Aujourd’hui, Flamengo et Fluminense se croisent pour un clássico qui pourrait être décisif pour l’attribution du Campeonato carioca.
S’il avait été encore en vie dans les seventies, le journaliste Mário Filho aurait probablement imaginé une formule choc pour décrire ce que sont les Fla – Flu au milieu de cette décennie. Le Clássico das Multidões[1], selon l’expression créée par Filho au début des années 1940, retrouve son lustre d’antan, quand les foules se pressent pour admirer Leônidas, Tim et une exceptionnelle concentration de cracks que même le Christ rédempteur semble contempler depuis le Corcovado.
Depuis 1950, les petites enceintes de Gávea et Laranjeiras se sont effacées au profit du Maracanã, stade de la démesure ayant accueilli plus de 194 000 spectateurs lors du clássico de décembre 1963 que dispute déjà Carlos Alberto alors que Júnior, neuf ans, est dans les tribunes, accroché aux jambes de son père. Pour celui de mars 1976, ils sont 90 000 torcidas bien qu’il s’agisse d’une rencontre amicale en l’honneur de Nelson Rodrigues[2], frère de Filho. Dramaturge amoureux de Fluminense, Rodrigues est également commentateur sportif, l’occasion pour lui d’appréhender la sociologie du football à travers ses angoisses littéraires et d’éprouver ses théories sentencieuses dont la plus fameuse est sans doute « Fla – Flu a débuté quarante minutes avant le néant. »
Francisco Horta, l’homme sans tabous
Si ce match revêt tant d’importance, si le clássico est dépoussiéré, c’est l’œuvre de Francisco Horta, éphémère mais inoubliable président du Fluzão en 1975 et 1976. Quadragénaire dénué de complexe, il crée la Máquina Tricolor, une des plus belles équipes de l’histoire de Fluminense. Ses premiers coups de maître sont les recrutements de Paulo Cézar et surtout Rivelino, découragé par ses échecs successifs avec le Corinthians. Aux côtés de leurs coéquipiers champions du monde 1970 Félix, Marco Antônio et Carlos Alberto, ils portent Flu jusqu’au titre carioca. Mais cela ne suffit pas à Horta. Pour drainer encore plus de public et générer plus de recettes, il brise un tabou avec l’accord de son homologue rubro-negro Hélio Maurício : réaliser des échanges de joueurs entre les deux clubs.
C’est ainsi que, début 1976, Toninho, Roberto et Zé Roberto passent de Fluminense à Flamengo alors que Renato, Rodrigues Neto et Doval font le chemin inverse dans un deal où les joueurs n’ont pas leur mot à dire. Profondément attaché au Fluzão, le petit ailier Zé Roberto vit très mal ce transfert forcé qu’il apprend en lisant la presse. Absent lors du match de mars 1976, il joue son premier clássico avec les couleurs de Flamengo en mai. En foulant la pelouse du Maracanã, il se dirige mécaniquement vers le virage où se trouvent les torcidas de Flu. Il se rend compte de son erreur lorsque ses anciens supporters l’insultent et lui lancent toutes sortes d’objet. Aux portes de la Seleção avec Fluminense, sa carrière est brisée et n’est plus qu’une succession de déceptions vécues dans le souvenir du Tricolor.
Pour les chroniqueurs, Horta et Fluminense sont les incontestables gagnants du troc, la grosse prise étant l’Argentin El Loco Doval, attaquant divinisé par les torcidas du Mengão pour son héroïsme et par les femmes pour son physique d’Apollon. A l’inverse de Zé Roberto, Doval n’a pas d’états d’âme. En conflit avec son ex-coach Carlos Fröner, il se glisse sans peine dans le maillot du Tricolor, affirmant avant le clássico qu’il inscrira deux buts à ses anciens partenaires.
Zico superstar
A la tête de Fluminense pour ce qu’il ignore être son dernier match, Didi aligne en défense centrale l’inoxydable Carlos Alberto et le prometteur Edinho. Devant, si Rivelino et Dirceu sont absents, il peut s’appuyer sur Búfalo Gil, Doval et Paulo Cézar. Outsiders après une saison décevante, Flamengo et Fröner misent sur de jeunes cracks : Júnior repositionné sur le flanc gauche, l’infortuné Geraldo à qui il ne reste que six mois à vivre[3] et bien sûr Zico dont tout le monde sait déjà qu’il s’agit d’un joueur hors normes.
Pour l’occasion, Fluminense joue en blanc et avec ce maillot immaculé, cheveux blonds mi-longs et bronzage parfait, Doval n’a jamais été aussi beau. Dès le coup d’envoi, sans empressement excessif, le Fluzão dicte le tempo. Le Mengão résiste d’abord, puis s’enhardit jusqu’à trouver la faille grâce à Zico, déjà. En début de seconde mi-temps, Carlos Alberto égalise sur pénalty. Alors le show Zico peut débuter. O Galinho fait d’abord chavirer le Maracanã sur un coup franc majestueux, une figure de style, une hyperbole tant la trajectoire décrite par la balle semble exagérée. Puis il marque d’une frappe à l’entrée de la surface. Enfin, à l’issue d’une action collective, le subtil Geraldo lui offre d’une talonnade le dernier but.
