Il y a 40 ans : P2F débarque sur Minitel !

Avant Google, avant Netscape, avant Internet même, il y a eu le Minitel. Toute une génération de Français a appris les services en ligne en tapant 36 11 pour trouver un plombier ou le 36 15 ULLA cher aux Inconnus pour assouvir des besoins d’une toute autre nature. Certains des plus anciens membres de notre rédaction étaient de l’aventure avec 36 15 P2F, l’ancêtre qui a connu une existence aussi brève que glorieuse sur le réseau hexagonal avant le long tunnel qui a précédé le lancement de notre site préféré. Le 9 novembre 1984, il y a 40 ans jour pour jour, il publiait son premier article qui était aussi son premier reportage réalisé à l’étranger. Nous l’avons ressorti des archives pour votre plaisir.

Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, bonsoir, ou plutôt bonjour ! Bienvenue au Stade Olympique de Berlin-Ouest pour un match que toute l’Allemagne attend, le choc des titans entre le Blau-Weiss 90 Berlin[1] et le Fortuna Cologne pour la suprématie dans les bas-fonds de la Zweite Bundesliga, la D2 d’outre-Rhin !

Quand le hasard d’un programme d’échange scolaire l’a envoyé à Berlin, votre serviteur n’a pas voulu manquer l’occasion d’offrir à 36 15 P2F son premier reportage à l’étranger. Mais Berlin, ce n’est ni Munich, ni Hambourg côté foot. Pire : le Hertha, demi-finaliste en UEFA il y a cinq ans, est descendu en D2 à l’été 83 et a raté la remontée la saison dernière. Faute de grives, on mange des merles : allons voir ce que ça vaut, cette 2. Bundesliga.

Pas de bol, le Hertha joue à l’extérieur le week-end où on est là. On se rabat donc sur le petit nouveau, le Blau-Weiss 90, monté en D2 pour la première fois de son histoire au printemps dernier. Il accueille le Fortuna Cologne, l’autre club de la ville de Schumacher et Littbarski, qui a atteint la finale de la Coupe de RFA il y a un an… à Cologne, face au FC avec tous ses ogres, et l’a perdue (0-1) après un match tristounet. On ne va pas risquer un match à Berlin-Est sur un visa touriste d’une journée : courageux, mais pas téméraire, et de toute façon il n’y a pas d’Oberliga ce week-end-là.

Nous voilà donc à l’Olympiastadion le samedi 3 novembre, un peu avant le coup d’envoi fixé à 15 h 30, l’heure sacro-sainte du foot en RFA. Il fait 4 degrés, le ciel est gris, un petit vent froid souffle, il n’y a pas grand-monde et on se sent un peu seul sur l’immense esplanade qui conduit au stade. M., mon hôte, m’explique que les Berlinois viennent ici faire du char à voile le dimanche matin. Ils auraient du mal à le faire ailleurs à l’intérieur du Mur et la plage la plus proche est à 300 km…

Le stade, comme on le sait, est celui des Jeux de 1936. Avec 86 000 places, il est encore aujourd’hui le plus grand d’Allemagne de l’Ouest. Il n’a pas été touché par les bombardements pendant la guerre. On a simplement enlevé les symboles nazis, le reste est dans l’état d’origine à part le tableau électronique et le toit installés pour la coupe du monde 1974. Même aujourd’hui, entre les souvenirs historiques et le Maifeld (champ de Mai) juste à côté avec son esplanade et sa tribune pour grandes parades genre Nuremberg, l’impression est un peu bizarre.

6,50 DM le billet au tarif étudiant : ça fait quand même 20 F depuis la troisième dévaluation[2] (merci M. Fabius), mais c’est nettement moins cher que le Parc des Princes. À ce prix-là, on est en haut des tribunes inférieures, au niveau des 16 mètres, assis sur un banc à places numérotées. On a le choix du siège, parce que ça sonne très, très creux : 3 856 spectateurs, apprendrons-nous. Ce ne sont pas les 500 de Paris FC-Toulouse au Parc il y a quelques années, mais presque. De toute façon, là, il n’y avait pas le choix : seul le Stade Olympique est homologué pour le football pro à Berlin-Ouest.

