Hommage à la Copa Perú

Le plus grand championnat de football du monde, la Copa Perú est dans le viseur des institutions footballistiques péruviennes. Hommage à une compétition unique en son genre.

Le 24 aout 2022, la Fédération Péruvienne de Football (FPF) convoque une conférence de presse pour annoncer des changements d’organisation en vue de professionnaliser et réformer le football local, bien mal en point. Parmi toutes les annonces, une fait l’effet d’un choc pour tous les amoureux du football populaire dans ce pays. La FPF a décidé que le vainqueur de la Copa Perú ne se qualifiera plus en Liga 1 directement, mais devra passer d’abord par la Liga 2. De plus, les équipes seront limitées à seulement quatre joueurs de plus de 25 ans par match et devront obligatoirement faire jouer deux joueurs de moins de 20 ans. Coup de tonnerre dans le football amateur péruvien.

Pour comprendre cette annonce et sa portée, il faut comprendre ce qu’est la Copa Perú. Le plus grand championnat du monde : près de 25000 équipes au départ pour une seule gagnante à l’arrivée. L’équivalent en France d’un championnat regroupant l’ensemble des équipes du National 1 aux ligues départementales et dont le vainqueur final se qualifie en Ligue 1.

  Le championnat commence avec les ligues de « district », plus petit niveau de division administrative au Pérou. Les vainqueurs de cette ligue sont qualifiés dans la ligue « provinciale » avec les champions des autres districts de la province. Le champion et le vice-champion de cette ligue provinciale se retrouvent en ligue « départementale » (bien qu’au Pérou les départements seraient l’équivalent de nos régions en France). Rebelote, les deux premiers passent à l’étage supérieur, le tournoi national de 50 équipes. Après un court championnat de 6 matchs, les 32 meilleures équipes restent en lice pour un tournoi à élimination directe. Les quatre meilleures équipes s’affrontent dans un tournoi quadrangulaire sur  terrain neutre, généralement au stade national de Lima. Une usine à gaz, un « Royal Rumble » ou une « Battle Royale », appelez-le comme vous voulez. Mais cette compétition permet à tous de rêver d’une véritable épopée afin de terminer vainqueur de la Copa Perú.

Le championnat où tout est possible. Dans les hauteurs des Andes, les forêts tropicales amazoniennes, la côte désertique du Pacifique ou les quartiers populaires des grandes villes, bref, dans n’importe quel recoin du pays où l’on trouve de buts et un terrain, on joue la Copa Perú.

On retrouve donc des équipes historiques du Pérou, comme l’Atlético Torino, le Coronel Bolognesi de Tacna ou le Circolo Sportivo Italiano de Lima dans le même championnat que l’équipe de quartier ou l’équipe du village le plus reculé des Andes. Tous ont le même objectif :  gagner la coupe et rejoindre les professionnels.

Maintenant imaginez. Vous êtes un groupe de jeunes passionnés, rêvant d’avoir votre propre club. Vous convainquez des entrepreneurs d’investir dans votre club fraîchement créé. En deux ans, vous arrivez en Ligue 1. En trois ans, vous êtes vice-champion de France et donc qualifié pour la Ligue des Champions. L’année d’après, vous êtes en quart de finale de la Ligue des Champions. Improbable non ? C’est l’aventure qu’a vécu le Real Garcilaso de Cusco (maintenant Cusco FC). Fondé en 2009, il remporte la Copa Perú en 2010, ce qui le qualifie pour la Liga 1 2011/2012. Lors d’une saison incroyable, le club termine vice-champion, battu en finale par l’un des trois grands clubs du pays, le Sporting Cristal. Malgré sa défaite, il est qualifié en Copa Libertadores où le club fera un des plus beaux parcours pour un club péruvien pendant les années 2010 et se hissera en quart de finale, en éliminant – excusez du peu – le légendaire club d’Uruguay, le Nacional, en huitième de finale.  Bien que le club soit aujourd’hui en Liga 2, il est resté dans la mémoire collective comme un exemple de réussite.

La Copa Perú, c’est aussi des moments incroyables qui font régulièrement les choux gras de la presse péruvienne. Une traversée de troupeau de vaches interrompt un match.

Drôle de supporters

Une mini tornade interrompt l’autre.

Shaolin Soccer ?

 Un arbitre envoie une balayette à un joueur insolent.

