Freak show à Mexico

Ce n’est certainement pas le plus connu, quoique probablement l’un des plus bizarres, et possiblement même l’un des plus intéressants, parmi les milliers de clichés produits au cours de la si photogénique Coupe du monde mexicaine de 1986.

Dans sa construction d’abord, qui semble faire siens l’un ou l’autre codes picturaux de la Renaissance – la technique dite de la composition pyramidale, tout particulièrement.

Courant d’à mi-hauteur des bords gauche et droit du cadre, deux diagonales longent ainsi les coudes extérieurs du couple périphérique de duellistes, puis en chatouillent les occiputs, avant de se rejoindre, enfin, non loin de celui du plus grand moustachu de service, accentuant de la sorte les effets géométriques d’une œuvre qui, à l’instar de la Vierge aux Rochers chez Da Vinci, joue des perspectives pour aimanter les regards d’entre calbute et chevelure bouclée – quoique, dans le cas d’espèce : pour nous braquer surtout sur la braguette du susmentionné et fort improbable beau moustachu.

Canalisé par le mouvement ascendant de ces lignes, l’effet est donc brin perturbant pour ne pas dire pervers – et cependant y a-t-il pire à ce registre, car l’on n’a encore tout vu !

Le comble de la perversité, toutefois, ne tiendra pas davantage à la perspective, non plus picturale mais cette fois bien charnelle, du pauvre bougre à tribord (d’évidence pas vraiment dans son assiette), que par babord aborde la révélation lui-livrée par quelque Vierge Marie aux trois-quarts nue. Le tout, bien entendu, toujours sous les regards complémentaires (l’un d’un caractère dominant, et l’autre en quête plutôt de protection) de ce couple inscrit au cœur des débats, qu’érotise si besoin ce cœur rouge sang sur le blanc virginal d’un seyant juste-au-corps, tels Jésus prenant sous son aile le doux faon Jean l’apôtre.

Non, décidément : le plus pervers ni le plus beau ne tiennent à cette banale opposition d’entre présumé amour et violence aveugle, si abjecte la rende la semblante inoffensivité de la pauvre victime, mais bien plutôt au caractère sciemment provoqué de cette scène – et à la distribution première des rôles.

En l’espèce, l’encravaté aux faux airs d’Ian Curtis se trouvait être un correspondant de presse états-unien, expressément dépêché par la chaîne CBS parmi les tribunes d’un fiévreux Argentine-Angleterre, pour y décrocher des clichés aussi sensationnalistes que possible – et notre génie d’outre-Atlantique de multiplier donc, pour ce-faire, les provocations de tous ordres sous les regards embrumés de supporters anglais trop sages encore à son goût, en un stade Azteca où ne manquèrent pourtant les incidents de toutes sortes.

Le janissaire glabre aux faux airs de Messi, tout près (ou qui vient ?) d’en découdre sur la gauche, est quant à lui bel et bien anglais, et sera même identifié des années plus tard comme étant le dénommé Barry Stevens, supporter de Chelsea qui, à en croire les rares sources disponibles le concernant, était vraiment un chic type et surtout un bon copain.

Quant aux deux moustachus : eh bien nul n’a jamais trop su ce qu’ils faisaient là – ce qui est regrettable car d’aucuns leur prêteront, à juger de leur dégaine par trop américaine, d’avoir possiblement participé aussi de la dramatisation de la mise en scène.

S’il gagne depuis quelques années d’être çà et là redécouvert, laissant le plus souvent ses observateurs contemporains bouche bée face à cet instantané au fort goût de 80’s et de happening – ce qu’il fut, certes, mais pas le happening qu’instinctivement l’on croit, ce cliché sciemment voué à faire la une en alimentant la trame du hooliganisme anglais, serait toutefois aussitôt éclipsé par celui  de ce soleil fermé, brandi par un Maradona à son zénith, par-dessus la tête d’un Shilton irrémédiablement scotché au sol. Et qui laissera chacun, supporters anglais comme correspondants de presse, équitablement et pour de bon groggys.

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43 réflexions sur « Freak show à Mexico »

    1. Oh, la seule lecture que j’entendais ici proposer était celle de la petite histoire derrière ce cliché, aussi caricatural pour ne pas dire iconique (mais inconnu) que, donc : provoqué.

