Le 26 juin 2018, à Rostov, le sélectionneur islandais Heimir Hallgrimsson décide de faire entrer l’ailier Albert Gudmundsson pour les cinq dernières minutes du match face à la Croatie. Peut-être espère-t-il ainsi forcer la décision, alors que le score est de 1-1, et qualifier l’Islande pour les huitièmes de finale de la Coupe du monde.
Mais c’est un échec : la Croatie marque et gagne le match. L’Islande est éliminée. Néanmoins, pour le jeune (21 ans) Gudmundsson, ces premières minutes en Coupe du monde ont sans doute été exaltantes. Encore plus quand on sait qu’elles sont la consécration d’une incroyable famille de footballeurs qui compte des internationaux sur… quatre générations !
Albert Gudmundsson est en effet le fils de Kristbjörg Helga Ingadottir et de Gudmundur Benediktsson. Tous les deux ont été internationaux dans les années 1990, elle portant quatre fois le maillot national et lui 10 fois. Gudmundur s’est également fait connaître pour ses performances vocales lors de l’Euro 2016 où il commentait les matchs de l’équipe d’Islande, quart-de-finaliste surprise.
Si l’on continue de remonter l’arbre généalogique d’Albert Gudmundsson, on s’aperçoit que le père de Kristbjörg Helga est Ingi Björn Albertsson, international islandais dans les années 1970. Après sa carrière de footballeur, Ingi Björn a occupé pendant sept ans un siège de député à l’Althing. Chose curieuse : Ingi Björn n’est pas né en Islande, mais à Nice en 1952.
Pour comprendre cette étrangeté, il faut se plonger dans la vie de son père : Albert Gudmundsson. Celui-ci a la réputation d’avoir été le premier footballeur professionnel islandais. C’est aussi lui qui marqua les deux premiers buts de l’équipe nationale d’Islande, à l’occasion d’une défaite 4-2 contre la Norvège le 24 juillet 1947.
Intérieur fin et technique, il quitte rapidement l’île volcanique pour rejoindre le Royaume-Uni. D’abord à Glasgow pour y poursuivre des études et où il joue pour les Rangers. Puis à Londres où il revêt la tunique d’Arsenal. Mais des problèmes de permis de travail ne lui permettent pas de signer professionnel.
Repéré à l’occasion du traditionnel Racing-Arsenal du 11 novembre 1946, il prend donc la direction de la France où le FC Nancy l’accueille à bras ouverts. Après une bonne saison, il rejoint l’AC Milan alors friand de Scandinaves. Des blessures et une forte concurrence le contraignent néanmoins à quitter le prestigieux club italien. Il revient en France, au Racing, où il croise notamment la route de Joe Gaetjens et René Vignal. En 1952, il est transféré à Nice où naît son fils Ingi Björn.
De retour en Islande, Albert exerce d’abord comme président de la fédération islandaise avant de se lancer dans la politique : député à l’Althing, puis ministre, il se présente aussi à l’élection présidentielle en 1980. S’il obtient près de 20% des voix, c’est néanmoins insuffisant. Pour finir, il est ambassadeur d’Islande à Paris. Albert Gudmundsson meurt en 1994. Trois ans plus tard, Kristbjörg Helga et Gudmundur ont un fils qu’ils décident de prénommer Albert, probablement en hommage au patriarche récemment décédé.
A lecture de tous ces patronymes, il y a une forme d’humour et de chaos involontaires (quoique?)..car retrouver les petits de xy parmi ses « fils de », lol..
Quoi qu’il en soit, c’est habile mais aussi un peu sadique d’avoir procédé depuis le plus récent jusqu’au plus illustre, bien joué.
Et quoi qu’on fasse ça prend des accents de saga.. Deux-trois kenningar ici et là (genre « le festin de corbeaux » ou « l’assemblée des haches » pour désigner « la bataille », ce genre de trucs), et l’article pourrait passer pour avoir été écrit par quelque aède nordique, Bobby Skaldo.
Je me demande si des journalistes sportifs islandais font ça parfois, au gré d’une envolée lyrique (car j’imagine qu’il n’y a pas que le clapping dans leur vie)??
Dire « destructeur de la faim des supporters » pour « buteur », par exemple. Ou « un blesseur de boucliers est à la chaleur des pieds » (pour « un attaquant est au sol »), ou encore « il met la terre des mâchoires là où d’autres ne mettraient pas le chemin de la semelle »……… (etc etc..)
Ou le supporter Magnus Thorvaldsson chez lui, à la mi-temps : « une mer résonnante des cornes, support sacré des bancs du serpent! » en guise de « dis chou, tu veux bien m’apporter une bière, s’il te plaît »..? Je vais essayer avec ma femme, tiens – elle est un peu nordique, ça marchera peut-être..
Le style a dû naître avant la télévision,
l’ordinateur, et Internet. Seuls à leurs tables face à leurs pages, les plumitifs arctiques avaient largement le temps de peaufiner leurs phrases pendant les interminables nuits d’hiver !
Une vie plutôt sympa, ma foi.
Note que ces poètes-là savaient aller à l’essentiel car, de mémoire : les champs lexicaux qui, et de TRES loin!, suscitèrent le plus de kenningar furent ceux du fric, de la guerre et..des femmes! Puis l’alcool se défendait pas mal, un quatrième solide dans mes souvenirs.
Merci Bobby! Gudmundsson, c’est quand même une trajectoire assez incroyable. Il arrive à Milan en même temps que Nordhal d’ailleurs. 20% à l’élection présidentielle, c’est pas mal!
J’en parlais la dernière fois sur le texte sur Sigurvinsson mais j’ignore qui jouait face à l’IBV Vestmannaeyjar quand j’ai vu un match de première division. Par contre dans l’équipe des Iles Vestmann, on trouvait des guatémaltèques! J’imagine le choc culturel! David James est également passé en fin de carrière.
Avec 20% au 1er tour en France, tu peux finir président de la République ou presque ;-).
Le dernier de la dynastie joue actuellement au Genoa et réalise une bonne saison. Si tout va bien, on devrait le voir en Serie A l’an prochain.
À moins qu’il ne signe cet été à la Sampdoria !
La Samp est fauchée ! Et il ne s’appelle pas Montella 😉
Tous ces prénoms, ça me rappelle les romans d’Arnaldur Indridason.
Un truc m’effraie en Islande. Y a pas un arbre. Ça heurte mon elfitude sylvestre.
Une petite vidéo de la finale de la Coupe 1950 que joue Gudmundsson avec le Racing face à Reims.
https://youtu.be/Sibf1vDSUec
Merci Bobby, article et anecdotes très agréables à lire.
Avec seulement 300 000 habitants, l’Islande à toutes les chances d’inscrire d’autres lignées de ce genre à l’héritage de son équipe nationale, celle-ci plus que jamais semblable à un arbre généalogique !