée de partir en Europe (Bologna) avant le mondial et évidemment se rate.

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      5. Pas souvenir d’avoir vraiment été impressionné par Rai non plus, des 4 Brésiliens du PSG dont je me rappelle pour « l’époque » (Leonardo, Ricardo, Valdo et lui), c’est même très clairement le moins impactant je dirais.

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      6. Perso, j’aimais beaucoup Leonardo. Son court passage à Valence était très bon. Idem à São Paulo. Et son debut de Mondial 94, en arrière gauche, est superbe. Avant qu’il ne mette un coup de boule à Tab Ramos. D’ailleurs, étonnant de sa part…
        Enfin, avec le Bresil 97, personnellement celui que j’ai le plus aimé mater, il est vraiment bon. Fin techniquement. Paris, Milan, passages sympas. Non, une belle carrière pour le meilleur ami de Gattuso.

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    2. Valdo est pas mal en première mi-temps mais disparaît par la suite. De créatif, il y avait Silas qui était d’ailleurs important dans la Copa America 89. Des mecs comme Zinho ou Djaminha étaient encore trop tendres.

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  3. Match vu en direct, une immense déception sportive mais un éclair qui rend ce match inoubliable, cette connexion Maradona-Caniggia éprouvée l’année précédente en Copa.
    L’Argentine jouait sur une jambe, Ruggieri et Diego notamment, Bilardo était plus superstitieux que jamais, il avait fait changer les shorts pour revenir au design de 1986 après la défaite inaugurale face au Cameroun. Est-ce encore une de ses lubies qui prive Bauza de terrain malgré les blessures ? Il aurait 100 fois eu sa place dans cette défense. Sans doute était il trop offensif pour Narigón.
    Et puis il y a l’affaire du bidon empoisonné, cette offrande venimeuse à destination de Branco. Quatre ans après les maux gastriques de Passarella, comment ne pas soupçonner le docteur Madero, ancien compagnon de Bilardo dans cet Estudiantes maléfique de la fin des 60es ?

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  4. Merci Khia, chouette article.

    Il y a un documentaire sur l’équipe d’Argentine dans cette Coupe du Monde, dans lequel Ruggeri raconte qu’à la mi-temps du match contre le Brésil, les Argentins rentrent au vestiaire et pas de nouvelles de Bilardo. Au début ça semble normal, il doit leur laisser reprendre leur souffle, mais le temps passe et pas de Bilardo. Puis les joueurs sont appelés pour la deuxième mi-temps et Bilardo n’est toujours pas là. Et juste avant de rentrer sur le terrain, ils entendent derrière eux la voix de Bilardo qui leur dit : « Et les gars ! Si j’étais vous je me bougerais le cul, parce que sinon les mecs en jaune vont vous mettre une branlée. » Selon Ruggeri ça leur a motivé et permis de gagner même en étant nettement inférieurs.

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  5. La Copa América 1989, on en parlait ici:cet été https://www.pinte2foot.com/article/bresil-1989-la-selecao-quarante-ans-apres

    D’ailleurs on voit bien qu’elle a plus servie à préparer et conditionner le Brésil pour 1994 que … 1990.
    Lazaroni n’était pas là pour faire du joga bonito, la Copa avait été très mal embarquée mais la seleçao c’était ressaisie derrière son duo Romario-Bebeto, qui ne sera pas reconduit en 1990, avec un onze et un milieu qui est renfrocé défensivement, laissant peu de place aux milieux créateurs-offensifs.

    Pas certain qu’il y avait meilleure main d’oeuvre pour faire du jeu, côté brésilien.

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  6. Si tu as des idées d’articles dans la même veine, je les attends avec impatience !

    Pour l’anecdote, comme on le voit sur la photo où le Brésil est opposé à la Suède, Taffarel avait été autorisé à débuter le match en étant vêtu tout de bleu… comme les Suédois ! Il changea pour le vert en 2ème mi-temps. Je me demande comment cela a-t-il pu passer auprès des instances : https://museumofjerseys.com/2018/06/01/1990-world-cup-kit-tracker-group-c/

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