Dimanche 11 décembre 1983, sur les coups de midi, heure locale, la Toyota Cup s’impose sur les écrans de télévision japonais. L’ex-Coupe Intercontinentale, désormais solidement implantée dans sa nouvelle formule, un match sec, et son nouveau théâtre, le stade Olympique national de Tokyo, est un formidable accélérateur pour le développement du football nippon, au même titre que les fictions imaginées par Takahashi Yôichi dans Captain Tsubasa.
Grêmio – Hambourg, couleur et grisaille
Cette quatrième édition de la Toyota Cup revêt un caractère singulier car pour la première fois, l’UEFA n’est pas représentée par un club anglais venu par obligation, Nottingham Forest, Liverpool et Aston Villa ayant tous échoué face aux champions de Copa Libertadores sans jamais donner l’impression de s’intéresser à l’épreuve. Vainqueur de la Juventus en finale de Coupe des clubs champions, c’est le Hambourg SV qui porte les espoirs du Vieux Continent. Contre l’avis des pronostiqueurs, les Allemands ont fait trébucher les six champions du monde italiens[1] et leur maestro, Michel Platini, à l’issue d’une rencontre peu spectaculaire. La manière est d’autant plus savoureuse qu’ils ont pris les Juventini à leur propre jeu. D’une terrible frappe dans la lucarne de Zoff, dont il s’agit du dernier match officiel en club[2], Felix Magath a rapidement ouvert le score. Puis la toile d’araignée allemande a tissé sa toile dans laquelle des Bianconeri sans imagination sont venus s’empêtrer, Wolfgang Rolff se chargeant d’étouffer Platini selon un marquage que n’aurait pas renié Claudio Gentile.
Du côté sud-américain, le lauréat de la Copa Libertadores est le Grêmio de Porto Alegre, vainqueur du tenant du titre, Peñarol. La fin des années 70 et le début des années 80 correspondent à l’âge d’or du football gaúcho : l’Internacional conquiert trois titres nationaux (1975, 1976, 1979) contre un pour Grêmio (champion en 1981, vice-champion en 1982). Mais depuis la défaite en finale de Libertadores 1980 et le départ de Falcão à la Roma, le Colorado décline alors que Grêmio est au sommet. En s’imposant à l’échelon continental, le Tricolor gaúcho prouve qu’il est désormais la force dominante de Porto Alegre, une inversion du rapport de force mal vécue par les torcidas de l’Inter et aggravé par une photo parue à la veille de la Toyota Cup sur laquelle le Chilien Elías Figueroa, leur ancienne idole, pose avec le maillot de Grêmio[3].
Comme lors des précédentes éditions, l’approche de la rencontre est radicalement différente entre les deux adversaires. Pour Grêmio, un titre permettrait de parachever une œuvre déjà admirable, une sorte de point d’orgue prolongeant une saison 1983 grandiose sur le plan international. Les Brésiliens posent le pied sur le sol japonais dès le mercredi et après un premier entrainement au stade National, l’entraineur Valdir Espinosa, le capitaine uruguayen Hugo de León[4] et le jeune Renato Portaluppi – déjà surnommé Renato Gaúcho pour le distinguer du Renato évoluant à São Paulo – tiennent une longue conférence de presse. La disponibilité des Gaúchos, la fraîcheur de l’effectif et peut-être l’éclat de leur maillot Tricolor créent spontanément un élan de sympathie parmi l’auditoire.
Dans le camp hanséatique, la préparation est minimaliste. Le mercredi 7 décembre, le HSV s’est incliné à domicile contre le VfB Stuttgart, et prolonge sa mauvaise passe matérialisée par quatre matches sans victoire en championnat et une élimination précoce en Coupe d’Europe face au Dinamo Bucarest. Les Rothosen n’arrivent à Tokyo qu’en fin de journée du vendredi, comme si le coach Ernst Happel avait voulu quitter Hambourg le plus tard possible. L’Autrichien est un personnage à la Simenon, un taiseux amarré par un lien invisible aux villes portuaires, Rotterdam, Bruges, Hambourg, et qui se consume loin de la mer du Nord[5]. Dans ces univers brumeux, où la lumière et les couleurs se drapent de pudeur, ses méthodes rugueuses produisent étonnamment un jeu plein de nuances, spectaculaire et intelligent. Convaincu de la force dialectique des discours minimalistes, dès lors qu’ils sont appuyés par le bâton, il transmet ses idées avec une économie de mots qui en font un entraîneur d’un autre temps.