Dans les vestiaires, le musicien et ancien espoir du Mengão Jorge Ben (déjà auteur de Fio Maravilha) vient fredonner un texte écrit dans l’instant, fruit de l’émotion provoquée par le quadruplé de Zico. Ce n’était qu’un match amical mais on en parle encore aujourd’hui comme d’un moment clé de la carrière d’O Galinho. A 23 ans, il appartient déjà à la légende des Fla – Flu, devenant au fil des ans l’inlassable bourreau de Fluminense (malgré tout champion carioca et demi-finaliste du Brasileiro 1976) et le guide de Flamengo jusqu’au sommet du monde au début des années 1980.
[1] Classique des foules
[2] Le match fait l’objet de la remise d’un trophée, la Taça Nelson Rodrigues, et cette édition 1976 est la seule ayant eu lieu.
[3] Il meurt à 22 ans en août 1976 durant une opération des amygdales.
Encore un bel article, Verano. C’est mercredi et j’avais peur de découvrir une production bobbyschannienne en buvant mon chocolat chaud.
Un bémol toutefois. L’utilisation de l’expression « son physique d’Apollon » me paraît ici galvaudée.
Je la retire bien volontiers, elle n’est que l’expression d’une lancinante jalousie…
C’est Polster, le jaloux. Il aimerait (encore) avoir la même tignasse !
J’avais pas le temps, hier : j’avais grève.
Mais t’inquiète, je vais bientôt faire du mois de mars ma chose avec un enchaînement à faire frémir toutes les mamies gâteau !
Merci Verano. Le transfert de Rivelino du Corinthians au Fluminense a du faire parler, j’imagine.
Doval, qui ressemblait beaucoup à Klaus Kinski, acteur fétiche de Werner Herzog, est mort assez jeune à 47 ans (crise cardiaque).
« En foulant la pelouse du Maracanã, il se dirige mécaniquement vers le virage où se trouvent les torcidas de Flu. Il se rend compte de son erreur lorsque ses anciens supporters l’insultent et lui lancent toutes sortes d’objet »
Ça me rappelle les polonais après leur séance de tirs aux buts contre la Suisse à l’Euro 2016 ; de mémoire ils étaient tous partis célébrer devant le virage suisse, dupés par la couleur rouge du virage.
De même, on raconte que lors de son premier derby disputé avec les couleurs stephanoises, Bernard Lacombe se serait trompé de vestiaire.
Du même ordre… En passant de la Juve à l’Inter, Giovanni Trapattoni s’est trompé de banc en revenant au Comunale pour la première fois.
Goethals aussi, un match décisif contre l’Italie, Euro72.. Il s’énerve, de mémoire après une faute italienne, et sort donc furibard de son banc……..puis il va se rassoir..mais sur le banc italien, où il continue comme ça à s’énerver et à parler tout seul pendant de très longues secondes, une minute peut-être..
Finalement, s’étonnant que personne autour de lui ne réagisse : il tourne la tête.. et découvre tout le staff italien qui le regarde, médusés.
Dirceu, quel fantastique gaucher. Il a été aimé partout où il est passé mais jamais longtemps. Sacrée bougeotte le Dirceu!
Zico, escroc!
Ce sera tout pour moi.
Sur la photo, de tête j’avais:
Renato Valle, Pintinho, Carlos Alberto, Edinho et Rodrigues Neto.
Gil, Narciso Doval, Rivelino et Dirceu.
Me manquaient donc Rubens Galaxe (son nom me fait toujours délirer!) et Cléber.
J’ai une fierté, je ne triche pas comme un certain Bobby, le vaillant corps de l’éducation nationale ne serait-il pas soumis à un devoir d’exemplarité? Les valeurs se perdent ici-bas…
Parmi l’équipe type cette saison-là, manquent: Miguel le défenseur central et Paulo César Lima/Caju au milieu
Sur papier : quelle équipe………………
C’était quoi, déjà, le cadre de match amical qui avait vu…..Fluminense affronter une sélection européenne? Voire l’avoir emporté?
Un article y fut consacré ou l’évoqua, mais..?
Oui, une dream team, on peut le dire.
Concernant le match dont tu parles, je ne connais pas, désolé.
Je crois que c’était au Tournoi de Paris vers 1976 ou 1977. Je me souviens vaguement qu’Ognjen Petrovic, fraîchement transféré à Bastia, était dans la cage pour les Européens et que Bremner avait ouvert le score pour eux, puis que Fluminense s’était mis à dérouler et avait gagné 3-1 sans trop de soucis.
C’est bien ça, oui. Je l’avais évoqué sur le premier article de Verano, je crois.
J’ai hésité à te dédicacer le papier eh eh.
« « Fla – Flu a débuté quarante minutes avant le néant. » », quel sens de la formule.. et quel beau coup-franc de Zico.. et quel bel article encore, bravo et merci!
Ces images d’archives sont d’un vieillot.. Retravaillées en ce sens? Qualité habituelle pour les retransmissions du football brésilien des 70’s?? On se croirait un demi-siècle plus tôt, étonnant.
Pour les curieux, dans un match tendu, Flu a battu Fla 2-1 malgré un but de Cebolinha pour le club rubro-negro. Place aux demi-finales à partir de dimanche.
Cebo, quel homme…Rédacteur chez nous le jour. Joueur de Flamengo la nuit.