Carton rouge, Monsieur l’arbitre

Forcément, les conditions pour participer sont minimes. Les stades  sont parfois inexistants et le terrain de foot local fait souvent l’affaire. Chaque année, les amateurs de football péruvien se délectent d’un moment insolite qui semble arriver seulement dans ce championnat.

Le nom des équipes engagées sont tout un poème . Dans cette compétition, on peut suivre les exploits du « Déportivo Trago Corto » (« Trago corto » étant une expression péruvienne pour l’alcool fort), « Los Pincheros » (que l’on peut traduire par « Les Alcooliques »), « Rico Pollo » (« Le Bon Poulet » sûrement sponsorisé par un restaurant de poulets très populaire au Pérou), « Ho Chi Minh » ou encore « Príncipe Azul» (version hispanophone du Prince Charmant). On trouve aussi les représentants d’entreprises ou d’institutions publiques, de la construction civile aux douanes.

Bien sûr, tout n’est pas rose dans ce football que l’on appelle le football « macho ». Les faits de violences, d’agression d’arbitre ou de joueurs adverses sont légion. De plus, la corruption est omniprésente dans le tournoi. Les joueurs sont censés être amateurs, mais certains joueurs stars gagnent parfois plus que des joueurs professionnels dans les deux divisions supérieures.  Il est aussi connu que certains arbitres voire certains joueurs acceptent des pots-de-vin pour favoriser une équipe. Dans une interview d’après match [1]d’un quart de finale retour en 2013, le joueur Luis Cordero accuse devant les caméras son propre gardien (pourtant assis au bord du terrain à deux mètres de lui) d’avoir reçu de l’argent pour faire perdre son équipe.

Dans une autre vidéo hallucinante[2], Horacio Baldessari, entraîneur argentin de l’équipe de Carlos Mannucci dénonce que son gardien a été approché par des rivaux pour recevoir 1500 soles (environ 400 euros)  en liquide avant un match. Les plus curieux pourront apprécier le geste de grande classe réalisé par « La Pepa » afin de protester contre cette tentative de corruption. Cependant, ces travers ne sont pas spécifiques au football amateur. Comme on dit souvent, le football n’est que le reflet de la société. Et la violence et la corruption sont inhérentes à la vie sociale péruvienne.

Malgré ces vices, la Copa Perú reste un championnat unique en son genre. C’est la quintessence du football populaire, entre groupes de supporters passionnés pour son club local, l’équipe du village qui se qualifie à l’étape supérieur, le terrain à côté de la ferme, les joueurs qui ne sont pas en grande forme le dimanche matin. Alors, évidemment, le football péruvien a besoin de réformes. Les clubs péruviens font très mauvaise figure en compétitions internationales, battus par des clubs de pays théoriquement inférieurs, tels que la Bolivie ou le Venezuela. Ricardo Gareca lui-même, héros national après avoir qualifié le Pérou pour la Coupe du Monde 2018, a alerté sur l’état des infrastructures nationales qui ne permettent pas un développement de jeunes joueurs péruviens. Mais quelque part, c’est une certaine vision du football qui disparaît avec ces réformes. Ce football populaire, ce football de tous, ce football qui fait rêver les petits et les grands, le football que l’on joue dans la cour de récré, ce football où, en partant de notre club de village, on se retrouve face aux plus grands clubs de notre championnat.

La Copa Perú est éternelle.

FabienHe


[1] https://www.youtube.com/watch?v=jdPtRo77mzk&ab_channel=ClubSocialDeportivoMariscalC%C3%A1ceres

[2] https://www.youtube.com/watch?v=88zep6BcPo4&ab_channel=Lvzhin

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32 réflexions sur « Hommage à la Copa Perú »

  1. Grande découverte pour moi !
    Incroyable ce parcours du Cusco FC.
    Il avaient reçu beaucoup de fonds et avaient acheté des joueurs pro ou c est une épopée d’amateurs?
    Ça doit être quelquechose quand même de passer des terrains du quartiers à la libertadores en 2 ans…

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    1. En réalité l’épopée du Cuzco FC (Real Garcilaso a l’époque) mériterait à elle-seule un article !
      Le recrutement a été intelligent à l’époque,un mélange de jeunes prometteurs,bons renforts étrangers et de vieux briscards péruviens (dont d’anciens internationaux ). Une étoile filante dans le foot péruvien.

