Kaladze, l’autre Kakà du Milan AC

« Agios Georgios »

En mars dernier la Géorgie, en s’imposant à domicile face à la Grèce en finale de play-offs après une insoutenable séance de tirs au but… a décroché et immédiatement mis en poche une place pour le prochain Euro. Un match au parfum de derby, lorsqu’on connaît l’importante communauté de « grecs du Caucase » présente dans le pays et dont l’influence de la culture s’est aujourd’hui furtivement répandue jusque dans le titre de notre paragraphe (« Agios Georgios », comprenez « Saint Georges »)… Un derby donc, ayant accouché d’une performance référence pour les géorgiens mais surtout d’une qualification historique, réel exploit offrant à cette « sélection lilliputienne » sa toute première participation à un tournoi international. Précieux sésame, denrée rare… ticket d’entrée tant convoité ou encore billet d’avion d’ordinaire inaccessible… avant tout une vitrine mondiale inédite et inespérée pour un peuple qui a souvent vécu dans l’ombre de sa grande sœur : « cave à vin de l’URSS » étant jusqu’ici l’étiquetage hélas le plus célèbre pour garantir l’origine de son existence ! Une vitrine mondiale qui pour être tout à fait exact, bénéficiait tout de même d’une jolie enseigne déjà visible depuis deux ans : « Chez Kvara » ! Khvicha Kvaratskhelia de son nom complet, « Kvaradona » pour les intimes ! Un écriteau forcément ici gravé à la main, dans un beau bois de citronnier et invitant alors expressément le monde entier, avec toute la chaleur naturelle que l’on prête généralement à cet épicier : à entrer dans la boutique afin de venir découvrir les saveurs ensoleillées et sensationnelles d’un Scudetto napolitain ! Vitrine, enseigne… et pour conclure ici l’apparition insoupçonnée d’une petite lucarne, cachée, discrète… presque invisible mais pourtant bel et bien là, résistant fièrement sur la façade fissurée d’une datcha géorgienne et faisant alors, on peut le dire : comme partie des murs… Trou de souris, tunnel sous-terrain… passage secret ou portail interdimensionnel peu importe… enfin une voie magique menant directement à l’univers merveilleux et à la galaxie stratosphérique des Rossoneri, à l’antre du Diable San Siro et aux jadis douces soirées européennes bercées par le maillot du Milan AC : Kakhaber « Kakha » Kaladze !