Et puisque Happel goûte peu les séances de questions réponses, il annule le point presse prévu à l’arrivée au Japon et se contente de quelques mots génériques, « mes joueurs ne sont pas au mieux, mais je pense que l’Europe va interrompre la série des succès sud-américains. » Alors qu’il peut être le premier technicien vainqueur à deux reprises de l’épreuve avec deux clubs différents, 13 ans après avoir triomphé d’Estudiantes avec Feyenoord Rotterdam, son manque d’entrain révèle la faible importance qu’il accorde à cette éventualité[6].
Un duel de qualité
L’aire de jeu jaunâtre, dure et bosselée du stade olympique, qu’une pluie fine rend glissante, accueille les deux équipes à la mi-journée sous le regard de Japonais très majoritairement acquis à la cause brésilienne, l’exercice de séduction des hommes d’Espinosa ayant contaminé la foule avec le relais de la presse. Hambourg joue en maillot blanc, short rouge et chaussettes blanches alors que Grêmio porte ses couleurs traditionnelles, à l’exception des chaussettes, bleues ciel et non blanches selon le souhait de l’organisation.
Si le Grêmio est favori, ce n’est pas en raison de l’enthousiasme du public mais parce que le Tricolor gaúcho dispose de quelques cracks, en commençant par son chef de défense Hugo de León. Sur le plan offensif, Renato, Flecha Negra Tarciso et, plus en retrait, le vieux Paulo Cézar Caju (champion du monde 1970) combinent expérience et jeunesse, maitrise et vitesse. Pour maximiser les chances de succès, Valdir Espinosa a obtenu de ses dirigeants qu’ils fassent appel à Mário Sérgio pour ce match, un technicien aussi génial qu’instable, à qui il confie la responsabilité de dicter le tempo du match.
La sensation de déséquilibre entre les forces en présence est accentuée par le profil offert par le HSV. Le club a changé de visage durant l’été en se séparant de son duo d’attaque Lars Bastrup-Horst Hrubesch et les blessures récentes le handicapent (Manfred Kaltz et Dieter Schatzschneider, le nouvel avant-centre). Heureusement, le camp allemand peut compter sur Felix Magath, prolongement de Happel sur la pelouse, pour tenter de restaurer une force collective grippée depuis plusieurs semaines.
Très rythmée, la rencontre est plaisante mais aucune équipe ne se crée d’occasion franche jusqu’à la 38e minute. Déjà très remuant, Renato réceptionne une ouverture de Paulo Cézar Caju sur le flanc droit. Il accélère, provoque Holger Hieronymus, l’élimine d’un double crochet puis frappe dans un angle très fermé. Le tacle de Jürgen Groh est trop tardif et Uli Stein laisse suffisamment d’espace au pied de son poteau pour que le ballon finisse au fond des filets. La caméra filme en gros plan la joie de Renato dont on se dit qu’il a le physique d’une star.
En début de seconde mi-temps, sur des transitions rapides orchestrées par le maestro Mário Sérgio, Grêmio a plusieurs occasions de doubler le score. Mais à 32 ans, Tarciso n’est plus tout à fait la Flecha Negra et, quand il fait la différence, Michel Vautrot le signale à tort hors-jeu. Sur une autre action, l’arbitre français ne sanctionne pas d’un pénalty une faute a priori évidente sur Renato.
Les minutes défilent, Hambourg pousse de plus en plus fort. Ditmar Jakobs quitte sa défense et reste aux avant-postes, laissant des espaces béants dont ne profitent pas les Brésiliens. Et ce que l’on pressent survient à la 85e : long coup franc de Magath au second poteau, remise de la tête de Jakobs aux six mètres où rôde Michael Schröder dont le brushing impeccable est une publicité en mondovision pour son coiffeur. Idéalement placé, le latéral allemand fusille Mazarópi et égalise.