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      1. Je vois!
        On peut dire qu ils se sont pas loupés sur le recrutement… C’était quelqu’un de connu dans le foot péruvien le recruteur/président?
        J avoue que ça donne envie d en savoir plus. J’attendrai donc ton prochain article avec attention!

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  2. Ah ! ah ! il est trop bien, cet article.
    Au Pérou, as-tu assisté à beaucoup de matchs ? J’imagine qu’il vaut mieux en éviter certains, où l’ambiance ne doit pas être tout à fait bon enfant…

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      1. Quelques matchs au niveau « district ».
        Effectivement les matchs peuvent être tendus, même dans les « pichangas »(matchs de foot entre collègues,amis ou voisins) les Péruviens ont la fâcheuse tendance à se croire en Coupe du monde.. Alors en compétition nationale,n’en parlons pas!

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  3. Merci beaucoup Fabien pour ce voyage du lundi matin.
    En me documentant sur les années de Sekularać en Colombie, j’ai découvert l’existence du Torneo del Olaya à Bogotà dont l’esprit semble proche de la Copa Perú.

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    1. Quelques joueurs phares de la sélection péruvienne y sont passés. On peut citer Christian Cueva (tireur malheureux du penalty contre le Danemark en Coupe du monde 2018) et Miguel Trauco,joueur de Saint Etienne.
      En tout,une dizaine de joueurs de la sélection actuelle sont passés par la Copa Perú. Même Paolo Guerrero est passé par la ligue de Barranco.

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    1. Honnêtement,le niveau du championnat est très mauvais. Encore cette année,les clubs péruviens ont fini derniers de leur groupe.
      Alianza Lima avec 1 point et une différence de but de -12(4/16)!
      Sporting Cristal fait à peine mieux avec 2 points mais « seulement » une différence de -5(3/8).
      Bonne prestation du Melgar en Copa Sudamericana cependant, arrivé en demi-finale.
      C’est d’ailleurs une des raisons de la réforme de la Copa Perú: la fédération péruvienne cherche des solutions.
      À court et moyen terme,je ne vois pas un club péruvien faire une performance en Libertadores à moins d’une incroyable épopée.

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      1. Incroyable cet article!! Une découverte pour moi et les vidéos sont justes…. Fabuleuses!!!
        Merci pour le partage. Le rêve que ça doit être de se retrouver en Liga 1 après avoir traverser les étapes et les matchs !!
        Toute la passion des joueurs et entraîneurs aussi bien retrouvée dans la vidéo de dénonciation de la corruption du gardien de l’équipe! Énorme.

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  4. Car moi mon article préféré… Jusqu’à ce qu’un autre le détrône… connaissais pas comme beaucoup… merci pour la découverte

    J’ai décidé que la communauté de pintes de foot s’appellerait les pintades… Ça vous plaît ? Non ? Je m’en fou c’est comme ça on vous a pas demandé votre avis!!! Allez cacaber ailleurs !!!

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    1. Je te conseille les vidéos mises en lien, le mec qui s’essuie littéralement le fion avec les billets de la tentative de corruption (en live à la TV) c’est mythique, et ça illustre parfaitement les propos de Fabien!

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      1. Ce « Pepa » a une fan, ma fille : « berk, mais pourquoi il s’essuie le pèt’? »

        « Je veux revoir le Monsieur qui s’essuie le pèt » ».

        Bien bon article sur une compétition que je n’aurais jamais soupçonnée – aussi démesurée que l’ambiance générale qui, d’évidence, y prévaut autour du football.

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  5. Je n’avais jamais entendu parler de cette compétition incroyable ! Je me demandais d’ailleurs quel était le niveau des clubs péruviens au niveau continental. La fin de l’article a répondu à cela… Je ne pensais pas que leur niveau avait tant chuté.

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  6. Merci Fabien, comme beaucoup on découvre une compétition qui nous fait rêver sur le principe! Le parcours du Real Garcilaso est incroyable et rentre direct dans la légende du foot. On aurait presque pu lire 25 pages sur ce sujet!

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  7. Aaaah enfin il est arrivé ! L’article dont j’attendais la parution avec le plus d’impatience. Magistral Fabien, c’est une découverte extraordinaire que cette compétition unique en son genre, ça donne limite envie de partir avec 10 potes fans de foot au Pérou 🇵🇪
    Viva P2F, viva la Copa Peru !!!

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