      Mais, oui, le fait est que je n’ai à peu près rien aimé des 80’s, toc, vulgus et grosses ficelles à gogo.. Heureusement qu’il y avait le football, l’âge d’or des N°10, ce triptyque 82-84-86.. car le reste et pour ma part, bbrrrr…

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      1. Ah oui, si tu n’aimes pas le toc, la décennie a du être pénible!

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      2. Les sonorités des années 80 reviennent depuis quelques années avec l’émergence de toute la scène synthwave (et ses dérivés vaporwave, postwave, etc…).

        Son esthétique très colorée, mise en relief par les néons et autres éclairages très urbains alliant avec vigueur les couleurs chaudes et froides, ses voitures au design rétro-futuriste, les bornes d’arcades scintillant et bipant dans tous les sens. Ça donne un charme particulier, j’aime beaucoup. Je suis cependant conscient qu’ayant majoritairement grandi dans les années 90, je peux avoir tendance à magnifier les années 80, n’ayant pas de souvenir de cette période 😉

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      3. L’à peu près tout du dark-wave/post-punk de l’époque me permit de survivre émotionnellement à cette période!, qui était tout sauf folichonne dans la région où j’ai grandi, même la ville jadis si belle n’était plus qu’un trou béant….. bref : ressenti très personnel.

        Mais bon : la montée en flèche du fric-roi et somptuaire, le kitsch, le fluo et les permanentes, des fringues à la con…….. Il y avait un truc qui résumait bien l’époque, ma foi : la nuit des publivores……….ou comment l’on se retrouvait (car j’en fus, copine du moment oblige, décidément..) à payer pour passer une nuit blanche devant des..pubs………. La pub devenait un produit culturel, comme jadis l’on allait au théâtre.. Sinon ses scènes musicales underground et le football : absolument rien de cette époque ne me manque!

        Maintenant, si tu as des suggestions musicales d’un registre « dark-80’s 2.0/revival » à me suggérer (de toute façon je trouve l’époque actuelle plus riche qu’on ne dit sur le plan musical – la chance d’avoir été professionnellement entouré de jeunes adultes curieux pendant un an) : je suis tout ouïe, avec plaisir et intérêt!

        NB : quand tu parles de néons, ça me fait penser à..Christophe Lambert :), Besson aussi, « Subway »………….. Un film qui annonçait l’esthétique et la vacuité des 80’s, lol..

        NB2 : Souvenir d’un groupe obscur qui avait fait tout un album avec des bruits de néons 🙂 (ça s’appelait « Aube » ou « Ohm », un truc conceptuel pas possible…….)

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      4. Concernant les groupes, je dirais, pêle-mêle : Death Comes Crawling, College, Miami Nights 84, The Midnight, Night Vision, le très connu Perturbator, Timecop1983, Equip, Coroners (uniquement sur Youtube pour ce dernier) 😉

        Je te laisse écouter ça par toi-même !

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      5. Purée, tu t’es imposé de ces trucs pour des donzelles, Alexandre… Lambert, la Nuit des Publivores ! T’es un grand malade.
        T’aurais dû faire tienne la leçon de Bashung : « Laisse venir / Laisse venir / Tu l’auras toujours, ta belle gueule / Tu l’auras, ta superbe / A défaut d’éloquence ».
        Bon, je ne te garantis pas que ça marche mieux.
        Ou alors, en totale désespérance sexuelle, tu aurais pu t’inspirer de ce grand poète et sombrer dans la mélancolie :
        J’ai eu le temps d’y penser
        dans la profondeur des chiottes
        que de temps perdu
        que d’argent gaspillé
        que d’efforts inutiles
        pour un acte si simple.

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      6. La Nuit des Publivores, ça me rappelle l’horrible film Fight club, rite de passage majeur de ma génération et que j’aurais sans doute dû aimer pour draguer des demoiselles, et ses aphorismes qui se veulent philosophiques et qui sonnent en fait comme autant de slogans publicitaires. Genre : « la capote, c’est la pantoufle de vair de notre génération ». Dieu ! que c’est mauvais.

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      7. Les années 80 en foot furent quand même assez grandioses. Pour le reste… c’était aussi la décennie du Walkman, il suffisait de mettre Motörhead un peu plus fort.

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      8. Bobby, lol……. C’est qui, cette espèce de poète du désespoir? 🙂

        G-G-G : des questions sur ton dernier article publié! Et Motorhead? Oui, un des rares trucs à sauver en rock-guitare, pour ça aussi les 80’s furent interminables, batteurs et guitaristes n’étaient plus bons alors que pour traverser la rue en quête d’un nouveau boulot.