Voilà les joueurs. Pour le Blau-Weiss, en blanc : Mager – Schmidt, Gerber, Haller, Hellmann – Flad (Dinauer, 77e), Stark, Brefort, Gaedke – Bunk, Kirschbaum (Schweger, 46e). Pour le Fortuna, en rouge : Hemmerlein – Esche, Kirschner, Richter (Kropp, 46e), Baier – Gede, Werres, Gores, Grabosch – Helmes, Kurtenbach. De parfaits inconnus qu’on n’a jamais vu ou presque dans les grands clubs. D’après le Kicker, la bible du football ouest-allemand, beaucoup des joueurs berlinois sont de vieux briscards de la Bundesliga ou de la D2 recrutés cette saison, par exemple le gardien Mager qui était titulaire à Bochum.

C’est la 13e journée sur 38 dans cette D2 unique à 20 clubs. Le Blau-Weiss est 18e, le Fortuna 12e. Ça promet, et on ne sera pas déçu : c’est un festival de courses linéaires sur les ailes, de longs ballons en profondeur dans l’axe, de tacles virils et de mauvaise technique. Les gardiens n’ont quasiment rien à faire, ça change désagréablement des tribunes bondées et des grosses frappes des buts étrangers de Stade 2.

Dans les tribunes, c’est morose. Deux ou trois supporters crient « Blau-Weiss » de temps à autre. Un groupe près de nous hurle « Uliiii ! » dès que Rudolf Gores, du Fortuna, touche la balle, on ne sait pas bien pourquoi. C’est tout : pas de chants, pas de drapeaux, pas de cornes de brume à tout va comme dans les Bayern-Hambourg. Il faut dire qu’il n’y a pas de quoi : aucun tir cadré de toute la première mi-temps. Ça bastonne dur avec déjà trois cartons jaunes, il y en aura 7 de tout le match (3 pour le Blau-Weiss, 4 pour le Fortuna).

On n’a pas vu de quoi se restaurer dans les couloirs, alors on reste là à papoter avec M. et quelques-uns de ses amis qui nous ont accompagnés. Ils ne vont quasiment jamais au stade parce que ça n’est pas la joie avec le Hertha et ceux qui s’intéressent au foot supportent d’autres équipes, souvent le Bayern ou Mönchengladbach. De manière générale, me disent-ils, le foot n’est pas un gros truc ici car les Berlinois ont beaucoup d’autres distractions à portée de la main. Un peu comme à Paris, en sorte… Le jour baisse déjà (c’est la même heure qu’en France, mais Berlin est beaucoup plus à l’est) et le match reprend.

Autant le dire tout de suite, ce sera à peine mieux. Une situation chaude dans la surface du Fortuna qui finit sur une frappe de peu à côté, et c’est tout. Même plus de « Blau-Weiss » ni de « Uliii » dans les tribunes, tout le monde est résigné. L’arbitre siffle la fin d’un 0-0 qui ne restera pas dans les mémoires (à l’exception de la nôtre) et on repart vite vers le métro pour rentrer chez M. se réchauffer d’une bonne tasse de thé. Au moins, la station n’est pas bondée.

Ce match médiocre dans un stade vide, aussi gris que le Mur, est l’envers de la médaille de la Bundesliga qu’on connaît en France. Question qualité de jeu, ce n’était pas mieux qu’un Paris FC-Strasbourg en 32e de finale de la Coupe que votre serviteur a vu au Parc il y a trois ans. Une chose est sûre : ce n’est pas ici que Beckenbauer va trouver la perle rare qui sortira la RFA de son trou noir après son échec à l’Euro. En éliminatoires du Mundial 86, c’est reparti avec une victoire laborieuse (2-0) sur la Suède il y a quinze jours, mais il y a encore beaucoup à faire. Le Blau-Weiss joue le maintien cette saison, le Fortuna était donné comme un outsider pour la montée. Là aussi, il y a du travail des deux côtés.

Voilà donc pour ce reportage inaugural. 36 15 P2F fera de son mieux pour vous en proposer d’autres, peut-être pas à l’étranger mais plus riches en buts, on l’espère. Entretemps, continuez à venir nous voir pour toute une série d’articles sur l’histoire et les curiosités de notre sport préféré !

NDLR en 2024 : Le Blau-Weiß a fait mieux que se maintenir cette saison-là, finissant septième avant de monter carrément en Bundesliga la saison suivante. On reparlera à l’occasion du spectaculaire « crash and burn » qui a suivi et a conduit le club à la liquidation pure et simple en 1992. Le Fortuna Cologne, lui, a raté sa saison 1984-85 et a fini douzième. Il est resté un pilier de 2. Bundesliga jusqu’à sa descente en D3 en 2000, puis en D4 en 2002, et enfin en D5 en 2006. Il a retrouvé la D4 en 2011 et navigue depuis entre celle-ci et la D3.