Dorure et mise en lumière

Antre du Diable disions nous à l’instant ? Le trait d’union est idéal et la transition toute trouvée ! En effet, nous voici maintenant propulsés ensemble au 28 mai 2003, à Manchester, au centre de l’arène d’Old Trafford plus précisément, « le théâtre des rêves » comme on surnomme poétiquement l’enceinte des Red Devils… Nous sommes ici plongés en pleine séance de penalty, irrespirable finish de la première finale de Champions League « 100% italienne » opposant pour l’occasion : un Milan tout de blanc vêtu, tenue des grands soirs pour le couturier généralement en rouge et noir mais avant tout couleur fétiche des défilés de mannequins et autres collections de trophées très tendances durant l’ « ère Berlusconi »… à une Vieille Dame turinoise parée de sa traditionnelle robe rayée noire et blanche, motif de camouflage époustouflant et imitation peau de zèbre indémodable facilement « dénichable » dans chaque marché de la botte ! Sur les bancs, pour parfaitement fignoler le tableau (ou pourquoi pas ici le chef-d’œuvre), nous avons d’un côté la classe de Carlo Ancelotti (coach alors considéré comme looser et éternel second (c’est dire s’il s’agit ici d’une autre époque)) et de l’autre l’élégance de Marcello Lippi (entraîneur pour le coup vraiment maudit à ce stade de la compétition (spoiler : cette finale sera sa troisième de perdues sur quatre disputées)). Le gratin n’est-ce pas, pour cette soirée de gala aux allures de festival de Cannes, ou plutôt ici : de spectacle de la Scala exceptionnellement déplacé dans le nord de l’Angleterre ! Une pelouse pour finir, sur laquelle il ne manquait effectivement qu’un tapis rouge de déballé, afin de complètement embrasser l’ambiance brillante et l’atmosphère étoilée de cette nuit mancunienne. Gratin disais-je ? C’est exactement ça ! Du « multi oscarisé » capitaine lombard Paolo Maldini (élu « homme du match » pour l’anecdote)… aux autres figures typiques du « défenseur italien des Nineties » comme Costacurta et Ferrara… en passant par des seconds rôles autant cultes que quasiment anonymes (Tacchinardi, Birindelli… Montero, Ambrosini (clin d’œil ici à Pessotto et Iuliano qui resteront ce soir-là assis sur le banc))… De nombreux futurs champions du monde aussi (Zambrotta, Nesta… la doublette Pirlo-Gattuso… Camoranesi, Del Piero… ici l’adaptation de « Superman » avec un Buffon absolument bluffant et là tout le cinéma d’un « SuperPippo » protestataire au possible, magnifiquement insupportable et qu’on ne présente plus nulle part)… deux anciens champions du monde également (Thuram et Trezeguet)… Pour terminer des grosses brutes et autres vrais truands façon Antonio Conte, Tudor et Davids, confrontés ou donnant la réplique aux bons Seedorf et Rui Costa (ici seuls Pavel Nedved (« Ballon d’Or » cette année là et suspendu pour la finale) et le vieillissant mais toujours radieux Rivaldo (remplaçant quant à lui et tout simplement non entré en jeu) manqueront la cérémonie)… Séance de penalty donc avec, au milieu de cette constellation de stars, l’arrivée sur scène d’un total inconnu, l’ « invité surprise » par excellence se pointant, comme à l’improviste, en tant que troisième tireur du Milan AC… tétanisé par l’enjeu certes, peut-être aussi un tantinet superstitieux (quoi de plus naturel après déjà trois tentatives sur cinq ratées, dans cette première moitié de séance semblant un jeu d’enfant pour Dida et Buffon)… et enfin démonstratif tout de même d’une certaine aisance dans la démarche, à minima d’une audace indéniable, si pas une confiance confirmée et indéboulonnable je vous l’accorde alors au moins un sens de la confrontation affirmé, trait de caractère propre aux personnes qui ne se démontent pas mais qui parfois : tremblent elles-aussi un peu trop… Attention à la marche et aux pieds dans le tapis ! « Clic » ! « Flash » ! Les paparazzis shootent un tir finalement stoppé par Buffon… Une frappe trop écrasée, trop centrée et certainement sous l’emprise aussi d’une trop forte pression… qui partait vous l’aurez deviné, du pied gauche de notre vedette du jour… « numéro 4 » estampillé « stoppeur » mais latéral stupéfiant et carrément titulaire indiscutable de ce costaud Milan AC : Kakhaber Kaladze !

Et enfin iconique !