        Dans cette époque bien peu guitar-friendly, j’ai souvenir d’un groupe US que cette tendance dut énerver copieusement car, eux : je crois bien qu’ils jouèrent parfois avec..cinq voire six guitares électriques de conserve!, lol.. Pas ma came mais ça m’avait marqué, les Band of Susans que ca s’appelait. Même pas virulent, du droning aux frontières du shoegaze.. mais brin revanchards tout de même.

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    2. Cher Bota

      J’entends, mais seulement, quelle a été ta période providentielle ?

      Je me trompe peut être, mais les 70s non plus ? (rapport aux PB de Cruyff, notamment, sur lesquels tu t’es exprimé moultes fois)

      Quand as tu émerveillé par le football, au juste ?

      😉

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      1. Pour le foot tel que disputé sur pelouse, pas vraiment de période, ni de style ni (désormais) d’équipe privilégiée, j’aime équitablement la France de Hidalgo, l’Italie de Vicini, le Leeds des first-70’s, les Dynamo Tbilisi et Ipswich début 80’s.. Ca brasse large.

        Ajax, s’il n’y avait eu toute cette hypocrisie en mode « perfection absolue » (alors même que ce club émargeait au pire du pire), ça m’en toucherait une sans bouger l’autre. C’est comme Anderlecht dont j’ai longtemps admiré le style (désormais de fond en comble perdu)..tout en en haïssant les intrigues, combines, directoires pourris jusqu’à la moëlle.. Au bas mot 1/3, possiblement même moitié de leur palmarès est vérolé, club détestable à cet égard, d’autant plus qu’il fut archi-protégé..et cependant, dans le même temps : football longtemps de très grande classe!

        L’époque qui me fascine le plus, c’est les 50’s : stades full archi-full, publics bon-enfant, très peu de merchandising, un football le plus souvent (très) offensif..mais je préfère ne pas m’en bercer de trop d’illusions.

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  1. Ahaha, magnifique photo, en effet. Superbe composition.

    Le boxeur de vide m’évoque un David Byrne dansant. Et le photographe à gauche, à l’extérieur du triangle, me fait penser à un peintre se représentant dans son tableau.

    J’ai une petite idée sur l’identité du couple dominant la scène au centre. Nos camarades fans de Duran Duran.

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      1. Hum, je n’ai pas l’heur de vous connaître, monsieur. Vous devez me confondre avec quelqu’un d’autre. Probablement avec un bel homme à la mise en pli impeccable.

        Et pis, je ne parle pas aux gens qui se font mettre des râteaux par Florian Grillitsch.

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  2. Excellent, voilà un papier qui n’a pas été écrit avec Chat gpt 🙂
    Les deux gus in love me font penser à ceux de la pub 118 218. Un petit côté gym tonic sur une musique de Queen à une époque où me semble-t-il Freddy Mercury était à son zénith en termes de popularité.

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    1. Oui, moi aussi ils me firent penser a ça 🙂

      Z’étaient peut-être anglais aussi, va savoir..mais l’hypothèse qu’ils fussent US et complices des correspondants de presse circule.

      Barry Stevens…….. J’ai cherché trois jours pour trouver son identité! Je savais ce duelliste fan de Chelsea, vainement et compulsivement cherché alors sur de vieux forums underground hantés par d’ex-Headhunters, mais inconnu au bataillon.. Au final identifié via un forum de..jardinage, un Anglais comme les autres, lol.

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      1. Il doit descendre de l’ancêtre qui tint ce dialogue :

        – Je dis, messieurs : il est interdit de marcher sur le gazon.

        – Par Jupiter, Breton ! Tu oses t’opposer à la marche des représentants de Rome ?

        – Mon jardin est plus petit que Rome, mais mon pilum est plus solide que votre sternum.