[1] NDLR en 2024 : Le clavier du Minitel ne permettant pas l’usage du ß allemand, nous respectons la typographie d’origine.

[2] À cette époque, les pays de la CEE (ancêtre de l’UE) coordonnent leurs politiques monétaires pour maintenir des taux de change à peu près constants. De fin 1981 à fin 1983, la dégradation de son économie contraint la France à dévaluer trois fois, faisant passer le deutsche Mark de 2,40 à 3,05 F.

10 réflexions sur « Il y a 40 ans : P2F débarque sur Minitel ! »

  1. Il parait que la facture pour utiliser le minitel pouvait rapidemment être très salée
    Ca s’élèverait à combien pour la lecture de cet article ? ^^
    (en Euros svp ! Je n’ai jamais compté en francs)

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    1. « Découvert » par chez vous en 86 – je mets des guillemets car notre ami français répugnait à s’en servir, « c’est vite cher »………bref, et quoique je le voyais chaque été, immuable : je n’ai jamais vu cet engin à l’oeuvre.

      Berlin et foot, pour moi c’est Littbarski, un de mes joueurs préférés des 80’s.. ==> Je vois sa tête tout de suite, ça ne rate jamais à cette association d’idées.

      Parmi les joueurs cités, « Gerber » me dit bien quelque chose mais ce doit être un homonyme.

      Et alors, en me demandant quel était donc ce club, je vois que dans ces eaux-là y évolua un certain Alan Clarke, en provenance directe de Leeds United?? Rien à voir avec son illustre (quasi-)homonyme, mais c’est étonnant comme mouvement de joueur, ça te dit quelque chose, Herrn G-G-G??

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    2. Ça a à voir avec les agissements sulfureux (on en reparlera un jour) d’Uwe Kropatschek, le mécène qui avait sorti le Blau-Weiß de l’anonymat pour tenter d’en faire un deuxième club pro à Berlin. Disons pour résumer que l’homme a fait figure de pionnier dans la tierce propriété des droits sur les transferts des joueurs, au-delà des limites légales et en connaissance de cause, avec des conséquences prévisibles.

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    3. On aurait été au tarif t2, soit 0,37 F la minute. À 5 minutes de lecture plus 0,12 F de connexion, ça aurait fait 1,97 F, soit 30 centimes d’euro. Pour comparaison, une baguette coûtait 2,60 F en 1984, soit à peu près 40 centimes.

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  2. Haha. Genial, merci pour ce partage. J’ai de très bons souvenirs des années de d2 de Toulouse dans les années 90. Des adversaires incongrus, la remontée ratée de quelques points. François Calderaro, les rigolades dans des tribunes clairsemées…

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    1. Je ne peux pas parler pour tout Berlin-Ouest, en particulier pour les milieux alternatifs qui n’étaient pas sans sympathie pour le communisme. Dans le « mainstream », en tout cas, l’attitude générale vis-à-vis de l’Est était celle du cordon sanitaire. On ne vivait plus tout à fait aussi face à face depuis la détente des années 70 initiée par Willy Brandt, mais résolument côte à côte. Pour citer un exemple, les lignes de chemin de fer « régionales » (S-Bahn), en fait restreintes à l’intérieur du Mur, étaient la propriété des chemins de fer de l’Est, la Deutsche Reichsbahn, qui les exploitait. Personnel et agents de conduite franchissaient ainsi le Mur tous les matins pour faire tourner tout ça avant de rentrer chez eux le soir. Depuis la construction du Mur en 1961, la population de l’Ouest boycottait le S-Bahn. On voyait passer les trains avec un ou deux passagers à bord, même aux heures de pointe. (En 1984, entre ma première et ma deuxième visite, l’exploitation est passée à la BVG, la RATP de Berlin-Ouest, et le boycott a cessé.) Tout ça pour dire que l’attitude était la même en foot. Les clubs de la RDA étaient ceux d’un autre pays, et mes contemporains voyaient d’ailleurs la DDR comme l’étranger. Si l’URSS était tombée dix ou vingt ans plus tard, peut-être la réunification n’aurait-elle pas eu lieu… mais ceci est une autre histoire.

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