Renato Gaúcho superstar
Ce qui pourrait abattre les Brésiliens les transcende. Dès les premiers instants de la prolongation, Renato fait basculer le match. Tarciso prolonge de la tête un centre venu de la gauche, Renato contrôle à 10 mètres du but, décoiffe Schröder et son brushing d’un crochet puis place le ballon le long du poteau de Stein alors que le soleil fait son apparition. Le Tricolor résiste aux efforts désordonnés du HSV et conserve son avantage jusqu’au terme de la rencontre. Dès le coup de sifflet final, le réalisateur propose un plan serré sur Renato, à genoux, les mains à plat sur les yeux.
Un peu plus tard, alors que Hugo de León brandit le volumineux trophée, Renato pose devant la Toyota Carina récompensant l’homme du match. Il a 21 ans, un sourire ravageur et un instinct d’ailier-buteur qui en font l’héritier naturel de Jairzinho. Il n’en sera rien. Sa carrière chaotique, jalonnée de coups d’éclats[7] et de rendez-vous manqués, de soirées arrosées et de conflits bruyants avec ses coachs, dont les plus prestigieux, ne peut rivaliser avec celle du sublime numéro 7 de Botafogo et de la Canarinha 1970.
Mais dans la longue histoire du Grêmio, il est le plus grand. Pour son rôle dans les triomphes de 1983. Pour la victoire en Copa Libertadores 2017 en tant qu’entraîneur[8]. Et parce que son irrévérence, son refus de l’autorité et de l’ordre établi ressemblent à l’image que les Gaúchos ont d’eux-mêmes. Ne l’appelez pas Renato, mais Renato Gaúcho.
Feuille de match
11 décembre 1983, Tokyo, stade olympique national
Grêmio Porto Alegre – Hambourg SV : 2-1 après prolongations
Grêmio : Mazarópi – Paulo Roberto, Baidek, Hugo De León, Paulo César Magalhães – China, Osvaldo (puis Lima), Paulo César Caju (puis Caio), Mário Sérgio – Renato, Tarciso.
DT : Valdir Espinosa.
Hambourg : Uli Stein – Ditmar Jakobs, Holger Hieronymus, Bernd Wehmeyer Michael Schröder – Jurgen Groh, Wolfgang Rolff, Felix Magath, William Hartwig – Allan Hansen, Wolfram Wuttke
DT : Ernst Happel.
Buts : 38e et 93e Renato Gaúcho pour Grêmio, 85e Michael Schröder pour Hambourg.
Arbitre : Michel Vautrot (France).
[1] Zoff, Gentile, Scirea, Cabrini, Tardelli, Rossi.
[2] Zoff dispute à 41 ans son dernier match avec la Nazionale le 29 mai 1983 contre la Suède, une défaite 2-0.
[3] Croisé dans un aéroport lors d’une escale entre le Brésil et le Japon, jeune retraité, Figueroa accepte d’endosser un maillot de Grêmio.
[4] Vainqueur de la Libertadores 1980 avec le Nacional, Hugo de León aurait dû jouer la Toyota Cup 1980. Mais celle-ci est organisée en février 1981, après son transfert à Grêmio en janvier 1981.
[5] Happel entraîne durant six mois le FC Séville en 1973, un flop total.
[6] Lula est le premier coach à avoir deux titres avec Santos en 1962 et 1963. Carlos Bianchi est le premier à l’emporter avec deux équipes différentes, Vélez Sarsfield en 1994 puis Boca Juniors en 2000 et 2003.
[7] Bola de Ouro 1987, c’est-à-dire meilleur joueur brésilien de l’année.
[8] Premier homme à gagner le trophée en tant que joueur et entraîneur.
Magnifique!
Pas le temps d’approfondir mais pas besoin non plus…
Ne retenez qu’un nom: Mário Sérgio 🙂
https://youtu.be/wbfsRsl3hEI?si=5PcMvnUPMk5ubkKW
Punaise, quel joueur………. Merci de la découverte!
Et je vois qu’il n’a eu que 8 sélections avec le Brésil, éh ben..
Tout en décontraction hein? 😛
Eh eh, joueur au caractère bien trempé, sans doute pas très Coutinho ou Santana compatible…
Un style, aussi, à jouer dans des films d’adultes avec Souness (et Gullit, Verano)!
Je lis qu’il aurait été en balance avec Eder pour 1982??? Il semble beaucoup plus axial, c’est curieux. Et j’ai l’impression que ça fait déjà quelques fois que je lis qu’Eder aurait été en balance avec tchic-tchac-tchouc.