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    2. 1986, c’est l’année de sortie de ce grand bazar kitsch, ce quasi-nanar à l’esthétique urbaine anticipant celle du terrible Joel Schumacher : Highlander, avec l’infâme Christopher Lambert… Et une nana aux cheveux frisés, des sneakers blanches, des kilts, des étincelles et des bruitages idiots…

      Or, qu’y a-t-il à sauver dans cette daubinette ? Les paysages écossais, forcément ravissants, et… les chansons de Queen.
      https://www.youtube.com/watch?v=6c75cOL0G8I

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      1. Fortress, c’est d’abord une distribution inégalable.
        Christopher Lambert, évidemment, grand maître ès nanard.
        Vernon Wells, l’inoubliable méchant de Commando avec Schwarzy.
        Kurtwood Smith, le méchant de Robocop (« Clarence Boddicker, au nom de la loi, je vous arrête »).
        Jeffrey Combs, le scientifique cinglé de Re-Animator.
        Lincoln Kilpatrick, notamment vu dans une autre série B carcérale : Prison.
        Un puissant concentré des années 80.

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      2. Lol.. J’ignore pourquoi, mais j’eus aussi « Highlander » en tête en écrivant ceci 🙂

        Que de mauvais souvenirs que ces (j’ai dû me coltiner le 1 et le 2!) nanars améliorés, passage obligé à l’époque si on voulait emballer une nénette (Christophe Lambert oblige, elles adoraient ça..)…. J’ai vu le 1er volet 3 fois au moins, et il me semble n’y avoir jamais même gagné un bisou sur la joue, trahi sans doute par mon ennui profond.. Mains balladeuses sans effet, contre-productives même.. Horrible.

        En plus j’aime pas Queen – groupe de qualité pourtant, aucun mal à reconnaître à Mercury un génie certain..mais j’aime pas.. La totale!

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      3. Fortress, cette distribution WTF en effet, lol.

        J’avais bien aimé Ré-animator, quoique vu en VHS à l’époque.. La grande époque des nanars d’horreur.

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      4. J’ai découvert malheureusement trop tard que Christophe Lambert était né à Great Neck, Long Island. Et j’ai loupé aussi Amytiville. Domnage, ça aurait fait son effet lors des soirées diapos.

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    1. Merci, c’est gentil mais ce n’est qu’une fantaisie – quoique véridique..et j’aime bien illustrer par ce biais que, même s’il n’avait pas besoin de cela, le hooliganisme était alimenté aussi, voire stimulé çà et là, par les provocations d’une presse particulièrement sensationnaliste, le plus souvent fort droitarde.

      Les (fort prévisibles) incidents que j’évoque durant cet Argentine-Angleterre 86 : https://www.youtube.com/watch?v=_SRplPWXTKY

      C’est à ce lien, parmi les commentaires, que je trouvai d’abord les premières occurrences (2, de mémoire) épinglant certain « Barry Stevens »………dont je finis donc par retrouver la trace, parmi des azalées ou que sais-je (archi-nul en botanique), semblant attester gros 30 ans plus tard que ç’avait bel et bien été lui, torse nu sur le premier cliché proposé.

      Rétrospectivement et malgré moi, d’instinct : j’ai donné raison aux provocations de ces gaillards de CBS, puisque je m’en allai fureter machinalement (mais vainement) parmi des sites hantés par d’ex-(?)Headhunters…….or ce type n’en était manifestement pas (NB : je n’en dirais forcément autant du rouquin qu’on voit à l’avant-plan de la première photo, plus « sec » dans l’attitude et dont je ne parviens à identifier les tatouages), juste un Anglais « lambda » : imbibé d’alcool, et probablement pénétré d’un trop puissant « Rule Britannia », chatouilleux du drapeau – le suprémacisme anglais (de surcroît abîmé par les crises postwar) fut certainement des moult facteurs ayant concouru à l’émergence de leur hooliganisme. Ca et l’effet de meute, la frénésie d’ensemble…….. Il n’en fallait souvent pas plus ; que de braves types je vis de la sorte céder à de bien basses pulsions dans les 80’s et 90’s.

      Toujours à ce lien :

      A 4:42 : non pas de vulgaires autopompes mais des blindés, carrément.

      Peu après, vers 05:00 : les deux clichés ci-reproduits.

      A compter d’environ 08:30 et pour les hispanophiles/-phones (dont je ne suis) : diverses coupures de presse locales (?), afférents à la question du hooliganisme anglais durant ce tournoi, et à ce que manifestement il inspirait.

      Le reste de cette vidéo/montage : provocations diverses, prises de drapeaux voire tribunes……… Du classique, du grand n’importe quoi.

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      1. * je n’en dirais forcément autant du rouquin qu’on voit à l’avant-plan de la DERNIERE photo (…)

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