Drôle de mise en lumière vous en conviendrez, pour un acteur d’ordinaire loin des projections de paillettes et peu habitué au feu des projecteurs, qui après cette entrée en piste pour le moins tumultueuse, obtiendra malgré tout la grâce et le pardon de ses supporters. À vrai dire, son penalty planté est pratiquement passé inaperçu, un échec sans conséquence et même radicalement radié des mémoires, dès lors que l’émotion, celle liée à la joie et à la fête évidemment… a bondi pour saupoudrer l’histoire d’une pincée de magie et lui donner un « Happy End » digne des plus beaux contes de fées ! En effet, c’est seulement quelques instants plus tard que le clou du spectacle, ou plutôt ici le mat de cette partie d’échec sans fin (de celles affreusement soporifiques pour certains (et même pour beaucoup) mais dont les ritales raffolent)… sera réalisé par le compère de toujours de Kakhaber, ex coéquipier du géorgien au Dynamo Kiev, agent officieux de ce dernier pour son transfert en Lombardie… sauveur, héros et vengeur à la fois lors de cette finale fantastique… chouchou du Cavaliere comme coqueluche des tifosi… pour conclure « numéro 7 » mythique du Diavolo, « Ballon d’Or » la saison suivante et tout bonnement légende du foot ukrainien : Andriy Shevchenko. Clou du spectacle, échec et mat… après tout peu importe… L’important à cet instant, est que le Milan soit de retour sur le toit de l’Europe, cime et habitat naturel désertés alors depuis une petite décennie, autant dire une éternité (pourquoi pas carrément mille ans (facile)) pour un club qui a toujours eu l’habitude de tutoyer les étoiles. Toit, cime, avons-nous juste au-dessus… étoiles à l’instant… sommet, summum ou que sais-je encore, pourrions nous vertigineusement surenchérir… jusqu’au presque blasphématoire « Diavolo al Paradiso » (clairement traduisible par « le Diable au Paradis ») étalé en « Une » de la Gazzetta au lendemain de la finale. Plus qu’un gros titre, ici c’est une vraie invitation à l’interdit, à la tentation… une espèce de « permission de pécher » qui, sans se faire prier évidemment, vient ouvrir la voie et laisser le champ libre aux parallèles disproportionnés, à l’abondance de débit ou encore à l’expression excessive : embrasements déraisonnables et bras démesurés dans lesquels les langues désinvoltes de l’adolescence adorent s’abandonner ! L’adolescence oui, parce que, pour finir ce petit hommage rapide à un joueur aussi discret que clef, dans les différents effectifs d’un Milan AC nageant qui plus est en plein âge d’or… Kaladze, c’est avant tout pour moi, ou plutôt ici « chez moi » : ce poster… L’un parmi tant d’autres certes, pour la plupart d’entre eux chinés et arrachés dans des magazines « Forza Milan » du début des années 2000 et placardés à la pelle, punaises, « Patafix » ou « Scotch » à foison… sur les murs d’une chambre d’enfant au papier peint complètement étouffé, celui-ci profitant de l’usure du temps et autres déchirures des affiches pour pouvoir souffler un peu ! Un poster de Kaladze cela dit, au format XXL, service minimum et taille finalement standard pour honorer convenablement un joueur de sa dimension. En effet, si les yeux des passants, lorsque ceux-ci contemplaient et admiraient la « cathédrale Milan AC » des années 2000, étaient principalement rivés sur l’ange Kakà où sur les autres peintures de maîtres ornant cette architecture historique du football… le Duomo qu’était le Milan de cette belle époque offrait aussi quelques trésors cachés à qui veut bien les voir, laissait transparaître de petites perles ici et là… et surtout reposait sur des piliers transparents : Ambrosini avons-nous croisé tout à l’heure, Tomasson ou Serginho aurions-nous pu citer aussi… Abbiati, Brocchi ou plus tard Oddo, Jankulovski et j’en passe… et donc Kaladze. Le joueur géorgien transparent oui, presque invisible aux côtés des géants partageant jadis sa zone de jeu (Nesta, Maldini, Stam, Thiago Silva (pour ne citer qu’eux))… Difficile de se faire une place et pourtant, Kaladze s’en est fait une, et pas un petite non : une XXL ! Si pas dans l’inconscient collectif du grand public je vous l’accorde, alors au moins, vous l’aurez compris : sur les murs de ma jeunesse ! Autel intime dédié au culte de mon idéalisme ou temple dressé à la gloire de ma subjectivité… où cette « ombre de Kakà » en quelque sorte, paradait immobile, torse bombé, dans un noir intégral (pas commun pour les Rossoneri) et coiffée d’une coupe en brosse style militaire… esthétique soviétique autant résistante que temporaire, que les playboys alignés à ses côtés (pendant plus de 280 matchs en tout) auront vite fait d’ « italianniser », le « Barbiere du Calcio » ayant en effet très vite coupé court aux influences étrangères pour faire place nette au combo local autant classique qu’incontournable : cheveux long et serre-tête ! Transfert record pour un joueur géorgien par ici… Homme d’affaires hors-pair ou politique impliqué par là… une belle empreinte laissée aussi au Dinamo Tbilissi, au Dynamo Kiev bien sûr ou encore au Genoa… Kakhaber Kaladze pourquoi pas « premier Kvara de Géorgie »… mais surtout pour moi : « Kakha » Kaladze, l’autre Kakà du Milan AC.

6 réflexions sur « Kaladze, l’autre Kakà du Milan AC »

  1. La Géorgie et l’Euro 2024, certes. Mais quand d’aucuns s’amusent à dresser tableau de leurs immortels, voilà peut-être bien le seul joueur qui revienne systématiquement sans trop sentir la naphtaline.

    Arveladze, Kinkladze.. Je crois bien qu’il n’y a guère que de jeunes quadras pour les citer..et je crois aussi, autant qu’on puisse comparer les époques, qu’ils usurperaient la place de Géorgiens plus forts qu’eux en leur temps.

    Bref, le joueur ne m’emballait pas particulièrement, et cependant ça ne me paraît pas rien, pour Kaladze, d’être parvenu à se frayer une place dans le panthéon géorgien – plutôt fortiche, même.

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