T’es sûr que c’est pas plutôt Zé Sérgio le concurrent d’Eder?
PS : il sort quand ton travail sur la copine de « Gullit »?
Lu sur la page wiki, en portugais, de Mario Sergio.
(je suis snob, élitiste, tout ce qu’on veut..mais quand je ne parle pas la langue, je me contente de Wiki!)
Le passage en question : « Entre os clubes por que passou, Mário Sérgio colecionou a fama de indisciplinado, o que fatalmente o afastava da Seleção Brasileira, apesar das suas indefectíveis atuações.
Mesmo assim, ele quase jogou a Copa de 1982. Apesar de ter feito parte de toda a preparação da equipe para a disputa daquele torneio, ele foi cortado na última convocação, substituído por Eder, do Atlético-MG.[21] Mesmo não aparecendo na relação final de 22 nomes para a Copa na Espanha, ele esteve na lista de espera, de 40 nomes, registrada na FIFA. »
A ma connaissance c’était également Zé Sérgio mais il rate la compétition pour blessure me semble t-il.
Il joue le 1er match contre le Venezuela et Eder les 3 autres (hé oui la qualif se jouait en 4 matchs).
Ce ne serait pas la première fois que Wiki raconterait des bêtises.
Probable erreur, oui.
Mais une erreur pareille dans la langue maternelle du principal intéressé, peuchère..
Je viens de jeter un œil aux compos fin 81 et début 82 et en effet, il est en balance avec Eder (Zé Sérgio l’est aussi mais en 80-81). Faudrait mater les matchs contre la RDA ou la Tchécoslovaquie pour voir comment et où il jouait exactement.
Il pouvait jouer faux ailier gauche. Mais alors vraiment, mais vraiment pas dans le style d’un ailier traditionnel (de toute façon vous avez vu le style du bestiau). Plus à la Mario Corso, un meneur placé à l’aile gauche au départ du match, qu’on retrouve tout le reste du match au milieu, sans doute pour laisser la place aux fantaisies de Júnior sur son côté.
Pourquoi Hambourg a laissé partir -Horst Hrubesch? D’ailleurs, après avoir flambé en achetant Keegan, ils n’ont pas recruté d’autres joueurs de renom. Manque de moyens? Apres la suite, leurs aura donné raison…
Manque de moyens : Dieter Schatzschneider coûte moins cher et est plus jeune. Il semble que cela se passe sans fracas, Happel jouant de ses contacts au Standard pour que Hrubesch y trouve un point de chute honorable.
Concernant son départ de Hambourg : Hrubesch et Happel voulaient prolonger la collaboration de deux ans..mais le manager Netzer, refroidi par son mauvais début de saison et par de premiers pépins physiques (qui iraient s’aggravant), n’était disposé à ne lui offrir qu’une saison de contrat. L’intercession de Happel n’y changea rien..et finalement, oui : Happel le suggéra au Standard, qui sauta sur l’occasion.
Hrubesch fut souvent blessé en Belgique, loupa bon 4-5 mois en deux saisons. Des blessures sérieuses, qui normalement auraient dû précipiter sa fin de carrière..mais il s’accrocha et fut absolument exemplaire dans une adversité..que je développe demain – quel timing, Verano.
Magath s’est’il inspiré de Happel dans sa future carrière de coach?
Comme, à ma connaissance, tous ceux passés entre ses mains : il tient Happel pour son mentor.
Il me semble que la passage romain de Renato Gaucho est particulièrement festif. Des nuits blanches partagées avec Maradona, il me semble.
Ah oui, un flop total, des frasques et des tensions avec Gianinni au cours d’une saison pourrie.
Hugo de Leon, tu le placerais où dans la hiérarchie des défenseurs uruguayens, Verano?
Haut ! Au niveau de Godín, peut-être. Féroce, sachant relancer et vainqueur de nombreux titres. Mais pour moi, devant, il y a Santamaría pour son parcours et son style élégant.
Un autre grand défenseur uruguayen, c’est William Martínez, Champion 1950 sans jouer, mais légende de Peñarol jusqu’au début des 60es, inspirateur de générations de défenseurs uruguayens.
Le duo Tejera – Gambetta, ça a également tenu la route. Et puis j’oubliais Nasazzi, le pionnier !
C’est ce que je me disais, on est au niveau de Godin. Merci